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Les charleries Bienvenue sur mon blogue, Ce blogue contient des souvenirs, des anecdotes, des opinions, de la fiction, des bribes d’histoire, des énigmes et des documents d’archives. Charles-É. Jean
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Ma première vie Par Charles-É. Jean |
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Avant-propos
La vie est un ensemble d’événements souvent relativement peu importants
mais qui façonnent la personnalité de chacun. C’est dans ce contexte que
j’aligne les faits et gestes de mon enfance jusqu’au début de l’âge
adulte en des images successives. Ce que la nature m’a offert et les
événements relatés mêmes anecdotiques ont fait de moi ce que je suis
devenu.
Aucune vie n’est pareille à une autre, mais ma première vie, comme celle
de beaucoup de mes contemporains qui sont nés en campagne au milieu du
20e siècle, ne ressemble
pas du tout à celle des jeunes du début du 21e
siècle.
Le lecteur remarquera qu’une évolution certaine apparaît dans mon
environnement tout au long de ce récit. Peu à peu, se greffent des
commodités à la maison et sur la ferme. À ma naissance, les moyens
technologiques sont minimes. Avec le temps, ils surviennent
tranquillement dans la vie collective.
Après une présentation de mes parents, je décris les événements de mon
enfance à la maison et à l’école. Puis, je parle de mes années de
pensionnat qui, à partir de 12 ans, occupe une période de près de 10
ans, soit presque la moitié de ma première vie.
Bonne lecture !
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Table des matières
Chapitre 1. Avant 1941
Chapitre 2. Ma petite enfance
Chapitre 3. Mes débuts à l’école du rang
Chapitre 4. Ma 3e et 4e année à l’école du rang
Chapitre 5. Ma 6e et 7e année à l’école du rang
Chapitre 6. Ma première année au Séminaire
Chapitre 7. Syntaxe et Méthode au Séminaire
Chapitre 8. Versification et Belles-Lettres au Séminaire
Chapitre 9. Mes années collégiales au Séminaire Chapitre 10. Mon séjour au Grand Séminaire
Annexe 1. Mes
principales réalisations Annexe 2. Courte biographie Annexe 3. Mes livres publiés |
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Chapitre 1. Avant 1941
Lieu de naissance
Ma paroisse natale, c’est Saint-Mathieu-de-Rioux, petit patelin rural
qui compte environ 1200 habitants en 1941, année de ma naissance. Cette
municipalité est située à 50 kilomètres au sud-ouest de Rimouski. Les
premiers occupants sont des Micmacs. Leur campement est situé le long de
la rivière Neigette là où sera construit le premier moulin à farine.
Le premier colon de Saint-Mathieu est Michel Jean (1794-1870), maçon de
métier qui est un de mes ancêtres. En juillet 1830, il achète un lot de
10 arpents de largeur à l’ouest de l’église actuelle. Quand il s’y
installe, il est accompagné de sa seconde épouse Sophie Bergeron, de ses
trois enfants du premier lit et de ses trois enfants du second lit.
Pendant trois ans, il est seul avec sa famille au milieu des bois
n'ayant pour compagnons que trois Micmacs.
À ce moment, pour se rendre à Saint-Simon, Michel Jean doit emprunter un
sentier non carrossable qui a été aménagé à la pelle et à la hache. Il
peut aussi se rendre à Trois-Pistoles par le lac Saint-Mathieu. Il
profite de cette voie pour aller y vendre des échantillons de sa
récolte. Ses proches sont étonnés de voir la qualité de ses produits et
certains décident de le suivre.
Un peu plus tard, avec l’aide de d’autres colons, à la place du sentier,
Michel Jean construit sur sa terre une route qui permet de rejoindre le
village de Saint-Simon. Elle est située à peu près au même endroit que
la route actuelle Saint-Mathieu/Saint-Simon. Plus tard, il vend sa terre
et va s’établir au sud du lac tout près du pont de l’ouest.
J’ai découvert que Michel Jean était le premier colon de Saint-Mathieu
quand j’ai fait des recherches pour écrire l’album-souvenir de cette
paroisse en 1966. Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne
parmi les paroissiens, pas même parmi les Jean, ne détenait cette
information.
Je suis de la cinquième génération de Michel Jean (1793-1870) et de
Véronique Plourde (1797-1825). Se suivent :
- Melchior Jean (1819-1894), mon arrière-grand-père, époux d’Élisabeth
Dionne (1823-1903)
- Théophile Jean (1845-1922), mon grand-père, époux d’Élise Boucher
(1868-1910)
- Edmond Jean (1905-1997), mon père, époux de Marie-Laure Théberge
(1907-2003)
Mon père
Mon père Edmond Jean naît le 2 mars 1905 au village de
Saint-Mathieu-de-Rioux. Il est le huitième enfant d’une famille qui en
comptera 11. Son père Théophile a alors 59 ans. Sa mère, Élise Boucher,
a 36 ans. Quand Théophile se marie le 24 avril 1893 à 47 ans, il est,
selon l’expression de l’époque, un vieux garçon et cela depuis
longtemps. Son épouse a 24 ans.
Élise Boucher décède le 17 mai 1910, soit 15 jours après avoir donné
naissance à son 11e enfant, Candide. Une pleurésie l’emporte
alors qu’elle a seulement 41 ans. Élise était mariée depuis 17 ans à
Théophile qui avait alors 65 ans. Sa mort a bouleversé la vie de sa
famille.
Ses parents adoptifs
Lors d’un prône, le curé de Saint-Mathieu-de-Rioux, le révérend Réal
Cayouette, annonce que le père Théophile Jean est prêt à donner en
adoption un de ses trois garçons.
Ludger Ouellet qui est cultivateur au petit-rang 4 se présente avec son
épouse Philomène Lévesque. Le couple choisit mon père qui a 5 ans.
Grand-père Jean accepte et mon père est adopté sans acte légal.
Dans ses mémoires, Marie-Ange Jean, la sœur de mon père, écrit :
« Quelques temps après la mort de ma mère, M. et Mme Ludger Ouellet de
St-Mathieu qui n'avaient pas d'enfant se présentèrent chez mon père pour
le supplier de leur donner un de ses enfants. Après réflexion, mon père
se décida de lui passer Edmond, le deuxième des trois garçons. »
Ludger Ouellet naît le 30 juin 1862. Il est le fils de Narcisse Ouellet
et d’Hortense Lagacé. Il épouse Philomène Lévesque le 23 janvier 1883 à
Saint-Mathieu. Lors de leur mariage,
Ludger a 21 ans et Philomène 17 ans.
Philomène est née le 21 septembre 1866 deux semaines avant l’ouverture
des registres paroissiaux de Saint-Mathieu-de-Rioux. Elle est la fille
de Joseph Lévesque et de Sophie Paradis.
Lors du recensement de 1901, Ludger, son épouse Philomène, sa fille
Emma, son père Narcisse, ses neveux Arthur (16 ans) et David (13 ans)
sont domiciliés au Petit-4, soit sur la route du cinquième rang. Leur
voisin de l’ouest est Ferdinand Dionne, père de Charles Dionne, et celui
de l’est Majorique Lagacé, père d’Elzéar Lagacé. Les deux fils
hériteront de la terre paternelle.
En 1910, lors de l’adoption d’Edmond, Ludger a 48 ans et Philomène 44
ans. Ludger cultive la terre
qu’il a héritée de son père. Plus tard, le beau-fils de Ludger, Adélard
Ouellet, en deviendra le propriétaire. Puis, ce fut au tour d’Omer, le
fils d’Adélard, de cultiver cette terre jusqu’à son départ pour Amos en
Abitibi en 1953.
Un crochet aux États-Unis
Quelques mois après l’adoption de mon père, le couple Ouellet-Lévesque
décide de s’expatrier aux États-Unis. Allait-il rejoindre leur gendre
Adélard qui avait épousé leur fille unique Emma en 1904 à Newmarket,
Mon père et ses parents adoptifs reviennent à Saint-Mathieu au printemps
1913
: c’est ce que nous apprend le
Progrès du Golfe,
un journal de Rimouski, dans son édition du 11 avril 1913 :
« Cinq familles absentes nous sont revenues dans la paroisse. Ce sont
les familles de M. Ludger Ouellet, de M. Adélard Ouellet, de M. Ernest
Jean qui étaient aux États-Unis depuis deux ans. M. Alexandre Vézina,
absent depuis un an est revenu dans sa maison du village. M. Arthur
Ouellet a vendu sa terre et réside maintenant au village. »
À leur retour à Saint-Mathieu, Ludger, 51 ans, se réinstalle sur sa terre. Le cheptel de la ferme est composé d’un cheval, de deux vaches, de quatre moutons et de quelques poules.
Mon père vient d’avoir huit ans. Il commence sa première année à l’école
du Faubourg du Moulin qui, à cette époque, est un véritable petit
village. On y trouve même un magasin, qu’on appellerait aujourd’hui un
dépanneur, et bientôt un bureau de poste.
Il aurait pu faire de bonnes études car il est doué, mais il n’est pas
intéressé. À 11 ans, il se présente à l’école avec une cigarette en
bouche. La maîtresse lui signifie qu’il est interdit de fumer à l’école.
Après des pourparlers, l’institutrice lui dit qu’il doit choisir entre
la cigarette et l’école. Il rétorque avec assurance qu’il opte pour la
cigarette. C’est ainsi qu’il termine ses études primaires avec à peine
une troisième année. Il désapprend rapidement ce qu’on lui a enseigné si
bien qu’il devient analphabète, ne sachant ni lire ni écrire. Tout ce
qu’il a retenu de ses années à l’école, c’est de signer son nom et il le
fait à la façon d’un dessin.
Mon père a été confirmé à l’âge de 13 ans. Voici ce que ma mère a écrit dans son journal :
« Edmond a été à l’école du Moulin et terminé ses
études à 11 ans. Il a été confirmé le 9 avril 1918. »
Mon père travaille sur la ferme et dans l’érablière de Ludger Ouellet,
son père adoptif. Adélard et son épouse demeurent dans la même maison.
Ludger Ouellet quitte la maison familiale en 1922 pour aller s’établir
au village. Mon père, qui a 17 ans, choisit de demeurer sur la ferme
avec Adélard. Dans les dernières années de célibat, il va bûcher dans
les chantiers pendant l’hiver aux alentours de la rivière Humqui. Il
économise son argent en vue de s’acheter une terre.
Fratrie de mon père
Mon père a toujours été indifférent envers ses frères et ses sœurs. Nous
n’avons jamais senti un esprit de famille. Est-ce dû à l’adoption ou
est-ce une attitude dans cette famille ? Une chose est certaine : la
plupart des membres de cette famille se sont dispersés avant même d’être
adultes.
Deux filles, Adélia et Arthémise, s’installent à Saint-Fabien. La
première quitte plus tard pour Barraute en Abitibi. Deux filles,
Antoinette et Marguerite, passent leur vie d’adulte à New York ; deux
autres, Valentine et Rosanne, à Montréal. Les deux frères de mon père
vivent à Montréal sans jamais se marier. L’un, Léo, a toujours demeuré
en chambre sur la rue Notre-Dame à Montréal. Il a travaillé pour le
Canadian Pacific. L’autre a été itinérant. J’en reparlerai plus loin
Seuls trois membres de la famille Théophile Jean se sont installés à
Saint-Mathieu : mon père et deux de ses sœurs : Marie-Ange et Candide.
Ma mère
Ma mère Marie-Laure Théberge naît le 24 janvier 1907 au village de
Saint-Mathieu-de-Rioux. Elle est le deuxième enfant d’une famille qui en
comptera 11. Son père Émile a alors 25 ans. Sa mère, Marie-Luce Ouellet,
a 28 ans. Émile est le fils d’Alfred Théberge et de Rose Rousseau. Il
est né le 29 août 1882. Marie-Luce est la fille de François Ouellet et
de Vitaline Gravel. Elle est née le 22 mai 1879.
Grand-père Émile Théberge cultive la terre voisine de celle de la
fabrique à l’est. Il a hérité du lot familial. Son père l’avait obtenu
de Vital Rousseau, père de son épouse Rose.
Enfance de ma mère
Dès sa naissance en janvier, ma mère doit affronter le froid de l’hiver,
car, à cette époque, les maisons ne sont pas suffisamment chauffées.
Elle est l’aînée de la famille. Un garçon était né un an plus tôt.
Quand ma mère a 6 ans, tante Corinne Théberge,
la sœur de grand-père Émile Théberge,
enseigne à l’école du Moulin. Non loin de l’école, il y a un moulin à
farine et un moulin à scie. Mon père fréquente cette école depuis peu.
Un jour, tante Corinne amène sa nièce à son école et c’est là que ma
mère voit pour la première fois son futur mari.
Cette première rencontre ne laissera aucune trace à court terme.
Tante Clémentine Théberge qui est célibataire et au début de la
cinquantaine est responsable de la centrale téléphonique qui dessert
toute la paroisse. Cette centrale est installée dans le haut-côté de la
maison d’Alfred Théberge. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, ma mère est initiée
par sa tante à tenir la console téléphonique. Cette dernière va à la
messe de 7 heures à peu près tous les matins. C’est pendant ce temps que
ma mère achemine les appels. C’est le moment d’ailleurs où les appels
sont les plus nombreux de la journée puisque le téléphone doit servir
presque uniquement pour les affaires et, par ricochet, est utilisé par
les hommes. Pour communiquer avec une autre personne, il faut appeler la
console et la préposée signale le numéro demandé que ce soit à
l’intérieur ou à l’extérieur de la paroisse.
Dès son jeune âge, comme elle est l’aînée, ma mère aide sa mère dans les
travaux domestiques. Les garçons, en ce temps-là, sont exclus des tâches
ménagères.
À l’école
C’est avec ravissement que ma mère commence l’école dans un bâtiment
situé à l’ouest de l’église, là où plus tard s’est élevée la salle
paroissiale. On appelle ce bâtiment l’école modèle.
On y dispense sept années d’études, alors que les écoles de rang offrent
à cette époque-là les cinq premières années.
Ma mère aime l’étude et est très appliquée.
Une de ses institutrices est la jeune Jovette-Alice Bernier, de
Saint-Fabien, qui fut connue plus tard comme romancière. Elle côtoie
aussi Charles-Eugène Parent qui est devenu archevêque de Rimouski.
Elle est en cinquième année à l’école modèle et elle a à peine 11 ans.
Son rêve de devenir une femme instruite s’estompe quand sa mère lui
demande d’abandonner l’école pour l’aider aux tâches ménagères. Elle a
très souvent raconté qu’elle avait pleuré et qu’elle avait insisté
auprès de sa mère pour qu’elle puisse continuer ses études. Peut-être
serait-elle devenue institutrice comme ses tantes Corine, Émilie et
Laura Théberge, les sœurs de son père ?
Peine perdue, la famille Émile Théberge compte déjà huit enfants dont
quatre ont moins de six ans et un neuvième s’annonce. De plus, la santé
de sa mère est défaillante.
Quand ma mère abandonne l’école, elle vient de recevoir le sacrement de
confirmation le 9 avril 1918.
Malgré cet abandon qu’elle juge précoce, ma mère continue
à s’instruire en
s’adonnant à la lecture et en fouillant dans les livres d’école de ses
tantes Théberge.
Aussi, elle en arrive à être capable d’écrire à peu près sans faute
d’orthographe et de grammaire. De plus, elle est naturellement une bonne
conteuse et son vocabulaire se diversifie assez rapidement.
C’est avec résignation qu’elle se met à la tâche en approfondissant peu
à peu les rudiments du métier de ménagère. Sans le réaliser, elle se
prépare déjà à être mère au foyer.
Ma mère aime surtout la couture. Dès l’âge de 15 ans, en cachette, elle
prend la machine à coudre et confectionne un habit pour son frère
Georges. Sa mère est agréablement surprise du résultat et lui permet
d’utiliser l’appareil de couture.
Avec le temps, elle se perfectionne dans ce domaine pour lequel elle a
un don remarquable.
À l’âge de 20 ans, elle est engagée chez Antoine Dionne qu’elle a
toujours appelé M. Antoine. Ce dernier héberge son père Jean Dionne qui
est veuf.
Qui est M. Antoine ?
Antoine Dionne est un personnage important dans la paroisse de
Saint-Mathieu-de-Rioux. En 1906, avec son cousin Ernest Dionne, il fonde
la manufacture de boîtes à beurre. Il est reconnu comme un génie de la
mécanique, créant plusieurs machines adaptées à la production. Il
administre une succursale de la Banque canadienne nationale et possède
un moulin à scie en bas de la paroisse.
En 1918, il est élu maire, poste qu’il occupera jusqu’en 1934 après
avoir démissionné pour des raisons de santé. Sa mère, Hélène Jean, est
la sœur de Théophile Jean, le père de mon père. M. Antoine est donc le
cousin germain de mon père.
Ma mère gagne alors 15 $ par mois, un excellent salaire.
Elle aide ainsi à faire vivre la famille Théberge. En effet, elle remet
une bonne partie de sa paie à ses parents.
De plus, elle a la permission, dans ses temps libres, de faire des
travaux de couture pour sa fratrie.
Elle reste à l’emploi de cet homme jusqu’à son mariage.
En même temps, Monsieur Antoine est l’exécuteur testamentaire de
grand-père Théophile Jean. Au décès de ce dernier en 1922, il a le
mandat d’administrer ses biens et devient le tuteur légal des enfants
mineurs (moins de 21 ans). Mon père a alors 17 ans. Il a été adopté à 5
ans de façon non légale. Aujourd’hui, on dirait qu’il était en famille
d’accueil. Théoriquement, Monsieur Antoine est son tuteur pendant quatre
ans.
À l’occasion, mon père visite son oncle. Il est probable que Monsieur
Antoine encourage ses visites. Il en est d’ailleurs peut-être
l’initiateur. À ce propos, ma mère a déjà raconté qu’elle avait reçu un
cavalier antérieurement et que Monsieur Antoine lui avait interdit de le
fréquenter.
Monsieur Antoine est décédé deux ans après le mariage de mes parents. Ma
mère a toujours manifesté de l’admiration envers cet homme. Par
ailleurs, les parents proches de monsieur Antoine ont toujours eu une
grande considération pour elle.
La fratrie Théberge
J’ai eu la chance de bien connaître les frères et les sœurs de ma mère
parce que, sauf Antonio, ils ont
Il y a eu Léo, l’aîné de la famille. Il montrait un air sérieux. Il a
travaillé la plus grande partie de sa vie au magasin général de Lucien
Ouellet comme commis. Il a été secrétaire de nombreux organismes. Son
épouse Lucie D’Auteuil était une personne dynamique. Elle a rendu de
nombreux services à la communauté de Saint-Mathieu en conseillant les
gens dans leurs transactions et en étant gérante d’une succursale locale
de la Banque canadienne nationale.
Il y a eu Marie-Ange que je n’ai pas connue. Elle a travaillé comme
commise au magasin coopératif à ses débuts. Elle est décédée d’un cancer
à l’âge de 35 ans.
Il y a eu Antonio, prêcheur talentueux. Il était profondément religieux.
Il s’est dévoué dans plusieurs associations dont le Cercle Lacordaire et
l’Union des cultivateurs catholiques en prononçant
maintes conférences.
Il a été gérant du magasin coopératif pendant plusieurs années. La vie
ne l’a pas toujours gâté. Il a perdu sa première épouse Adrienne
Théberge lors d’un accouchement, lui laissant neuf enfants. Sa deuxième
épouse, Gertrude Thériault, a eu deux enfants et est décédée à 50 ans.
Il a conclu un troisième mariage avec Rose Dumont qui est décédée à 101
ans et 10 mois.
Il y a eu Candide dont je parlerai plus loin.
Il y a eu Lucienne, femme digne et élégante, ma marraine. Elle a épousé
Édouard Ouellet et a été femme de cultivateur.
Il y a eu Thérèse, ancienne institutrice. Elle a épousé Roland Dionne
qui a d’abord été cultivateur, puis qui a travaillé pour la compagnie
Dionne et Dionne dont les propriétaires étaient ses frères.
Il y a eu Maurice, homme généreux qui a été sacristain, chantre et
directeur de chorale. Il a gagné sa vie en faisant divers métiers, par
exemple, comme barbier, peintre ou comme concierge de l’école. Il a
épousé Lucille Lavoie, une musicienne accomplie.
Il y a eu Georges, homme d’allure sévère. Il a hérité de la terre
paternelle située près de l’église. Il a été de la quatrième génération
sur cette terre. Il fut brièvement maire. Il a épousé Jeanne Parent, une
ancienne institutrice.
Il y a eu Gabrielle, femme sympathique et ambitieuse. Elle a épousé
Paul-Émile Bérubé et a été épouse de cultivateur.
Il y a eu Bernadette que ma mère appelait la petite Bernadette. Elle est
décédée à 4 ans.
Tante Candide Théberge
Candide Théberge naît le 23 mai 1912. Elle demeure catherinette toute sa
vie ; elle n’a jamais voulu se marier. J’ai souvent demandé à ma mère la
raison de ce choix. La réponse a toujours été évasive. Elle disait qu’il
en fallait une dans une famille pour prendre soin de son vieux père.
Tante Candide
avait peu d’autorité sur les enfants. Elle a pris soin de son père
pendant plusieurs années. N’ayant pas d’enfant, elle relevait souvent
ses sœurs.
Plus tard, quand j’ai marché au catéchisme, je suis demeuré chez elle
pendant un mois. Elle était très attentive et me traitait avec beaucoup
de soins. Un jour qu’elle m’avait demandé de faire une commission au
magasin coopératif, elle me donna un sou comme récompense. J’étais
content. Une trentaine d’années plus tard, je lui ai rappelé ce fait et
elle m’a dit : « Aujourd’hui, je t’en donnerais beaucoup plus. » J’ai
regretté de lui avoir raconté ce souvenir parce que j’ai eu l’impression
que cela l’avait froissé.
Quand l’oncle Georges se marie en 1948, elle emménage avec son père dans
le haut-côté de la maison paternelle. Elle n’a aucune ressource
financière si ce n’est la pension de vieillesse de son père et les
redevances de son frère Georges qui a hérité de la terre paternelle.
Chaque dimanche, elle reçoit aimablement notre famille avant et après la
messe.
Elle s’occupe de son vieux père jusqu’à sa mort en 1960. Quand celui-ci
meurt, il lègue à tante Candide, outre ses biens, 1500 $. Les autres
enfants reçoivent 170,94 $. Un de mes cousins me racontait que son père,
Léo Théberge, lui avait remis son chèque pour la remercier des bons
soins qu’elle avait apportés à leur père. Je ne sais pas si ma mère ou
d’autres ont fait de même.
Dans les années 1990, tante Candide se fracture une hanche en tombant de
sa chaise. Elle décide alors de ne plus jamais remarcher. Elle finit ses
jours au Centre hospitalier de Trois-Pistoles. Je conserve un excellent
souvenir d’elle. Je suis certain que les indulgences plénières qu’elle a
gagnées lui procurent une belle place dans l’au-delà.
Les petits-enfants
Le couple Théophile Jean et Élise Boucher auront 47 petits-enfants issus
de leurs 11 enfants. Le couple Émile Théberge et Marie-Luce Ouellet
auront 61 petits-enfants issus aussi de leurs 11 enfants. Mes parents
auront 22 petits-enfants issus de leurs 10 enfants.
Hiver 1931. Aventures d’amour
Tout en travaillant, mon père confie à Omer Ouellet ses états d’âme.
Qui est Omer Ouellet ?
De neuf ans, il est plus jeune que mon père, mais il a été élevé dans le
même foyer que lui. En effet, il est le fils d’Adélard et petit-fils de
Ludger Ouellet, père adoptif de mon père. Il a épousé Rose-Aimée
Ouellet, sœurette de ma mère.
Dans son autobiographie en 1987, Omer Ouellet décrit le souvenir
suivant :
« Après le bûchage, lorsque la neige commençait, c’est le moment du
charroyage du bois en sleigh double. Pendant tout l’hiver, je charroyais
avec Edmond, chacun notre voiture. En montant les côtes, nous marchions
tous les deux ensemble. Cette année-là, il courtisait Marie-Laure
Théberge et il me contait ses aventures d’amour, certes pas les plus
importantes, mais ça m’intéressait tout de même. Un jour, il arrive et
me dit : « C’est cassé avec Marie. ». Je lui demande ce qui s’est passé
mais il ne me répond pas. Il me dit : « Il y a des chances que ça
reprenne car il fait doux ; quand il fait froid, ça casse plus sec et
les chances de reprise sont faibles. » Tout s’est passé pour le mieux
car Marie-Laure est devenue sa femme et lui a donné une très belle
progéniture. Tous les deux sont très fiers, et avec raison. »
Automne 1931. Achat de deux terres
Mon père achète les deux terres de Philéas Gaudreau. L’une est au rang
5. Elle mesure quatre arpents de front et environ 30 arpents de
profondeur. On y trouve une maison, une vieille grange-étable et un
hangar. Par bonheur à l’extrémité nord, il y a une érablière. Son voisin
de l’est est Ernest Desjardins, gendre du père Philéas et celui de
l’ouest est Hormidas Gaudreau, fils du père Philéas. Cette terre est
escarpée et rocheuse. En particulier, il y a une grosse roche dans le
jardin qu’il faut contourner.
Le rang 6
L’autre terre est au rang 6. Elle mesure deux arpents de front et
environ 15 arpents de profondeur.
Pour s’y rendre, à partir de la maison du rang 5, on emprunte la route
qui conduit au Lac-Boisbouscache. Avant la barrière en opération à
l’année pour empêcher les chasseurs et les pêcheurs d’aller plus loin,
un chemin en forêt est tracé vers l’est. On franchit environ un
kilomètre en passant sur la partie concédée à la Brown Corporation, une
compagnie forestière, puis on atteint la terre du rang 6.
Il y a là un lopin de terre qui avait déjà été habité par Ferdinand
Rousseau au début du 20e
siècle.
Il y a déjà eu des bâtiments sur cette terre. Ils étaient dans la partie
nord. On pouvait encore voir l’emplacement de la maison et d’une
fontaine. Chaque été, des fleurs vivaces de parterre principalement des
marguerites apparaissaient autour des restes du solage.
En continuant vers le sud dans la forêt et après avoir franchi un pont
de construction artisanale, on atteignait un immense terrain plat. Nous
appelions ce terrain Les prairies.
La raison est que, vers l’ouest, il y avait un lac, soit le lac des
Prairies. Le terrain était entouré de forêts et était borné au sud par
le Lac-Boisbouscache.
On y trouvait un petit camp et une grange ouverte pour y déposer
temporairement le foin.
Coût des terres
Le coût des deux terres et des dépendances y compris l’érablière : 4000
$. C’est un montant considérable pour l’époque. Mon père donne 1500 $
comptant, argent gagné dans les chantiers à bûcher, puis s’engage à
verser 125 $ annuellement en janvier pendant 20 ans.
Voici ce que Marie-Ange Jean, la sœur de mon père, a écrit dans son
autobiographie :
« Pendant ma deuxième année d'enseignement à Saint-Mathieu, mon frère
Edmond acheta la terre de Philéas Gaudreau. Comme il était seul, il me
demanda pour aller rester avec lui. Je quittai ma pension chez M. Bérubé
pour aller rester avec lui. Je m'avisai de faire du grand ménage par les
soirs et les fins de semaine, me voilà lavant murs et plafonds. Après
quelques jours, j'avais de la peine à me tenir droite, j'avais mal aux
reins, j'avais les muscles endoloris. C'était le fun pour la petite
maîtresse d'école, ah ! ah ! ».
« Mon frère se maria quelques mois après avec Marie-Laure Théberge, une
fille très bien qui prit sa place comme maîtresse de la maison. Je pris
pension chez eux pour finir l'année scolaire. »
Avant le mariage, mon père suit une « retraite préparatoire » avec le
curé Joseph Gauvin, ma mère pas. On peut penser que cette retraite est
de courte durée et qu’elle vise à instruire mon père sur ses
responsabilités de géniteur. Ma mère est exemptée, probablement comme
pour toutes les femmes de l’époque qui doivent obéir à leur mari.
30 mars 1932. Mariage de mes parents
La famille Théberge est là de même que certains membres de la famille
Jean et de la famille adoptive. Les témoins sont le père adoptif
d’Edmond, Ludger Ouellet, et le père de Marie-Laure, Émile Théberge.
Outre les époux et les témoins, Léo Théberge, frère de Marie-Laure,
appose sa signature dans le registre paroissial.
Le dîner de noces a lieu chez Émile Théberge. En après-midi, les jeunes
époux montent dans la carriole tirée
Ma mère vient d’épouser un homme très sédentaire et très solitaire, un
homme qui n’aime pas la compagnie, un homme qui parle peu, un homme peu
pratiquant en matière religieuse. Ma mère, elle, adore sortir chez des
parents ou amis, parle beaucoup et est super pratiquante. De plus, ses
principes religieux sont très forts. Ces deux personnes sont à l’extrême
l’une de l’autre.
Selon la coutume, mes parents ne font pas de voyage de noces. C’est
beaucoup plus tard en 1965 qu’ils font leur premier voyage ensemble.
Je faisais partie du voyage.
Voici ce que ma mère a écrit à ce sujet :
« Oui, nous avons fait notre voyage de noces. Ça faisait 33 ans que nous étions mariés. Papa, la maladie l’a pris en montant. Rendus à Montréal, Mont-Laurier, on a pu se rendre à Val d’Or où il a été hospitalisé. Il a subi une opération de la prostate. Il a été un mois à l’hôpital. […] On a été 6 jours à notre voyage, nous sommes allés à Barraute et Amos. C’est le premier voyage que nous faisions, partis le 18 août 1965 ».
Après le mariage, ma mère offre à mon père de lui donner des cours de
lecture et d’écriture. Il accepte, mais peu à peu, il s’en désintéresse.
Moyens de survivance
Pour survivre sur cette terre rocheuse et escarpée, il faut des sources
de revenus diversifiées : vente du lait ou de crème, vente d’animaux de
boucherie, principalement du porc et du bœuf, vente de peaux de bœuf et
de petits animaux de trappe destinés au tannage, vente de produits de
l’érable, vente de la laine de mouton, vente de billots de bois mou pour
la construction.
Pour se nourrir, un potager qu’on appelle jardin à l’époque, des
pommiers, des cerisiers, des poules et leurs œufs, l’abattage d’un porc
et d’un bœuf par année, la chasse aux petits gibiers comme le lièvre et
la perdrix, les fruits des champs comme les fraises, les framboises et
les bleuets, aussi la culture de la pomme de terre.
Pour s’habiller, une partie de la laine des moutons qui est cardée, puis
filée et
avec quoi ma mère confectionne des bas, des gilets, des tuques, des
camisoles, des pantoufles, des foulards, des sacs d’école, des
revêtements de coussins ;
aussi, des boîtes de linge données par les tantes Rosanne de Montréal,
Marguerite et Antoinette de New York. Les vêtements reçus sont
transformés par ma mère qui en confectionne des habits, des pantalons,
des robes et même ... des casquettes ou des sacs à dos pour l’école.
La maison paternelle
Comme dans toutes les résidences du rang, il n'y a pas
d’électricité, pas de bain, pas de douche, pas de toilette. Pour le
chauffage de la maison et de l’eau et pour la cuisson, un poêle à bois.
Pour les besoins naturels, des pots de chambre et, en été, une bécosse
située au sud de la maison. Le téléphone existe, mais il est en
difficulté. Il est possible de recevoir des appels ; il est impossible
d’en faire.
Avec le temps, mon père transforme l’annexe en cuisine où il installe un
poêle à bois. De nombreuses chaises berçantes complètent le décor. Pour
accéder à la cuisine par l’arrière, on doit passer par un local qu’on
appelle tambour et qui est non chauffé l’hiver. On y trouve un
garde-manger nommé dépense. Pendant quelques années, le tambour arrière
sert de cuisine d’été.
30 juin 1933. Naissance de Carmen
À 16 heures 30 minutes, c’est l’arrivée du premier rejeton de la
famille : c’est une fille. Elle est appelée
Carmen. Le docteur Langlois
de Trois-Pistoles assiste à la naissance dans la maison familiale. Elle
est baptisée le lendemain par l’abbé Jean-Baptiste Gauvin, un ami de la
famille Théberge et frère du curé de Saint-Mathieu. Ses parrain et
marraine, Émile Théberge et Marie-Luce Ouellet, ses grands-parents
maternels.
Le 15 juillet, ma mère s’abonne à la revue la Bannière de
Marie-Immaculée et reçoit un agenda spécial qui est fait pour indiquer
les événements marquants d’une famille. Pour chaque enfant, ma mère y
inscrit la date de naissance, la date du baptême, des parrains, etc.
28 septembre 1934. Naissance de Gilbert
Un second rejeton : c’est un garçon. Il naît à 22 heures 15 et est
appelé Michel Gilbert. Comme pour tous les autres enfants de la famille,
l’accouchement se fait à la maison. Il est baptisé le lendemain par le
curé Joseph Gauvin. Ses parrain et marraine sont Ludger Ouellet et
Philomène Lévesque, les parents adoptifs de mon père.
5 mars 1935. Mariage de Marie-Ange Jean
Mon père sert de témoin lors du mariage de sa sœur Marie-Ange. Voici ce
que cette dernière a écrit dans ses mémoires :
« Ce lundi de Pâques, 5 mars 1935, à huit heures du matin, j'entrais
dans l'église au bras de mon frère Edmond qui me servait de père.
Environ une heure après, j'en sortais au bras de mon époux Alphonse,
« ce bon garçon ».
21 mars 1936. Naissance de Suzanne
Suzanne atterrit dans ce monde vers 20 heures. Elle est baptisée le
lendemain par le curé Joseph Gauvin. Il n’y a pas eu de médecin pour
l’accouchement. Ses parrain et marraine, Antonio et Marie-Ange Théberge,
le frère et la sœur de ma mère.
Mai 1937. Finances de la famille
Jusqu’à ce jour, toutes les transactions se font en argent sonnant. Par
exemple, à la fin de chaque mois, le beurrier place l’argent dans une
enveloppe. Il n’y a pas d’institutions financières dans la paroisse. Il
faut aller à Trois-Pistoles ou à Saint-Simon où la Caisse populaire est
en opération depuis cinq mois. La Caisse populaire de
Saint-Mathieu-de-Rioux voit le jour le 2 mai 1937
dans la grande maison d’Émile Ouellet, située à l’ouest de l’église en
face du futur magasin COOP.
Dès le 3 mai 1937, mon père prend une part sociale de 5 $ sous le folio
21. Il est alors le 21e
sociétaire de la Caisse. Pour les transactions, on lui attribue le folio
30. Ce n’est que le 12 août 1937, soit trois mois plus tard, que mon
père fait un dépôt de 40 $. Le 10 septembre, il dépose un autre 40 $,
puis 50 $ le 11 octobre et 25 $ le 25 novembre. Il retire 8 $ le 27
décembre. L’année 1937 se termine avec 147 $ dans son compte.
Ma mère aurait bien voulu devenir membre de la Caisse populaire. À cette
époque, les femmes n’y ont pas le droit. Dans la pratique, toutes les
transactions ou presque à la Caisse ont été effectuées par ma mère qui
était la maîtresse du budget familial.
13 octobre 1937. Naissance de Lise
C’est au tour de Lise de faire son apparition vers quatre heures du
matin. Elle est baptisée le même jour par le curé Joseph Gauvin. Ses
parrain et marraine sont Donat Jean et son épouse Marie-Ange Jean, oncle
et tante. Plus tard, Donat prend le nom d’Alphonse quand il apprend que
c’est ce prénom qui apparaît aux registres paroissiaux au lieu de Donat.
Janvier 1938. Finances de la famille
Il n’y a pas de retrait en janvier 1938 dans le carnet de la Caisse
populaire de mon père. Ce qui laisse supposer que mon père avait
accumulé à la maison l’argent pour payer son terme de terre au montant
de 125 $.
Pendant l’année 1938, il y a six écritures. On y trouve un retrait de 50
$ et un dépôt du même montant. À la fin de l’année, le montant d’épargne
est de 136,55 $.
Le 13 janvier 1939, pour la première fois, un retrait de 125 $ est
effectué dans le compte de la Caisse populaire de mon père pour payer le
terme de la terre. Il ne reste que 11,55 $. Un autre retrait de 10 $ le
18 mars 1939 abaisse le compte à 1,55 $. Le 19 mars, mon père emprunte
35 $ pour trois mois. De son emprunt, il rembourse 15 $ le 16 juin et 20
$ le 10 juillet. Cela lui a coûté 59 sous d’intérêt. Entre temps, un
boni de 10 sous et un intérêt de 1,30 $ lui sont attribués le 21 mai. À
la fin de l’année 1939, l’épargne est de 138,98 $.
Sévit encore
la crise
économique causée par le crash de 1929 dû à la rapacité
d’investisseurs américains qui ont fait sauter la Bourse.
15 novembre 1939. Décès de Ludger Ouellet
Ludger Ouellet, le père adoptif de mon père, décède le 15 novembre 1939
à l’âge de 77 ans. Majorique Lagacé porte la croix et Désiré Rousseau
porte le drapeau du Sacré-Cœur. Mon père porte le cercueil. Il est
accompagné de Jean Ouellet, Émile Plourde et Eusèbe Côté.
15 janvier 1940. Finances de la famille
Le 15 janvier 1940, dans son carnet de la Caisse populaire, mon père est
riche de 138,98 $. Il retire 125 $ pour payer un terme de terre. Il lui
reste 13,98 $.
23 juillet 1940. Naissance d’un bébé anonyme
Tragique journée en ce beau lundi matin. Ma mère est sur le point
d’accoucher. Le docteur Talbot de Trois-Pistoles est demandé pour
assister ma mère. La situation se complique. Un garçon est mort-né vers
8 heures. Ma mère qui a failli mourir est épargnée. C’est un vrai
miracle. Paul est ondoyé par le médecin. M. Ernest fabrique un petit
cercueil blanc. Le corps de Paul est mis en terre dans le lot familial.
16 janvier 1941. Finances de la famille
En début d’année, mon père n’a que 34,68 $ dans son carnet de la Caisse
populaire et il doit verser le terme annuel de sa terre qui s’élève à
125 $. Le 16 janvier, il retire 33 $.
Mon père a-t-il été capable de payer son terme de terre au début de 1941
? Impossible de le dire. Il emprunte 25 $ le 19 février 1941 et le rend
le 28 mars, avec un intérêt de 17 sous. À la fin de l’année, l’épargne
est de 135,61 $.
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Chapitre 2. Ma petite enfance
6 juillet 1941. Ma naissance
Ma mère désire ardemment avoir un garçon. Elle a déjà trois filles et un
garçon. C’est à mon tour de voir le jour ... ou plutôt la nuit. Je nais
vers minuit 45. C’est un dimanche. Ma mère me met au monde à la maison,
aidée d’une sage-femme, dans la chambre mystérieuse soit celle de mes
parents.
Je suis le deuxième garçon vivant de la famille. Mon frère
Gilbert aura
bientôt sept ans. Ma sœur Lise, mon aînée, marche sur quatre ans. Je
suis un bébé bleu : un bébé qui a des problèmes respiratoires et dont le
système immunitaire est faible.
La maison qui me voit naître est dans ma vision d’enfant la plus belle
de toutes. Dès que j’ouvre les yeux dans la chambre de mes parents, les
murs sobrement tapissés m’accueillent en me tendant les bras. Avant mon
départ pour le baptême, les plus âgés de la famille viennent me
souhaiter la bienvenue.
Je suis baptisé l’après-midi même en l’église de Saint-Mathieu par le
curé Charles Pelletier. Ma marraine est Lucienne Théberge et mon
parrain, Édouard Ouellet. Le nom de Charles-Édouard provient de la
combinaison des prénoms du curé et de mon parrain. Ma mère est très
heureuse. Enfin, un garçon.
Ma mère décide que je suis le plus vieux du deuxième lit. Je deviens
donc en quelque sorte l’aîné et cette blague mi sérieuse aura sans aucun
doute influencé les gestes de ma vie. En effet, quelque part, j’ai vécu
les responsabilités et les avantages d’un fils aîné.
Les difficultés respiratoires sont bien présentes. Elles sont accentuées
par des problèmes de digestion dus sans doute au fait que je suis nourri
au lait de vache qui contient des substances irritantes pour mon
estomac. Évidemment, le lait n’est pas stérilisé.
Août 1941. Bénédiction d’une croix de chemin
En 1932, la croix du cimetière avait été remplacée. L’ancienne croix
avait été déménagée sur la terre de mon père au rang 5. Elle était
placée à l’intersection de la route menant au Lac-Boisbouscache. C’est
ma mère qui avait fait les démarches nécessaires.
Puisque cette croix vieillit, il faut la remplacer. Mon père en
collaboration avec Charles Plourde construit une nouvelle croix. Il la
peint en noir et la dépose sur un soc en ciment au même endroit que la
précédente. Une palissade en blanc l’entoure.
Un dimanche d’août, en après-midi, toute la paroisse se donne
rendez-vous pour la bénédiction de la croix. Beaucoup de monde viennent
visiter le petit bébé d’un mois qui n’en mène pas large. Même le curé
vient me voir pour encourager ma mère. Celle-ci veut faire une retraite
fermée ; mais, elle a peur de ne pas me revoir à son retour. Elle
demande conseil à son cousin l’abbé Élie Beaulieu qui lui dit : « Va
faire ta retraite, il sera encore là à ton retour. »
Je suis gâté par mes sœurs aînées. Mais, je ne peux vraiment pas jouer
avec elles. Elles se trouvent trop vieilles pour moi et elles n’aiment
pas les jeux de garçons.
À ma naissance, Saint-Mathieu compte 105 fermes. Il y a 1105 vaches
laitières, 513 bovins, 978 moutons, 790 porcs, 3679 volailles et 272
chevaux. On trouve donc en moyenne 10,5 vaches par ferme, 4,8 bovins,
9,3 moutons, 7,5 porcs, 35 volailles et 2,6 chevaux.
Janvier 1942. Finances de la famille
En janvier 1942, mon père retire 135 $ de son compte à la Caisse
populaire, ce qui est supérieur de 10 $ au terme de la terre. Après le
retrait, le compte montre la coquette somme de 61 sous. À la fin de
1942, l’épargne est de 100,19 $.
Le 13 janvier 1943, mon père retire 100 $ de son compte.
Il lui reste 0,19 $, eh oui, un gros 19 cents. Il
emprunte 50 $ à la Caisse populaire. Le 22 février, il dépose 249,49 $.
Cet argent provient probablement d’une vente de bois de sciage,
peut-être d’animaux, mais ce n’est pas tellement la saison pour ce
dernier genre de transactions. Mon père fait de plus en plus
d’opérations à la Caisse. On peut penser que la confiance envers cette
institution augmente. On aura atteint 16 écritures en 1943.
À la fin de l’année, le montant d’épargne est de 537,39 $. Ce n’est
quand même pas si mal pour un cultivateur qui a six enfants à la maison.
La crise économique sévit encore. Mais, l’économie va bientôt reprendre
son souffle. L’argent recommence à circuler.
18 mai 1943. Naissance de Pierre-Paul
Un petit frère vient m’accompagner : Pierre-Paul. Il naît vers 21
heures. Il est baptisé le lendemain par le curé Charles Pelletier. Ses
parrain et marraine sont Léo Théberge, frère de ma mère, et son épouse
Lucie D’Auteuil.
13 janvier 1944. Finances de la famille
Le 13 janvier 1944, mon père retire 135 $ de son compte de Caisse pour
payer le versement annuel de sa terre. Il lui reste 402,39 $ : une
fortune quoi ?
5 novembre 1944. Naissance de Raynald
Pierre-Paul vient à peine d’avoir 16 mois. Un troisième garçon du
deuxième lit naît vers 10 heures 30. Il est appelé
Louis Raynald. Il est
baptisé le même jour par le curé Charles Pelletier. Sa marraine est
Candide Jean, sœur de mon père, et son parrain Thomas Thibault, époux de
Candide.
Rêve ou réalité
C’est l’été. La chaleur est au rendez-vous. Je me vois le long du chemin
du rang 5 en face de la maison. Je suis pieds nus. Je porte un vêtement
pâle agrémenté de petites fleurs. J’ai l’intention de traverser le
chemin pour me rendre à l’ancienne étable.
Je vois un gros camion rempli de billots qui se dirige vers moi. Il me
semble encore assez loin. Je fais un pas sur le chemin. Je tombe. Le
camion se rapproche. Je me relève. Je fais un autre pas. Je tombe. Le
camion approche de plus en plus. Je me relève. Je fais un autre pas. Je
tombe. Le camion est très proche. Je me relève. Le camion a disparu. Je
suis de l’autre côté du chemin. Je vois du sang sur mes genoux. Je
pleure et pleure. Quelqu’un vient me chercher.
Dans ma tendre enfance, j’ai fait ce rêve des dizaines de fois. Y a-t-il
eu dans la réalité un premier événement qui m’a marqué ? Je serais porté
à le croire vu l’intensité des faits et leur fréquence. Dans tous les
cas, à un moment donné le camion disparaît.
Ce qui m’intrigue dans ce rêve, c’est qu’il était rare que des camions
de transport du bois viennent de l’est. Ceux qu’on voyait passaient
entre la maison et la croix du chemin. Ils ne passaient pas devant la
maison.
Décembre 1944. Finances de la famille
En 1944, avec 7 vaches, les paies de beurrerie ont rapporté 401,96 $.
D’autres revenus s’ajoutent :
12 août : 1 veau, 10,00 $
15 août : 1 porc, 35,00 $
12 octobre : 3 porcs, 77,26 $
15 octobre : 1 taure, 35,00 $.
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 500,80 $.
Le 9 janvier 1945, mon père retire 125 $ de son compte pour payer son
terme de terre. Il lui reste 375,80 $.
22 mai 1945. Décès de Marie-Luce Ouellet
Ma grand-mère, Marie-Luce Ouellet décède à l’âge de 66 ans. Je n’ai
gardé aucun souvenir d’elle, ni de cet événement. Voici ce que ma mère a
écrit dans son journal personnel :
« Ma mère est décédée le 22 mai 1945, le jour même de son anniversaire
de naissance, après seulement quelques jours de maladie. Elle est
décédée subitement. Lorsqu’on est arrivé à son chevet, nous n’avons pas
pu la voir, car la mort avait déjà fait son œuvre. Elle nous manque
beaucoup, notre chère maman. Papa (Émile Théberge) est resté bien
désolé, ainsi que ses neuf enfants qui lui restaient. »
Mon grand-père Théberge prend beaucoup d’années avant d’accepter le
départ de son épouse. Il va souvent prier sur sa tombe dans le cimetière
qui est situé tout près de sa propre maison.
De mes six grands-parents, il ne me reste alors que Philomène Lévesque,
mère adoptive de mon père, et Émile Théberge. Ma grand-mère Jean, Élise
Boucher, est décédée le 17 mai 1910 à l’âge de 41 ans dans les
circonstances décrites précédemment. Mon grand-père Jean, Théophile, est
décédé le 30 avril 1922 à l’âge de 76 ans.
Un souvenir impérissable
C’est un dimanche après-midi. De tous mes souvenirs, c’est le premier où
je réalise que j’existe. Après le dîner, ma mère m’assoit sur ses
genoux. En même temps, elle prend Pierre à ma droite. Elle nous berce
doucement en chantant.
Je suis très heureux. J’ouvre les yeux. Je découvre la réalité qui
m’entoure. J’ai une réflexion embrouillée mais elle est là. Je sens le
lien qui existe entre ma mère et moi. C’est comme si je venais de me
réveiller. Cet état d’esprit n’a pas perduré. Toutefois, il a été
suffisamment intense pour que je le garde en mémoire.
Août 1945. Une bombe
Un soir d’août 1945, la cuisine qui est l’endroit des rassemblements est
pleine de visiteurs. Les hommes parlent de choses et d’autres. Quelqu’un
annonce : « Une bombe a explosé dans les vieux pays. Il y a eu des
milliers de morts et de blessés. »
Je suis assis dans l’escalier du haut. Je regarde sur le poêle. Il y a
là une bombe (bouilloire). J’ai peur qu’elle explose. C’est la première
fois que j’entendais le mot « bombe » pour désigner un engin explosif.
Dans ma famille, la bombe servait à faire bouillir l’eau. Je fais des
cauchemars pendant plusieurs nuits.
D’ailleurs, pendant au moins une dizaine d’années, j’ai peur d’être
enrôlé un jour et je cherche des tas de raisons que je pourrais invoqué
pour être exempté d’aller à la guerre.
Un enfant perdu
Un épisode qui aurait pu être dramatique a remué la famille.
J’ai 4 ans. Ma mère demande à mes trois sœurs aînées d’aller cueillir
des framboises sur la terre de Cyprien Plourde. Je veux aller avec
elles, mais celles-ci ne veulent pas m’emmener prétextant que je serais
un embarras.
J’essaie quand même de les suivre, mais elles font une diversion.
Elles font le tour de la maison et font semblant d’emprunter la route du
rang 6. Je m’engage dans cette route. Quand je m’aperçois que je ne les
vois pas, je reviens sur mes pas. Parvenu au coin nord-est de la maison,
une surprise m’attend. Elles ne sont pas sur la route du rang 5. Je me
rappelle très bien de ma mine déconfite quand je réalise qu’elles
s’étaient volatilisées. J’emprunte alors la route du rang 6. Pour le
reste, je n’ai aucun souvenir, mais on me l’a raconté si souvent que
j’en connais les détails.
Je me dirige vers le sud et je m’assois sous un arbre le long de la
route en bas d’une petite côte et je pleure. Probablement que j’avais
perdu mon chemin et que je ne voyais plus la maison.
Combien de temps ai-je été dans cette position ? Je n’en ai aucune idée.
La voisine Hélène Jean, l’épouse d’Hormidas Gaudreau, dont la maison est
à un arpent de celle de mes parents, entend des pleurs. Elle vient voir
ce qui se passe et, toute heureuse, me ramène à la maison.
Les parents de ce temps-là ne s’inquiètent pas outre mesure pour leurs
enfants. Cette route du rang 6 voit passer souvent des camionneurs qui
transportent des billots du Lac-Boisbouscache à la scierie Dionne située
sur la rive nord du Petit lac Saint-Mathieu. Il est certain que si un
camionneur m’avait vu à cet endroit, il aurait arrêté son véhicule et
m’aurait conduit chez mes parents.
Les enlèvements d’enfants sont, à l’époque, un phénomène très rare. Les
gens qui circulent dans les chemins du rang 6, comme les touristes par
exemple, sont des gens honnêtes qui n’auraient jamais pensé profiter de
la situation. Du moins, tout le monde le pensait alors.
Décembre 1945. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 738,09 $.
Le 12 janvier 1946, mon père retire 138 $. Il doit payer son terme
mensuel de terre qui s’élève à 125 $. Il lui reste 600,09 $ dans son
carnet.
Été 1946. Chez le dentiste
J’ai cinq ans. Depuis plusieurs jours, je sens une douleur lancinante à
une dent. Ma mère m’amène chez le dentiste Louis Desjardins à
Trois-Pistoles. C’est la première fois que je franchis les frontières de
la paroisse. Je suis impressionné par cette ville qui est très grande à
mes yeux.
Le dentiste Desjardins me fait coucher dans un lit et m’anesthésie. Plus
tard, je suis réveillé par un vacarme épouvantable qui ne s’épuise pas.
J’ai soudainement peur. Je me demande bien ce qui se passe. Je pense que
c’est la guerre, comme j’en attendais parler très souvent à l’époque vu
que la deuxième guerre mondiale s’était terminée un an plus tôt. Je
regarde à l’extérieur et je me rends compte que c’est le train qui passe
près du bureau du dentiste avec son hurlement et ses bruits d’enfer. Ce
sont des bruits de ferrailles épouvantables pour mes petites oreilles
habituées au calme de la campagne. Heureusement, la dent est extraite.
À la sortie du bureau du dentiste, maman m’amène au restaurant-bar situé
dans la même bâtisse. Je suis très impressionné par la hauteur des
tabourets et surtout par la hauteur du comptoir alors que je suis petit
en taille. Ma mère m’aide à monter sur un tabouret. Même le restaurant
me semble énorme. Ma mère me commande un verre de lait. C’est la
première consommation que je prends dans un bar.
Cueillette de l’anis
C’est toujours étonnant de revivre les sensations provenant de la jeune
enfance au moment où on commence à réaliser la portée de nos gestes et
surtout les inscrire dans notre cerveau. C’est le cas d’une journée
ensoleillée de la fin du mois de juillet.
Mon père a fauché le foin au sud de la maison derrière le vieux hangar.
Une partie du fourrage est constituée d’anis qui a eu le temps de
sécher. Je sens encore l’odeur de l’anis mêlé au foin. Ma mère s’amène
avec une poche de jute vide et se met à empiler les tiges de cette
plante. Je l’aide de mes petites mains et de mon intention. Je me vois
encore lever le pied dans ces « broussailles » pour ne pas tomber. Je
respire à plein nez toutes les odeurs d’anis.
Par la suite, ma mère se rend au vieux hangar. Pour accéder au deuxième
étage, il faut grimper un escalier qui, en réalité, est un escabeau.
J’ai toutes les misères du monde à me hisser. Ma mère m’aide. Je la
regarde en train de détacher les graines de la tige au moyen d’une
machine. Là s’arrête mon souvenir.
Mon premier spectacle
Depuis longtemps, je supplie ma mère de m’amener à l’église pour la
grand’messe du dimanche qui est une messe chantée. Je n’ai pas mis les
pieds (!) dans cet édifice depuis mon baptême. Je veux en voir
l’intérieur. Je veux voir les gens de la paroisse. Je veux voir comment
se déroule cette cérémonie. Il faut dire que les sorties sont rares et
qu’il n’y a pas encore de télévision. Comme nous sommes sept enfants et
que le seul moyen de transport est la voiture à cheval, nous devons
attendre notre tour pour aller à la messe. Il faut vieillir. De plus, le
banc loué par mon père à l’église en est un de seulement quatre places.
Un samedi soir d’été de 1946, j’ai alors cinq ans, en me coupant les
cheveux, ma mère me dit : « Ton tour est venu d’aller à la messe.
Demain, on t’amène. Si tu veux y retourner une autre fois, tu ne parles
pas, tu regardes toujours en avant, jamais en arrière, tu suis les
mouvements des grands. » Bien sûr que j’accepte les conditions.
Le dimanche matin, ma sœur aînée m’aide à m’habiller proprement :
chemise, cravate et culottes courtes. Puis j’embarque dans le boghei
tiré par la Grise, mon cheval préféré. Nous allons directement chez
grand-père Théberge où mon père remise son cheval. À 9 heures 15, les
cloches sonnent invitant les paroissiens à se rendre à l’église.
Dès l’entrée à l’église, je suis ébloui par sa grandeur et son plafond
qui, il me semble, touche au ciel. Nous nous rendons dans le banc
familial situé en avant de l’église derrière celui des marguilliers.
Derrière notre banc se trouve celui de grand-père Théberge. Du côté
gauche, ce sont les bancs de deux frères de ma mère et à droite le long
du mur ce sont les bancs des deux sœurs de ma mère.
Je vois les autres habitants de la paroisse qui ont revêtu leurs plus
beaux vêtements : habits et cravates pour les hommes, robes élégantes et
beaux chapeaux pour les dames. À gauche en avant, deux religieuses du
Saint-Rosaire occupent chacune un prie-Dieu. Elles sont revêtues d’une
longue robe noire qui va jusqu’à terre et la tête couverte d’une espèce
de capuchon.
Je suis surpris de voir que, dans l’église, les hommes enlèvent leur
chapeau tandis que les femmes le conservent. D’ailleurs, tous les
chapeaux d’hommes se ressemblent tandis que ceux des femmes sont très
variés. Je suis aussi étonné de constater que l’homme de la famille ou
un garçon prend la première place dans le banc.
À 9 heures 30, une dizaine d’enfants de chœur portant une soutane noire
et un surplis entrent en rangs venant de la sacristie. Ces derniers
prennent place des deux côtés du chœur. Ils sont suivis par deux
servants de messe en soutane rouge et en surplis. Monsieur le curé entre
le dernier.
Le curé est drôlement habillé. Pourtant, ce n’est pas l’hiver. Je
l’avais vu déjà vu lors de ses visites paroissiales. Il portait une robe
noire allant jusqu’aux pieds. Mais là, dans ses habits sacerdotaux :
chasuble dorée, aube et étole, il est imposant. Il a l’air d’un prince.
La messe commence : Introibo ad altare Dei (Je monterai à l’autel
du Seigneur).
J’écoute avec attention la musique apaisante provenant de l’orgue, les
chants grégoriens de la chorale et même Monsieur le curé qui, à
l’occasion, se met à chanter. Le spectacle est d’autant plus exotique
que tout se déroule en une langue étrangère qu’on m’a dite être le
latin. Monsieur le curé, dos aux fidèles, semble parler tout seul.
Toutefois, de temps à autre, un servant de messe lui répond. Ce qu’ils
disent, je n’en ai aucune idée. Par exemple, le prêtre dit : Dominus
vobiscum et les servants répondent : Et cum spiritu tuo. Cela
revient à : « Le Seigneur est avec vous et avec votre esprit. »
J’ai de la difficulté à voir ce qui se passe dans le chœur car l’un des
marguillers qui est devant moi est de forte taille. Ce qui m’intrigue,
c’est sa rondelle chauve derrière la tête qui ressemble à la tonsure de
Monsieur le curé, mais qui occupe plus d’espace.
Au milieu de la messe, monsieur le curé monte en chaire. Il communique
différentes nouvelles comme les promesses de mariage, les noms de
donateurs qui permettent de faire brûler la lampe du sanctuaire, les
intentions de messes de la semaine, une invitation à venir aux vêpres,
etc. Puis il se met à prêcher. Je n’arrive pas à saisir le sens de ses
paroles. Ma mère écoute attentivement, mais mon père semble distrait et
tout-à-coup se met à roupiller.
Quand le prêtre revient à l’autel, il entonne le Credo in unum Dei
(Je crois en un seul Dieu). À un moment donné, le prêtre lève en l’air
une grande hostie. Une crécelle se fait entendre et tous les fidèles
baissent la tête. Puis le prêtre lève un calice. Comme les autres, je
baisse la tête.
Au moment de la communion, je vois tous les paroissiens se déplacer vers
l’avant de l’église, attendre leur tour en rang, s’agenouiller à la
balustrade appelée sainte table, cacher leurs mains sous une nappe et
recevoir le Saint-Sacrement. Je trouve que monsieur le curé est bien
gentil de mettre l’hostie sur la langue de tous. Heureusement qu’un
enfant de chœur suit avec une patène pour ne pas que des miettes
d’hostie - ô sacrilège - tombent par terre.
Plus tard, Monsieur le curé se tourne vers nous et chante en trémolo
Ite missa est (Allez, la messe est dite). C’est la sortie générale.
Je n’avais jamais vu autant de monde en même temps. Certaines personnes
s’attardent sur le perron de l’église. Je ne sais pas si c’est ce
jour-là, mais je me rappelle avoir entendu le secrétaire-trésorier de la
municipalité, l’oncle Léo Théberge, y lire une proclamation en anglais.
Je suis sorti de l’église plein d’enthousiasme. J’étais très fier
d’avoir assisté à ce spectacle mémorable.
Sur la galerie
Après la messe, j’accompagne ma mère chez son père dans le haut-côté de
la maison familiale. Étant pas mal survolté par les moments précieux que
je viens de vivre, je m’assois sur la petite galerie qui est plus haute
que celle du corps principal. Je suis face au sud. Je regarde la maison
d’en face. On m’avait dit que cette maison appartenait à Gérard Rioux et
qu’elle faisait office d’hôtel. J’essaie d’imaginer qui peut bien avoir
besoin d’une chambre à Saint-Mathieu. À la maison, quand nous avons de
la visite, ils couchent chez-nous et je sais que toutes les maisons ont
des lits en abondance.
Je tourne légèrement la tête vers l’ouest, toujours en face. Je vois une
bâtisse sans fenêtre qui, de toute évidence, n’est pas une maison. Je
demande à ma sœur qui passe à quoi sert cette bâtisse. Elle m’explique
que la bâtisse est sur le terrain de Monsieur le curé et qu’elle
contient un énorme réservoir d’eau potable. L’eau est puisée dans le lac
Saint-Mathieu et acheminée dans ce réservoir par une pompe. Cette tour
se situe au point le plus élevé du village si bien que l’eau peut se
rendre à ses deux extrémités par gravité. Elle ajoute que c’est l’oncle
Léo Théberge qui est responsable de la tour et qu’il la visite
régulièrement.
Les framboises
Je demande à maman une tasse en lui disant que je veux aller ramasser
des framboises. Je prends ma tasse et, de mes petites jambes, je me
dirige vers le lot du voisin de l’est. Il y a là un tas de roches où je
sais qu’il y a des framboisiers. Ce tas de roches est à la frontière des
deux terres et se continue chez le voisin.
Quand j’ai ramassé toutes les framboises de mon côté, je salive à
pouvoir attraper les petits fruits rouges que je vois sur le tas de
roches du voisin. Je sais que prendre le bien d’autrui c’est mal. Je
sais même que c’est péché. J’ai entendu ma mère prononcer ce mot
souvent. Je l’ai aussi entendu quand mes sœurs récitaient leur
catéchisme devant maman. Toutefois, je ne peux pas résister. Je tends ma
petite main et je cueille les quelques framboises que je peux attraper.
Je retourne à la maison la tête basse, inquiet des conséquences des
gestes que je viens de poser. Je n’en parle à personne. Je me dis :
« C’est mon secret. » Dans mon for intérieur, l’aventure s’efface
doucement et disparaît dans un coin de mon cerveau où j’ai pu la
récupérer pour la raconter.
On joue dehors
L’été 1946 jouit d’une température remarquable. Nous passons l’été à
nous amuser autour de la maison. Pour ne pas user nos chaussures trop
vite, avec la recommandation de maman, nous marchons nu-pieds. Un jour,
je marche sur des débris de vitre cachés près d’une roche en face de la
croix du chemin. Il apparaît de légères lacérations. Informée de cet
accident, maman nous ordonne de mettre désormais nos chaussures pour
jouer dehors.
Une nouvelle grange
En 1946, mon père construit une nouvelle grange (photo ci-contre). C’est
Omer Ouellet qui en est le contremaître. Le bois neuf provient de
billots coupés sur la terre et transformés en madriers ou en planches à
la scierie de Désiré Dionne. Il faut acheter notamment des clous, du
ciment et faire une nouvelle canalisation vers la fontaine qui était
près de l’ancienne grange, sans compter au moins un salaire.
Lors de la construction, il n’y a pas d’électricité dans le rang. Pas de
trayeuse : les vaches sont traites à la main. Pas d’eau courante : une
pompe à l’eau qui remplit manuellement un corps (tonneau) à coup de
bras. Pas d’ampoule : le fanal sert à l’éclairage. Le travail dans la
grange se fait le plus possible à la clarté. Pas de chauffage : les
animaux conservent l’étable dans une certaine chaleur en hiver.
Un jour, pendant que mes parents font le train du soir dans la nouvelle
étable, je me berce sur la galerie. Je vois Omer Ouellet en train de
défaire le plancher du fenil. Ce sont d’énormes madriers qui une fois
décollés tombent avec fracas sur le sol. Je vois l’homme se tenir sur
les barres transversales pour faire son travail. J’ai peur qu’il tombe.
Je me détourne la tête pour ne pas le voir, mais je reviens sans cesse à
mon spectacle qui me procure quand même un peu d’adrénaline.
Digne d’un vétérinaire
Pendant la construction de la nouvelle grange, les deux chevaux de mon
père pensionnent chez le voisin de l’est, Léon Bérubé. Un dimanche,
après le dîner, cet homme arrive en panique chez nous : « Un cheval est
en train de mourir. Il gonfle ». Le réflexe de ma mère : « Allez
chercher M. Ernest. » Ce dernier accourt emportant une trousse de
premiers soins pour animaux et ce, même s’il n’est pas cultivateur.
Il comprend immédiatement la nature des troubles du cheval. Il sort une
longue aiguille, la stérilise et l’enfonce dans le ventre de l’animal
qui se met à dégonfler. L’air sort comme d’un ballon percé. L’animal est
guéri. Il est probable que le cheval avait mangé
du fourrage vert.
Janvier 1947. Finances de la famille
La construction de la grange semble ne pas trop avoir affecté les
finances de la famille puisqu’à la fin de l’année, le montant d’épargne
de mon père à la Caisse populaire est de 550,44 $.
Le 13 janvier 1947, mon père retire 125 $ de son compte pour payer son
terme de terre. La balance est de 425,44 $.
23 janvier 1947. Naissance d’Urbain
Un quatrième garçon de suite naît vers 10 heures 30. Il s’appellera
Noël
Urbain. Je ne vais pas encore à l’école. Alors, ma sœur Carmen me
conduit chez Madame Hélène. En revenant chez nous, j’apprends que la
cigogne est passée et qu’elle y a laissé un poupon. Le deuxième lit
compte maintenant quatre garçons en ligne.
Urbain est baptisé le 25 janvier par le curé Louis-Joseph Lavoie. Sa
marraine est Thérèse Théberge, sœur de ma mère, et le parrain est Roland
Dionne, époux de Thérèse.
Ma mère est découragée. « Encore un garçon, se dit-elle. » Autant, elle
était heureuse à ma naissance d’avoir un garçon, autant elle est déçue.
Elle pense que le bon Dieu en met un peu trop. En femme croyante et
courageuse, elle accepte cette situation.
C’est tante Candide, la sœur de ma mère, qui prend la relève. Elle
s’occupe de l’entretien de la maison ; elle cuisine et s’occupe de nous.
On sent qu’elle n’aime pas les enfants, car elle est toujours impatiente
avec nous. Pierre et moi, nous la provoquons. À la queue leu leu, nous
la suivons pendant qu’elle se déplace dans la maison. Cela la rend de
mauvaise humeur et, quand elle se retourne, elle crie après nous. Mais
cela nous amuse.
Quelques jours après son départ, je demande à ma mère pourquoi tante
Candide a de si gros seins. La réponse de ma mère est foudroyante. Elle
me regarde d’un air fâché et me dit : « On ne parle pas de ça. » C’est
un choc pour moi. La question maintenant qui m’a assailli est :
« Pourquoi on ne peut pas parler de ça ? » Je n’ai plus jamais posé de
questions de cette nature à ma mère. Dommage.
Dans la maison
Comme je ne vais pas encore à l’école, je demeure presque tout le temps
dans la maison surtout en hiver. Cette maison est une oasis de bonheur.
Elle grouille de larmes, de pleurs, de cris, de ripostes, de rivalités,
de rires, de taquineries, d’entraide.
J’apprends rapidement que moi et Pierre nous n’aimons pas les mêmes
jeux. Moi, je suis plutôt intello. Lui, il est manuel. Il aime les jeux
extérieurs reliés à la terre et à la forêt. Moi, j’aime les jeux dans la
maison.
J’ai un défaut de langage. Je prononce les CH comme des C. Je dis par
exemple : un ceval pour cheval. Je prononce le son Z comme le Y si bien
que je dis : « Je suis don bien dans la mêyon à maman. » Je transforme
parfois le F en P. Ainsi, quand je parle de mes sœurs, je dis « les
petites pilles ».
Souvent, je m’assois dans une chaise berçante. Je regarde le feu qui
pétille dans le poêle. De temps à autre, ma mère ouvre la porte d’en
avant et y dépose un rondin. Parfois, elle doit tasser les morceaux de
bois qui se transforment en tisons. Elle met littéralement la main dans
le feu. J’ai peur qu’elle se brûle.
Je regarde aussi filer ma mère : ça me fascine. J’apprends à faire des
pelotons de laine, à carder et à travailler avec le dévidoir. Le
dévidoir est une espèce de tourniquet qui permet de mettre la laine en
écheveau.
Loin du monde
Dans cette bulle familiale qui est alors exempte de la radio et de la
télévision, nous n’avons pas à supporter le poids du monde. Nous avons
peu de biens matériels, car, sans électricité, les grille-pains et les
réfrigérateurs de ce monde n’ont aucune utilité. Ce qui existe dans la
maison est en bois, un matériau rafraîchissant et près de la nature.
Autour de la maison, la nature est vaste et prend toute la place. Les
champs ensemencés et affectés par la moutarde sauvage respirent de
fraîcheur. Les pointes de forêt qui ont résisté à l’abattage sont un
terrain de jeux formidable surtout pour les garçons. Les animaux font
partie de notre vie.
Février 1947. Le beurre
C’est samedi après-midi. Je suis assis dans la cuisine. Ma mère apparaît
avec un drôle d’appareil en bois. Je lui demande ce que c’est. « C’est
une baratte à beurre, dit-elle. » Elle rince l’intérieur à l’eau chaude
et va chercher une chaudière de crème dans la cave. Après avoir versé la
crème, elle agite une tige dans tous les sens et brasse ainsi le
liquide. Après un temps que j’ai trouvé très long, elle y verse du gros
sel. Elle en sort des mottes de beurre qu’elle potasse avec ses mains
pour en faire une grosse boule, puis de moyennes boules.
Pourquoi ma mère fait-elle du beurre en cette période de l’année ? En
hiver, on trait seulement les vaches qui ne vêlent pas. Cela donne peu
de crème. Par ailleurs, la beurrerie ferme ses portes pour trois ou
quatre mois. Pendant ce temps, ma mère conserve la crème et de temps à
autre la transforme en beurre. Plus tard, quand le transport sera
facilité par des véhicules motorisés, la beurrerie fonctionnera 12 mois
par année. Les barattes à beurre seront remisées.
Le pain
En plus de faire du beurre, maman fait son pain à coup d’une douzaine à
la fois. La farine est achetée au magasin coopératif La Familiale. Elle
est vendue en poches de 100 livres qui sont entreposées provisoirement
dans le grenier.
C’est un spectacle qui m’émerveille de voir ma mère tourner et retourner
la pâte, installée sur la
table de la salle à manger. Elle place deux boules de pâte par
casserole. Quand la pâte a suffisamment levé, elle fait cuire les pains
dans le fourneau du poêle à bois, une fournée de 4 ou 5 pains à la fois.
Quand le premier pain sort du four, ma mère nous fait une beurrée. Du
pain chaud et tendre, c’est du bonbon. Plus tard, ma mère se procure un
pétrin : ce qui facilite la tâche.
Avec le temps, ma mère fait de moins en moins son pain. Elle achète cet
aliment au magasin général. Puis, vient la distribution commerciale du
pain à sandwiches, un pain tranché. Il en coûte un sou de plus qu’un
pain non tranché. Les tranches sont moins épaisses et plus uniformes que
pour le pain de ménage.
À cette époque, une tranche de pain accompagne toujours le mets
principal au dîner et au souper. Quand ma mère a des invités et si elle
oublie de mettre du pain sur la table, il y a toujours quelqu’un pour
réclamer sa tranche. Je crois que c’est une coutume généralisée à
l’époque de faire appel à cet aliment nutritif lors des repas.
Les repas
Rassemblés autour de la table familiale, nous ingurgitons une nourriture
variée allant des légumes du potager de ma mère jusqu’à la viande de
bois récoltée par mon père. Chaque automne, mon père tue un porc et un
veau. Une partie de la viande est congelée dans le garde-manger du
tambour pendant l’hiver, l’autre partie est mise en conserve par ma
mère. Les tartes et les gâteaux sont consommés en portion limitée.
Une seule exception : mon père. Quand ma mère vient de faire une fournée
de tartes, il a droit à une tarte entière. Un jour, je dis à ma mère :
« Pourquoi vous donnez à papa toute une tarte, alors que nous on en a
seulement une pointe ? » Ma mère répond que mon père travaille dur.
C’est d’ailleurs la même réponse qu’elle nous donne quand on s’inquiète
de voir que notre père ne jeune pas pendant le carême alors qu’elle le
fait.
Les repas se prennent autour d’une table rectangulaire que mon père a
fabriquée. Ce meuble fait de bois franc peut accueillir au moins 10
personnes. Un long banc est disposé du côté ouest. Il accueille les
garçons qui prennent toujours la même place par ordre d’âge. Mon père
s’assoit du côté nord au bout de la table, ma mère est à ses côtés et
les filles, du même côté que ma mère.
Les filles, mais aussi ma mère, font le service. Les garçons, eux, n’ont
pas le droit de se lever. Il faut toujours demander lorsqu’il nous
manque quelque chose, comme un ustensile.
Les repas satisfont toujours notre faim. Parfois, des bouchées de pain à
satiété trempées dans de la mélasse ou du sirop doré ne ratent jamais
leur coup.
Les vaches
La neige a fondu. La température se réchauffe. C’est le temps de faire
sortir les vaches qui sont encarcannées dans une crèche de l’étable
depuis au moins six mois. À ma souvenance, j’assiste pour la première
fois à ce spectacle surprenant. Au contact de la liberté, la plupart des
vaches expriment leur exubérance et leur joie. Les unes se mettent à
courir comme des folles, d’autres gambadent sur place, quelques-unes se
contentent de suivre. Ce jour-là, l’une d’entre elles m’a profondément
marqué.
Plus que toutes les autres, elle s’est mise à sautiller jusqu’à ce
qu’elle passe près d’une grosse roche. Que fait-elle ? Dans un excès de
bonheur, elle se met à frapper avec ses cornes le mastodonte qui hélas
ne bouge pas. Elle le fait si brutalement que finalement elle se casse
une corne. Sentant la douleur, elle s’assagit en un instant et marche la
tête baissée. Mon père la ramène à l’étable et lui donne les premiers
soins. Elle est obligée de demeurer 24 heures de plus dans sa crèche
pour éviter l’infection de la plaie.
Par observation, j’apprends que chaque animal a sa personnalité propre.
Les vaches en sont un exemple frappant. Permettez-moi d’en faire une
liste.
L’une est timide. Elle manque d’audace et a peur du risque. Elle se
cache derrière les autres. Elle s’organise pour passer inaperçue.
L’autre est envieuse. Elle désire obtenir une reconnaissance exclusive
de notre part faisant signe de la tête aux autres de dégager. Elle
désire l’herbe du pré du voisin et n’hésite pas à sauter la clôture pour
y aller paître.
L’une est gourmande. Elle cherche les meilleures herbes du pré et
s’active à les consommer avant que quelqu’une d’autre ne les remarque.
Plus souvent qu’autrement, elle manifeste son impatience quand elle en
voit d’autres s’approcher de son trésor.
L’autre est friande de pouvoir. Elle se complaît à diriger le troupeau
et se place à la tête lors des déplacements vers l’étable. Gare à celle
qui veut lui voler sa place.
L’une est sauvage. Elle protège son aura et se tient éloignée des
autres. Elle n’aime pas se faire traire même si c’est pour elle une
délivrance.
L’autre est douce. Elle ne connaît pas la brusquerie. Elle aime se faire
flatter. Elle n’est jamais impatiente lors de la traite même si la
personne qui remplit cette tâche est gauche et prend un temps démesuré.
L’une est frivole. Elle aime s’amuser loin des autres. Elle rejoint le
troupeau seulement quand cela lui tente ou quand le désir d’être
soulagée de son lait l’emporte.
L’autre est peureuse. Une personne qui arrive subrepticement à ses côtés
la fait sursauter. Quand elle voit un fouet, elle comprend et est d’une
docilité exemplaire.
L’une est triste. Elle marche toujours la tête baissée se demandant sans
doute ce qu’elle fait dans cette galère. Elle n’apprécie pas les marques
de reconnaissance qu’on peut lui prodiguer.
L’autre est curieuse. Quand elle voit un objet qu’elle ne connaît pas,
elle s’en approche et tente avec sa langue d’en saisir la substance.
L’une est impulsive. Elle ne « réfléchit » pas aux conséquences de ses
actes. Elle réagit spontanément et manifeste sa joie de façon exagérée.
L’autre est sournoise. Elle dissimule sa colère ou son impatience de
façon insidieuse et donne un bon coup de patte de manière inattendue.
L’une est capricieuse. Elle dédaigne la paille qui lui est donnée
pendant l’hiver se contentant de la mâchouiller au risque d’avoir faim.
L’autre est hautaine. Elle se mêle peu au troupeau comme si elle était
d’une race supérieure aux autres et qu’elle les méprise.
Bref, comme on peut le voir, les vaches éprouvent des sentiments qui
ressemblent à ceux des humains. Il s’agit de pouvoir les décoder. Quelle
belle leçon de vie qui nous est offerte sur une ferme !
Mai 1947. Le bidon de crème
Je vois le voisin de l’est prendre le bidon de crème placé par mon père
le long du chemin, le mettre dans sa voiture à cheval et repartir. Je
cours vers ma mère : « Maman, monsieur Léon a volé notre bidon. » Ma
mère se met à rire. Elle m’explique que les quatre voisins ont décidé
d’aller chacun leur tour porter le bidon de crème à la beurrerie au
village. « Te rappelles-tu, me dit-elle, quand j’ai fait du beurre cet
hiver ? Eh bien, à la beurrerie, ils font de même avec notre crème. » Je
lui demande si le beurre est aussi salé que le sien. Elle se contente de
sourire.
Les patates
Ma mère transporte des chaudières de pommes de terre de la cave à
l’extérieur de la maison. Elle installe une table pliante et se met à
découper les patates. Je lui demande pourquoi elle fait cela. Elle me
dit qu’elle prépare des morceaux de patate pour la semence. Elle
m’explique comment elle fait. « Il faut, dit-elle, repérer les yeux de
la patate et la découper en gardant un œil par morceau. » Je veux
participer. Alors, ma mère me dit d’aller me chercher un couteau coupant
dans la cuisine. Je commence à travailler. J’abandonne assez rapidement
car je trouve compliqué de produire un morceau tout en protégeant les
autres yeux.
Plus tard, quand il n’y a pas d’école, on est invité à mettre les
patates en terre. Pendant l’été, il faut arroser les plantes pour
détruire les mouches à patates qui rongent les tiges. À l’automne, c’est
la récolte de ces pommes de terre.
On arrache le plan qui souvent vient avec cinq ou six patates et même
plus. Armé d’une bêche, il faut retourner le sol pour quérir toutes les
autres patates. Il est recommandé de laisser les patates sécher sur le
sol quelques heures. C’est ainsi qu’en allant à l’école, on peut, un
jour, voir un champ plein de tiges et le lendemain uniquement des
patates disséminées sans ordre.
Ma mère,
croyant fermement à l’importance de l’école,
ne m’a jamais fait abandonner une journée d’école pour ramasser les
patates à l’automne.
À ce moment, s’il reste encore des patates de l’année précédente, ma
mère les fait cuire dans des immenses chaudrons et elles servent à la
nourriture des porcs. De même, pendant l’année, les pelures des patates,
sans cuisson toutefois, sont récupérées pour les cochons. De temps à
autre, pendant l’hiver, il faut égermer les patates, sans autre
entretien requis.
Nous n’avons jamais manqué de pommes de terre. La récolte est toujours
suffisante pour boucler l’année. Elles constituent la base de la
nourriture des repas du midi et du soir. Souvent, ma mère prépare un
hachis. Elle fait cuire les patates en tranches avec quatre ou cinq
grillades de lard. Elle nous sert aussi une autre forme de hachis qui
consiste à écraser les patates cuites pour former une purée. Elle y
verse du lait chaud et mélange.
Quand il reste des patates d’un repas du midi, ma mère les fait rôtir
dans une poêle ou même directement sur le poêle. Bref, les patates font
partie de nombreuses recettes, y compris le pâté chinois et le pâté au
saumon.
Un jour, ma mère reçoit deux visiteurs pour le dîner. Elle leur demande
s’ils aiment le pâté au saumon. Ils disent oui. Quand l’un d’eux
commence à manger sa pointe de pâté, il se tourne vers ma mère et lui
dit : « Il me semble que tu nous avais dit qu’on mangerait du pâté au
saumon. Je ne trouve pas de saumon. On dirait que c’est du pâté aux
patates. » Ma mère est humiliée. Il est vrai qu’il y a très peu de
saumon. Elle a versé le contenu d’une petite canne de saumon pour une
tablée d’une dizaine de personnes. Cet homme qui a fait cette remarque
est le cousin de ma mère. Il est très volubile et aime les taquineries.
C’était uniquement là son intention.
Juin 1947. L’abattage d’un porc
Dans ces années-là, il n’y a pas de réglementation concernant l’abattage
des bêtes. Chaque cultivateur le fait en suivant le protocole que son
père lui a montré. Je suis à la maison. Mes parents sont à l’étable et
viennent de finir de tirer (traire) les vaches. Je sais que mon père
projette de tuer un porc après le train. J’ai soudain la curiosité
d’aller voir le spectacle.
Comme j’approche de la grange, à ma grande surprise, je vois mon père
sortir de l’étable en empoignant un porc. L’animal hurle et hurle comme
s’il savait qu’il s’en allait à l’abattoir. C’est un hurlement strident
et répétitif qui me casse les oreilles et que seuls les porcs en
détresse peuvent faire. Je prends peur et je monte en vitesse sur la
machine à battre située près du vieux hangar. Je ne sais pas comment
j’ai fait pour me hisser aussi haut. Je suis resté un long moment dans
la même position et si personne n’était venu m’aider à descendre, je
pense que je serais encore là aujourd’hui. À cause de ma peur, j’ai raté
le spectacle qui s’est déroulé sur le fenil de la grange.
Juillet 1947.
Mon premier voyage à Québec
Je suis souvent malade. On pense que je fais de l’asthme. Ma mère entend
dire qu’il y a une guérisseuse à Beaumont. Alors, elle cherche un moyen
pour que j’aille la rencontrer.
Une situation se présente. Le voisin Ernest Vaillancourt projette un
voyage à Québec. Ma mère fait les arrangements avec Madame Hélène pour
que je sois du voyage.
Qui est Madame Hélène ?
C’est la voisine de l’ouest. Elle demeure à un arpent de notre
résidence. Elle est mariée à un prénommé Hormidas Gaudreault. On
l’appelle Monsieur Midas. Il est cultivateur.
Le couple n’a pas d’enfants.
Madame Hélène héberge un homme d’environ dix ans son aîné. Lui, c’est
Ernest Vaillancourt.
Hélène, Hormidas et Ernest forment un triangle car Madame Hélène, de
toute évidence, préfère le pensionnaire à son mari : ce qui laisse
Ernest indifférent.
De temps à autre, Hélène vient visiter ma mère et y passe des
après-midis. Elle est plutôt négative et critique parfois le
comportement des jeunes de l’époque. Je me rappelle qu’une fois elle
était scandalisée du fait que les filles et les garçons du village
puissent patiner ensemble. Je n’y comprenais rien.
Je vais parfois faire des commissions chez Madame Hélène. Par exemple,
elle achète les œufs de chez-nous. À chaque fois, elle me donne un
biscuit : ce qui est apprécié.
Quand Hélène décède, son exécuteur testamentaire, l’oncle Maurice
Théberge, décide qu’elle occupera le lot d’Ernest qui est seul, alors
qu’Hormidas avait été enterré dans une fosse commune. C’est ainsi que
Madame Hélène repose pour l’éternité aux côtés de celui qu’elle a tant
aimé … en silence.
L’intérêt et la considération que les jeunes de ma famille ont
manifestés et manifestent encore envers M. Ernest sont probablement
démesurés. Mais, la grandeur et l’originalité de cet homme expliquent
cet attrait.
Qui est Monsieur Ernest ?
Ernest vient souvent faire un tour chez mes parents et nous sommes
toujours heureux de le voir arriver. Il a le verbe facile et est très
bon conteur. Il est cultivé. Ayant lu beaucoup, il peut parler de ce qui
arrive ailleurs dans le monde. D’ailleurs, il est abonné à La Presse,
un journal quotidien que le clergé interdit d’acheter parce qu’il est vu
comme un journal rouge, communiste et anticlérical.
Monsieur Ernest qui parle anglais exerce ses talents de cuisinier et de
guide dans des clubs de chasse et de pêche : au printemps pour la pêche
et à l’automne pour la chasse. Tout comme son père, Léon Vaillancourt,
il a installé un moulin à vent sur le toit de la maison où il habite et
il s’éclaire au courant électrique. Il a construit une glacière à
l’extérieur. Au printemps, il remplit la glacière de blocs de glace et
il peut conserver tout l’été ses provisions, notamment les poissons et
la viande de bois.
Monsieur Ernest a été un des premiers habitants de la campagne à avoir
une automobile. Pendant un temps, il a eu un « Jeep » de marque Willis.
Lors d’un voyage dans le Sud au début des années 1950, il est revenu
avec une vidéo de ses pérégrinations. Il a été un des premiers à avoir
un téléviseur, pas longtemps après l’arrivée de la télévision à Rimouski
en 1954.
Monsieur Ernest ne s’est jamais marié. Quand on demandait à notre mère,
pourquoi il n’avait pas de femme dans sa vie, elle répondait : « Parce
qu’il n’aurait pas pu arriver à temps pour la messe de son mariage ».
Cet homme n’est jamais pressé. Souvent, quand nous partons pour la
messe, il est en train de se faire la barbe. En réalité, il a failli se
marier avec une sœur de mon père, Marie-Ange. La décision du mariage
était prise. Ernest projetait alors de s’acheter un terrain au village
pour construire une maison quand il perdit son emploi de garde-chasse
qu’un homme marié a obtenu.
Monsieur Ernest n’a jamais eu une considération à la mesure de ses
capacités pendant sa vie. Il n’a jamais occupé de fonction officielle si
ce n’est qu’il a été marguillier de 1950 à 1953.
Madame Hélène avait un faible pour Ernest. Elle le manifestait en toutes
occasions. Quand Hormidas exprimait une opinion et qu’Ernest disait le
contraire, elle disait : « Tais-toi, Midas, puisqu’Ernest le dit, c’est
qu’il le sait. »
Voyage à Québec (suite)
Un bon matin, je monte dans l’automobile de M. Ernest. Il est accompagné
de Mme Hélène et de M. Émile Plourde, un cultivateur du rang 5. Mon cœur
vole de joie car c’est la première fois que je fais un aussi long
voyage. Mes frères et mes sœurs m’envient parce qu’ils ne sont jamais
allés à Québec. Ma mère y est allée une fois avant de se marier.
Nous empruntons la route 132, celle qui passe par tous les villages.
L’autoroute 20 n’est pas encore construite. Le trajet se déroule
normalement. Je suis assis derrière Madame Hélène. Je regarde partout,
mais je ne dis pas un mot. Pas une parole de surprise, pas une parole
d’exaltation.
Rendus dans les rues de Québec, je constate que Monsieur Ernest
immobilise son automobile en plein milieu de la rue. Je ne comprends pas
du tout comment il peut savoir qu’il faut s’arrêter là. À ce moment, je
n’avais jamais entendu parler de feux de circulation et c’est impensable
pour moi de demander la raison de ces arrêts. Car, avant de partir, ma
mère m’avait prévenu. « Parle seulement quand on te pose des
questions. »
Nous logeons chez mon grand-oncle Eugène Vaillancourt, le frère d’Ernest
et époux de Laura Théberge qui est la sœur de mon grand-père Théberge.
Il y a beaucoup d’enfants à la maison. Ils demeurent sur la rue Joffre
tout près de la falaise Dufferin. N’ayant pas de lit disponible, on me
fait coucher dans le bain.
Le lendemain avant-midi, Madame Hélène m’emmène dans les magasins du
quartier Saint-Roch. Elle me prend par la main et je n’aime pas ça. Je
suis impressionné par la grandeur du magasin Paquet et par son contenu.
Je suis étonné quand je vois un escalier mécanique qui permet d’accéder
au deuxième étage.
Dans l’après-midi, nous sommes allés au Lac-Beauport où mon grand-oncle
Eugène a un chalet. Je ne suis pas impressionné par le lac parce que
j’avais déjà vu le petit lac Saint-Mathieu, mais je le suis par la
grappe de chalets qui s’y trouvent. J’ai d’ailleurs longtemps rêvé de
retourner au Lac-Beauport, mais l’occasion ne s’est jamais présentée.
Au retour, en passant par Beaumont, nous faisons un arrêt pour voir la
guérisseuse. Elle me conseille de ne pas m’exposer à la poussière, en
particulier de ne pas fouler le foin. Elle ajoute que je peux conduire
les chevaux. Je suis tout excité. C’est la première chose que je dis à
ma mère en arrivant à la maison. Quand mon père entend cela, il fait la
moue. Toutefois, il accepte une ou deux fois lorsqu’il n’y a aucun
danger.
Août 1947. Ma première cigarette
Tante Rosanne, la sœur de mon père, vient nous visiter à
Saint-Mathieu-de-Rioux de temps à autre en été. Elle conduit une
automobile, elle fume la cigarette et est propriétaire d’immeubles à
Montréal. Quand elle vient à Saint-Mathieu, elle apporte toujours une
boîte de linges usagés. Elle a deux fils qui sont plus âgés que moi.
Comme les vêtements sont souvent trop grands, ma mère en couturière
expérimentée les rapetisse ou même les défait et les recoud pour les
ajuster à notre taille. Nous sommes, dans le rang, les enfants parmi les
mieux habillés à cause de ces dons, mais nous ne l’apprécions pas. Comme
c’est fait dans du vieux, nous ne nous sentons pas mieux que les autres.
En août 1947, tante Rosanne vient passer quelques semaines de vacances à
Saint-Mathieu. Elle est accompagnée de ses deux fils Raymond et Claude.
En arrivant, elle nous dit : « J’ai eu peur en montant dans les côtes de
Saint-Mathieu. Je préfère conduire dans les rues de Montréal que dans
ces côtes. » Nous avons été fort surpris de ces propos. Nous étions
certains que ces côtes étaient plus sécuritaires que les rues de
Montréal, même si nous n’étions jamais allés dans cette grande ville.
Tante Rosanne organise une fête spéciale pour souligner l’anniversaire
de son fils Raymond et de Raymonde Jean, la fille de sa sœur Marie-Ange.
Cette fête a lieu au troisième rang ouest chez l’oncle Donat. J’ai le
privilège d’accompagner mes parents.
Des ballons, des guirlandes, des décorations d’usage sont disposés dans
la maison et même à l’extérieur. J’ai six ans et c’est là que je fume ma
première cigarette. À un moment donné, tante Rosanne offre des
cigarettes à tout le monde. Ma mère refuse, mais tante Rosanne réussit à
la convaincre d’essayer. Je manifeste le désir d’en avoir une et ma mère
se dit d’accord. Je me suis vite étouffé et la cigarette a rejoint le
cendrier, tout comme celle de ma mère d’ailleurs. À cette époque, il
arrive souvent dans les fêtes de famille qu’une tournée de cigarettes
soit faite … évidemment pour les adultes.
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Chapitre 3. Mes débuts à l’école du rang
Septembre 1947. Enfin l’école
Depuis quelques temps, j’ai hâte de commencer l’école. Je regarde mon
frère et mes sœurs en train de faire leurs devoirs et je les envie.
Quand je constate qu’ils ont de la difficulté à apprendre leurs leçons
et parfois à faire leurs devoirs, cela me fait peur. Je suis envahi par
des sentiments contradictoires : envie et crainte.
Je ne sais pas encore lire ni écrire, mais je regarde les bandes
dessinées du journal L’Action catholique, en particulier La
famille Têtebêche dans l’édition du jeudi. Je ne comprends pas
toujours les intrigues. Je crois alors que c’est parce que l’histoire se
continue d’une journée à l’autre. Aussi, je demande à ma mère qu’elle
s’abonne de façon quotidienne. Elle m’explique qu’elle n’en a pas les
moyens financiers. En réalité, ce que je ne savais pas, c’est que chaque
jour a sa propre aventure.
À cette époque, selon la loi de l’Instruction publique, il faut avoir eu
6 ans au plus tard le 30 juin pour être admis à l’école. Comme je suis
né au début de juillet, j’aurais dû être refusé. Mais ma mère obtient
une permission spéciale de la part de l’institutrice qui, cette
année-là, est Jeanne Ouellet. Celle-ci est la cousine germaine de ma
mère et est âgée de 19 ans.
Je prépare cette rentrée scolaire. En effet, jusqu’à ce jour, on
m’attribue le sobriquet de Tibi. On prononce très rarement
Charles-Édouard. Quelques jours avant la rentrée scolaire, je dis à ma
mère : « Je vais bientôt aller à l’école. Aussi, je ne veux plus qu’on
m’appelle Tibi. À l’école, ils vont rire de moi et je ne veux pas être
Tibi toute ma vie. » Ma mère agrée à ma demande. Elle transmet le
message. Dans la famille, Tibi a disparu. Seules quelques dames amies de
ma mère m’ont longtemps appelé ainsi.
Habillé comme un cœur
Avec l’aide de ma sœur aînée, ma mère me confectionne des vêtements
neufs : un habit avec chemise blanche et cravate, une casquette et en
prime un sac à dos, le tout à partir de vieux vêtements provenant
directement des tantes Jean.
Je pars pour l’école habillé comme un cœur, heureux d’accéder au monde
des grands.
Pour ma mère, l’école a toujours été un lieu aussi sacré que l’église.
En nous habillant proprement, elle veut que ses enfants aient une tenue
digne de l’église. C’est sa façon de donner à l’école un statut
privilégié, elle qui a dû abandonner l’école en 5e année pour
aider sa mère.
Enfin le 2 septembre arrive. Accompagné de mon frère aîné qui est en
septième année et de deux de mes sœurs, ce matin-là je me dirige vers
l’école no 5, soit celle du rang, qui est située à environ trois quarts
de kilomètre de la maison. Je vois l’école pour la première fois. Elle
est située au nord du chemin à l’extrémité ouest de la terre d’Émile
Plourde.
L’institutrice me reçoit à bras ouverts. Nous sommes quatre de la même
famille et la classe, cette année-là ne comporte que neuf élèves
de la première à la septième année.
Les cinq autres élèves se répartissent ainsi : les deux cadets de Joseph
Lagacé, Yvon et Normand, les deux cadets d’Émile Plourde, Jeannine et
Charles-Eugène et l’aînée de Charles Vaillancourt, Lisette. Je suis seul
en première année.
Nous devons nous déplacer à pied pour aller à l’école. Quand il y a
tempête de neige, mon père vient nous reconduire à l’école en traîneau
tiré par un cheval. Ça arrive au moins deux ou trois fois par hiver.
Une école qui a vieilli
Avec le temps, j’apprends à connaître ma nouvelle école. En voici une
brève description :
C’est une bâtisse à un étage en bois mal isolée. Pour y entrer, on monte
un escalier qui s’arrête à un perron. En ouvrant la porte, on voit un
pan de mur où des crochets sont fixés. C’est le portique pour déposer
ses vêtements d’hiver et son lunch au besoin. On tourne à gauche et on
arrive dans le local de classe : une pièce qui peut contenir au moins
une quinzaine de bureaux. Les murs et les planchers sont peints en gris.
À l‘est de la classe, il y a une porte qui conduit au local privé de
l’institutrice. On y trouve là deux pièces : une cuisine sans poêle et
sans réfrigérateur et une chambre à coucher. Dans la cuisine, il y a une
table et quelques chaises. Dans la chambre à coucher, un lit et un
bureau. Pour des raisons de sécurité, l’institutrice couche la plupart
du temps chez un des voisins de l’école.
Tout près de la porte, à l’intérieur du local de classe, on trouve un
poêle à bois qui sert au chauffage et à la cuisson, puis un tableau
noir. Un deuxième tableau est installé du côté nord, soit en avant de la
classe. Devant ce tableau, le bureau de l’institutrice trône. Les
bureaux des écoliers sont de bois et les sièges y sont attachés. On peut
ranger ses livres en soulevant un couvercle. Tout près de la fenêtre, à
l’est, il y a un aiguise-crayons, ce qu’on n’a pas chez nous. Il y a en
plus des cartes géographiques accrochées à une patère, un globe
terrestre, un boulier, une horloge au mur, une clochette et un
dictionnaire.
Entre les deux tableaux, une porte permet d’accéder au nord à une annexe
non chauffée. Des cordes de bois de chauffage y sont soigneusement
placées. Après avoir franchi un court passage, on trouve deux petites
pièces : ce sont les bécosses (latrines), une pour les garçons et une
pour les filles. Un couvercle en bois cache un trou. En soulevant le
couvercle, une fosse de trois ou quatre pieds apparaît. Quelques
feuilles de papier journal ou de catalogue sont disposées dans chaque
pièce. De temps à autre, le commissaire vient et étend de la chaux dans
les fosses pour enrayer les odeurs.
Avec l’automne qui arrive, je réalise assez vite que le seul moyen de
chauffage dans l’école est le poêle à bois, tout comme chez nous
d’ailleurs. Lors des froids intenses d’hiver, on n’a pas d’autres choix
que de rapprocher les pupitres autour du poêle car les doigts gèlent.
Pendant l’hiver, le commissaire d’école engage un jeune garçon pour
allumer le poêle vers six heures du matin les jours de classe. Les jours
de congé, c’est ce même jeune qui entretient le feu pour protéger la
bâtisse du gel. Il n’y a pas d’éclairage si ce n’est une lampe à
l’huile. Quand je commence l’école, l’électricité n’est pas encore
installée dans le rang 5.
Apprentissages de base
Jeanne Ouellet me montre à écrire les lettres et les chiffres au moyen
d’un crayon à mine. Elle colle des étoiles de différentes couleurs dans
mon cahier à petites lignes. Je n’ai pas encore droit à la plume. Elle
m’apprend à lire dans le manuel scolaire Jouons ensemble de
Forest-Ouimet et à compter. Elle rayonne de bonheur et s’adonne à sa
tâche avec enthousiasme.
À cette époque puritaine,
j’apprends notamment à prononcer la lettre Q en disant QUE. Par exemple,
si j’ai à épeler BARQUE, je dois dire B, A, R, QUE, U, E. Certains
grands, plus futés que moi, savent que ce n’est pas la bonne
prononciation, mais ils le disent seulement en cachette pour ne pas
égratigner les oreilles pudiques.
Jeanne Ouellet enseigne toutes les matières de la première à la septième
année. Elle a un brevet C, soit une scolarité de 11 ans. Sinon, elle
devrait avoir un permis d’enseigner délivré par le département de
l’Instruction publique. Elle montre aux jeunes les rudiments de
l’écriture, de la lecture, de l’arithmétique et de la religion. En plus,
elle doit leur montrer à prier et à se comporter en catholique
exemplaire.
Une des conditions de son engagement est qu’elle soit de bonne conduite.
Elle ne doit pas être mariée, ne pas fréquenter de jeune homme du moins
à l’école.
Je ne m’ennuie pas à l’école.
J’aime bien écouter ce que l’institutrice dit aux autres élèves. Je les
regarde en train de réciter leurs leçons, de répondre à des questions de
catéchisme ou de participer à des combats de calcul mental. Elle me
donne des exercices d’écriture et de comptage. Je les fais à mon rythme
et sans compétition.
Une journée de classe
À 9 heures, la cloche sonne. La journée commence par une prière ou un
cantique. Après cela, c’est le catéchisme. On a dû apprendre par cœur
des réponses qui doivent être données à des questions posées dans un
livre appelé Petit catéchisme. Tour à tour, les élèves se
présentent en rang
devant le bureau de l’enseignante
pour dire à haute voix les réponses apprises. Si l’enfant bafouille ou
ne peut répondre adéquatement, il est invité à prendre la queue de la
file en même temps qu’il est réprimandé.
Il y a aussi l’apprentissage de prières en latin comme l’Angelus. Il
faut dire qu’à cette époque on apprend nos prières en français et en
latin et, pour certaines, en anglais comme le Our Father.
Après le catéchisme, l’institutrice présente des notions d’histoire
sainte qui consiste en un ensemble de faits racontés dans la Bible, avec
ses drames, ses légendes et ses mythes. Les élèves apprennent que la
création de l’univers s’est faite en sept jours. Ils sont confrontés au
déluge qui a envahi la terre et aux épreuves que Satan a fait subir à
Job. Je suis très impressionné quand j’apprends que Job, un personnage
de l’Ancien Testament, avait déjà été riche, mais que Dieu pour
l’éprouver couvrit son corps d’ulcères et le dépouilla de tout, si bien
qu’il devait vivre sur un tas de fumier.
Après la récréation, c’est le français : exercices de grammaire et
d'écriture cursive. Une dictée est donnée en regroupant au besoin les
élèves de deux ou de trois degrés. Les textes sont corrigés et, dans des
cas quand même rares, le nombre de coups de règles est proportionnel aux
fautes de grammaire ou d’orthographe. Suit une séance de lecture par
degré où les élèves sont invités à bien articuler et à faire des
liaisons parfois exagérées. Ils doivent, en certaines occasions,
expliquer en leurs termes le texte lu, ce qui est une opération très
difficile. En effet, la plupart des jeunes de cette époque sont
contraints par leurs parents à ne pas intervenir dans les conversations
des grandes personnes à la maison, si bien que leur vocabulaire demeure
restreint.
L’avant-midi se passe ainsi avec une pause de 15 minutes où les élèves
peuvent aller prendre l’air. Dans mon école, il n’y a ni matériel de
sport ni jeux de société. Aussi, les récréations sont plates. Elles se
transforment parfois en séance de
chamaillage chez les garçons.
À 11 heures 30, après une prière, la cloche annonce une pause pour le
dîner. Les élèves, qui demeurent loin de l’école et les autres en cas de
tempête ou de froid intense, sortent leur repas soigneusement placé dans
un sac de papier. Ils ont la possibilité de faire réchauffer certains
aliments sur le poêle à bois de l’école.
De son côté, l’institutrice prend son repas dans son appartement de deux
pièces. Sans surveillance temporaire, les plus futés en profitent pour
emprunter un langage prohibé et pour taquiner les plus jeunes. C’est là
que certains élèves apprennent les mystères de la vie.
À 13 heures, après une prière ou un cantique, c’est le temps de
l’arithmétique : le calcul mental, les quatre opérations de base, les
fractions ordinaires et décimales. Les moins doués pour cette matière se
découragent parfois devant leur insuccès. Il arrive que l’institutrice,
surtout si elle n’est pas diplômée et qu’elle n’a jamais suivi de cours
de didactique des mathématiques, ne puisse pas expliquer les raisons de
procéder ou le pourquoi des opérations dans les problèmes écrits.
Après la pause de l’après-midi, différentes matières comme l’anglais,
l’histoire du Canada, la géographie, l’agriculture sont présentées, sans
compter les connaissances usuelles et l’enseignement ménager. Le tout se
termine par une prière.
Le vendredi après-midi, l’emploi du temps diffère des jours précédents.
La première partie est consacrée au dessin.
Encore là, on ne nous permet pas de nous exprimer dans ce domaine. On
nous donne plutôt des objets ou des scènes à reproduire.
Parmi les objets à reproduire, il y a les feuilles d’arbres. Dessiner
une feuille avec ses nervures est relativement facile parce que cet
objet est presque plan. Là où c’est plus compliqué, c’est quand on nous
fait dessiner des objets à trois dimensions comme des tasses, des
verres, des pots. L’institutrice place ces objets sur son bureau en
avant de la classe et il faut qu’on se débrouille. L’objet dont je garde
le plus mauvais souvenir est la pomme. C’était une tâche presque
insurmontable, au moins pour moi. J’avoue avoir souvent effacé à l’excès
si bien que mon papier à dessin devenait troué.
Les scènes proviennent de manuels qui sont à la disposition de
l’institutrice. Je me souviens d’avoir dessiné un navire flottant, un
jeune homme avec son parapluie, un pot de fleurs, un boulanger qui livre
le pain, des arbres près de l’école.
Parfois, le dessin est remplacé par le collage d’images ou d’objets
comme les feuilles d’arbres à l’automne et ce, dans un cahier ou sur des
feuilles volantes.
Le reste du temps est consacré aux travaux manuels pour les garçons.
Pour les filles, c’est le tricot et la broderie. L’après-midi se termine
par des conseils sur l’hygiène et la bienséance.
Avant le départ, l’institutrice donne des travaux pour la fin de
semaine. Il s’agit ordinairement d’une composition. Elle nous demande
parfois de raconter une histoire sur un thème donné. Dans ce dernier
cas,
les élèves ne peuvent pas faire autrement que de commencer par « Il
était une fois ».
Les anges gardiens
De toutes les histoires inventées par l’Église, il en est une qui
résonne à mes oreilles dès mon plus jeune âge. Ma mère me racontait que
chaque personne avait un ange qui le surveillait et le protégeait. Quand
j’entendais le chant de Noël Les
anges dans nos campagnes dont la première strophe était : « Les
anges dans nos campagnes ont entonné l'hymne des cieux et l'écho de nos
montagnes redit ce chant mélodieux. », je me disais avec satisfaction
que les anges savaient aussi chanter.
Personnellement, je n’ai jamais senti un ange sur mon épaule et je ne
pouvais pas réussir à y croire. Toutefois, à l’école, l’institutrice
tient les mêmes propos que ma mère. Elle nous enseigne que « les anges
sont de purs esprits créés à l’image et à la ressemblance de Dieu pour
l’adorer et le servir ». Elle ajoute : « Les anges s’occupent de nous ;
ils ont souvent été envoyés par Dieu à l’homme comme messagers, et ils
nous sont aussi donnés comme gardiens et protecteurs. »
Je pense en moi-même : « C’est bien ce que ma mère disait ». Pour
préciser sa pensée (ou la pensée du petit catéchisme), l’institutrice
confirmait que chacun avait son propre ange gardien. « Dieu,
disait-elle, a donné à chacun de nous un ange gardien pour nous
préserver du mal et nous aider à être de bons chrétiens. Nous devons
respecter sa présence, lui témoigner notre reconnaissance pour les soins
charitables qu’il prend de nous, l’invoquer avec confiance dans les
tentations, et éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu et l’éloigner de
nous ».
Cette suite de mots tirée du catéchisme n’avait aucun sens pour moi.
Comment pouvais-je croire en une entité dont la présence réelle n’existe
pas ? Comment se fait-il qu’à l’école les plus grands font des mauvais
coups et désobéissent à l’institutrice ? N’ont-ils pas eux aussi un ange
gardien et pourquoi cet ange n’intervient-il pas ?
Par la suite, l’histoire devenait à la fois plus intéressante, mais plus
troublante. En effet, l’institutrice ajoutait que, lorsque les anges ont
été créés, ils étaient bons et heureux, mais que certains, par orgueil,
avaient désobéi à Dieu et avaient été précipités en enfer. Ils étaient
devenus des mauvais anges ou des démons.
La question que je me posais alors : « Mon ange gardien, s’il existe,
fait-il partie du groupe des bons ou des mauvais anges ou peut-il en
même temps être bon et mauvais ? » Je n’ai jamais eu de réponse à cette
interrogation.
En fait, cet enseignement servait beaucoup plus à troubler nos jeunes
cerveaux qu’à nous amener à une bonne conduite.
Le lavage
Le lundi, quand je pars pour l’école, ma mère a déjà sorti sa lessiveuse
à bras et sa planche à laver. La lessiveuse n’est pas activée par
l’électricité parce qu’il n’y en pas encore au rang 5. C’est au moyen de
ses bras que ma mère fait valser la cuve qui contient le linge. Après
une centaine de va-et-vient. elle passe le linge à un tordeur constitué
de deux rouleaux qui compressent le linge pour en extraire l’eau. Ce
tordeur doit être activé manuellement. Puis, c’est l’étendage à
l’extérieur ou au grenier selon les saisons. Ma mère doit laver le linge
de neuf personnes, sans compter un jeune bébé. Parfois, quand j’arrive
de l’école le soir, elle n’a pas encore terminé.
Dans le grenier
Jusqu’en 1950, les enfants de quatre ans et moins de ma famille couchent
dans la chambre des parents ou dans une petite chambre au premier étage.
Les enfants plus âgés dorment dans le grenier comportant une seule pièce
partagée en deux par un rideau : au nord les filles, au sud les garçons.
Le grenier est situé en haut de la cuisine. Il n’y a aucun chauffage
dans cette pièce. Une minuscule ouverture a été aménagée au plafond de
la cuisine pour laisser passer la chaleur dégagée par un poêle à bois
qui est seul à réchauffer la maison. Comme le poêle n’est pas alimenté
la nuit, sauf lors des grands froids, nous sommes souvent réveillés par
la trop grande intensité du froid, sans compter l’humidité. L’hiver, la
glace s’installe à l’intérieur dans le seul châssis à l’est.
Heureusement, avec mon frère dans un grand lit, nous avons une peau
d’ours. Il faut certaines nuits dormir la tête sous les nombreuses
couvertures.
Décembre 1947. Dîner à l’école
Je vis mon premier dîner à l’école avec mon frère et deux de mes sœurs.
C’est une expérience unique pour moi. Un repas de sandwiches hors de la
maison sans la présence de mon père et de ma mère me semble plus
satisfaisant qu’un repas à l’hôtel. Je mange doucement et je m’en lèche
les babines tellement je suis heureux quand j’eus avalé le seul biscuit
qui me revenait.
Les oreillons
Nous sommes le 23 décembre 1947. C’est l’euphorie à l’école : dernier
jour avant les vacances de Noël. J’ai six ans. Pour ma part, je n’ai pas
le goût de fêter. Je ne me sens pas vraiment bien. Je ne sais pas
pourquoi.
Quand j’arrive à la maison, ma mère me tâte le visage et constate que le
bas de mes joues commence à enfler. Elle me dit : « Tu as les
oreillons. »
Deux de mes sœurs plus âgées que moi
sont déjà atteintes de cette maladie
contagieuse et sont alitées.
Normalement, nous couchons dans le grenier, mais pour éviter toute
contagion, ma mère a installé un demi lit au premier étage dans une
petite pièce près de la salle à manger. Mes deux sœurs occupent déjà le
lit. À la guerre comme à la guerre, ma mère ne recule pas. Elle me fait
coucher de travers au pied du lit.
Quand la soirée du 24 décembre arrive, j’entends des voix dans la
cuisine. J’écoute attentivement ce qu’on dit : des bonbons, une orange,
etc. Je reconnais la voix de mon père et celle de ma mère qui préparent
les bas de Noël.
Grâce aux oreillons, j’apprends qu’on ne me dit pas la vérité quand on
me fait croire que le contenu des bas provient directement du Père Noël.
Décembre 1947. Finances de la famille
Le 14 décembre 1947, mon père retire 125 $ de son compte de la Caisse
populaire pour payer son terme de terre. Il lui reste 614,04 $. Les
finances commencent à s’améliorer.
Janvier 1948. En toute sécurité
Mes parents sont allés souper dans la parenté. Ma sœur aînée qui a 13
ans garde la maisonnée qui est composée de huit enfants. Après le
souper, elle nous annonce que nous allons jouer au bureau de poste. Je
ne me rappelle pas comment se déroulait le jeu si ce n’est qu’on collait
des timbres usagés sur de fausses enveloppes, mais je ressens encore la
jouissance que j’avais à participer à cette activité.
Tout-à-coup, quelqu’un frappe à la porte du tambour situé en arrière de
la maison. Le jeu s’arrête. Nous sommes tous anxieux et apeurés. Au
départ, ma mère avait averti : « Dès que nous partons, vous barrez la
porte et vous ne laissez entrer personne. »
Ma sœur passe dans le tambour et dit sans ouvrir la porte extérieure :
- Qui est là ?
- C’est Joseph Lagacé.
- Mes parents ne sont pas là.
M. Joseph venait voir son bon ami, mon père. Il est retourné bredouille.
Veillées religieuses
Le Centre St-Germain est une revue religieuse mensuelle publiée
par l’archevêché de Rimouski. On y trouve différents articles sur des
sujets religieux. Le clergé recommande des veillées d’équipe où des
voisins se réunissent pour approfondir les textes de la revue.
Ma mère forme une équipe avec les voisins. Quand la veillée a lieu chez
mes parents, j’obtiens la permission de ma mère d’y assister. Celle-ci
anime la veillée. Elle commence par une prière. Une lecture est faite
dans le Centre St-Germain. Ma mère demande des commentaires. Les
hommes fument leur pipe tranquillement et semblent s’ennuyer. Les femmes
interviennent brièvement mais cela ne semble pas soulever de l’intérêt.
Ma mère fait lire une page dans le livre des quatre évangiles. Les
réactions ne sont pas plus grandes. Je regarde ma mère. Elle se débat
comme un diable dans l’eau bénite pour activer l’assemblée qui ne lève
pas. Finalement, la conversation bifurque vers un sujet hors d’ordre et
l’assemblée se termine en queue de poisson.
Devant le manque d’intérêt des participants, ma mère abandonne ces
veillées-là.
La prière à la maison
À l’époque, la prière fait partie de notre quotidien. Nous prions en
famille au moins cinq fois par jour, sans compter la recommandation de
notre mère qui nous incite à offrir notre journée à Dieu au lever et à
le remercier avant de se coucher.
La première prière est celle du matin. Entre la traite des vaches et le
déjeuner, nous nous agenouillons en ligne dans la cuisine devant la
croix noire de la tempérance et l’image du Sacré-Cœur pour réciter les
prières dirigées par ma mère. Mon père assiste rarement à cette
liturgie. Il profite de ce moment le matin pour aller soigner ses
chevaux à l’étable. La prière est quand même assez courte. Elle débute
par le signe de croix :
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis suivent :
le Notre Père, le
Je vous salue Marie, le
Je crois en Dieu, une
offrande de la journée au Seigneur et parfois ma mère lit ou récite par
cœur une prière qu’elle avait trouvée dans une revue religieuse ou au
dos d’une image. La prière se termine par le
Gloire soit au Père.
Avant chaque repas, autour de la table, il faut réciter le bénédicité.
Une prière qui se présente comme suit : « Bénissez-nous, ô mon Dieu,
ainsi que la nourriture que nous allons prendre. Amen. » Plus tard, la
prière est devenue : « Bénissez-nous, Seigneur, bénissez ce repas, ceux
qui l’ont préparé et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas. Amen ».
Après le repas, une prière individuelle est recommandée à l’effet de
remercier Dieu pour le bon repas.
Le dimanche midi, c’est plus solennel. Le menu est plus diversifié que
les autres jours et ma mère remplace le bénédicité par l’Angélus, une
version latine du Je vous salue Marie qui est une des premières
prières que nous apprenons en latin à l’école.
La prière du soir se fait vers 19 heures à genoux dans la cuisine. Elle
est d’abord composée d’un chapelet. Puis nous récitons en groupe le
Je crois en Dieu, le
Confiteor, les neuf actes
(adoration, foi, espérance, charité, contrition, remerciement, offrande,
humilité, demande), les 10 Commandements de Dieu, les 7 commandements de
l’Église. Nous attendons avec impatience le moment où nous allons
prononcer le Gloire soit au Père :
ce qui marque la fin de la prière du soir. Pendant cette prière, au
grand détriment de ma mère, mon père s’appuie sur le bras de sa chaise
et souvent baisse la tête comme s’il dormait.
Puis vint le chapelet à la radio. Chaque jour à 19 heures, l’archevêque
de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent, récite le chapelet à la radio.
Cette émission provient de la station CJBR de Rimouski, affiliée à
Radio-Canada.
Dans notre foyer, comme dans beaucoup d’autres, toutes les activités
cessent pour dire le chapelet en famille. Agenouillés, nous répondons
aux prières de Mgr Parent. Nous trouvons le temps long car le chapelet
dure 15 minutes. Quand nous manquons l’émission, la récitation du
chapelet par ma mère ne dépasse pas 10 minutes.
C’est que Mgr Parent passe des messages en commentant les mystères
reliés au chapelet. Ceux-ci sont partagés en trois classes : mystères
joyeux (lundi et samedi), mystères douloureux (mardi et vendredi) et
mystères glorieux (mercredi, samedi et dimanche).
Pendant la période d’été, à cause des travaux des champs, il est plus
difficile de se réunir pour la prière du soir. Toutefois, en juin, mois
consacré au Sacré-Cœur, nous récitons avec plaisir le chapelet du
Sacré-Cœur. À la place du Notre
père, ma mère dit « Doux
Cœur de Jésus » et nous répondons « Soyez mon amour ».
À la place du Je vous salue Marie,
c’est « Doux cœur de Marie » avec réponse « Soyez mon salut ». À force
d’insister,
nous obtenons parfois le privilège de réciter ce chapelet en d’autres
occasions.
Ma première confession
Bientôt, la fin de la petite enfance se concrétise par la première
communion. J’ai hâte d’accomplir ce geste pour montrer que je ne suis
plus un bébé. Mais ce geste doit être précédé d’un autre qui est la
confession. Quelle exigence insensée que la confession d’autrefois ! Je
sais qu’il faudra me présenter au confessionnal et réciter la liste de
mes péchés.
Heureusement, l’institutrice a le mandat de me préparer à la confession.
D’abord, Jeanne Ouellet me demande d’apprendre par cœur la formule
d’introduction que je devrai réciter au prêtre. « Bénissez-moi mon père
parce que j’ai péché. Je me confesse à Dieu et à vous mon Père. C’est ma
première confession. » Par la suite, je devrai énumérer mes péchés en
commençant par « Mon père, je m’accuse. »
Jeanne Ouellet me donne des suggestions de péché : chicanes entre frères
et sœurs, les gros mots, les vols de biscuits, les fruits ramassés chez
les voisins, le refus de faire des commissions, la gourmandise, la
paresse de ne pas apprendre ses leçons et de ne pas faire ses devoirs,
les mensonges, etc. Je devrai aussi indiquer le nombre de fois pour
chaque péché. À la fin, je devrai dire : « Mon père, je m’accuse de plus
de bien d’autres péchés que je ne connais pas et de ceux de toute ma
vie. J’en demande pardon à Dieu et à vous mon père, la pénitence et
l’absolution. »
Comment choisir dans la liste suggérée par la maîtresse d’école ? Je ne
veux pas consulter ma mère parce que je serais obligé de lui avouer de
vrais ou de faux manquements. Je décide que je dois me débrouiller et
inventer des peccadilles de conduite.
Le jour venu, ma mère m’accompagne à la sacristie de l’église. Il y a là
deux confessionnaux. Chacun des deux est divisé en trois compartiments
séparés. Le curé est installé dans le compartiment central d’un des deux
confessionnaux. Comme pénitent, je dois ouvrir une porte et entrer dans
un des deux isoloirs libres. On y trouve un agenouilloir, mais comme je
suis petit, je reste debout pour pouvoir parler au prêtre à travers la
grille. Ce dernier est en train de confesser un pénitent qui est de
l’autre côté. Je dois attendre que le prêtre déplace un panneau qui
laisse paraître le grillage séparant le pénitent du confesseur. Le
moment venu, je dois parler à travers le grillage.
Avec l’aide du curé, je réussis à énumérer quelques péchés. Pour
plusieurs, je n’ai pas le temps d’indiquer le nombre. Le prêtre m’absout
de mes péchés et me donne une pénitence, probablement de réciter trois
Ave Maria ou l’acte de contrition. Je suis fier d’avoir réussi à
passer la douloureuse épreuve de la confession. Je peux alors faire ma
première communion qui me permet d’entrer dans le monde des grands.
Mes confessions postérieures
L’Église nous enseigne qu’il faut se confesser une fois par mois. Le
dimanche prévu, en famille, nous nous rendons à la sacristie avant la
messe. Là nous attendent le curé et parfois un prêtre de passage,
lesquels sont confortablement assis dans leur confessionnal.
Au début, la préparation de la liste des péchés est fastidieuse. Je
repasse les manquements que j’ai pu commettre. Peu à peu, je raffine ma
liste. J’invente des péchés pas trop compromettants pour être certain
d’avoir l’absolution. Le fait de préciser le nombre de fois ne me cause
pas de problème. Au hasard, je donne une fréquence qui varie de 1 à 6.
Je justifie mon attitude en pensant qu’il y a des péchés partout et que,
pour ma part, je dois en inventer pour pouvoir satisfaire aux préceptes
de l’Église.
Avec le temps, par le catéchisme, j’apprends de nouveaux péchés que je
ne connaissais pas à six ans. Je les inclus dans ma liste et je mets de
côté certaines fautes enfantines. Voici un exemple des confessions de
mon jeune temps : « Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché. Je me
confesse à Dieu et à vous mon Père. Il y a
x semaines que je me suis
confessé. J’ai reçu l’absolution et j’ai fait ma pénitence. »
Les fautes avouées suivent. Je choisis au hasard dans cette liste. « Mon
père je m’accuse d’avoir menti x
fois, de m’être mis en colère x
fois, d’avoir été gourmand x
fois, d’avoir été désobéissant x
fois, d’avoir été impoli x
fois, d’avoir dit des gros mots x
fois, de m’être chicané x
fois, d’avoir eu des mauvaises pensées
x fois, d’avoir été impur
x fois. »
Il arrive que le prêtre me pose des questions. Pour éviter cette
répétition, la fois suivante, j’ajoute une autre forme de péché. Il en
est ainsi de l’impureté.
À 7 ou 8 ans, déjà je m’accuse de péchés d’impureté sans vraiment savoir
ce que c’est, mais il est dans la liste des sept péchés capitaux. Comme
le curé parle souvent de l’impureté dans ses sermons, je vois d’un bon
œil de choisir ce genre de péché. Un jour, alors que je me confesse
d’avoir été impur, le prêtre me demande avec qui. C’est ainsi que
j’apprends qu’on peut être impur avec d’autres et je l’ajoute à ma liste
même si je ne sais pas en quoi cela consiste. Bref, la confession nous
apprend à faire de nouveaux péchés.
Je n’ai jamais su comment les autres se confessaient. Je n’ai jamais
parlé de ce sujet avec quelqu’un d’autre, parce que si le prêtre était
lié au secret de la confession, je pensais que nous étions liés au
secret de notre confession.
Avril 1948. À la cabane à sucre
Depuis quelques jours, je compte les dodos. Je suis excité. Ma mère a
invité la famille Joseph Lagacé, le deuxième voisin de l’est, à venir à
la cabane à sucre chez nous. Je ne suis pas encore allé à cet endroit.
De plus, j’ai l’impression que je vais assister à la plus grande fête de
tous les temps, et comme prime en plein air.
Bientôt, nous sommes une douzaine de personnes à boire de l’eau
d’érable, à manger de la tire sur neige, à manger des beurrées trempées
dans le sirop d’érable et … pour les jeunes à se chamailler gentiment.
J’ingurgite tellement de produits de l’érable qu’à force de me délicher
un cerne brun s’incruste au-dessus de ma lèvre supérieure. Je continue
ma manie rendu à la maison jusqu’à ce qu’une de mes sœurs m’indique
brutalement d’arrêter ce manège.
Chasse à la toison
Je suis debout
dans l’étable là où le foin est empilé dans ce qu’on appelle les
tasseries. Derrière moi, une cloison me sépare des vaches qui sont
attachée dans une crèche depuis la fin d’octobre. C’est de l’endroit où
je suis qu’on peut les nourrir.
Devant moi, à quelques mètres, dans la tasserie, je vois maman à demi
agenouillé et armé d’une paire de longs ciseaux en attente. Elle porte
un tablier de couleur foncée qu’elle utilise parfois pour traire les
vaches. Il n’y a presque plus de foin sous elle, signe que le temps de
l’hivernement tire à sa fin.
Mon frère aîné arrive avec un mouton qu’il est allé chercher dans la
bergerie où loge une dizaine de bêtes en libre mouvement. Il rejoint ma
mère dans la tasserie et approche d’elle le mouton en le tenant
immobile. Centimètre par centimètre, ma mère détache la laine de
l’animal. Le mouton se lamente en articulant faiblement béhé béhé.
Finalement, l’animal est tout nu.
J’ai de la peine. « Il va avoir froid, me dis-je, sans manteau dans
cette bergerie non chauffée. » Il faut croire que l’animal n’en meurt
pas et n’attrape pas de maladie parce que cette opération se répète
année après année au printemps. Mon frère ramène le mouton à la bergerie
et revient avec un autre.
Par la suite, ma mère débarrasse la laine d’impuretés visibles et la
fait tremper dans des récipients d’eau chaude. La laine est « bouillie »
sur le poêle à bois. Cela donne une senteur épouvantable dans la maison
parce que la laine contient encore, notamment, du suint et de la
graisse.
Une fois cette opération terminée, ma mère fait des paquets et envoie le
tout par la poste à l’Isle-Verte où il y a une filature. Au bout de
quelques semaines, le tout revient en boudins blancs. Ma mère sort son
rouet et file la laine en vue principalement de faire des vêtements.
Un visiteur
De temps à autre, des voisins ou des gens du rang viennent veiller chez
mes parents. Ce printemps 1948, un visiteur qui a rarement mis les pieds
chez nous se présente. Il s’appelle Paul-Émile Bérubé. Il a presque 30
ans et il vit avec ses parents sur une terre à l’est de l’école.
Quand arrive le mois de mai, à l’occasion, Paul-Émile se rend à l’école
en soirée pour réciter le chapelet, dire des prières et participer à des
chants en l’honneur de la Vierge Marie dont c’est la fête pendant tout
le mois. Il est là aussi quand la cérémonie a lieu devant la croix qui
est sur la terre de mon père. Après avoir participé à une cérémonie, il
vient veiller chez nous, toujours en bicycle, car personne sauf M.
Ernest a un véhicule motorisé dans le rang 5.
Après un certain nombre de visites,
je demande à ma mère pourquoi monsieur Timile vient si souvent. Ma mère
répond : « Il va falloir que tu apprennes à dire Mon oncle Timile. »
J’ouvre grands les yeux. Elle continue : « Monsieur Timile fréquente ma
sœur Gaby (Gabrielle). Ils vont se marier bientôt. » J’ai de la
difficulté à comprendre qu’on peut fabriquer un oncle quand il a 29 ans.
C’est la première fois qu’une grande personne a soudainement un lien de
parenté avec moi.
Le mariage a lieu en juin 1948. J’aurais bien aimé aller aux noces mais
ce n’est pas mon tour.
Pour le dîner de noces, tante Candide veut décorer la table avec des
guirlandes. Ma mère a offert de lui procurer des guirlandes d’arbustes.
C’est mon père qui est chargé de cette tâche.
Un dimanche après-midi, une semaine avant le mariage,
après le dîner, il annonce qu’il va en forêt au sud de la rivière pour
chercher les précieuses guirlandes. Je demande d’aller avec lui. Au
début, mon père est réticent, mais il finit par accepter.
Je suis tout heureux de partir avec mon père. Nous nous rendons dans le
clos de pacage du sud où on trouve des milieux humides. J’essaie
d’arracher des tiges mais je ne suis pas assez fort. Mon père est
impatient et n’aime pas les suggestions que je lui fais. En plus, il
n’aime pas être dérangé dans ce travail qui lui a été imposé. Je suis
très déçu.
Juillet 1948. Une rencontre inoubliable
J’ai 7 ans. Le soleil plombe ses chauds rayons sur la campagne. Les
oiseaux piaillent tout autour de la maison. Après le train et la prière
du matin en famille, ma mère décide que nous irons aux petites fraises
au rang 6 sur la terre d’Hormidas Gaudreau. Elle prépare notre dîner.
Ma mère sait que Philéas Gaudreau, alors âgé de 72 ans, et son épouse
Delphine Dionne, 74 ans, séjournent dans un petit camp pour une partie
de l’été sur la terre de leur fils Hormidas. Alors, elle nous recommande
de leur demander la permission d’y cueillir des fraises.
Je pars avec mes trois sœurs plus âgées. Après une bonne dizaine de
minutes de marche, nous passons à travers bois et nous atteignons le
petit camp situé à l’orée de la forêt. Nous cognons à la porte. Ils nous
reçoivent aimablement comme les paysans de l’époque savent le faire.
Nous nous présentons. Le père Philéas dit : « Ah ! les enfants d’Edmond
Jean ». Ils connaissent très bien mon père car Philéas est le cousin
germain de mon père et c’est à lui qu’ils ont vendu leur terre du rang 5
et une partie de leur terre du rang 6 en 1932, soit 16 ans plus tôt.
C’est impressionnant de voir ces deux vieillards – c’est ainsi qu’on
appelait les gens de 70 ans et plus à l’époque – qui semblent très
heureux de vivre dans la nature, loin du village où ils résident. Le
camp est très petit, probablement trois mètres sur quatre mètres. Au
centre, il y a un petit poêle. Autour du poêle, deux chaises berçantes ;
au mur, deux ou trois tablettes pour déposer la vaisselle et des
chaudrons vieillots accrochés sur des clous ; derrière le poêle, un lit.
Ils nous autorisent aimablement à cueillir des fraises à la condition
qu’on leur laisse un certain périmètre autour de leur camp. Ils ont
l’habitude d’en cueillir pour leurs repas. Nous respectons leur exigence
même si on doit laisser de côté de beaux ronds de fraises.
C’est la première fois que je vois le couple et c’est la dernière.
Delphine décédera en septembre 1949, un an plus tard, et Philéas, en
avril 1952.
Mardi 14 juillet 1948. Une scène banale
Je suis allé au village avec mes parents en voiture à cheval. Au retour,
en passant devant la maison de Joseph Lagacé vers 21 h 30, je vois une
scène banale mais qui, pour moi, me semble historique. Lucien, le fils
aîné de 27 ans, est en train de se faire la barbe.
Pour la première fois je vois un autre homme que mon père se passer la
lame dans la figure à travers une broue blanche. Mais ce qui
m’impressionne le plus, c’est qu’en plus il se marie le lendemain même.
Les foins
Encore une fois cette année, alors
que les cultivateurs voisins commencent à faucher, mon père prépare sa
faucheuse. Il démonte les pièces de l’instrument, les huile abondamment
et les replace en les vissant solidement. Ma mère lui reproche son
retard. Pendant cette journée où mon père astique la faucheuse, il est
heureux. Il appréhende le début des récoltes, car il n’aime pas
travailler sur la terre.
Quand tout est prêt, mon père,
autour du champ choisi, fauche une lisière avec la petite faux afin de
ne pas écraser indûment le foin lors du premier tour. Par la suite, il
attelle ses deux chevaux à la faucheuse. L’opération se déroule bien
tant que la faux ne frappe pas une roche ou qu’elle soit bloquée par des
herbes humides difficiles à couper.
7 septembre 1948. Rentrée scolaire
J’entre en 2e année du primaire. Je suis toujours seul dans
ma classe. Ovila Vaillancourt, le frère de Lisette, commence l’école. Il
est seul en 1e année. C’est encore Jeanne Ouellet qui nous
enseigne. J’apprends à écrire avec une plume qu’on appelle petite plume.
Il s’agit d’une tige appelée porte-plume au bout de laquelle on insère
un morceau de métal en forme de bec fendu. On trempe cette plume dans un
encrier et on reproduit la configuration d’une lettre ou d’un chiffre.
Si on puise trop d’encre dans le contenant, on risque de faire ce qu’on
appelle des pâtés qu’on ne peut pas corriger même avec du papier buvard.
Plus tard, la plume comportera un réservoir et évitera les dégâts de
renversement d’encrier. Ce sera l’avènement de la plume-fontaine qui
sera remplacée par le stylo, la dactylo et … le clavier d’ordinateur.
10 novembre 1948. Naissance de Lucille
Enfin, une fille. Lucille Jacinthe naît vers 7 heures 30. Elle est
baptisée le lendemain par le vicaire Fortunat Blanchet. Son parrain est
Maurice Théberge, frère de ma mère, et sa marraine est Lucille Lavoie,
épouse de Maurice.
Ce jour-là, vers 5 heures du matin, Carmen vient nous réveiller dans le
grenier. Nous nous habillons sans savoir ce qui se passe et nous sommes
amenés chez Madame Hélène.
Décembre 1948. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 1165,54 $.
Après un retrait de 125 $ le 12 janvier 1949 pour payer le terme de
terre, la balance est de 1040,54 $.
Janvier 1949. Un mystère
Je suis le plus surpris du monde quand l’institutrice Jeanne Ouellet
m’annonce qu’il y a trois personnes en Dieu :
le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Je sais que Dieu existe parce que ma mère l’a dit tellement souvent. Je
trouve logique que Dieu soit le père, mais sûrement pas en même temps le
fils. De plus, que vient faire le Saint-Esprit dans cette galère ?
Voyant que je ne comprends pas, l’institutrice me lance « Tout ça est un
mystère ».
J’avais déjà entendu ce dernier mot de la bouche de ma mère. Elle ne
retrouvait plus son chapelet et avait dit : « Pourtant hier, je l’avais
mis sur mon bureau. Il n’est plus là. C’est un mystère. »
Je pouvais maintenant dormir tranquille. Il y avait deux genres de
mystères : les grands comme celui du catéchisme et les petits comme
celui de ma mère.
Mars 1949. Un accident
En mars 1949, pendant la récréation de l’avant-midi, je tombe sur une
surface glacée en avant de l’école.
Je me fais une blessure sur la paupière au-dessus de l’œil droit. Je
pleure. Rapidement, Jeanne Ouellet me fait entrer à l’intérieur.
La maîtresse, n’ayant rien pour les premiers soins, nettoie ma plaie
avec de l’eau de la pompe et
pose une bande collante qui sert à réparer les livres.
Inutile de dire que son enlèvement a été très douloureux.
La plaie se referme. Toutefois, la
cicatrice ne s’est jamais résorbée. Lorsque j’y place mon doigt, je
sens, malgré les années, une légère douleur.
Avril 1949. Un choc historique
À ce jour, j’avais appris que le Canada était constitué de neuf
provinces et que, dès 1867, quatre provinces avaient signé une
constitution pour faire un nouveau pays : le Nouveau-Brunswick, la
Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Québec.
Au début d’avril, l’institutrice nous dit : « J’ai appris à la radio que
le Canada est maintenant formé de 10 provinces. Depuis le 31 mars,
Terre-Neuve n’est plus une colonie de la Couronne britannique, mais une
province du Canada. »
Je suis abasourdi. Je ne peux m’empêcher de dire : « Mais Mademoiselle,
c’est écrit dans notre livre de géographie que le Canada compte neuf
provinces. »
Je suis certain que l’institutrice se trompe car, pour moi, ce qui est
écrit dans un livre est la pure vérité. Jeanne Ouellet nous explique
calmement que l’histoire évolue et que les événements marquants sont
inscrits plus tard dans les livres. Elle ajoute que Joey Smallwood,
premier ministre de Terre-Neuve, est reconnu comme un Père de la
Confédération. Là, je suis troublé. Pour moi, un Père de la
Confédération est un vieillard qui est décédé depuis longtemps.
Cette révélation de l’institutrice me fait prendre conscience que la
grande histoire, tout comme la petite, n’est pas figée dans le temps.
Mai 1949.
Deux visites
Alors que la neige vient de fondre et que les chemins sont roulants, mon
père doit aller au village. Je suis heureux de pouvoir l’accompagner et
de faire deux visites.
Deuxième visite : le forgeron. Je vois pour la première fois l’homme qui
ferre les chevaux et qui répare les voitures : Napoléon Saindon. Mon
père est là pour faire ferrer son cheval. Le forgeron porte un énorme
tablier de cuir. Je suis attiré par le chauffage du fer et par les
frappes sur l’enclume qui produisent des étincelles. Quand le forgeron
tient la jambe du cheval, j’ai peur qu’il se fasse blesser. J’ai aussi
peur qu’il fasse mal au cheval quand il plante des clous dans ses
sabots.
Lac-Boisbouscache
Je vais porter une douzaine d’œufs chez Mme Hélène qui me donne les sous
prévus et, comme récompense, un biscuit. En revenant, je vois que, sur
le panneau de signalisation avant l’embranchement de la route du sixième
rang, on peut lire Lac-Boisbouscache. Pourtant l’année dernière, il
était écrit Club Appalaches.
En arrivant à la maison, je demande à ma mère le pourquoi de ce
changement. Elle m’explique que le Club Appalaches est un club privé de
chasse et de pêche tandis que Lac-Boisbouscache est le nom de la
municipalité où se trouve le club. Les habitants sont des touristes qui
viennent majoritairement de la région de Sherbrooke pendant l’été
taquiner les mêmes poissons que nous et tuer les mêmes bêtes que nous
parce que la terre de mon père au sixième rang est située aux frontières
de cette municipalité. On les appelle les Américains.
En 1932, quand mon père a acheté sa terre, il est devenu le conducteur
officiel des membres du club. La route n’était pas encore carrossable
par les automobiles. Quand les membres arrivaient chez nous, ils
garaient leur automobile sur la terre de mon père. Ce dernier attelait
son cheval et les conduisait à leurs chalets. En cours de route, les
touristes offraient à mon père un p’tit verre : ce qu’il ne dédaignait
pas. Au bout de trois ou quatre ans, un soir, au retour, il a failli se
noyer dans une rivière qui débordait sur la route. Sous la pression de
ma mère, il a alors abandonné ce transport.
Les touristes sont toujours bienvenus à la maison. Entre autres fait
divers, un jour, un touriste qui est médecin soigne une de mes sœurs. Un
autre veut adopter une de mes sœurs de 3 ou 4 ans. Il l’a photographiée
et a envoyé à ma mère deux photos par la poste.
Les membres du club achètent de ma mère des œufs, du pain, du lait et
divers petits objets qu’ils ont oublié d’apporter. Pour nous, c’est un
plaisir de piocher des vers de terre.
Les vers de terre
Les pêcheurs arrivent, deux ou trois, à toute heure du jour et même le
dimanche. Ils sont vêtus dans un style relaxant : t-shirts et bermudas.
Nous n’avions jamais vu un tel accoutrement. Ma mère n’aime pas leur
tenue, mais elle ne dit mot. Un jour, en parlant d’un homme vêtu de la
sorte que nous avions appelé Monsieur, elle avait dit : « Ce n’est pas
un vrai monsieur. »
Une commande de 50 à 100 vers de terre étant donnée, nous nous
empressons de l’honorer. Le tarif est d’un sou par ver. Les ventes
peuvent atteindre plus d’une vingtaine de dollars annuellement.
En plus d’avoir pioché des vers pour ces touristes,
j’ai passé des centaines de fois devant la barrière du club et pourtant
je n’ai jamais pu y entrer. Cette barrière bloquait l’accès à toute
personne, sauf aux membres, à leurs invités et aux travailleurs
forestiers.
31 mai 1949. Ma confirmation
C’est en lisant un compte-rendu d’une cérémonie de confirmation dans une
édition du Progrès du Golfe
que je me suis souvenu de quelques détails de ma propre confirmation.
Dans son journal, ma mère avait écrit que j’avais été confirmé le 31 mai
1949. Or, le Progrès du Golfe
parlait justement d’une cérémonie le 31 mai à Saint-Mathieu-de-Rioux.
Je choisis comme parrain de confirmation l’oncle Maurice Théberge, le
frère de ma mère. Avant la cérémonie, l’abbé Fortunat Blanchet qui est
temporairement assistant du curé Louis-Joseph Lavoie réunit les jeunes
des rangs à la salle paroissiale pour leur expliquer le déroulement de
la cérémonie. Il en profite pour nous rappeler qu’il faut toujours se
tenir droit et de ne pas se laisser distraire même si nos parents ne
sont pas à côté de nous.
À l’heure convenue, nous sommes 144 jeunes de 6 à 10 ans qui entrent en
rangs dans l’église, les garçons d’un côté, les filles de l’autre. C’est
impressionnant parce que l’église est déjà bondée et qu’il y a un grand
nombre de prêtres dans le chœur.
Dès l’entrée dans l’église, les garçons se placent du côté sud. Pour
éloigner mon stress, je me mets à compter le nombre de prêtres. Le temps
venu, je m’avance timidement vers l’évêque dont les habits royaux
m’impressionnent au plus haut point. Ce dernier me dit quelque chose que
je ne comprends pas. Je réponds Amen, comme l’assistant nous l’avait
recommandé. L’évêque me donne un petit soufflet sur la joue, en disant :
« Que la paix soit avec vous ».
Je m’ennuie pendant cette cérémonie. Je continue à être stressé. C’est
comme si soudainement j’étais seul au monde. Habituellement, une
photo-souvenir est prise après la cérémonie. Ce n’est pas mon cas parce
que j’ai soudainement des problèmes de digestion.
Juin 1949. Un four
Depuis longtemps, ma mère rêve d’avoir un four à pain à l’extérieur
suffisamment grand pour cuire au moins 8 à 10 pains à la fois. Mon père
construit la base en bois et fait une provision de terre glaise. Pour
construire l'âtre ou la
plate-forme de glaise,
ma mère fait appel à son père pour qui elle a beaucoup d’affection.
C’est la première fois que je vois grand-père Théberge au rang 5. Nous
les plus jeunes le suivons pas à pas, mais cela ne le dérange pas. Il
découpe la glaise en pièces détachées et les accole délicatement pour
former une coupole.
Quelques jours plus tard, ma mère fait un premier essai.
Malheureusement, de la fumée s’échappe par de petits interstices dans la
coupole. Je ne sais pas pourquoi mais personne n’essaie de la réparer.
La structure reste là deux ou trois ans, puis elle est détruite.
Décès de grand-mère Lévesque
Au début de juin, Philomène Lévesque, la mère adoptive de mon père tombe
malade. Bientôt, elle refuse de manger et elle demeure alitée. Dimanche,
le 19 juin, au retour de la messe, ma mère demande à mon frère aîné, qui
conduit la voiture à cheval, d’arrêter chez grand-mère. Je veux
accompagner ma mère, mais celle-ci refuse prétextant que ce n’est pas un
spectacle pour les enfants. Je dois donc attendre dans le boghei.
Philomène Lévesque décède quelques jours plus tard à l’âge de 82 ans.
Elle est exposée dans sa propre demeure. Son service a lieu le 27 juin.
Je me souviens d’une seule visite que cette dame a faite chez mes
parents au rang 5 quelques mois plus tôt. Après son départ, ma mère nous
avait dit : « C’est bien la dernière fois qu’on la voit ici. »
Juillet 1949. Les fraises
Depuis que j’ai six ans, pendant le mois de juillet, je vais aux fraises
avec mes sœurs.
Les premières journées, c’est magnifique. Le soleil, les vastes espaces
entourés d’arbres, la senteur des plantes, la compétition dans la
cueillette, tout me fascine et me fait vivre des moments inoubliables
comme si j’étais dans un monde irréel. Mais, avec la succession des
jours à accomplir la même tâche, cela devient beaucoup moins grisant.
Il y a les fraises, mais il y a aussi les maringouins. Heureusement, je
suis exempté de ce dernier fléau. Incroyable, les maringouins ne me
piquent que très rarement. On dirait que je suis immunisé contre eux.
Toutefois, il y a les petites mouches noires qui s’en donnent à cœur
joie et qui parfois partent avec des bribes minuscules de chair.
C’est au moment de la cueillette que je me rends compte que je suis
daltonien. Je vois bien les fraisiers, mais je ne vois pas les fraises
rouges. Le vert de la plante m’empêche de voir le rouge du fruit. Je
l’apprends rapidement quand mes frères et mes sœurs m’accusent de
marcher sur les fraises.
Pour identifier un rond de
fraises, je dois me mettre à genoux et dégager les feuilles du fraisier
avec mes mains. Là, je vois les fraises. Généralement, mes frères et
sœurs sont plus rapides que moi. Mais, je fais des efforts pour me
débrouiller. Par exemple, je vois Pierre qui reste très peu de temps
dans un rond de fraises.
Alors quand il part, je vais ramasser les fraises non cueillies et il en
reste ordinairement beaucoup. C’est que Pierre a la bougeotte. Il ne
reste pas tellement longtemps à la même place.
Ma mère vend les fraises au village. Une chaudière de cinq livres
remplie de fraises se détaille un dollar. Dans une même journée, à
quatre ou cinq, on peut ramasser des fraises pour six ou sept dollars.
C’est une fortune alors qu’un journalier gagne un dollar de l’heure.
Pendant une partie du mois de juillet, tous les jours non pluvieux, nous
allons aux fraises. Je suis tellement heureux quand il pleut et surtout
quand la saison des fraises est terminée.
Cet été-là, avec ma mère, nous sommes allés cueillir des fraises sur le
lot de l’oncle Timile. Ce lot est situé entre la dernière ferme du rang
5 et la première terre de Saint-Eugène. Il y a là ce qu’on pourrait
appeler un chalet. Intrigué par cette bâtisse, j’en fais part à ma mère.
Elle me raconte que c’est le père de l’oncle Timile qui l’a érigée
pendant la deuxième guerre mondiale. Le chalet servait alors de cachette
pour ses trois fils qui, comme de nombreux jeunes adultes québécois, ne
voulaient pas aller à la guerre. Lorsque des rumeurs que la Police
montée était dans les parages, les trois frères allaient s’y cacher.
Un miracle
Un beau jour, je me cogne le petit orteil du pied gauche contre un
meuble. Maman examine le petit orteil et met un peu d’alcool à friction
sans plus. La nuit suivante, je me réveille en sursaut. J’ai une douleur
atroce au petit orteil. Je le tâte légèrement. Il semble être cassé.
Alors, je sors de mon lit, je m’agenouille et je fais une prière à Dieu
l’implorant de guérir mon orteil. Je sens un bang dans l’orteil ; la
douleur disparaît instantanément. Je me couche et je m’endors.
Par la suite, je n’ai jamais ressenti de douleur à cet orteil. Comme
c’était la coutume à l’époque soit de parler le moins possible, je n’ai
jamais raconté cet incident. Sans croire naïvement à l’intercession de
la Providence, j’étais quand même été bouleversé par ce qui était
arrivé.
Une double visite
Dans le passé, j’avais souvent eu l’occasion de rencontrer mon parrain
et sa famille chez grand-père Théberge au village après la messe du
dimanche. Pendant la période des campagnes électorales, l’oncle Édouard,
un libéral convaincu, s’abstenait pendant ce temps pour éviter toute
confrontation. On est d’ailleurs à l’époque où l’Union nationale de
Maurice Duplessis, avec ses promesses rurales, gagne toutes les
élections du Québec. Il n’y a que deux partis et l’adhésion politique se
fait de père en fils. La femme qui épouse un homme d’un parti opposé
doit voter comme lui et ne pas le contredire. Voilà pourquoi, en bonne
partie, quand les femmes sont seules, elles ne parlent jamais de
politique.
Édouard Ouellet, mon parrain, est un cultivateur prospère qui demeure au
troisième rang est. Il a au moins une douzaine de vaches laitières et il
a construit une porcherie où il engraisse au moins une quarantaine de
porcs et de porcelets.
Depuis quelques temps, ma marraine, tante Lucienne, veut que j’y aille
prendre un repas. Quand elle apprend que mes parents projettent d’aller
souper et veiller chez Thomas Thibault leur voisin de l’ouest, un
dimanche, elle obtient de ma mère la permission de m’amener chez elle
pour le dîner. Après le repas, un de mes cousins me fait visiter la
ferme et surtout sa mécanisation. Mon parrain possède des instruments
aratoires plus modernes que ceux de mon père. Par ailleurs, je suis
surpris de voir que ses filles cadettes jouent dans ses cheveux au cours
de l’après-midi. Mon père n’aurait jamais permis ça.
Le soir, mes parents viennent souper chez Thomas Thibault. Ce dernier
avait épousé la sœur de mon père, Candide Jean, en 1935 et avait hérité
de la ferme paternelle. En fin d’après-midi, je me rends à pied chez
l’oncle Thomas. Je fais la connaissance, probablement pour la première
fois, de ma tante Candide Jean qui est malheureusement décédée 6 ou 7
ans plus tard. J’ai le plaisir de connaître Pierre Thibault, le père de
Thomas, qui a autour de 70 ans et qui est veuf de Joséphine Lepage. Il
parle longuement de son petit-fils Rémi, mon futur confrère de classe au
Séminaire. Ce dernier qui n’est pas là prépare des veaux pour
l’exposition agricole de Rimouski.
La journée passée chez mon parrain et qui se termine chez l’oncle Thomas
est pour moi mémorable.
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Chapitre 4. Ma 3e et 4e
année à l’école du rang
6 septembre 1949. Rentrée scolaire
J’entre en 3e année. Je suis toujours seul dans ma classe.
Une nouvelle institutrice nous reçoit. Son nom est Bibiane Jean qui est
la fille d’Albert Jean et d’Elmire Rioux. Elle a 19 ans. Tout comme
Jeanne Ouellet, elle s’avère une excellente maîtresse d’école.
Le congrès eucharistique
L’année 1949-1950 est une année d’effervescence religieuse. En effet, le
pape Pie XII a décrété 1950 une année sainte. Dans ce contexte, Mgr
Georges Courchesne, archevêque de Rimouski, décide d’organiser un
Congrès Eucharistique à Rimouski en août 1950. Ce sera un rassemblement
de prières qui devra accueillir toute la population du diocèse de
Rimouski pendant deux ou trois jours et ainsi célébrer de façon
solennelle la sainte Eucharistie.
Le supplément du Centre
St-Germain, appelé le Petit
Centre, propose des activités de prières à l’école et toute sorte
d’activités à incidence religieuse : comme faire des dessins, écrire de
courts textes sur des sujets religieux. La maîtresse nous guide à
travers ces activités qui sont fortement encouragés par le nouveau curé,
Alfred Bérubé.
Pour assurer le succès du congrès, à la suggestion de l’institutrice,
j’offre des bouquets spirituels. Il s’agit d’une liste d’actes religieux
qu’on s’engage à offrir comme x chapelets, x sacrifices, x messes, x
prières individuelles le matin ou le soir, etc. Il est probable que Dieu
n’a pas écouté mes prières parce que le congrès a été annulé à cause du
feu de Rimouski le 6 mai 1950.
Départ de Carmen
Quand Carmen a voulu abandonner l’école en sixième année, ma mère a
accepté. Elle a alors promis à sa fille de l’inscrire plus tard à
l’École ménagère de Rimouski qui est administrée par les
sœurs du Saint-Rosaire.
Après avoir préparé son trousseau, Carmen est fière de se rendre à cette
école où elle
apprend les rudiments de la tenue de maison : couture, cuisine, rôle de
la femme au foyer.
Pour notre part, cela dérange la routine de la maison. Les tâches que
l’aînée accomplissait sont alors relayées à d’autres. C’est
l’apprentissage de l’adaptation aux changements qui nous est imposé.
Novembre 1949. Les indulgences
Le 2 novembre, jour des morts, je suis avec ma mère en voiture à cheval
et nous passons devant l’église. Je vois ma tante Candide qui sort de
l’église et y entre aussitôt. J’interroge ma mère sur ce comportement.
Celle-ci me dit : « Chaque fois qu’une personne visite une église en ce
jour, elle gagne une indulgence de cinq ans. » Tante Candide était en
train de gagner des indulgences.
Comme je ne sais pas ce que cela veut dire, ma mère m’explique que même
si le péché est effacé par la confession, cela n’enlève pas la peine
temporelle due à la faute, qui se traduit par un séjour au purgatoire.
En gagnant une indulgence plénière, tante Candide pouvait penser qu’elle
éviterait le purgatoire après sa mort ou du moins y raccourcirait son
séjour.
Selon la doctrine de l’époque, tous sauf les prêtres et peut-être les
religieuses doivent passer par le purgatoire après leur mort. Ceux qui
ont cette destinée subissent de terribles souffrances afin d’être
purifiés. Mais le gain d’indulgences plénières ou partielles peut
permettre de délivrer l’âme d’un défunt ou empêcher que soi-même demeure
trop longtemps dans le purgatoire.
Finances de la famille
En septembre 1949, trois dépôts importants sont notés dans le carnet de
caisse de mon père : 130 $ le 7 septembre, 300 $ le 13 septembre et 134
$ le 28 septembre, pour un total de 564 $.
5 novembre 1949
C’est l’anniversaire de naissance de Raynald. Il a 5 ans. La veille, il
a neigé. Le voisin, Mathieu Plourde, est allé chercher ses « taurailles
» dans un enclos boisé au nord. Ses bêtes étaient devenues sauvages et
ne voulaient pas revenir à l’étable. Il fait appel à mon père et à
Gilbert qui réussissent finalement à ramener les bêtes au bercail.
Pour la fête de Raynald, ma mère lui a confectionné un gâteau. Comme les
autres, j’ai hâte que mon père et mon frère reviennent pour assister à
une petite fête. Vers 16 heures, comme ils ne sont pas encore arrivés,
nous insistons pour fêter. Ma mère va chercher le gâteau muni de cinq
chandelles. Elle allume les chandelles. Comme cadeau, Raynald reçoit un
crayon de mine, son premier crayon à lui tout seul,
lui qui ne va pas encore à l’école.
Nous dégustons notre morceau de gâteau tout en soulignant au jubilaire
que c’est son année chanceuse, 5 ans le 5 de son mois de naissance.
Décembre 1949. Finances de la famille
En 1949, les paies de beurrerie rapportent 494,73 $. À la fin de
l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de
939,99 $. Les finances s’améliorent.
Janvier 1950
Je suis impressionné par le changement de dizaines de l’année. Jusqu’à
ce jour, je n’avais connu que la dizaine 4. Ça me fait prendre
conscience que le temps avance et je me sens un peu plus vieux.
Gardiennage
Mes parents sont invités à souper chez l’oncle Timile le 6 janvier.
Comme d’habitude, mon père qui est casanier refuse de s’y rendre en
raison de ses prétendus problèmes de surdité. Toujours est-il que ma
mère décide que je l’accompagne. Il y a une raison. C’est qu’une de mes
sœurs fait du gardiennage chez le voisin de l’est. Alors, je soupe chez
l’oncle Timile. Après le repas, je vais rejoindre ma sœur. Le couple de
la maison est allé passer trois jours chez des parents à
Saint-Jean-de-Dieu et ce, en voiture à cheval.
Le gardiennage se passe bien sauf que ma sœur décide qu’elle n’aime pas
les conserves de la dame. Alors, nos repas consistent principalement en
oranges et en pommes que le couple a laissé dans un tiroir de bureau à
l’intention des enfants. Par un bel après-midi d’hiver ensoleillé, il me
semble encore voir revenir le couple dans un traîneau tiré par un cheval
en bonne forme malgré la distance parcourue.
Finances de la famille
Le 19 janvier 1950, mon père retire 139 $ en partie pour payer son terme
de terre. Il lui reste 800,99 $.
Février 1950. Un accident
Habituellement, pour aller à l’école,
il faut parcourir le trajet d’environ 750 mètres à pied matin, midi et
soir autant l’été que l’hiver et ce pendant plus de 200 jours. Il n’y a
pas de journée pédagogique à cette époque. Lors de tempêtes hivernales,
mon père attèle le cheval sur un traîneau et nous conduit le matin et
vient nous chercher le soir. Emmitouflés jusqu’aux oreilles, on
s’agglutine dans le fond du traîneau et mon père nous recouvre d’une
peau de carriole.
Un matin de tempête et de froid, ma mère demande à mon père d’aller nous
reconduire à l’école. Nous sommes quatre enfants de la famille. Devant
la grange d’After Bérubé, poussé par le vent entre les bâtisses, un
immense banc de neige s’est formé de biais dans le chemin. Le cheval
réussit à passer mais le traîneau est soulevé et se renverse. Le cheval
est emporté par la voiture et tombe. Tête première, nous sommes
catapultés dans la neige. Nous avons peur.
Heureusement,
point de mal pour personne, même pas pour le cheval.
Nous entrons chez Monsieur After pour nous réchauffer. Nous sommes un
peu craintifs d’entrer dans cette maison car on entend dire que c’est un
lieu de débauche. En effet, il est bien connu qu’on y danse très
souvent, période du carême ou pas, alors que ce loisir est formellement
interdit par l’archevêque de Rimouski.
Mon père, avec l’aide de Monsieur After, remet le traîneau en place. La
voiture et l’attelage du cheval sont en bon état. Nous retournons chez
nous. Comme c’est parfois l’habitude à l’époque, nous devons aller à
l’école le samedi suivant pour compenser la perte de cette journée.
L’institutrice fait ce travail supplémentaire tout à fait gratuitement.
Par la suite, mes parents sont plus prudents lors de grosses tempêtes de
neige. Ils nous gardent à la maison.
Lorsque le froid est trop intense ou le vent trop violent pendant
l’hiver, nous dînons à l’école. Le poêle à bois de l’école qui sert au
chauffage nous est accessible pour faire réchauffer le plat de pâtes
alimentaires préparées par ma mère. Autrement le menu est constitué de
sandwiches.
En hiver, le trajet à pied est très difficile surtout après une tempête
de neige. À l’époque,
chaque cultivateur est responsable de l’entretien de la route qui
traverse sa terre.
Personne ne ramasse la neige. Il n’y a pas de véhicule motorisé pour
faire ce travail. La neige est soit tapée par un rouleau, soit mise de
côté en infime partie par une gratte. Il faut marcher sur les roulières
que les voitures à lisses ou à patins ont durcies. Entre les deux
roulières, on peut s’enfoncer car seul le cheval y était passé.
Quand le facteur transporte le courrier en snowmobile, le trajet est
plus facile. Nous n’avons qu’à marcher sur les traces des chenilles qui
ont durci et gelé la neige.
Mais le plus pénible, c’est le froid. Marcher de reculons dans ces
chemins pour contrer le vent n’est pas de tout repos. Sans compter
l’habillement qui n’est pas toujours adéquat et ce, surtout pour les
filles qui n’ont pas le droit de porter des pantalons. Arrivés à
l’école, il n’est pas rare d’avoir des engelures aux pieds mais aussi
aux cuisses. Après quelques minutes à se réchauffer auprès du poêle à
bois, le tout revient dans l’ordre et on oublie.
Pendant l’hiver, nous portons des robeurs qu’on appelle parfois gobeurs
(probablement de la marque de commerce
gober). Ce sont des bottes en
caoutchouc noir assez épais et dur, de la forme de bottes de
construction. Elles sont achetées au magasin général. Elles n’ont pas de
semelle. Même avec deux ou trois paires de bas, nous avons les pieds
gelés car la botte s’imprègne rapidement du froid et devient rigide
comme si le caoutchouc allait casser. Comme nos pieds grandissent
rapidement, il faut diminuer le nombre de paires de bas. Ayant toujours
été fragile des pieds, je suis souvent malade.
Travaux sur la ferme
Pour certains, selon l’âge et les saisons, s’ajoutent avant et après
l’école des tâches routinières comme aller chercher et reconduire les
vaches, les traire, faire l’entretien de l’étable, rentrer le bois de
chauffage, faire des commissions chez les voisins, etc.
J’ai beaucoup participé aux travaux des champs. Par contre, j’ai peu
exécuté de tâches dans l’étable. Je n’ai jamais tiré (trait) une vache.
J’ai soigné à l’occasion les porcs, les vaches et les chevaux mais
rarement. Par ailleurs, le travail dans la maison n’était pas exigé des
garçons. C’étaient les filles qui occupaient ces rôles.
Construction de chambres
En 1950, mon père décide de diviser la grande pièce du haut du corps
principal en quatre chambres. Il défait l’escalier qui conduit au
grenier à partir de la cuisine. Il construit un nouvel escalier qui part
du salon et qui, de ce fait, réduit la taille du salon. Cela n’a pas de
conséquence, car le salon est très peu utilisé. Il sert principalement à
recevoir la visite du curé et antérieurement à recevoir des visiteurs
importants.
Ma chambre
Avec Pierre et le cousin Gilles, je partage une chambre. Chacun a son
lit simple sur lequel ma mère a installé une paillasse. Celle-ci est
formée d’un grand sac fait de tissus de poches de farine ou de sucre
dans lequel est enfouie de la paille soyeuse prise sur le fenil et qui
fait office de matelas. L’oreiller est fait de plumes provenant des
poules.
Avec le temps, la paille s’effrite et se foule. Deux ou trois fois par
année, il est donc nécessaire de vider le sac et de l’emplir à nouveau.
Il peut arriver qu’une petite souris par inadvertance soit enfermée dans
la paillasse et grouille pendant la nuit. Le choix de la paille est
important. Les fétus les plus larges et les plus consistants doivent
être retenus. Lors de cette opération, nous en profitons pour monter sur
le tas de paille et pour y glisser. Cela procure des sensations très
agréables.
Comme à la longue, la paille a tendance à rejoindre les bords du sac, en
faisant le lit, on doit s’assurer de répartir à nouveau son contenu.
Pendant un bout de temps, la senteur est agréable. Mais si, par malheur,
il nous arrive de faire pipi au lit, ce qui est assez fréquent surtout
l’hiver à cause du froid, la paille dégage une senteur spéciale. Ce qui
est moins agréable, c’est lorsque pendant la nuit, des brins de paille
se faufilent hors de la paillasse et nous piquent.
Dans la chambre, il y a un bureau à trois tiroirs. Chaque tiroir est à
peu près vide : 2 ou 3 paires de bas tricotées par ma mère, 2 ou 3
camisoles de laine également tricotées par ma mère, 2 ou 3 chemises. On
peut y déposer de menus objets personnels. Je me souviens d’y avoir
déposé des pommes que j’allais ramasser par terre dans le jardin en
septembre lors des nuits de grand vent. C’est l’endroit approprié pour
déposer sa médaille scapulaire qu’on reprend les dimanches et les jours
de fête.
Au mur, il y a un crucifix et un bénitier. Ma mère nous recommande de
faire une courte prière devant le crucifix avant de se coucher. Celle-ci
consiste à remercier Dieu pour la journée que nous venons de vivre. Elle
nous suggère de terminer par un signe de croix après avoir trempé nos
doigts dans l’eau bénite. En réalité, nous ne le faisons que très
rarement sauf si nous avons une faveur à demander au Seigneur.
Comme l’électricité n’est pas encore installée, il n’y a pas de prise au
mur ni d’ampoule. On se couche généralement avant que la noirceur tombe.
Sinon, on se rend à la chambre dans l’obscurité sans aucun éclairage.
Je n’ai jamais pensé aller lire dans cette chambre. Quand je lisais, je
m’assoyais dans une chaise berçante de la cuisine à travers le brouhaha
des autres membres de ma famille. J’entendais parfois des remarques
comme celle-ci provenant de Pierre : « Il est encore en train de lire. »
La chambre ne sert pas de refuge. Elle est uniquement un endroit pour
dormir. Nous n’avons aucun coin d’intimité ; mais cela ne nous préoccupe
pas.
À la même époque, est installée une fournaise à bois dans la cave avec
une grille qui laisse passer la chaleur dans la salle à manger et, par
ricochet, dans les chambres.
Nouvelles fonctions du grenier
Désormais, le grenier sert comme espace de rangement : meubles amochés,
boîtes de vieux linges, poches de farine et de sucre blanc de 100
livres, agrès divers, séchage du linge et même séchage de peaux de
petits gibiers. Il y a parfois plus d’une poche de sucre blanc dans
cette pièce. Cela arrive quand des rumeurs circulent à l’effet que le
prix du sucre va augmenter.
Comme la substance est soumise aux fluctuations boursières,
les clients comme mes parents se bousculent alors pour en faire des
provisions : ce qui amène la rareté de cette substance et fait, on
l’aura deviné, augmenter son prix.
L’électricité
Il n’y a pas encore d’électricité dans le rang 5 de
Saint-Mathieu-de-Rioux. Peut-on imaginer comment on peut vivre sans
cette énergie ? Pas de toilette dans la maison. Les pots de chambre font
l’affaire. L’été, nous fréquentons une bécosse à l’extérieur de la
maison. Pas de bain ni de douche. Pas d’eau courante, une pompe à bras
pour faire couler l’eau nécessaire à l’alimentation et à l’hygiène, une
radio dont la batterie est épuisée, pas de fournaise, un poêle à bois
pour faire cuire les aliments, réchauffer l’eau et chauffer la maison.
Pas de lampes électriques, à la place une lampe à l’huile et des
chandelles pour s’éclairer et faire ses devoirs après le souper. Un
fanal portatif pour l’étable. Pas d’appareils électriques comme un
grille-pain. Les rôtis se font sur le poêle à bois. Bref, c’est une vie
au ralenti qui est soumise aux aléas de la clarté du jour.
Ma mère n’est plus capable de supporter la situation. Un bon dimanche,
après la messe, elle va voir le maire de Saint-Mathieu, Onésime Dionne,
qui est en même temps le préfet du comté de Rimouski. Elle lui signifie
que, si l’électricité n’est pas installée dans le rang, elle songe à
quitter la terre du cinquième et que d’autres pourraient faire de même.
Le maire qui a beaucoup d’égards envers ma mère fait des démarches
auprès de la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent qui appartient à
Jules-A. Brillant, un industriel très prospère à Rimouski.
Plus tard dans la saison, un employé de la compagnie visite toutes les
maisons du rang en leur faisant une proposition. Chaque cultivateur doit
accepter de laisser passer gratuitement la ligne électrique sur sa
terre. Il doit verser 100 $ pour les frais de construction de la
nouvelle ligne. En plus, il doit creuser lui-même les trous pour planter
les poteaux en bois sur sa terre.
Tous acceptent et les travaux commencent. À l’automne, je me souviens
d’avoir vu mon père creuser deux trous aux emplacements qu’on lui avait
indiqués. Un poteau muni d’un transformateur est planté dans le jardin
familial et l’autre au milieu d’un champ où mon père semait les patates.
Il n’était pas question de s’opposer à l’utilisation de fils d’acier qui
servent d’ancrages pour solidifier les poteaux et qui prennent un espace
embarrassant.
19 mars 1950. Accident évité
Dans ces années-là, le 19 mars est un jour religieux férié. C’est la
fête de saint Joseph, l’époux de Marie, qui est reconnu comme le patron
des travailleurs manuels. Il est aussi le patron de plusieurs pays dont
le Canada.
Les deux premiers des sept commandements de l’Église énoncent : « Les
fêtes tu sanctifieras, qui te sont de commandement » et « Les dimanches,
messes entendras et fêtes pareillement ». Dans la pratique, le 19 mars
est un jour qui comporte les mêmes obligations que le dimanche :
assister à la messe et s’abstenir des œuvres serviles c’est-à-dire
certains travaux auxquels le corps a plus de part que l’esprit. Ne pas
satisfaire ces obligations sans raison sérieuse est un péché mortel.
Le 19 mars de cette année-là, mes parents sont allés à la messe avec
deux ou trois enfants. Je ne suis pas du voyage. À leur retour, en
montant la dernière côte, celle appelée côte à Joseph, mon père marche
derrière le traîneau tiré par un cheval. Soudain, en haut de la côte
surgit un engin sur chenilles. C’est la voiture utilisée par le facteur
Jos Jean pour distribuer le courrier aux maisons. Cette voiture
fonctionne comme un snowmobile mais n’a pas de toit.
Le véhicule motorisé manque de frein, se met à zigzaguer et prend de
plus en plus de vitesse. Heureusement, l’homme aux commandes réussit à
éviter le traîneau de mes parents. Je n’ose pas imaginer ce qui serait
arrivé si l’engin avait frappé le cheval de plein fouet.
Arrivée à la maison, ma mère nous raconte l’événement en tremblotant.
Pendant quelques années, ce souvenir revient à tous les 19 mars.
La sécurité
Il est étonnant que personne de notre famille ne fût blessé de façon
importante lors des travaux de l’étable et des champs. Il y aurait eu
1000 occasions de vivre ces malheurs. Que ce soit la fourche qui
emplissait le voyage de foin et qui aurait pu malencontreusement atteint
un bras ou même la figure. Que ce soient les vaches qui, lors de la
traite, auraient pu ruer de façon énergique. Que ce soient les chevaux
quand on les faisait boire et qu’il fallait entrer dans leur crèche.
Que ce soit, lors des voyages à l’église, où les chevaux devaient
cohabiter avec les automobiles et les camions. Que ce soient les ours
quand nous allions aux fraises ou que nous allions porter le dîner de
mon père en passant dans la forêt. Que ce soient les glissades en
toboggan ou en traîneau. Que ce soit le bœuf qu’on devait écarter pour
ne pas qu’il vienne à l’étable pour la traite des vaches. Que ce soient
les jeunes veaux à qui on apportait des chaudières de lait et qui
avaient tendance à foncer sur nous, plutôt par jeu. C’étaient autant
d’occasions où le danger était réel.
Le courrier
C’est toujours un plaisir de voir passer le postillon en avant-midi du
lundi au vendredi. Chaque propriétaire de ferme a soin de se fabriquer
ou de se procurer une boîte à malle qui peut résister aux intempéries.
Il place cette boîte sur un poteau d’environ quatre pieds devant la
maison. Il inscrit son nom sur un côté de la boîte qui est pivotante.
Quand le postillon passe, il y dépose le courrier, mais aussi il prend
le courrier d’envoi.
En repos et sans courrier, la boîte est parallèle au chemin. Quand une
personne y dépose une lettre, par exemple, elle tourne la boîte
perpendiculaire au chemin. Si le postillon n’a pas de courrier pour
cette personne, il prend l’envoi et tourne la boîte parallèle au chemin.
Au contraire, si cette personne a du courrier, le postillon le dépose et
laisse la boîte dans sa position.
Quand ma mère désire acheter des timbres, elle met de l’argent dans une
enveloppe en indiquant le nombre désiré de timbres. Ceux-ci arrivent le
jour suivant. Quand ma mère veut poster un colis, elle le place dans la
boîte. Le lendemain, la facture des timbres arrive. Ma mère met le
montant dans une enveloppe qui est retournée au bureau de poste.
Cirage de chaussures
Ce matin-là, je suis réveillé comme d’habitude par ma mère. Avant de
partir pour l’étable, elle me dit : « Tu vas cirer tes souliers de cuir.
Ils sont vraiment éraflés. » Même si je n’ai jamais vu comment on fait,
je m’en doute. « C’est simple, me dis-je, il faut étendre la cire sur
ses souliers. C’est exagéré de dire que j’en ai mis un pouce, mais j’ai
étendu une bonne couche. J’en étais fier.
Quand je montre mes souliers à ma mère, elle n’est vraiment pas
contente. Elle me dit : « C’est du vrai gaspil. Tu vas prendre un
couteau et tu vas enlever cette couche et la remettre dans le contenant.
Puis, tu vas prendre un linge et polir tes souliers. » J’ai ainsi appris
à la dure comment cirer des chaussures.
12 avril 1950. Une triste nouvelle
Je demeure à la maison parce que j’ai la grippe. D’ailleurs, je suis
très souvent malade. Les froids d’hiver finissent par me mettre au lit.
De plus, j’attrape tous les microbes qui circulent à la maison et à
l’école. Je suis convaincu, même si je vois le contraire, que nous
sommes malades la moitié du temps. Mon état de santé peut se résumer à
cette phrase que j’avais dit à ma mère quelques années auparavant :
« Moi, je suis toujours malade. »
Vers dix heures de l’avant-midi, je suis assis dans la cuisine.
J’entends au loin le moteur du snowmobile qui sert à distribuer le
courrier dans les rangs. Je me lève pour le voir passer. Surprise, le
véhicule s’arrête, mais pas pour le courrier. L’oncle Georges Théberge
en descend. Nous sommes nerveux de le voir arriver. Il doit sûrement
avoir une raison importante pour qu’il se déplace. Il faut dire que le
téléphone n’existe pas au rang 5.
L’oncle Georges se met à parler de choses et d’autres. À un moment
donné, ma mère l’interroge sur la raison de sa visite. Après bien des
détours, il finit par annoncer que tante Adrienne Théberge, l’épouse
d’Antonio, frère de ma mère, est décédée en accouchant. Ma mère est
désolée. Le couple a neuf enfants : huit filles et un garçon. La plus
vieille n’a pas encore 11 ans. Il manque trois semaines à la petite
dernière pour avoir un an. Quand le snow revient du bout du rang, mon
oncle Georges retourne au village.
Quelques jours plus tard, ma mère prend charge de
Gilles, le seul garçon
du couple. Il est le filleul de mes parents et comme le veut la
tradition, le parrain et la marraine ont une certaine responsabilité sur
l’éducation et le bien-être de ces enfants. Il a alors cinq ans et neuf
mois. Il demeure sept ans avec nous autres. Comme j’ai près de neuf ans
lors de sa prise en charge, je le côtoie moins. Mais, nous nous
chicanons assez souvent. De son côté, il se sent protéger par ma mère.
Elle lui laisse passer des frasques qu’elle ne tolère pas pour nous.
Cela nous met en rogne et nous incite à l’escalade pour que finalement
ma mère se rende compte qu’elle n’applique pas la même justice.
Je reproche souvent à ma mère d’héberger Gilles en lui disant qu’il
gâche notre enfance. Un soir, par exemple, nous nous couchons vers 19
heures. Je m’endors rapidement. Gilles qui a son lit dans la même
chambre que moi se lève, prend le bénitier fixé au mur de la chambre et
me vide le contenu dans une oreille. Je suis en furie, sans compter que
son acte aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour mon oreille.
Gilles nous dit souvent que plus tard, lui, il vivra en ville et que
nous, nous sommes condamnés à la campagne. Cela me choque parce que,
personnellement, mon choix est fait depuis longtemps : je vivrai en
ville plus tard. Quand il se sent en mauvaise position, il répète tout
ce qu’on dit et ceci, sans arrêt. Là-dessus, on ne peut jamais gagner.
Il est d’un tel entêtement qu’il ne cède jamais. Si on court après lui,
c’est la même chose. Il peut parcourir des kilomètres sans jamais
s’arrêter. D’ailleurs, il est très rapide.
C’est surtout Pierre et Raynald qui doivent vivre avec lui
quotidiennement puisqu’en termes d’âge, il est entre les deux. De temps
en temps, mon oncle Antonio, son père et gérant du magasin coopératif,
vient le voir. Parfois, il apporte un gallon de crème glacée.
6 mai 1950. Feu de Rimouski
C’est un samedi après-midi très venteux. Après
le souper, Madame Élisa, la deuxième voisine à l’ouest, vient visiter ma
mère. Je marche avec elles sur le chemin non asphalté devant la grange
quand je reçois un grain de sable dans un œil : tout un mauvais présage.
Le ciel est couvert. Le vent souffle à plus de 90 kilomètres à l’heure.
Du cinquième rang de Saint-Mathieu, vers l’est, on voit des nuages
grisâtres ressemblant à de la fumée.
Il se passe sûrement quelque chose d’anormal. Comme les nuages grisâtres
prennent de plus en plus d’ampleur, ma mère et sa voisine pensent qu’un
feu s’est déclaré à Bic ou à Rimouski. Même à bonne distance, on ressent
une atmosphère d’apocalypse.
Maman est inquiète parce que sa fille Carmen étudie à l’École ménagère
de Rimouski.
À ce moment, la télévision n’existe pas encore au Québec, l’électricité
et le téléphone ne sont pas encore arrivés dans le rang. Comme moyen de
communication, il y a bien la radio, mais la batterie de l’appareil est
épuisée depuis longtemps. Nous avons hâte à la messe du dimanche pour
savoir ce qui se passe du côté de l’est.
Arrivés chez mon oncle Georges au village, celui-ci nous informe qu’une
partie de la ville de Rimouski a été incendiée. Il nous raconte que,
vers 18 h, le vent soufflant à 100 kilomètres à l’heure a fait tomber un
poteau qui supporte une ligne électrique près du pont. Le feu a pris
dans des cages de bois de sciage
entassées dans la cour de la compagnie Price, tout près du moulin de
cette compagnie.
Pas longtemps après, le feu a traversé la rivière Rimouski et a brûlé de
nombreuses maisons. Même la
structure de bois du seul pont traversant la rivière Rimouski a été
consumée si bien qu’il n’est plus possible d’entrer à Rimouski par la
route habituelle. De Saint-Mathieu, la seule possibilité est de passer
par Trois-Pistoles et par Lac-des-Aigles, ce qui constitue un détour
considérable.
Le feu s’est arrêté à la Cathédrale. Le Séminaire a brûlé en partie : ce
qui m’inquiète parce que je rêve d’aller étudier là un jour. La moitié
de la ville de Rimouski a brûlé ; mais l’école de
Carmen a été épargnée.
Ils ont accueilli de nombreux sinistrés. Pour nous, ayant appris que le
Congrès Eucharistique est annulé, l’année de prières se termine.
En juin, ma mère demande à un chauffeur de taxi de Saint-Mathieu d’aller
chercher Carmen à Rimouski. Arrivé à l’École ménagère, l’homme va voir
la Supérieure et lui dit : « Madame Jean veut que sa fille revienne à la
maison. Je suis venu la chercher. »
La supérieure est surprise. Carmen doit abandonner son cours pour venir
aider ma mère qui n’en peut plus : de neuf ans et moins, nous sommes
sept enfants, si on compte Gilles et sa sœur Simone. Alors, ça brasse un
peu !
Dans les semaines qui ont suivi le grand feu, quelques camions remplis
de prélart, de tapis et d’appareils électriques passent dans le rang en
vue de la vente. La rumeur est à l’effet qu’il s’agit de marchandises
acquises par vol ou par recel. Autrement, peut-être s’agit-il simplement
de biens qui ont été épargnés par le feu et qui sont considérés
invendables par les assurances ? Ma mère se fiant à la bonne foi des
vendeurs en profite pour acheter du prélart à bon prix en vue de
recouvrir le plancher de quatre chambres nouvellement aménagées au
deuxième étage de la maison familiale.
Visite de l’inspecteur
Annuellement, deux personnages importants nous visitent à l’école. Le
premier est le curé de la paroisse. Sa présence n’intimide pas
l’institutrice et on le sent. Il vérifie nos connaissances religieuses
et repart sans faire de rapport à qui que ce soit.
Le deuxième visiteur impressionne grandement l’institutrice. Il vérifie
la propreté de l’école, le mobilier, les progrès des élèves, les livres
de classe et le journal de classe de l’institutrice qui doit être rempli
à chaque jour d’école. Le journal de classe indique le temps consacré à
chaque matière et les notions enseignées, de même que des remarques
relatives aux élèves comme l’assiduité et la bonne conduite. Les
résultats de cette visite font partie d’un rapport qui sera présenté aux
commissaires d’écoles lesquels procèderont ou non à son réengagement.
L’institutrice nous prévient des semaines à l’avance de cette visite.
Elle nous indique qu’il faut s’habiller plus proprement que d’habitude.
Elle nous montre à dire : « Oui, monsieur l’inspecteur » ou « Non,
monsieur l’inspecteur ». Elle nous fait revoir les notions les plus
élémentaires sur lesquels l’inspecteur avait déjà questionné lors de ses
visites précédentes dans son école ou ailleurs. Quand le jour mémorable
arrive, elle est très nerveuse craignant qu’un de ses élèves lui fasse
honte ou qu’elle-même ne puisse pas répondre aux questions de
l’inspecteur.
Cette année-là, je reçois un livre de l’inspecteur. Il est intitulé À
la poursuite d’un chapeau. Il a été publié en 1932 et son auteure
est Adèle Bourgeois qui écrit sous le nom de plume Mme A. B. Lacerte.
C’est un livre de contes. J’ai relu dernièrement le premier conte, celui
qui a donné le titre au livre, et j’ai ressenti en un moment les mêmes
émotions que j’avais eu quand, gamin, je l’avais lu.
Voici ce qu’on peut lire dans le premier paragraphe :
« Dans la catholique province de Québec, jadis, quand un prêtre passait
dans les rues d’une ville, portant sur lui le Saint Viatique, un enfant
l’accompagnait, en sonnant une clochette. Au son argentin de cette
clochette, chacun, chez soi, se disait : « C’est le bon Dieu qui passe !
» On cessait de travailler et on se mettait à genoux pour réciter une
courte prière, afin de recevoir la bénédiction du bon Dieu. Ceux qui
étaient dans les rues s’arrêtaient un moment, eux aussi ; les femmes
inclinaient la tête et joignaient les mains, les hommes enlevaient leurs
chapeaux et les enfants cessaient de jouer pour s’agenouiller et faire
le signe de la croix. Quiconque eût omis de reconnaître, par quelque
signe extérieur, le passage du Saint Viatique, eût été sûrement montré
du doigt. »
Dans les années suivantes, à chaque visite de l’inspecteur, j’ai reçu au
moins un livre. Voici les titres dont je me souviens : Voyage au
centre de la terre de Jules Vernes, Charmants voisins, de
Claude Mélançon,
Une de perdue, deux de trouvées
de Georges Boucher de Boucherville. Ce dernier livre est
composé de textes remaniés d’environ 45 mots qui apparaissent sous une
illustration.
À la maison, il y a peu de livres. À part ceux donnés par l’inspecteur,
il y a des missels dominicaux,
le journal
l’Action catholique, La Terre de Chez-Nous, le
Centre St-Germain et de temps
à autre des documents préparés à l’intention des cultivateurs. Un peu
plus tard, les cahiers de la Bonne chanson de Charles-Émile Gadbois vont
venir nous ravir.
Une nouvelle pancarte
De temps à autre, mon tour arrive d’aller à la grand-messe le dimanche.
Ce jour-là, j’ai une surprise. À l’entrée du village du côté est, trône
une nouvelle pancarte sur laquelle on a écrit « Saint-Mathieu ».
Je suis profondément frustré. Je me dis : « Et nous du cinquième rang,
nous ne faisons pas partie de Saint-Mathieu ». C’est une critique qui me
vient rapidement à l’esprit. C’est probablement la première fois que
j’ose porter un jugement par moi-même dans une situation inédite. Je
n’en parle pas à mes parents parce que je ne suis pas certain si j’ai le
droit de critiquer une décision prise par des adultes. Pourtant,
j’estime que la frontière de la paroisse n’est pas à l’entrée du village
et qu’on aurait dû écrire « Village de Saint-Mathieu ».
Juin 1950. Mon père sème
Après avoir lu les bandes dessinées du journal l’Action catholique,
je m’approche de la fenêtre du nord. Je vois mon père en train de semer
de l’avoine dans le clos face à la maison.
Je suis surpris de voir que mon père répand les grains à la main. Je me
dis : « Il me semble qu’il devrait y avoir des instruments pour
effectuer cette tâche. » En même temps, je me rappelle le texte du
semeur de l’évangile que nous avions appris à l’école où Jésus disait :
« []Un
semeur sortit pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés au
bord du chemin, et les oiseaux, étant venus, ont tout mangé. Mais,
d'autres sont tombés sur de la bonne terre et ils ont donné du fruit au
centième. »
J’espère alors que la récolte soit centuplée. En même temps, je me
demande comment mon père fait pour répartir les grains de blé d’une
façon convenable. Quand mon père se rapproche de la maison, je constate
qu’il ne sème pas avec ses mains, mais qu’il a une curieuse poche en
bandoulière sur une épaule.
La poche de ce semoir est de couleur blanche tirant sur le gris et elle
est de toile assez épaisse. Sur le haut, une fermeture éclair boucle la
poche. Sur le bas, il y a une bande de métal qui fait la largeur de la
poche. Sur cette bande est attachée une manivelle. Il s’agit pour mon
père de tourner la manivelle, tout en se déplaçant de façon ordonnée
pour couvrir l’ensemble du sol.
Juillet 1950. Mon petit camion
Deux ans plus tôt, ma marraine m’avait donné un petit camion vert
fabriqué en un matériau qui ressemble à du plastique. C’est le premier
jouet de ma vie que je recevais. Ma mère me conseille alors de le garder
propre, selon son expression, et donc de ne pas jouer avec lui. Je le
mets dans une armoire au mur qu’on appelle pharmacie et qui est placée
face à la porte de la cave. Il est donc flambant neuf.
Cet été-là, je découvre que mon camion n’est plus dans la pharmacie. Je
parle de cette disparition à ma mère. Elle m’avoue qu’elle l’a donné à
un de ses filleuls comme cadeau d’anniversaire. Je suis très frustré et
j’ai beaucoup de peine. Je pleure abondamment. Je reproche à ma mère
d’avoir pris, sans m’en parler, ce jouet qui a une si grande valeur pour
moi. C’est le seul et dernier jouet que j’ai eu en cadeau.
Août 1950. Visite à St-Fabien
Depuis un bout de temps, tante Arthémise Jean invite mes parents à venir
prendre un repas. Cette tante est la sœur de mon père. Elle est mariée à
Vital Roy et elle demeure à Saint-Fabien à l’extrémité est du village.
Mon oncle Vital y cultive une terre. En août 1950, mes parents décident
d’accepter l’invitation et m’amènent avec eux.
Après le dîner, je sors dans la cour devant la maison. Je suis estomaqué
de constater à quelle vitesse circulent les automobiles sur cette route
asphaltée. En réalité, elles ne roulent pas à une vitesse excessive.
C’est que je suis habitué à la route du rang 5 qui est non asphaltée et
qui est très peu fréquentée étant donné que personne de ce rang à l’est
ne possède encore un véhicule motorisé.
Avant de quitter, ma mère en profite pour s’informer si tante Arthémise
a des nouvelles de son frère Antoine.
Qui est l’oncle Antoine Jean ?
Il naît à Saint-Mathieu-de-Rioux le 8 octobre 1903, soit un an et demi
avant mon père. Sa mère a 35 ans et son père 58 ans. Sa mère décède
quand il a six ans. Elle laisse 11 orphelins : huit filles et trois
garçons. Adélia, la plus vieille, a 16 ans. Elle prend la relève avec un
père qui a alors 65 ans.
À l’âge de 14 ans, son père, étant septuagénaire, Antoine devient le
soutien de famille. Il est engagé au
Il se réfugie à Montréal probablement en pensant y trouver une vie
meilleure. La lune de miel ne dure pas longtemps. Il travaille quelques
années, puis devient itinérant, clochard comme on dit à l’époque.
Il a un frère et deux sœurs à Montréal. Pourtant, il ne veut pas les
fréquenter. Un jour, il écrit à mon père pour avoir de l’argent. Ma mère
lui en envoie. Quelques mois plus tard, il fait une nouvelle demande. Ma
mère va voir le curé pour demander conseil. Ce dernier lui dit de
refuser. Ce qu’elle fait. Le lien ténu est coupé. Jamais il ne reviendra
à Saint-Mathieu. Pourtant, il aurait été très bien reçu, probablement
comme l’enfant prodigue.
Au début des années 1980, une de mes sœurs a déniché une photo datée de
1922 où on voit les trois frères Léo, Antoine et mon père dans l’ordre
accompagnés de Vital Roy en avant (voir ci-contre). C’était lors du
mariage de ce dernier avec Arthémise Jean, leur sœur. Enfin, je voyais
mon oncle Antoine pour la première fois.
5 septembre 1950. Rentrée scolaire
J’entre en quatrième année avec à nouveau Bibiane Jean, comme
institutrice. Je suis toujours seul dans mon degré. Je continue à
économiser des sous que j’apporte à l’école et qui sont enregistrés dans
mon carnet de la Caisse Populaire de Saint-Mathieu. L’institutrice porte
les sous à la Caisse Populaire où Gérard Ouellet, le cousin germain de
ma mère, est le gérant.
Les petits chinois
Nous continuons aussi à acheter des petits chinois. À mon école de rang,
il en coûte 13 cents pour en adopter un ou deux pour 25 cents.
On nous remet alors une image sur laquelle on peut inscrire le prénom de
baptême de l’enfant qu’on veut faire entrer dans l’Église catholique.
Évidemment, on lui donne un prénom français. C’est une expérience
unique. À 8 ou 9 ans, réussir à acheter son propre enfant et lui assurer
le salut éternel me donnent des frissons. En même temps, nous devenons
parrain ou marraine de cet enfant. Quelle responsabilité !
L’institutrice nous disait alors que la Chine était située vis-à-vis de
nous et que si, on creusait un immense trou dans la terre, on aboutirait
dans ce pays. On faisait des gorges chaudes : « Pourquoi ne pas leur
faire passer les sous par ce trou ? »
D’où me viennent les sous ? Je ne me souviens pas que, dans mon enfance,
j’aie acheté des friandises. Nous avons chacun une tirelire et chaque
sou gagné à gauche ou à droite y est entreposé. Si le montant requis
n’est pas atteint pour acheter un petit Chinois, on demande à nos
parents de combler le tout. Si nous n’avons pas les 13 sous, nous
pouvons placer quelques sous dans une petite boîte en carton sur le
bureau de l’institutrice.
On ne sait pas vraiment ce qui est fait avec l’argent. L’institutrice
nous dit qu’il est remis à des missionnaires qui veulent sauver les
petits chinois de la géhenne du feu et les faire entrer dans la belle
religion catholique, la seule religion qui va permettre d’aller au ciel.
Cette réponse me déçoit parce que, dans ma tête d’enfant, le petit
Chinois acheté m’appartient et c’est pour son aisance matérielle que
j’accepte de donner.
Comment gagner le ciel
De notre côté, pour gagner le ciel, il y a des tas de choses à faire
comme la prière, le don de soi, la privation, le respect du bien commun,
l’observation des commandements de Dieu et de l’Église. Il y a des tas
de choses à ne pas faire, comme les sept péchés capitaux : l’avarice,
l’impureté, l’envie, l’orgueil, la gourmandise, la colère, la paresse.
On n’a pas droit aux péchés mortels. Seuls les véniels sont acceptables
et encore.
25 décembre 1950. Messe de minuit
Enfin, je vais à la messe de Minuit. C’est une messe qui est célébrée
dans l’église avec beaucoup d’éclat et qui commence à minuit dans la
nuit du 24 au 25 décembre.
Un peu avant 11 heures le 24 décembre, mon père attelle un cheval sur la
sleigh à patins, une voiture réservée aux dimanches et dont les
brancards sont munis de clochettes. Nous partons aussitôt. Habillés
proprement et bien emmitouflés sous une peau d’ours, le cœur est à la
fête. Le trajet d’aller au village dure 30 ou 35 minutes. Le temps est
calme et froid, pas de vent et un ciel rempli d’étoiles. Avec les
clochettes qui ne cessent de résonner, le crissement des patins sur la
neige, les arbres tapis dans l’ombre qui semblent nous saluer et les
étoiles qui voltigent dans le ciel, c’est féerique.
Le temple paroissial est rempli à pleine capacité. Il y a non seulement
les habitants de la paroisse mais des anciens qui viennent fêter avec
leur famille. On doit assister à deux messes. La première est chantée
comme celle du dimanche et dure pas loin d’une heure. La seconde est une
messe basse et, probablement ressentant l’anxiété des participants, le
curé Alfred Bérubé augmente le rythme. Pourquoi deux messes ? En ce
temps-là, tout prêtre devait célébrer trois messes à Noël, la troisième
étant en matinée.
Après la messe, ma mère me donne un sou pour me récompenser d’avoir été
sage et m’amène devant la crèche de Noël.
Comme les autres, je dépose mon sou dans le Jésus mécanique. Ce dernier
penche la tête pour me remercier. J’en suis ravi.
Pour moi, c’est le premier geste d’interactivité que j’observe.
Le retour à la maison prend autour d’une heure à cause des côtes qui
sont principalement montantes. Due à la fatigue, la féerie s’est
estompée. Toutefois, le trajet me paraît court parce que je dors tout le
temps.
À la maison, c’est le réveillon. Habituellement, ma mère prépare un
six-pâtes, des pâtés à la viande, des croquignoles, des tartes, des
gâteaux au chocolat, etc. En vue des Fêtes, mon père avait tué un bœuf
et un porc. C’est enivrant de voir toutes ces victuailles s’accumuler
dans le tambour.
Quand le goûter est terminé, c’est la distribution des cadeaux. Chacun a
droit à un seul cadeau et, la plupart du temps, il s’agit de bas de
laine, de tuques, de mitaines et différents autres vêtements, le tout
confectionné par ma mère avec grand cœur.
Cette nuit de Noël a été probablement la nuit la plus courte et la plus
intense en émotions de toute cette année.
31 Décembre 1950. Finances de la famille
En 1950, les paies de beurrerie rapportent 377,53 $. L’année 1950 n’est
pas très bonne pour les finances de la famille. Le 9 décembre 1950, un
retrait de 239,70 $ est effectué et le 20 décembre, un autre de 330 $.
Au 31 décembre, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire
est de 275,35 $. L’année se termine avec une baisse importante du
surplus par rapport aux années antérieures. Cette année-là, la famille
est constituée de 9 enfants dont 4 vont à l’école. L’aînée étudie à
l’École ménagère de Rimouski. L’aîné travaille sur la ferme.
En 1950, le prix du porc a chuté dramatiquement, si bien qu’après avoir
retiré 125 $ le 15 janvier 1951 de son compte de Caisse pour payer le
terme de la terre, il ne reste à mon père que 150,35 $.
Janvier 1951. L’électricité
Suite aux démarches du maire, l’infrastructure pour acheminer
l’électricité au rang 5 est en place. Des techniciens visitent chaque
ferme pour installer le filage pour la lumière et en même temps quelques
prises de courant. Pour la maison et la grange, cette installation
coûtent 239,70 $ alors qu’un paquet de tabac se vend 20 sous. Mon père
en profite pour planter un poteau en face de la grange pour y placer une
ampoule de 100 watts.
Tout est prêt sur la ferme, mais nous ne sommes pas encore reliés à la
centrale électrique. Un bon jour, notre voisin, Monsieur Ernest, vient à
la maison et demande à ma mère si elle a l’électricité. Celle-ci répond
dans la négative. Alors, il lui dit : « Levez le commutateur sur le
mur. » La lumière était arrivée ; même celle du poteau s’allumait à
partir de la maison. D’ailleurs, ma mère a longtemps parlé de la lumière
au lieu de l’électricité.
Au début, l’énergie électrique ne sert qu’à éclairer à la maison et à la
grange. Avec la venue d’un appareil radio électrique, la vie vient de
changer. Des voix extérieures et de la musique se font entendre dans la
maison. Le premier achat est celui d’une radio qui coûte 45,90 $. Le
compte d’électricité de juin 1951 est de 2,55 $ et celui de décembre de
3,37 $. Mes parents vont apprendre peu à peu gérer les mensualités qui
vont sans cesse se diversifier.
En février de l’année suivante, une « crise » de verglas frappe la
région. Plusieurs poteaux tombent. Nous sommes peinés de ne plus pouvoir
écouter temporairement la radio. Pour le reste, la vieille lampe à
l’huile et les chandelles reprennent du service. Comme nous n’avons pas
encore d’autres appareils électriques, les conséquences sont réduites.
L’électricité est rétablie au bout de trois ou quatre semaines.
Les biscuits cachés
Cet hiver-là, ma mère accepte d’héberger deux pensionnaires :
Louis-Jacques Beaulieu et Omer Ouellet. Ces deux hommes ont obtenu un
contrat de bûchage sur les lots boisés du Lac-Boisbouscache. Ils
arrivent le lundi matin avec des victuailles pour la semaine. Il y a
toujours une grosse boîte de biscuits.
Les deux bûcherons se lèvent tôt le matin et déjeunent. Pour le midi, ma
mère leur prépare un lunch. Ils reviennent pour le souper. Ma mère puise
à même leurs provisions pour préparer le souper. Mais, ils ne trouvent
aucune trace des biscuits dans le menu.
Ma mère cachait la boîte de biscuits sous son lit. Nous finissons par la
découvrir. Alors, à la dérobée, nous subtilisons des biscuits que nous
dégustons avec plaisir. On pense que ma mère s’en rend compte, mais elle
ne dit mot. Nous considérons donc ce silence comme une forme
d’approbation si bien que la culpabilité disparaît peu à peu.
Quelques semaines plus tard, ma mère demande aux deux pensionnaires
s’ils trouvent curieux de ne jamais voir les biscuits. Ils répondent par
l’indifférence. Ils se rendent compte que, pour dessert, ma mère leur
prépare des gâteaux et des tartes et, à l’occasion, leur sert des fruits
comme des fraises en conserve. Elle leur avoue alors : « Ce sont mes
enfants qui mangent les biscuits. » Cela nous surprend parce qu’elle ne
nous en avait jamais parlé.
De toute évidence, les deux pensionnaires préfèrent les desserts de ma
mère à leurs biscuits. Ils ont toujours continué à en apporter. L’année
suivante, Louis-Jacques Beaulieu est revenu avec son fils Amédée.
Mars 1951. Le bûchage du bois
Le 12 mars, mon père vend 500 billots à Désiré Dionne pour un montant de
425 $ : ce qui équivaut à 4577 $ en 2022. À titre de comparaison, en
1951, un journalier gagne autour de 5 $ par jour.
Chaque année, mon père bûche un lot sur ses terres en choisissant les
arbres les plus gros.
Il n’a aucun instrument mécanique pour abattre les arbres et pour les
découper en billots ou en billes. Avec une hache, il fait une entaille
du côté où l’arbre penche même légèrement, tout en tenant compte des
arbres des alentours. Il vise à le faire tomber dans une clairière, si
peu large soit-elle. Pour les petits troncs, un godin (scie à archet)
est suffisant. Il est alors manié par une seule personne. Pour les plus
gros troncs, il faut utiliser un godendart qui est une scie à large lame
avec une poignée à chaque extrémité. Deux personnes sont alors
nécessaires.
Il faut être très prudent quand l’arbre tombe. On ne peut pas prévoir de
façon certaine sa trajectoire car la trace de scie plus ou moins
horizontale dans le tronc peut faire dévier le mastodonte. Il est de
mise aussi de ne pas scier complètement le tronc. Autrement, le bas de
l’arbre peut être projeté vers l’arrière où d’ordinaire les bûcherons se
réfugient. Par contre, il faut que la trace de scie soit suffisamment
complète pour qu’une partie ne demeure pas sur la souche et fendille le
tronc en l’éclissant : ce qui peut faire rater un beau billot.
Quand l’arbre est abattu, il est ébranché à la hache et est transformé
en billots qui doivent mesurer chacun 12 pieds. Les billots sont
enchainés et, à l’aide d’un ou de deux chevaux, sont traînés dans un
endroit où un gros camion peut les récupérer. Ils sont vendus ou encore
acheminés à un moulin à scie pour en faire des planches ou des madriers.
C’est ainsi que pour la construction de sa grange en 1946, mon père a pu
utiliser le bois de sa terre.
Chicane de sites
Les habitants du rang 5 sont en liesse. Ils viennent d’apprendre que le
gouvernement du Québec a décidé de construire dans le rang une nouvelle
école pour remplacer celle qui est plutôt défraîchie. Aussitôt cette
annonce faite, une pomme de discorde apparaît dans le paysage. Où
va-t-on construire cette nouvelle école ?
Les gens de l’ouest où nous vivons favorisent le même emplacement que
l’ancienne école. Les gens de l’est veulent que le site soit situé à
environ six arpents plus à l’est, arguant que la nouvelle école serait
alors plus au centre du rang par rapport aux maisons. D’ailleurs, la
majorité des enfants se trouvent maintenant dans le secteur est.
Ma mère a une sœur qui vit à l’est de l’école. Pendant le temps de la
controverse, les deux sœurs cessent complètement de se voir, voulant
éviter des affrontements inutiles. Quand le dimanche, les deux sœurs et
leur famille se rencontrent chez grand-père Théberge au village, il
n’est jamais question de ce problème. Pour aller au village, les
habitants de l’est doivent passer devant notre maison. Certains
détournent la tête en passant.
Finalement, le Gouvernement décide que la nouvelle école sera construite
à quelques pas à l’est de l’ancienne.
Mai 1951. Participation aux clôtures
Un beau samedi, j’accompagne mon père et mon grand frère pour réparer
une clôture qui sépare deux champs au nord de la maison et au pied de la
petite côte. Certains piquets sont pourris, d’autres sont chancelants ou
se sont effondrés sous le poids de la neige, combiné au gel et au dégel.
Je suis content de participer à ces travaux parce que j’adore ces
clôtures toutes de bois. Elles embellissent le paysage agricole et sont
comme des icônes de la vie campagnarde. Sous leur aspect pratique, elles
délimitent les frontières avec les voisins et empêchent les animaux
d’aller où ils le veulent.
Pour y arriver, deux piquets adjacents sont plantés. On introduit entre
eux des pieux assis sur des broches qui réunissent les piquets, donnant
à la clôture une solidité certaine. Mon rôle est plutôt limité en
fonction de mes forces : tenir les pieux lorsque la masse les frappe,
transporter les piquets et aider à aligner les pieux.
Un nouveau camion
Mon oncle Timile achète une camionnette. C’est le premier véhicule
automobile du rang, à part Monsieur Ernest qui possède un « Jeep » de
marque Willis, après avoir eu une automobile. Mon oncle nous offre de
nous transporter à la grand-messe le dimanche moyennant un dollar pour
la famille. Ma mère accepte. Mon oncle fabrique trois bancs qu’il place
dans la boîte arrière : l’un près de la cabine et les deux autres,
transversalement. Nous sommes entassés dans la boîte arrière de ce
véhicule avec d’autres familles du rang.
Les temps changent. C’en est maintenant fini d’aller à la messe en
voiture à cheval. Mon père remise son boghei.
Juin 1951. Perdre le nord
C’est un dimanche matin ensoleillé du début de juin. Ma mère me demande
d’aller chercher les vaches. Elles sont dans le clos de pacage du sud à
environ 200 mètres de la maison. Quand j’arrive à la barrière, je suis
surpris de constater que les vaches ne sont pas là. Ordinairement, elles
attendent patiemment à cet endroit.
Je me dirige vers le sud. Je traverse un petit ruisseau. Je ne vois pas
les vaches. Mais où sont-elles ? Je continue toujours vers le sud. Elles
sont de l’autre côté de la petite rivière où nous allons parfois pêcher.
Quand elles me voient, elles comprennent que c’est le temps de la
traite. Sauf deux ou trois, elles se mettent en marche vers la barrière
que j’avais laissée ouverte.
De peine et de misère, car la rivière déborde encore depuis le
printemps, je réussis à traverser le cours d’eau sinueux qui à un moment
donné tourne à près de 90 degrés. Les deux ou trois vaches qui sont là
partent. Dans mes nombreux va-et-vient pour trouver un endroit
convenable pour traverser les méandres de la rivière vers la maison, je
perds mon orientation. Je suis écarté (égaré). Le coteau que je vois
devant moi est maintenant versant nord alors qu’en réalité il est
versant sud.
J’ai donc perdu totalement le nord. Rationnellement, je sais quelle
direction je dois prendre, soit vers le nord, car je n’ai qu’à suivre le
trajet emprunté par les dernières vaches. Dans mon esprit troublé, je
n’ose pas traverser de nouveau la rivière craignant de me diriger vers
le sud où il y a au moins une dizaine de kilomètres de forêt. Je suis
figé et je n’ose plus bouger.
Quand les vaches arrivent à l’étable, il n’y a personne derrière elles.
Ma mère est très inquiète. Sur-le-champ, elle demande à une de mes sœurs
d’aller voir ce qui se passe. Quand j’entends, à l’entrée du clos, ma
sœur crier, je reprends mes esprits et conséquemment mon énergie. Je
traverse la rivière et reviens sain et sauf à la maison, et sans aucune
égratignure.
Je comprends en ce moment dans quel état on peut être quand on perd le
nord.
Un pique-nique
L’institutrice Bibiane Jean invite ses 11 élèves à un pique-nique au lac
du Cinquième. Ma mère nous prépare un lunch pour le dîner. Le goûter
comprend des sandwiches et exceptionnellement de la liqueur
Orangeade. Nous sommes les
seuls du rang à avoir de la liqueur. Nous sommes gênés de voir la
frustration des autres et finalement nous décidons de partager notre
liqueur. Tout le monde est content et nous aussi.
Mon oncle Timile vient manger son lunch avec nous. La veille, un feu
avait brûlé quelques arbres. Mon oncle a le visage plein de suie. À son
arrivée, il nous a fait peur.
21 juin 1951. Surprise de taille
C’est l’avant-dernier jour d’école. Vers 16 heures, je vois Bibiane Jean
qui se dirige vers chez-nous. Je me demande bien si elle vient chez mes
parents et si oui, ce qu’elle vient faire. J’aime beaucoup cette
institutrice car elle
maîtrise sa classe avec calme et douceur.
Elle entre et dit à ma mère qu’elle veut parler de moi. Je suis étonné.
Je pense être un enfant sans problème et d’habitude quand la maîtresse
se déplace, c’est pour parler des mauvais coups des élèves ou du manque
d’intérêt à l’école. Je suis légèrement stressé et j’ai hâte de
connaître la suite. Elle commence à dire à ma mère que je réussis très
bien à l’école et que parfois je perds du temps à cause de ma facilité à
apprendre. Alors, elle propose à ma mère ceci : « Que diriez-vous si je
faisais graduer Charles-Édouard en 6e année au lieu de 5e
pour septembre prochain ? »
La proposition m’assomme. Il me manque deux semaines pour avoir 10 ans.
J’ai alors 9 ans. Je me dis : 9 ans et avoir la perspective de monter en
6e année. J’ai peur, mais je ne parle pas. Les enfants à
l’époque ne parlent jamais à un visiteur à moins qu’une question ne leur
soit adressée personnellement et encore... Ma mère ne me consulte pas et
elle acquiesce
toute heureuse.
Au préalable, la décision de ma mère de m’inscrire en première année à
l’école, même si je n’avais pas l’âge légal, avait été bonne. Autrement,
j’aurais commencé l’école à sept ans. Celle de me faire sauter une année
est moins bonne parce que, quand je suis entré au Séminaire, je n’avais
pas la maturité intellectuelle et psychologique suffisante. Toutefois,
elle a fait pour le mieux et c’est cela qui compte.
Pendant toutes les vacances, je pense à cette proposition acceptée.
Quand j’apprends que Bibiane ne revient pas enseigner au 5e
rang, dans ma tête, je suis certain que je serai en 5e année
en septembre. Je suis alors déçu. Je passe des vacances dans
l’inquiétude.
Juillet 1951. Dans la forêt
Chaque année ou presque, l’oncle Léo Jean qui est célibataire et qui
demeure à Montréal vient passer quelques jours chez nous. Il en profite
pour aider son frère dans quelques travaux. Ainsi, un jour, il nous
accompagne au sixième rang
où mon père fait de la pulpe.
Mon père choisit les sapins ou les épinettes de taille plus petite ou
encore dont la croissance en longueur s’est arrêtée. Il les abat.
L’oncle Léo aide mon père en ébranchant et en découpant l’arbre en
billes de quatre pieds que nous appelons
pitounes. Pour ce faire, il
utilise un godin (scie à archet). Notre tâche est d’enlever l’écorce.
Nous commençons par faire une saignée dans l’écorce avec une palette de
fer recourbée en une extrémité légèrement coupante. Cet outil avait
probablement était fabriqué par le forgeron du village.
Par la suite, nous tirons sur l’écorce pour que des lanières se forment.
La première lanière est la plus difficile à extirper. Les autres suivent
en soulevant l’écorce toujours avec la palette. Cette opération
d’épluchage est appelée pleumer
de la pitoune.
J’aime beaucoup accomplir cette tâche. Nous sommes en pleine forêt dont
la senteur est idyllique. Il y a toutefois deux inconvénients : la gomme
de sapin ou d’épinette et les mouches noires ou les maringouins. Les
mains brunissent rapidement au contact de cette gomme sur laquelle
s’agglutinent les poussières d’écorce. Il est alors plus difficile de
chasser les insectes ravageurs.
Le 27 juillet 1951, mon père a vendu ce bois de pulpe pour 350 $. C’est
donc dire qu’on en a pleumé des pitounes cet été-là et qu’on s’est fait
piquer par les mouches à profusion.
Chez Dupuis
Je vois le postillon qui s’arrête et dépose un colis dans la boîte à
malle. Je cours vite chercher le colis. C’est le catalogue de Chez
Dupuis. Ma mère est, en effet, une cliente de ce commerce dont les
valeurs sont la
religion, la famille et le service en français. Elle fait trois ou
quatre commandes par année qui peuvent s’élever jusqu’à un maximum
d’environ 10 $.
Je remets le colis à ma mère et rapidement elle va le porter dans sa
chambre. Pourtant, j’avais hâte de parcourir ses pages. Pour moi, ce
peut être un livre de lecture.
J’ai appris plus tard que ma mère cachait le catalogue car il y avait
des pages qui montraient des sous-vêtements féminins. Les filles, elles,
les chanceuses, savaient où se cachait le catalogue et avaient le droit
de le consulter. Elles le faisaient parfois devant nos yeux envieux. On
se demandait bien pourquoi les filles avaient le droit de voir les
sous-vêtements masculins.
Devant notre demande soutenue de voir le document, ma mère finissait par
accepter de le mettre à notre disposition, mais les feuilles
« obscènes » avaient disparu. Une forme de caviardage, quoi ?
La moralité
Décidemment, le curé Alfred Bérubé s’en prend à la moralité de ses
paroissiens cet été-là. Selon ce qu’il a appris, des jeunes garçons et
filles de la paroisse et des environs fréquentent une plage du lac
Saint-Mathieu. Tout près, des gens moins prudes
changent de vêtements
dans les broussailles : ce qui fait que certains auraient
vu des fesses à travers le feuillage.
Un dimanche, le curé Bérubé fait un long et vigoureux sermon menaçant de
l’enfer toute personne qui retournerait se baigner à cet endroit. Il
réprouve la nudité, mais aussi la mixité.
il s’insurge du fait que des jeunes filles en costume de bain vont se
baigner dans le lac, accompagnées de jeunes garçons.
Il ne nomme pas l’endroit où ces scènes se passent, mais la plupart des
gens savent qu’on l’appelle la Pointe-aux-fesses. Suite à
l’intervention du curé, l’affluence augmente.
Un autre dimanche, il raconte avoir vu, pendant la semaine, une femme
passer devant l’église et le presbytère en bermudas. Il considère ce
geste comme de l’inconduite grave, invoquant que l’église est la maison
du bon Dieu et que le presbytère est une maison sainte parce qu’elle est
occupée par le représentant de Dieu sur terre. Ces
gestes sont pour lui des péchés mortels.
Août 1951. La tuberculose
À cette époque,
la tuberculose, une maladie contagieuse parfois mortelle, est assez
répandue.
Les personnes atteintes sont hospitalisées dans un sanatorium pour de
longues périodes parfois dépassant un an. Pour notre région, le
Sanatorium de Mont-Joli remplit cette mission.
Ma mère craint beaucoup cette maladie car certaines de ses tantes en
sont décédées. Elle nous amène chaque année à un test de dépistage. Le
test a lieu dans une roulotte du Sanatorium de Mont-Joli installée sur
le terrain de l’église. L’invitation est faite par le curé au prône.
Cet été-là, nous allons comme d’habitude à la roulotte. Une semaine ou
deux plus tard, ma mère reçoit une lettre du sanatorium précisant qu’une
ombre apparaît sur un de mes poumons. Ce n’est pas à cause de ma
médaille scapulaire que je porte d’ordinaire sur ma camisole de laine,
je l’avais enlevée. La lettre nous donne un rendez-vous à Mont-Joli. Mon
oncle Antonio Théberge, le frère de ma mère, accepte de nous y conduire,
moi et ma mère. À ce moment, mon père n’a pas de véhicule motorisé.
L’examen est exactement le même que dans la roulotte à savoir une
photographie des poumons. Un peu plus tard, une autre lettre arrive avec
le même résultat : ombre sur un poumon. Un nouveau rendez-vous est fixé.
Mon oncle Antonio accepte à nouveau de nous y conduire. Cette fois-ci,
l’examen est plus sérieux. On m’introduit des tubes dans les narines. Ce
n’est pas particulièrement douloureux, mais c’est désagréable de sentir
des tubes s’immiscer dans le corps et de voir des hommes et des femmes
en blanc autour de soi à cet âge. Le résultat finit par arriver. Aucun
signe de tuberculose n’est décelé. Les poumons sont en parfait état.
Ma mère qui pourtant accorde une importance capitale à ce dépistage
dit alors : « C’est fini les examens pour la tuberculose. » Plus aucun
membre de la famille ne s’est présenté à la roulotte du village par la
suite.
La médaille du scapulaire
Ma mère croyait que de porter sur soi une médaille scapulaire pouvait
nous éviter des accidents lors des sorties à l’extérieur de la maison.
Elle la considérait comme une protection, mais aussi comme un passeport
vers le ciel. Elle croyait que si jamais il arrivait malheur, au moins
nous ne mourrions pas en état de péché mortel.
Le scapulaire que ma mère confectionnait est composé d’un morceau
d’étoffe brune de forme carrée sur lequel est attachée une médaille du
Sacré-Cœur. Un court cordon relié au tissu peut être épinglé à notre
camisole. Il est probable que la médaille avait été bénie par un prêtre.
Personnellement, je n’ai jamais cru aux bienfaits du scapulaire. Dès mon
retour à la maison, il se retrouvait dans un tiroir de mon bureau. Le
port du scapulaire dans ma famille n’a pas duré très longtemps,
probablement à cause de notre indifférence.
Les pluies acides
En août, les foins se terminent sur la terre du sixième rang, plus
précisément en un endroit que nous appelons les prairies. Il y a là deux
bâtisses : une petite grange qui reçoit le foin en attendant de le
ramener à la ferme pendant la saison morte et un petit camp meublé
seulement de deux bancs face à face. Comme on ne revient pas à la maison
en cours de journée, on apporte notre lunch du midi qu’on mange à l’abri
des insectes dans le petit camp.
C’est à ce moment que je prends conscience du fait que l’humain abuse de
la nature. Devant le petit camp, il y a une source d’eau
qui nous permet de nous désaltérer.
Cet été-là,
ma mère nous défend de boire cette eau. Selon les journaux, certains
cours d’eau sont contaminés par des pluies acides qui viennent des
usines américaines. Étant donné que l’eau provient d’une source
souterraine, il est peu probable qu’elle soit contaminée, mais la
précaution est de rigueur.
En même temps, il nous est défendu de boire l’eau de la pluie et surtout
de manger la neige l’hiver. Cette situation avec la pollution qui
provoque des pluies acides jusque sur nos terres québécoises est un choc
pour moi. Je me dis qu’il y a des « méchants » qui ne se soucient pas de
notre santé en provoquant le déversement de résidus toxiques sur des
terres jadis pures. Une seule raison semble exister. « Il est important
de faire de l’argent sans se préoccuper de la nature. »
Cet événement me sensibilise fortement au respect de la nature et particulièrement aux conséquences de la pollution qui, quelques décennies plus tard, engendrera des changements climatiques importants.
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Chapitre 5. Ma 6e
et 7e année à l’école du rang
Septembre
1951. Les noisettes
Mauvaise nouvelle. Le commissaire, Romuald Plourde, ne trouve pas de
jeune fille pour enseigner à mon école de rang. Les cours ne peuvent
donc pas commencer
à la date règlementaire.
J’ai un pincement au cœur parce que cette situation risque de se
prolonger et ainsi je pourrais perdre mon année scolaire. Dans le cas de la réouverture, j’ai peur de ne pas être classé en
6e année comme me l’avait promis l’institutrice précédente,
Bibiane Jean.
Nous en profitons, Pierre, Gilles, Raynald et moi, pour aller jouer
dans la petite côte boisée au nord de la maison. Comme passe-temps
supplémentaire, je ramasse des feuilles colorées et je constitue un
cahier, mais surtout je vais à la cueillette de noisettes.
Je pars avec ma petite chaudière. Je vais sur les
tas de roches ou auprès des clôtures non loin de la maison là où il y a
des noisetiers. Je comprends vite que la noisette est plus frileuse que
moi. Elle est revêtue d’un manteau d’hiver hérissé de piquants. Une
double protection. Mes petits doigts même piqués d’épines ne craignent
pas de la découvrir.
Sous ce manteau, apparaît une coque dure. Une fois
éclatée, cette coque laisse entrevoir une noix protégée par une mince
pellicule que je dois extraire avec mes petits doigts. La frilosité de
la noisette me fait penser aux nuits froides où je dois dormir en pyjama
et en bas de laine sous une chaude peau d’ours.
Quand j’ai terminé de remplir mon récipient, pour
me récompenser, j’épluche une noisette. Je la casse entre deux roches :
une grosse roche sur la terre et une petite dans les mains. Je mange
l’amande.
Parvenu à la maison, pour l’épluchage, je prends
une poche vide en jute qui avait servi à entreposer la moulée pour les
vaches. J’y place une vingtaine de spécimens. Je vais au fenil et je
frappe sur le plancher de toutes mes forces à coups répétés. Cela
noircit le plancher et la poche, mais ce n’est pas grave. La noisette
est alors dégagée partiellement de son écorce. Je fais le reste à la
main. Par la suite, je dépose mes noisettes dans un tiroir de bureau.
Elles n’y restent pas très longtemps car, semble-t-il, des écureuils
familiaux ont trouvé la cachette.
Une fois, j’ai commencé à faire un chapelet avec des coques, mais j’ai
abandonné le projet préférant les manger que de leur donner une deuxième
vie, fut-elle religieuse.
Histoire de pommes
Quand mon père était jeune, l’un des voisins de ses parents adoptifs
était Ferdinand Dionne. Dernièrement, ce dernier a eu maille à partir
avec le curé et il ne va plus à la messe du dimanche. Quel scandale !
Tout le monde est certain qu’il ira droit en enfer. À l’époque, je crois
beaucoup au ciel et à l’enfer. Je veux faire un pape pour être assuré du
ciel. Ne dit-on pas sa Sainteté le pape Pie XII ? D’ailleurs, à l’école,
je me vante du fait que Pie XII a été élu pape un 2 mars (1939) et que
mon père est né un 2 mars. J’appelle Pie XII, mon père spirituel.
Revenons à notre sujet.
Ce
monsieur Ferdinand Dionne, qui a alors une cinquantaine d’années et qui
demeure sur la route du cinquième rang en bas de la coulée, revêt son
habit de ville le dimanche matin. On dit alors s’endimancher. Il se
promène autour de sa maison et nous regarde passer. Ce geste que je
considère comme une provocation me stupéfie.
Un
jour, mon père arrive à la maison avec une boîte de pommes. « C’est
Ferdinand Dionne qui m’a donné cela, nous dit-il. » Là, je suis
extrêmement surpris. Je n’en crois pas mes yeux. Je commence alors à
douter de ce que les gens disent sur lui et sur sa damnation. Dans ma
tête d’enfant, je pensais que de ne pas aller à la messe est un geste de
méchanceté et là, il vient de faire un geste de bonté. J’ai de la
difficulté à concilier ces deux gestes. Mais, cela me fait réfléchir sur
la liberté de choix des gens et je cesse alors de juger cet homme.
Octobre 1951. Rentrée scolaire
Nous apprenons qu’enfin une institutrice a été engagée. C’est Cécile
Boulanger, la fille de Charles Boulanger et de Clairina Parent. Elle a
son certificat de 9e année et a 21 ans. Toutefois, elle n’est
pas diplômée comme l’exige le Département de l'instruction publique.
Quand j’arrive à l’école, elle m’annonce que je suis en 6e
année. Je suis très content. J’avais toujours été seul dans mon degré,
mais là, nous sommes trois : Lisette qui a fait sa 5e année
l’année précédente et Normand qui reprend sa 6e année. Nous
sommes les plus vieux de l’école. Pendant que j’ai 10 ans, Lisette en a
11 et Normand 14.
L’institutrice n’a pas de connaissances didactiques. Elle n’a aucune
expérience d’enseignement. La discipline se relâche dans l’école. Elle
se contente de nous donner des travaux et des leçons, donnant
principalement son temps aux plus jeunes. Normand abandonne l’école en
novembre. Nous restons deux. Mensuellement, je réussis à arriver le
premier, sauf un mois où Lisette me dépasse par moins d’un pour-cent.
Quand nous dînons à l’école et que l’institutrice est dans son
haut-côté, nous en profitons pour épater les plus jeunes. Nous testons
le téléphone arabe. Nous organisons de courtes périodes de danse.
Novembre 1951.
Les liaisons dangereuses
Les liaisons linguistiques sont à la mode. Dans les manuels scolaires
dédiés à la lecture apparaissaient parfois entre deux mots ce qu’on
appelle un tirant souscrit qui relie la dernière lettre d’un mot et la
première lettre du mot suivant. Par exemple, il faut faire une liaison
dans l’expression sont attendus.
On doit prononcer alors sont
t’attendus. Les institutrices, comme on leur avait montré,
attachaient une grande importance à cette règle. Aujourd’hui, les
liaisons sont de moins en moins appliquées. Dans certains cas, on fait
la liaison à partir du son du mot précédent. Ainsi, on prononcera
un long n’hiver.
Un jour, trois élèves sont en rang pour réciter leur leçon. Il s’agit de
déclamer un texte appris par cœur dont le titre est
La prière et l’aumône. La
première phrase se présente comme suit :
Jean et Robert s’en allaient à la
messe un dimanche.
L’institutrice demande aux élèves de faire la liaison entre
allaient et à si bien
qu’ils devaient prononcer allaient
t’à. Une des élèves n’arrivent pas à faire cette liaison.
L’institutrice insiste pour qu’elle recommence. Au troisième essai,
l’élève interrogée en a marre. Tout d’un trait, elle dit :
Jean t’et Robert s’en n’allaient
t’à la messe t’un dimanche. Des éclats de rire envahissent la
classe. L’institutrice est humiliée et ne trouve rien d’autre à dire que
: « Retournez à vos places. »
Départ de
Gilbert
Mon frère aîné Gilbert aurait aimé aller étudier à l’École technique de
Rimouski. Ma mère, souhaitant en lui l’héritier de la terre, lui a
promis qu’il irait plutôt à l’école d’Agriculture. Dans le cadre de
préparation de son trousseau, le
22 octobre, ma mère achète une grosse valise au coût de 16,07 $.
Le
grand jour arrive. Gilbert part pour sa nouvelle école. Cela change
quelque peu les habitudes de corvées. C’est alors que j’écope de la
corvée de rentrer le bois de chauffage pour le poêle. Cela se fait en
arrivant de l’école le soir. En hiver, il faut au moins trois ou quatre
brassées de bois. Le bois de chauffage est pris dans une bâtisse
derrière la maison dont le toit est en forme de V renversé.
Le
départ de Gilbert a pour effet de modifier les places à la table. Tous
les garçons montent d’un rang.
Achat d’un piano
Maman a une belle voix. Elle chante pour endormir les enfants. Elle
connaît plusieurs chansons, mais elle ne les chante pas souvent en
public. De plus, elle adore les veillées de famille. Elle pense sans
doute qu’un instrument de musique comme le piano pourra agrémenter ces
veillées.
En
novembre 1951, elle achète un piano d’une dame de Mont-Joli. Elle le
paie 190 $. Carmen est heureuse. Elle pratique très souvent. La maison
est envahie de notes qui reviennent constamment. Début, arrêt,
recommencement, nouvel arrêt. Au bout de quelques mois, je développe une
allergie au piano.
Ma mère achète les sept tomes de
La Bonne chanson, et plus tard les tomes 8 et 9. L’auteur de ces
albums est l’abbé Charles-Émile Gadbois, né en 1906. En 15 ans, il a
composé et recueilli plus de 500 chansons. Son leitmotiv est : « Un
foyer où l’on chante est un foyer heureux. »
Le seul fait de lire les textes de ces albums et de
regarder les images propres à chaque chanson constitue pour moi un vrai
voyage vers le passé et un peu vers l’avenir. On y trouve des chansons
du folklore français, de même que de nombreuses autres dont les paroles
et la musique sont de l’abbé Gadbois.
En 1938, le Conseil de l'instruction publique avait recommandé à toutes
les commissions scolaires d’acheter les albums de
La bonne chanson et de les diffuser dans toutes les écoles.
Toutefois, je ne me souviens pas d’avoir vu ces recueils à mon école de
rang.
Chez nous, lors des veillées de familles, les chansons sont puisées dans
ces albums qui trônent sur le piano. Quel souvenir merveilleux que de se
remémorer ces belles chansons ! L’abbé Gadbois a réussi son pari, lui
qui voulait contrer l'influence grandissante de la chanson française et
américaine dans les foyers et à la radio.
En 1954,
n'ayant plus personne à la maison qui joue de cet instrument, maman
revendra son piano au prix de 250 $ à un
Pelletier de l’Isle-Verte. Elle
achètera plus tard l’harmonium de la sacristie lors de la vente à
l’encan où elle a demandé à son frère Maurice de miser pour elle.
Une blessure à l’école
Un vendredi après-midi, lors de la période de travaux manuels, je suis
en train de bricoler
une crèche de Noël à même une planchette de bois que je découpe avec une
petite scie à chantourner et un canif. Pendant la récréation,
l’institutrice m’offre la possibilité de faire ce travail dans sa
chambre à coucher. Je m’installe sur le lit et, avec beaucoup
d’attention, je suis les lignes tracées.
La récréation
étant terminée, je continue quand même de m’appliquer à ma tâche. Par
deux ou trois fois, l’institutrice me somme de revenir en classe.
Absorbé par mon travail, je ne bouge pas. Lors du dernier appel, mon
impatience me fait poser un geste brusque et, avec mon couteau, je me
coupe à un doigt. Je reviens en classe penaud, étant certain que Dieu
m’a puni pour ne pas avoir obéi à la maîtresse d’école.
Décembre 1951. Finances de la famille
Au cours de l’année, mon père a vendu trois porcs pour un total de
120,80 $, quatre moutons pour 103,72 $, une vache pour 106,20 $ et un
veau pour 35 $. Les allocations familiales ont rapporté 44 $, les paies
de beurrerie 574,03 $, 500 billots 425 $ et du bois de pulpe 350 $.
Ma mère fait une folle (!) dépense. Elle s’achète un manteau de fourrure
qu’elle paie 239,70 $. Elle mérite bien cette petite douceur qu’elle est
fière de porter pour aller à la messe et qui la protège du froid dans
les déplacements en voiture à cheval.
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 950,44 $. Un paquet de tabac Alouette se
détaille 20 sous.
Janvier 1952. La terre est payée
Le
16 janvier 1952, mon père retire 135 $ de son compte à la Caisse
populaire pour payer un versement de sa terre. La balance de son compte
est de 815,44 $. Ouf ! ! ! la terre est finie de payer. Mais ma mère
veut que mon père achète un camion. Il faut donc amasser des sous car il
est important de le payer comptant. Mon père vend des porcs et des veaux
pour la boucherie. Le 17 mai, le compte est de 1817,16 $.
Février 1952. Une escapade insensée
Le
midi, pendant l’hiver, après le dîner à l’école, nous allons parfois
jouer dans la grande côte derrière l’école. Nous revenons parfois une
dizaine de minutes plus tard que l’heure réglementaire. L’institutrice
ne dit mot.
Un
midi, toutefois, après le dîner constitué de pâtes alimentaires, nous
décidons, un groupe de trois ou de quatre élèves, de nous rendre au lac
du Cinquième. Le trajet est constitué de deux côtes descendantes assez
prononcées.
Nous partons vers midi et 15 minutes en franchissant la clôture qui nous
permet d’atteindre la terre de Romuald Plourde. Nous espérons que le
propriétaire de la terre ne nous voit pas parce qu’il est commissaire
d’école. Nous entreprenons la facile descente.
La
température est froide ; mais, il ne vante pas. En courant par moments
et en nous chamaillant en d’autres moments, nous descendons les deux
côtes qui nous séparent du lac. Rendus au lac, nous nous reposons
brièvement et nous entreprenons la montée.
Nous sommes fatigués puisque nous marchons dans une neige assez épaisse
et que notre exubérance a grugé nos énergies. Dans notre insouciance,
nous n’avons pas pensé que la remontée serait au moins triplement plus
ardue que la descente. Dès ce moment, nous réalisons que nous serons en
retard et de beaucoup. De peine et de misère, nous gravissons les deux
côtes en s’aidant mutuellement et en s’enfonçant dans la neige plus
souvent qu’autrement. Les derniers mètres sont pénibles. Nous sommes
tellement fatigués que nous n’avançons qu’à genoux.
Quand nous arrivons sur le terrain de l’école, nous avons peine à
marcher. En même temps, je redoute les réactions de l’institutrice
puisque la classe est commencée depuis plus d’une demi-heure. Je me
rends compte que nous avons vraiment exagéré.
En
entrant dans l’école, nous avons la mine basse et le regard en coin.
L’institutrice fait une sainte colère. Je crains que celle-ci me montre
du doigt comme étant l’instigateur de cette escapade parce que je suis
le plus âgé des garçons. Elle nous fait voir l’imprudence que nous avons
manifestée et l’absence d’autorisation. Puis, elle continue la classe
comme si de rien n’était.
Personne n’est puni. Nous sentons tous que nous avons été légèrement
stupides d’avoir fait cette randonnée. Je pense en moi-même. « Elle va
sûrement avertir mes parents. » Imaginez, nos parents qui nous font
dîner à l’école pour notre bien-être et nous nous permettons de franchir
des kilomètres dans la neige jusqu’aux genoux. Je crains leurs
réactions.
L’incident n’a pas de suite. Mais, c’en est fini de nos glissades le
midi. Nous nous contentons de courir autour de l’école. Sans que ce soit
une justification, il faut dire que nous n’avons aucun article de sport
pour passer le temps lors des récréations.
La fin du monde
Depuis des mois, la radio annonce la fin du monde comme étant imminente.
Quelqu’un quelque part avait eu une apparition. L’ange du Seigneur
l’avait averti que la fin du monde arriverait à 11 heures de
l’avant-midi tel jour.
Quand ce jour arrive, je suis en sixième année. Le temps est très froid.
Les vitres de l’école sont recouvertes de glace. Les élèves sont de
mauvaise humeur. Ils ont peur. Aucun ne sait toutefois ce que la fin du
monde signifie. Peut-être que tout le monde mourra sauf nous. Bien sûr,
nos parents nous avaient dit que c’était un canular, mais on ne voulait
pas les croire.
Après la récréation de l’avant-midi passé à l’intérieur, je dis à
l’institutrice : « Mademoiselle, on a froid. Pourquoi continuer à
étudier si la fin du monde arrive bientôt ? On devrait se réunir autour
du poêle. » À ma grande surprise, l’institutrice accepte.
Je suis fier de moi. Toutefois, j’ai conscience que mon comportement ne
correspond pas aux valeurs inculquées par ma mère, soit de ne pas
affronter l’autorité. En effet, pour moi, c’est un geste qui ne me
ressemble pas.
Le jeu de
barreau
À
la maison, nous avons un jeu de barreau. Le tablier de ce jeu est
constitué d’une planchette de bois mesurant environ 52 centimètres de
longueur, 32 centimètres de largeur et 2 centimètres d’épaisseur. D’un
côté, c’est le barreau et de l’autre côté les dames. Cette planchette en
bois avait été fabriquée par mon grand-père Émile Théberge au début des
années 1900. Ma mère en avait hérité et j’en ai la possession. Elle est
encore en bon état.
Pendant l’hiver, mon père a beaucoup de temps libres. Lui qui est un
grand amateur de jeux m’invite parfois à jouer. Pour ce faire, il se
lève de sa chaise, prend le jeu de barreau et me fait un signe sans dire
un mot. Je n’aime pas jouer avec lui. Je suis incapable de refuser parce
qu’à l’époque c’est inconcevable qu’un fils ne se plie pas aux volontés
de son père.
Au
début, il m’indique sommairement les règles du jeu même s’il n’a pas
l’habitude de nous montrer à accomplir les tâches demandées. Je me suis
dit : « La seule façon qu’il arrête de m’inviter à jouer, c’est de
gagner. » Je me suis appliqué à analyser le jeu et à remarquer comment
il jouait. Au bout d’une dizaine de parties, je gagnais tout le temps.
Il a alors arrêté de m’inviter.
Autres jeux
Avec le temps, ma mère achète aux plus jeunes des jeux de société :
Serpents et échelles, Parcheesi, Monopoly et Scrabble, sans compter les
jeux de blocs. Le jeu le plus en vogue demeure celui des cartes avec ses
nombreuses variantes comme la bataille, le 500, le beu, la politaine,
les quatre-sept, la dame de pique.
À
l’extérieur, les jeux sont rares parce que nous n’avons aucun
matériel sauf des boules. Pas de hockey, pas de rondelle, pas de gant de
baseball, pas de bâton, pas de balle, pas de ballon, pas de bicyclette.
Le jeu le plus populaire est celui de la cachette que nous appelons
cinquante car on doit compter jusqu’à 50.
Un
grand livre
Tous les élèves viennent de terminer leur dîner. Des brusques rafales de
vent provenant du nord font trembler l’école. La morosité s’installe
d’autant plus qu’il fait froid dans la classe. L’institutrice sort de
son appartement privé et nous dit : « J’ai une surprise pour vous. »
Elle va chercher sa bourse et en sort une clé vieillie par l’usage. Elle
ouvre l’armoire placée devant la classe. Un grand livre se montre à
nous. Je n’ai jamais vu un livre de cette taille. Imaginez : 25,9 × 35,7
centimètres, soit 10 × 14
pouces. Son titre est Catéchisme en images.
Des images géantes occupent la moitié du livre. On y voit entre autres
des représentations de scènes de la vie de Jésus, des représentations
des sacrements, des péchés et des
vertus. Bien sûr, les gravures sont en noir et blanc, mais elles sont
tellement nettes que je suis éberlué. Nous ne sommes pas habitués à voir
des images, car les manuels scolaires en contiennent peu et la
télévision n’est pas encore arrivée.
Une gravure qui m’interpelle est celle de l’enfer. On peut voir les
damnés dans un feu éternel. Les paresseux sont percés par des pointes
enflammées et piqués par des scorpions. Les avares portent une bourse
suspendue à leur cou. Les impudiques sont frappés cruellement par des
démons munis de fourches. Les envieux sont enlacés, piqués, déchirés par
de monstrueux reptiles. En plus, au milieu de la gravure se trouve un
cadran dont l’aiguille est arrêtée. Pour montrer que les damnés sont là
pour l’éternité, on peut lire sur
le cadran « Toujours, jamais ». (Il y a une dizaine d’été, j’ai trouvé
une copie de ce livre dans une librairie itinérante. La page-couverture
est manquante.)
Moi qui a déjà peur de l’enfer, ces scènes me troublent. J’ai la chair
de poule et les cheveux me dressent sur la tête. J’ai envie de retourner
à la maison. J’ai vécu en enfer pendant plusieurs nuits après cet
événement.
Mars 1952. Le cercle Lacordaire
Je
vais à une assemblée du cercle Lacordaire avec ma mère. Le conférencier
est Adrien Ouellet qui n’a pas encore 30 ans et qui est l’époux d’une
cousine de ma mère. Après les salutations d’usage, il dit : « Je suis
allé voir le curé pour lui demander qui était le conférencier pour cette
réunion. Il m’a répondu que c’était moi. Je pense que je me suis mis les
pieds dans les plats. »
Comme c’est la première fois que j’entends cette expression, je
m’imagine ce monsieur sur le perron du presbytère les deux pieds dans un
immense plat. Je ne comprends pas encore facilement le second degré.
Plus tard, au cours de la soirée, il y a des tirages. Je gagne une
douillette … avec l’argent de ma mère. Celle-ci veut la récupérer, mais
je veux la conserver pour mon usage futur. Finalement, ma mère cède.
Toutefois, je n’ai jamais revu cette douillette et je l’ai complètement
oubliée.
Lors d’une autre assemblée Lacordaire, Mgr Parent, l’archevêque de
Rimouski, est présent. Dans une allocution, il déclare que même s’il est
né à Trois-Pistoles, il se déclare un paroissien de Saint-Mathieu,
puisque sa famille y a déménagé alors qu’il avait 9 ans et que ses
ancêtres Parent sont de la paroisse. Je suis ébahi par la salve
d’applaudissements qui déferle dans la pièce.
L’apprentissage de l’Angélus
Ordinairement, ma mère nous réveille vers 6 heures 30. Après un brin de
toilette qui exclut la douche parce que nous n’avons pas cette
commodité, ni de bain d’ailleurs, nous sommes prêts pour une nouvelle
journée. Avant de partir pour la traite des vaches, ma mère nous donne
ses instructions. Le plus souvent, cela consiste à apprendre nos leçons
parce que nous avions fait nos devoirs la veille. Il nous arrive parfois
de bâcler nos leçons aussitôt que ma mère est partie.
Un matin, je suis assis dans la chaise berçante de mon père près de la
radio, mon catéchisme sur les genoux. Je vois ma mère s’habiller pour
aller faire le train du matin.
Pour elle, cela veut dire : traire 2 ou 3 vaches, écrémer le lait,
nettoyer l’écrémeuse et ramener à la maison un pot de lait chaud à la
maison.
Je me tourne vers elle et lui dit : « Maman, je suis incapable
d’apprendre l’Angélus par cœur. » Le visage de ma mère devient vinaigré.
Elle me dit : « Tu sais, si tu veux devenir prêtre, il te faudra
apprendre le latin. Vaut mieux commencer maintenant. De toute façon, je
m’en vais traire les vaches et (d’un ton plus ferme) quand je
reviendrai, je veux que tu en aies appris au moins la moitié. »
Surpris du ton de ma mère, je fais des efforts. Quand ma mère revient de
l’étable, elle me demande de m’exécuter. J’avais réussi à apprendre les
trois ou quatre premières lignes. Pour le reste, je bafouille. Devant ma
mine déconfite, ma mère n’insiste pas. Je suis vraiment troublé parce
que je viens de comprendre qu’il me sera impossible pour moi d’aller au
Séminaire et éventuellement de faire un prêtre.
Mai 1952. Un catéchisme bruni
Il
fait soleil. La température est chaude. Il est autour de midi. Je suis
en train d’apprendre par cœur des réponses du catéchisme sur la galerie
d’en avant. Un vendeur itinérant de poissons se présente. De temps à
autre, ma mère achète du hareng, du poisson fumé ou de l’anguille. La
peau de ce dernier poisson un coup séchée sert à faire des lacets et des
cordons d’attache.
Ce
jour-là, ma mère achète du poisson fumé. J’insiste auprès d’elle pour
qu’elle m’en donne un. Finalement, elle se rend à mes désirs.
Tout en étudiant mon catéchisme, je dévore le poisson. Finalement, je me
rends compte que j’ai fait de grosses taches brunes et graisseuses dans
ce livre. Je suis fâché contre moi-même car ce livre appartient à
l’institutrice. Elle me l’a prêté au début de l’année pour éviter que
mes parents aient à payer pour l’achat d’un manuel scolaire. Le
catéchisme que j’avais antérieurement, je l’avais donné à un de mes
frères. J’ai bien essayé de faire disparaître les taches, mais
impossible.
Il
faut ajouter qu’à l’époque les parents devaient payer pour les manuels
scolaires. On se passait les livres d’un enfant à l’autre. De plus, on
était bien averti de les conserver en bon état.
Achat d’une camionnette
Ma
mère décide qu’il est temps que la famille ait accès à un véhicule
motorisé. L’année d’avant, elle avait commencé à vendre des fraises de
jardins aux dames du village.
Une de mes sœurs avait la tâche de livrer les seaux de fraises. Elle
hélait le gros camion de transport de bois qui provenait du
Lac-Boisbouscache et se rendait ainsi au village. Pendant que le
camionneur allait vider son voyage au moulin à scie, elle faisait le
tour des clientes et revenait en camion à la maison.
Ma
mère charge son frère Antonio d’acheter une camionnette aux
Trois-Pistoles avec mandat de ne pas dépasser 1800 dollars. Il achète un
camion bleu Chevrolet au montant de 1792 dollars. Il reste 25,16 $ dans
le compte de mon père à la Caisse.
Après une première expérience où mon père a failli prendre le champ, il
ne veut plus toucher au volant du camion. De fait, il n’a jamais eu de
permis de conduire. C’est Gilbert, l’aîné des garçons, qui devient le
conducteur. Un petit problème : il lui manque quatre mois pour atteindre
18 ans qui est l’âge légal pour avoir son permis. Il trafique son acte
de naissance et peut ainsi obtenir son droit de conduire.
Plus tard, quand Gilbert partira, c’est
Lise qui prendra la relève. À
cette époque, peu de filles ou de femmes conduisent une voiture. Le
fonctionnaire du Gouvernement qui décerne les permis avait dit à mon
père : « Vous n’pensez pas que vous gâtez votre fille. »
Dans la
famille, tous sont heureux d’avoir enfin un véhicule motorisé à la porte
de la maison. Pendant l’été, pour la messe du dimanche, il n’est plus
nécessaire d’avoir recours à la camionnette de l’oncle Timile. Pendant
l’hiver, les déplacements sont maintenant facilités par un snowmobile
(autoneige) qui voyagent les gens du rang pour la messe du dimanche
moyennant un dollar par famille. Les chemins ne sont pas encore ouverts
pendant l’hiver.
On
sent qu’une ère nouvelle apparaît, une ère de modernité. Pour nous, il
semble bien que la vie ne sera plus jamais pareille. C’est un passage
que d’autres ont vécu bien avant nous, mais qui changera notre vie pour
toujours.
Un
bon dimanche, nous insistons auprès de ma mère pour qu’on aille manger
une crème glacée à Saint-Eugène. On est 5 ou 6 dans la boîte arrière de
la camionnette. Que la crème glacée est bonne ! Quel beau voyage !
Impensable d’avoir réalisé un tel exploit avec une voiture à cheval.
Plus tard, on
va aux bleuets à Saint-Simon. Un fait inusité m’interpelle. Après avoir
fait notre provision de bleuets,
je vois un jeune garçon d’environ 10 ans qui court
après un papillon. Son père s’écrie : « Embarque dans mon camion, mon
p’tit maudit, on s’en va. » Ma mère est outrée, moi aussi d’ailleurs. Je
ne peux pas concevoir qu’on utilise un tel langage avec un jeune.
À
la suite de l’achat de la camionnette, les finances de la famille sont
en mauvais état malgré l’absence de dettes. Il faudra attendre au 10
octobre 1956, quatre ans plus tard, pour que les économies dépassent
1000 dollars, soit un montant de 1066,90 $.
Les roches
Le
gouvernement Duplessis offre aux cultivateurs d’épierrer leurs terres.
Chaque fermier a droit à un certain nombre d’heures. Ma mère s’inscrit
au nom de mon père. Un beau jour, un tracteur à chenilles fait son
apparition. Sa tâche est d’arracher les grosses roches dans les champs,
de les déménager le long des clôtures ou même d’enfouir certains tas de
roches. Il y a dans le potager une grosse roche qu’il faut contourner
depuis toujours. En un éclair, le tracteur la fait disparaître. Voilà un
autre signe de modernité.
Juillet 1952. Mon premier emploi d’été
Depuis l’âge de huit ans, j’aide en faisant de menus travaux comme faire
des commissions, sarcler les fraisiers, aller chercher les vaches,
corder du bois. Par exemple, avec d’autres membres de ma famille, je
vais cueillir des fraises et des framboises lors des jours sans pluie
qui sont, à mon avis, beaucoup trop nombreux.
À l’âge de 11 ans, j’obtiens mon
premier emploi d’été rémunéré. Je suis engagé pour fouler le foin chez
Hormidas Gaudreau, le voisin de l’ouest. Le travail n’est pas très
exigeant. Pendant qu’Hormidas remplit la charrette de foin au moyen
d’une fourche, j’y tasse le fourrage en marchant dessus et en le
déplaçant au besoin avec mes bras. Madame Hélène ramasse les brindilles
de foins restantes avec un petit râteau. Lors des journées de travail,
je dîne chez le couple.
Je n’ai jamais su combien je gagnais. De toute façon, c’est toujours ma
mère qui encaissait le pactole.
Un enfant de chœur
Un enfant de chœur est un jeune qui suit les
offices religieux au chœur et qui intervient comme servant lors de
cérémonies. À Saint-Mathieu, à l’époque, ce rôle appartient en
exclusivité aux jeunes du village.
Ceux-ci sont des garçons du couvent choisis par les
religieuses et la proximité de l’église leur permet de participer aux
répétitions.
Chez nous,
le banc familial
de quatre places à l’église ne suffit plus parce que notre famille
comporte sept enfants en âge d’aller à la messe. Ma mère part à la
recherche de places. Elle demande d’installer deux chaises droites et un
agenouilloir en avant de la première rangée à droite du banc des
marguilliers : ce qui est fait mais ne dure pas longtemps, probablement
un été.
Ma mère va rencontrer la religieuse du Saint-Rosaire qui est sacristine
et lui demande si elle peut m’accueillir comme enfant de chœur. Celle-ci
manifeste une certaine réticence. Finalement, elle accepte étant entendu
que je ne serai pas invité à servir la messe. On me confie une soutane
noire et un surplis blanc brodé de dentelles. Ma mère repasse
religieusement l’ensemble.
Lors de la grand-messe du dimanche, nous entrons en procession derrière
un porteur de croix et nous rejoignons les deux rangées de bancs placés
de chaque côté du chœur. À la fin du cortège, le curé marche, précédé de
deux servants de messe qui ont revêtu une soutane rouge.
C’est un privilège pour moi d’occuper un banc dans le sanctuaire, mais
il faut que je me tienne droit. Les religieuses nous surveillent de leur
prie-Dieu situé en avant de la nef du côté de la chaire. Gare à celui
qui rit sans raison, qui s’assoit nonchalamment ou qui donne des coups
de coude. Pour les ruraux comme moi, ce serait la fin du privilège. Pour
les villageois, ce serait des remontrances et des punitions de la part
des religieuses. Le curé, lui, ne voit rien parce qu’il dit sa messe dos
à l’assistance.
Les enfants de chœur doivent, en dehors de l’église, être vertueux,
avoir une conduite édifiante et irréprochable auprès des paroissiens.
Les servants de messe qui vivent plus près du curé doivent être
ponctuels, respectueux, sérieux dans l’accomplissement de leurs
fonctions et être constamment à l’écoute du prêtre. N’étant pas un
« vrai » enfant de chœur, je n’étais pas soumis à cette discipline.
La pêche
Toutes les fois où mon père décide qu’il ne veut pas aller à la
grand-messe du dimanche, il trouve des raisons que ma mère fait semblant
d’accepter. C’est dans ce contexte qu’il a refusé d’être marguiller
quand son tour est venu.
Un jour, il s’absente de la messe sous prétexte qu’il est fatigué et a
mal au dos. Il n’avait pas imaginé l’offre qu’il aurait après le dîner.
M. Joseph, le deuxième voisin de l’ouest qui est aussi le cousin germain
de grand-mère Théberge, vient lui offrir d’aller pêcher sur un lac du
sixième rang. Le lac est à quelques kilomètres et il faut s’y rendre à
pied.
En entendant cette proposition, le visage de mon père s’illumine. On
sent vraiment qu’il n’est plus fatigué et que le mal de dos a foutu le
camp. Ma mère le regarde en voulant dire : « Je le savais bien. » Sans
hésiter, il accepte fébrilement.
2 septembre
1952. Rentrée des classes
L’école commence sans retard. Je suis en 7e année avec
Lisette Vaillancourt. L’institutrice est Marie-Rose Boulanger, sœur de
Cécile. Elle n’a pas de brevet d’enseignement. Elle a 19 ans et a
terminé sa 8e année. Là, je suis très déçu. Comment faire
confiance à une institutrice qui a seulement deux ans de scolarité de
plus que moi ? Toutefois, Marie-Rose est plus autoritaire que Cécile et
ramène un certain calme dans l’école. De plus, elle s’adonne à sa tâche
avec une certaine fougue. Il faut ajouter que, pendant mon primaire, le
nombre d’élèves dans mon école du rang 5 varie de 7 à 12. Comme on y
retrouve les jeunes de la première à la septième année, il y a très peu
de jeunes du même âge.
Suzanne part pour l’École normale de Mont-Joli. Elle entreprend deux
années d’études qui lui permettront d’obtenir un brevet C au-delà
desquelles elle pourra enseigner au primaire. Maman est contente. Elle
pense que Suzanne pourra aider aux finances de la famille lorsqu’elle
obtiendra un poste.
Octobre 1952. Une trouvaille
Quand nous revenons de l’école, mes deux frères et moi, nous sommes
étonnés de voir sur le poêle de la cuisine quatre chaudrons emplis à
pleine capacité de viande rouge. Je questionne maman. Elle me dit que
mon père a tué un veau et qu’elle fait des conserves. Elle ajoute : « Il
ne faut pas en parler à personne. » Je suis étonné par ces propos, mais
je n’insiste pas.
J’appris plus tard qu’en allant à la chasse à la perdrix au sixième rang
mon père était tombé par hasard sur un chevreuil blessé par balles. Il
l’avait saigné, débité et ramené la viande à la maison. Des rumeurs ont
circulé que mon père avait volé le chevreuil d’un autre chasseur, mais
le tout s’est rapidement éteint.
La chasse
Mon père adore la chasse. Il y va généralement seul. Quand l’automne
arrive, il prépare sa carabine et ses collets. Dès la première neige,
raquette aux pieds et une poche sur le dos, il va étendre ses collets
sur sa terre du cinquième et sur celle du sixième. Il sait très bien
comment déjouer le flair et la perspicacité des lièvres. Dans ses bonnes
tournées, il revient avec une dizaine de lièvres congelés et deux ou
trois perdrix.
Ma mère apprête les lièvres et les perdrix. Elle les fait bouillir ou en
fait un six-pâtes. C’est un régal à chaque fois. Le plus curieux de
toute cette histoire c’est que, nous les enfants, nous nous obstinons
pour savoir qui mangerait la tête et surtout … la cervelle du lièvre.
Pour cela, il faut d’abord ouvrir la mâchoire. On mangeait la langue,
les joues et même les yeux. On séparait la tête et on mangeait la
cervelle : c’était le bouquet que d’aspirer cette moelle. Je ne suis pas
sûr si aujourd’hui je serais prêt à refaire les mêmes gestes.
Ce que mon père aime aussi, c’est de rapporter du petit gibier
comme des loutres, des visons, des martres, des hermines ou des
belettes. Pour les prendre, il pose ses collets près d’un cours d’eau.
Ces petites bêtes ont une peau qui est très recherchée pour la
confection de manteaux et de chapeaux.
Arrivé à la maison, mon père les dépèce soigneusement. Il étend les
peaux sur une corde à linge dans le grenier de la maison pour les
laisser sécher. Les premiers jours, une senteur douteuse envahit cette
pièce.
De temps à autre, ma mère fait un paquet contenant des peaux. Elle
expédie le tout à un commerçant de Rivière-du-Loup. Quelques jours plus
tard, elle reçoit un chèque. Il n’y a pas de négociation. Le commerçant
sait bien que si le prix n’est pas raisonnable, il perdra des clients.
Décembre 1952. Maladie de ma mère
Comme d’habitude, mon père fait boucherie. Il tue un porc et un veau. Ma
mère seconde mon père dans ces tâches. Dans le froid et l’humidité, elle
attrape une pleurésie et prend le lit. Son état devient de plus en plus
grave. Elle demande à une de mes sœurs d’aller chercher M. Ernest.
Monsieur Ernest est rapidement au rendez-vous. Dès son examen de la
malade, il dit à mon père : « Va appeler chez Désiré Dionne et demande
au médecin de venir. C’est pressant. » Il s’informe de l’état de notre
réserve de pains, parce que d’habitude c’est ma mère qui cuit le pain de
la famille. Sans perdre un instant, il s’installe sur le bout du
comptoir de la cuisine. Il demande qu’on lui apporte de la farine et
pétrit de ses mains une douzaine de pains. Cette scène est inoubliable.
Elle est surréaliste pour moi. Un homme qui sait pétrir du pain. L’image
de l’homme est menacée.
Le médecin vient et, grâce à ses bons soins, ma mère se rétablit.
Heureusement, parce que sans notre mère, la vie aurait été tellement
différente et incertaine pour nous.
31
décembre 1952. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 411,09 $.
1er
janvier 1953. Rencontre d’un aïeul
À chaque année, contrairement aux autres jours de l’année, mon père est
le premier levé. Il appréhende ce jour pensant que c’est son dernier
jour de l’an. Avant le départ pour la messe, maman invite mon père à
bénir la famille. Il le fait sans conviction en dessinant une croix par
geste et en mâchouillant : « Je vous bénis, au nom du père, du fils et
du Saint-Esprit ».
Arrivé au village, je reçois de mon parrain Édouard Ouellet une pièce
d’un dollar en métal. Ces pièces ne circulent pas de façon régulière,
mais elles sont accessibles à la Caisse populaire. C’est la première
fois que je vois une telle pièce. J’en suis très content.
J’accompagne ma mère à la grand-messe. Nous nous dirigeons à pied vers
l’église. Je chantonne : « C’est dans le temps du Jour de l’An. » Le
trottoir n’est pas déblayé. Quand une voiture à cheval passe, il faut
grimper sur le banc de neige. Tout à coup, je vois un vieillard se
diriger vers nous. Ma mère se tourne vers moi et dit : « C’est mon
grand-oncle Jean-Baptiste Paradis. » Je suis fort surpris. Je n’ai
jamais entendu parler de lui. Je connais les oncles et les tantes de ma
mère, mais un grand-oncle, pas.
J’ai 11 ans et cet homme me paraît un vieillard. Ma mère, toujours aussi
charmante, l’interpelle :
– Bonjour, mon oncle Jean-Baptiste.
– Je pense que tu es la fille à Marie-Luce, ma nièce, de reprendre
Jean-Baptiste.
– Oui et comment va votre santé, de répondre ma mère ?
– Tu sais, Marie-Laure, j’ai 89 ans. À part quelques troubles d’estomac,
ma santé est bonne. Je pense que le bon Dieu ne veut pas de moi au
paradis (ricanements).
En se tournant vers moi, il poursuit :
– C’est ton gars ?
– Oui, il veut aller au Séminaire en septembre et faire un prêtre.
– C’est bien. Le clergé a besoin de relève. Mais comment va ton père
Émile Théberge ?
– Il commence à être en enfance. Certains jours, il fait des fugues. Il
veut aller trouver son père. Vous savez que son père est mort depuis une
trentaine d’années.
– Pourtant, il n’est pas vieux.
– C’est vrai, il n’a que 70 ans.
Je suis étonné. Jean-Baptiste Paradis est le plus vieil homme parmi ceux
que j’avais déjà rencontré. Toutefois, j’ai de la difficulté à
comprendre que lui, mon arrière grand-oncle, qui est né en 1863, vit
encore alors que mon grand-père Jean est décédé depuis 31 ans.
Au retour de la messe, ma mère m’explique que son grand-oncle avait
épousé une fille d’Étienne Ouellet qui est le grand-père de sa mère. Il
n’en fallait pas davantage pour que je le trouve encore plus vieux.
Jean-Baptiste Paradis est décédé le 19 janvier 1956 à 92 ans, trois ans
après cette rencontre. Je n’ai pas connu son épouse, car elle est
décédée en 1944.
23 février
1953. Marche au catéchisme
Voilà une période fort mouvementée et originale de ma vie : marcher au
catéchisme. Cela veut dire suivre des cours de religion de la part du
curé. C’est un peu comme si le prêtre n’avait pas confiance aux
enseignements des religieuses et des institutrices. En ce temps-là, la
marche au catéchisme s’adresse aux élèves de septième année en vue de ce
qu’on appelle la communion solennelle.
Le curé Alfred Bérubé décide de donner des cours l’avant-midi seulement
et ce, pendant quatre semaines consécutives. Vu la distance trop grande
de la maison au village, je ne peux pas aller à l’école les après-midis.
Je suis alors en congé. Je demeure chez tante Candide qui garde mon
grand-père Émile Théberge. Je couche au deuxième étage chez l’oncle
Georges Théberge, le frère de ma mère.
Travaux d’école
La marche au catéchisme commence le lundi 23 février 1953. Avant de
partir de l’école, le vendredi de la semaine précédente, Marie-Rose
Boulanger, mon institutrice, m’a donné des travaux en catéchisme,
évangile, grammaire, mathématiques, anglais, histoire du Canada,
géographie et comptabilité. Pendant les après-midis, je réalise ces
travaux et j’écris les détails dans un cahier en travaillant sur la
table de cuisine de grand-père Théberge.
Lors d’une semaine, Marie-Rose Boulanger me demande de rédiger une
composition sur le carême. J’écris ce texte dont le titre est : « La
Pénitence » et dont l’empreinte religieuse est très marquée. Le voici
intégralement :
« Oh ! que je le mangerais ce chocolat si
aujourd’hui était hier. Il est d’un beau brun, il est tendre et bon.
Aujourd’hui, c’est le mercredi des Cendres, je me rappelle, le prêtre
m’a mit (sic) de la cendre sur la tête en disant : « Souviens-toi ô
homme que tu es poussière et que tu reviendras en poussière. » Il est si
tendre, si bon ce chocolat, je le met (sic) sur ma lèvre. Hier, en
mangeant mes autres, s’il ne saurait (sic) pas cacher (sic), il serait
manger (sic). Je vais essayer de faire ce petit sacrifice pour notre
Seigneur, lui il a jeûné pendant quarante jours. Il n’a pas bu ni manger
(sic). Oh ! que l’on est faible. »
J’avais réussi à faire six fautes dans un court texte.
Marie-Rose a signalé mes fautes,
sauf les trois dernières.
Qui a dit que les jeunes de fin du primaire des
années 1950 maîtrisaient mieux leur langue que ceux d’aujourd’hui ?
Ma comptabilité
J’en profite pour faire ma comptabilité. Le 22
février, j’ai 29 ¢. Avant de partir le 23, ma mère me donne 8 ¢. Le 24,
je m’achète un cahier au coût de 3 ¢ à
La Familiale. C’est le cahier
où j’écris ma planification et certaines réponses à des questions sur
les matières scolaires. J’ai toujours conservé ce cahier.
J’achète aussi une boîte de mines à crayons pour 5 ¢. Le 25, tante
Candide me donne 1 ¢ pour une commission. J’ai alors 30 ¢. Le 2 mars, ma
mère me donne 96 ¢. Le 4 mars, je vais à la Caisse Populaire et je
dépose dans mon compte tout mon avoir, soit 1,26 $. Le 12 mars, tante
Jeanne me donne 5 ¢ pour une commission. Le 16, ma mère me donne 5 ¢. Le
lendemain, j’achète un petit catéchisme au coût de 4 ¢.
Quand je termine ma marche au catéchisme, j’ai la somme mirobolante de 6
¢ en poches. Pendant tout ce temps, comme on peut le constater, je n’ai
acheté ni friandises, ni liqueur. Pourtant il y a une salle de billard
en face de mon foyer d’accueil et on y vend toutes sortes de friandises.
Que nous enseigne le curé ?
Nous sommes 64 jeunes à marcher au catéchisme. En première année, 21
garçons et 19 filles ; en deuxième année, 13 garçons et 11 filles. Les
enseignements du curé Alfred Bérubé touchent l’ensemble du catéchisme de
l’époque et, à certains égards, ressemblent à des cours de droit
canonique.
J’apprends les critères d’empêchement de mariage, les sortes de péchés :
originels et actuels, mortels et véniels, les commandements de Dieu et
de l’Église, le catalogue des indulgences. J’apprends que le péché de
nos premiers parents a obscurci notre intelligence et a affaibli notre
volonté, en nous donnant une inclinaison au mal. Pas très rassurant pour
un enfant de 11 ans qui ne réussit pas à identifier les péchés qu’il
fait.
J’apprends, notamment, comment faire pour ne pas tomber dans
l’ivrognerie : « Ne pas aller au cabaret ; ne prendre aucune boisson
enivrante entre les repas ; fuir la société de ceux qui aiment à
boire ; s’engager dans la société de tempérance et en suivre les
règles. » Que comprend un enfant de 11 ans qui ne sait même pas ce
qu’est un cabaret et qui n’a jamais goûté à une boisson alcoolisée et
qui, plus est, n’a jamais vu personne boire de l’alcool, sauf le curé à
la messe ?
Les cours se donnent dans la sacristie. Les garçons sont du côté sud et
les filles du côté nord. Je remarque que, de façon générale, les jeunes
du village sont mieux habillés que ceux de la campagne. D’autant plus,
que certains du village nous snobent, nous les jeunes des rangs.
Il n’y a pas de pupitre dans la sacristie. Lors des examens, pour
répondre aux questions, il faut se trouver un endroit de fortune, comme
utiliser les bancs en se mettant à genoux, ou encore s’accoter sur l’un
des deux autels qui sert aux prêtres pour se préparer à la messe.
J’aime cette expérience d’avoir des cours magistraux aussi longs.
Toutefois, j’ai de la difficulté à me concentrer n’ayant jamais à
l’école suivi un cours de plus de deux ou trois minutes et n’ayant
jamais regardé un film.
Grand-père Théberge
Mon grand-père Théberge qui a 70 ans commence à être confus et à perdre
la mémoire.
Il parle peu et semble toujours préoccupé, se renfermant dans sa bulle.
On dit de lui
qu’il est en enfance. Certains jours, il est sain d’esprit ; il passe du
temps dans son atelier du rez-de-chaussée. Mais, d’autres jours, il
parle principalement de son père avec qui il effectue des travaux comme
faire les sucres.
Je l’écoute avec attention sachant fort bien qu’il n’en est rien. Aujourd’hui,
on dirait peut-être qu’il souffrait de la maladie d’Alzheimer ; mais
aucun diagnostic n’a été porté.
Un après-midi, alors que je fais mes devoirs sur la table de la cuisine,
tante Candide se rend compte qu’il n’est plus dans son atelier.
Grand-père a disparu.
Elle se met à
hurler. Comme elle n’a pas le téléphone, en panique, elle passe chez son
frère Georges, propriétaire de la maison paternelle. Tout de suite,
tante Jeanne fait des téléphones. Grand-père est retrouvé à la sortie
ouest du village et est
ramené à la maison par un bon samaritain. Il allait trouver son père. Le drame est de courte durée et sans
conséquence.
La
communion solennelle
Le 22 mars, c’est ma communion solennelle. La
cérémonie consiste à faire une profession de foi, c’est-à-dire à
renouveler les engagements pris au baptême en notre nom par notre
parrain et par notre marraine et sans notre consentement. Aujourd’hui,
cette profession de foi se fait lors de la confirmation.
Après ma communion solennelle le 25 mars 1953, je retourne à l’école du
rang 5.
Mai 1953. Les poules
En
arrivant de l’école, je vais chercher un vêtement dans ma chambre.
J’entends piailler dans le grenier. Ce sont des cris légers et
envoûtants. Je vais voir ce qui se passe. Dans une boîte de carton dont
le fond est recouvert de papier journal, je vois
une douzaine de petits poussins. Au bout d’une quinzaine de jours, ayant
acquis de l’autonomie, ils seront déménagés au poulailler.
De temps à autre, ma
mère me demande d’aller ramasser les œufs dans le poulailler. Les poules
pondent généralement un œuf par jour pendant la belle saison. Une
voisine en achète une douzaine de temps en temps. Les autres sont
consommés en omelettes assorties de grillades de lard ou en œufs à la
coque et entrent dans la confection de certains mets. Mon père en mange
trois pour son déjeuner. De temps à autre, ma mère fait tuer une poule.
Les plumes sont recueillies pour emplir les oreillers.
Chaque année, une ou
deux poules deviennent couveuses sans œufs. La fausse couveuse se couche
sur un endroit peu creux dans la cour ou dans un compartiment de ponte.
On la reconnaît à sa poitrine dégarnie, à ses légers gloussements, à ses
plumes hérissées et à la queue baissée. Si on s’approche d’elle, elle
attaque avec son bec. Ma mère n’est pas tendre envers les
récalcitrantes. Un jour, ma mère perd patience en voyant une poule qui
couve dans la cour et lui décroche un robuste coup de pied. Ce
comportement ne correspond pas à ma mère. C’est la seule fois que je
l’ai vu dans cet état. Toutefois, la poule a été royalement délogée de
son trône.
Juin 1953.
Certificat de 7e année
C’est le temps du certificat d’études de 7e année. Les jeunes
de la campagne comme moi doivent se rendre au couvent des Sœurs du
Saint-Rosaire au village pour passer les examens. Le fait d’avoir suivi
des cours du curé avec les jeunes du village diminue mon anxiété.
La
religieuse qui enseigne en 7e année au couvent est la
surveillante attitrée. Elle nous donne ses directives au début. Entre
autres, pas d’encrier. Un élève contrevient à cette consigne et en
pleine période d’examens son encrier tombe par terre et se vide sur le
beau plancher de bois. Grimaces de la religieuse qui ne peut quand même
pas faire une crise alors que tous suent sang et eau.
À
chaque examen, je me rends à la cour d’école une dizaine de minutes
avant le début. J’écoute les élèves du village se poser des questions de
révision. Je suis estomaqué. J’entends plusieurs mots pour la première
fois. Il faut dire que Marie-Rose, notre maîtresse, ne nous donnait pas
de cours oraux ou très peu. À la place, elle nous donnait des travaux et
nous écrivions les réponses.
Je
suis alors certain de ne pas réussir mon certificat. Moi qui viens
d’être admis en Éléments-Latins (Secondaire I) au Séminaire de Rimouski
pour la prochaine année. C’est le curé qui m’a recommandé et j’ai été
accepté sans subir d’examen d’admission.
En
anglais, par exemple, sept questions sur 10 sont posées à partir d’un
texte donné. Je ne comprends rien au texte puisque mon vocabulaire est
très pauvre. Alors, j’utilise une stratégie de reconnaissance. Quand je
vois à peu près les mêmes mots dans le texte et dans la question, je
transcris le texte mot à mot. Les trois autres questions qui portent sur
la grammaire et le vocabulaire ne me donnent aucun point. Quand je
remets ma copie, la religieuse surveillante me dit tout de suite en
voyant ma copie que mon résultat est de 70 % : ce qui se réalisa.
J’étais fort soulagé.
Le
premier dimanche de juillet, je suis convoqué au couvent après la messe.
Je suis pas mal nerveux. La religieuse titulaire de 7e année
m’annonce que j’ai réussi mon certificat. Ouf ! je suis content. Elle me
regarde dans les yeux d’un air déçu et me dit :
-
Vous êtes le premier de la paroisse. Félicitations.
Je
sens sa frustration et un brin de jalousie. Moi, un rural qui étudie
dans une classe à degrés multiples, qui a manqué un mois d’école pour
avoir marché au catéchisme et dont l’institutrice est non diplômée et
débutante, j’avais pris le premier rang du peloton, alors qu’elle, au
village, enseigne à deux seuls degrés et est diplômée.
J’obtiens les résultats suivants qui me donnent distinction comme note globale d’appréciation.
Étais-je rempli de
gloire parce que j’étais le premier de la paroisse ? Pas du tout. Je me
disais
qu’avec mon 76 %, ce sont les autres qui ont
été incapables de me dépasser. Si j’avais eu 95 %, par exemple, j’aurais
pu m’enorgueillir, mais pas avec 76 %.
J’ai rencontré Marie-Rose dix ans plus tard et elle m’exprima alors la
satisfaction qu’elle avait eu de ce résultat, d’autant plus qu’elle
n’avait qu’une huitième année. Marie-Rose, par la suite, retourna à
l’école et devint une institutrice diplômée. Sa carrière était lancée.
Juillet 1953. Une peur bleue
Le
temps est nuageux. Une légère pluie tombe depuis ce matin. Il n’y a pas
de travaux en cours sur la ferme. On passe un après-midi tranquille dans
la maison. Ma mère est en train de faire de la couture au moulin à
coudre. Elle a besoin d’une pièce de tissu qu’elle me décrit. Elle me
demande si je peux aller la chercher au grenier. Je lui réponds que
j’irai aussitôt que j’aurais fini de lire le chapitre du livre que j’ai
entre les mains.
J’entre dans le grenier. Je commence à fouiller dans quelques boîtes.
Tout-à-coup, un ours commence à bouger et se lève en criant « bou » et
en faisant de larges gestes. Je suis foudroyé. C’est comme si j’avais
été frappé par une forte décharge électrique. Les jambes lâchent et je
me retrouve à terre le ventre contre le plancher. J’arrête presque de
respirer. C’est mon frère Pierre qui s’était faufilé au grenier et qui
s’était emmaillotté dans la peau d’ours servant autrefois l’hiver comme
couverture pour se réchauffer.
Je
regarde Pierre. Sa figure marque beaucoup d’inquiétude. Finalement, je
me relève. Je lui reproche de ne pas avoir réfléchi avant de me jouer ce
tour. « J’aurais pu en mourir, lui dis-je. » Il est repentant. Il ne
pensait pas que cela aurait pu tourner presqu’au tragique.
Mon deuxième emploi d’été
Pendant l’été,
même si je n’ai que 12 ans, j’ai
un deuxième emploi rémunéré. Je
fais les foins
chez Simon Plourde, un cultivateur du rang 5 dont la terre est voisine
de l’école à l’est. Je dois fouler autant dans la
charrette que dans la grange. En plus, je dois déplacer le foin
dans la tasserie avec une fourche pour le refouler le long des murs.
J’en tousse un coup dans la chaleur et dans la poussière.
Contrairement
à chez nous, il n’y a personne pour manier le petit râteau car les
brindilles sont ramassées avec un grand râteau. Mon salaire est
peut-être de 1 $ par jour au maximum, le dîner en sus.
Une scène
poignante
Pendant l’été, nous allons pêcher assez souvent dans une petite rivière
située au sud de la maison,
qui est la décharge du lac des Prairies. Le débit d’eau est insuffisant pour pêcher tout
en son long. Nous nous tenons davantage auprès d’une fosse située à la
frontière de la terre paternelle et de celle du voisin de l’ouest. Nous
revenons heureux, le plus souvent avec une dizaine ou plus de petites
truites. Ce jour-là, l’excursion est traumatisante.
D’habitude, le
matin quand la traite des vaches est terminée, ma mère réunit la
famille, sauf mon père, pour faire la prière avant le déjeuner. Ce
matin-là, elle en est empêchée étant retenue chez des voisins. La prière
est remise après le dîner.
Au début de
l’après-midi, comme la température est plutôt maussade, mon cousin
Gilles, Pierre, Raynald et moi projetons d’aller pêcher à la petite
rivière du sud. Nous demandons la permission à ma mère qui nous répond :
« Nous allons faire la prière du matin et après vous pourrez y aller. »
Nous qui
pensons que pour une fois nous avions eu congé de prière, nous sommes
déçus. Je dis alors à ma mère : « Je vous promets que, parvenus à la
rivière, nous allons faire la prière. » Finalement ma mère accepte. Au
fond de moi-même qui est l’aîné du groupe, je n’ai pas du tout
l’intention de respecter ma promesse.
Après au moins
10 minutes, nous réalisons que la petite truite n’est pas au
rendez-vous. Nous prenons des branches qu’on appelle des chicots et nous
nous amusons dans l’eau. Mon chicot étant particulièrement vieilli, il
casse en trois ou quatre morceaux. Raynald reçoit un éclat de bois
en-dessous de l’œil droit. Le sang gicle. Je demande un mouchoir propre
que je pose sur la plaie. Je ne sais pas si l’œil est atteint. Je pense
tout de suite que Dieu nous punit pour ne pas avoir fait la prière.
Nous décidons
de retourner à la maison. À mi-chemin, cachés par des broussailles, nous
étendons mon jeune frère sur le sol et nous commençons la prière. C’est
sans aucun doute la première fois de notre vie que je prie avec autant
de ferveur. Je nous vois encore à genoux autour de mon frère implorant
le ciel que la blessure ne soit pas trop grave. La prière terminée, nous
reprenons notre marche.
Je me sens
responsable de cet accident. Je crains que les dommages à l’œil de mon
frère soient sérieux. J’ai peur d’être puni. J’attends dehors.
Finalement, l’infirmière maman conclut que la blessure est légère et que
l’œil n’a pas été touché. Je puis retrouver la maison.
Malheureusement, nous avons dû abandonner de fréquenter cette rivière
car, avec la déforestation en amont, elle s’est peu à peu desséchée.
5 août 1953.
Mariage de Carmen
Le
5 août 1953, Carmen, ma sœur, épouse
Jacques Ouellet. Trois des frères
de Jacques sont prêtres : Paul-Émile, Ulric et Mathieu. Le midi, le
déjeuner-dîner est chez Émile Ouellet au village. Moi et Pierre avons la
permission d’assister au mariage et au repas, mais pas les plus jeunes.
Il
y a beaucoup d’invités. On nous annonce que moi et
Pierre serons de la
deuxième tablée. Je suis profondément humilié. Je suis le frère de la
mariée et je dois attendre pour manger. Le spectacle n’est pas pour moi
et j’ai pourtant 12 ans. À la table, c’est la première fois que je vois
des pamplemousses.
Le
soir, le souper est chez mes parents au cinquième rang. Après le souper,
je suis devant la maison et l’abbé Mathieu vient me parler. Il
m’invite à l’écart. Il me demande si j’ai hâte d’entrer au Séminaire et
ce que j’ai l’intention de faire plus tard. Je lui dis que j’attends ce
moment avec impatience et que je veux devenir prêtre. Il me regarde
fixement et dit : « De toute façon, il te reste huit ans pour y
penser. » Je sens dans son regard qu’il n’est pas certain d’approuver
mon choix. Quelques années plus tard, il quittera la prêtrise, se
mariera et deviendra pasteur protestant.
Cette journée-là, ma mère avait accepté de prêter les services de Gilles
pour aider mon oncle Cyprien à faire du foin au sixième rang.
D’habitude, le retour se faisait au plus tard vers 18 heures. Mais,
cette fois-ci l’oncle Cyprien ne revient que vers 21 heures. Je n’avais
pas beaucoup de sympathie pour Gilles ; mais, là je suis choqué qu’on
puisse volontairement enlever ce plaisir à un jeune de neuf ans. C’est
la première fois que cet oncle revient aussi tard. Il vient de prendre
sa revanche en exprimant son mécontentement. Pourquoi ? Son fils Romuald
a voulu courtiser Carmen, mais celle-ci a refusé. L’oncle Cyprien n’a
jamais accepté la décision de Carmen, parce qu’il avait décidé d’avance
pour son fils.
Un
recruteur
Je
me prépare fébrilement à entrer au Séminaire. Je lis et relis les
documents envoyés par le directeur du Séminaire. Je compte les jours
avant la rentrée. J’ai hâte d’étudier dans une vraie classe avec des
élèves du même degré et du même âge. Je veux devenir prêtre et
professeur en mathématiques au Séminaire.
Un
jour du mois d’août, nous allons au sixième rang en camion. En revenant,
je me couche dans la boîte arrière. C’est grisant. Le soir, toutefois,
j’ai des maux d’oreille très intenses. Quand je tape près de mes
oreilles, j’entends un bruit infernal. Le lendemain, souffrant d’une
forte fièvre, je suis alité.
Le
Frère Henri-Bertrand, recruteur pour les Frères du Sacré-Cœur, se
présente chez nous. Il veut me voir. Ma mère le conduit à ma chambre. Il
veut que je fréquente leur juvénat en septembre. Un aspect attirant :
c’est gratuit. Je l’informe que j’ai été accepté au Séminaire. Il me
donne quelques dépliants d’information, puis s’esquive.
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Chapitre 6. Ma première année au Séminaire
8 septembre 1953. Rentrée au Séminaire
C’est un grand jour dans ma vie. Je viens d’avoir 12 ans. J’entre comme
pensionnaire en Éléments-Latins au Séminaire de Rimouski. Je dois
quitter ma famille pour toujours si je persiste dans mes études. C’est
un jour déchirant. Mon cœur palpite. Je n’ai aucune idée dans quoi je
m’embarque. La seule chose que je sais. D’autres avant moi ont vécu ce
jour et ces années qui m’attendent et ont passé à travers.
Quand j’atteins l’allée du Séminaire avec ma mère et que je vois devant
moi cette immense bâtisse, mon cœur cesse de battre. Je sens
immédiatement qu’une cassure s’invite dans ma vie. C’est comme si j’ai à
choisir entre ma mère et cette bâtisse qui m’intimide par tout l’espace
qu’elle occupe, cette bâtisse qui a les bras largement ouverts, non pas
pour m’accueillir mais pour m’engloutir.
La redingote
Dès l’entrée dans cette immense bâtisse, je suis impressionné par la
hauteur des plafonds qui sont d’une douzaine de pieds.
Moi et ma mère nous nous présentons au bureau du directeur des élèves,
l’abbé Gérard Cayouette, qui fut d’ailleurs curé de
Saint-Mathieu-de-Rioux une dizaine d’années plus tard. Les frais
d’inscription sont de 15 dollars. L’abbé Cayouette jette vers moi un
regard interrogateur se demandant, sans doute, si je voulais devenir
prêtre et si j’avais la capacité de réussir le cours classique. Il
m’indique que mon lit sera au dortoir D. Il précise qu’après être allé à
la Procure pour la redingote, je devrai aller déposer ma valise à
l’extrémité est de la bâtisse.
Le costume officiel des élèves consiste en une redingote de drap bleu
marine avec nervures blanches, un ceinturon de laine verte et un
pantalon bleu marine. Je porte déjà le pantalon réglementaire. Il faut
maintenant acheter la redingote et le ceinturon. À la procure située à
l’entrée de l’édifice, j’essaie quelques redingotes et finalement ma
mère opte pour l’une d’elles. Il en coûte 30 dollars pour la redingote
et le ceinturon.
Le bas de la redingote doit dépasser légèrement les genoux. Deux grandes
poches se trouvent sur les côtés et des lisérés blancs cachent les
principales coutures. À la procure, on m’avertit que je devrai porter
cette redingote du matin au soir. On me dit aussi d’en prendre bien
soin, de la brosser et de procéder à un nettoyage savonneux à la main de
temps à autre. Avec les mois, semble-t-il, les rayures s’éliment, la
sueur s’y imprègne, les pellicules recouvrent les épaules, parfois des
souvenirs de nourriture s’y agglutinent.
Ma valise
Il y a plusieurs dizaines de valises qui attendent d’être dirigées vers
un des deux dortoirs attitrés. Ma mère décide de partir. Je suis triste.
En même temps, je suis confiant. J’ai l’impression que le mois que j’ai
passé chez grand-père Théberge en mars dernier m’a procuré une certaine
expérience de la vie loin des miens. Je suis plus incertain quand je
pense que je ne pourrai aller dans ma famille que pour les vacances de
Noël.
Depuis quelques semaines, ma mère avait préparé mon trousseau. Le linge
lavable avait été marqué à mon nom par un numéro assigné lors de mon
acceptation au Séminaire. On peut voir dans ma valise une paire de
souliers de toile, deux ou trois paires de bas de laine, deux ou trois
chemises, des chaussettes, deux ou trois camisoles de laine, une paire
de bottes en caoutchouc pour mettre par-dessus mes souliers, un paletot
d’hiver, une casquette fabriquée par ma mère, un foulard de laine, une
robe de nuit, du cirage à chaussures et divers articles de toilette
comme savon et brosse.
Les religieuses sont responsables du ménage des dortoirs, de la cuisine,
du lavage, de la couture, du raccommodage du linge, enfin de tout ce qui
constitue les travaux intérieurs et matériels de cette maison. Elles
sont aidées par de jeunes filles célibataires.
Le dortoir
Quand ma valise est placée sur le monte-charge, je me dirige au dortoir
D qui est situé au sixième étage.
Quel choc devant l’immensité de la salle ! On y trouve autour de 150
lits. Chaque élève a son lavabo et son armoire. Dans une extrémité, il y
a un bain de pieds et des toilettes.
Les lits sont placés en rangées tête à tête et de légers passages
permettent d’y accéder.
Il y a là un maître de salle qui m’indique l’endroit où est mon lit.
Je vide ma valise et place les objets dans mon armoire. Je traîne ma
valise près de la porte pour qu’un préposé puisse la reconduire au
grenier où elle passera toute l’année scolaire. Je suis les autres
élèves qui descendent dans le vacarme les nombreux escaliers qui
conduisent à la salle de récréation. Personne ne nous a encore dit de ne
pas se jeter sur le pavé entre deux escaliers comme si c’était un jouet
et d’aborder les marches en y allant mollo.
La salle de récréation
Dès mon arrivée au sous-sol, je cherche les toilettes, question de les
atteindre promptement en cas de besoin. Il y a deux salles dont l’une
avec des urinoirs séparés par de larges panneaux. C’est la première fois
que je vois des urinoirs.
À la salle de récréation, ils sont là plus d’une centaine de jeunes qui
attendent je ne sais quoi. Certains ont la cigarette au bec. Ils ont
l’air d’être en pays de connaissance. Ce sont probablement des élèves de
Syntaxe-Latine ou de Méthode. Certains sont seuls dans leur coin. Les
nouveaux d’une même paroisse se rassemblent autour des anciens pour
recevoir des conseils de survivance dans ce lieu qu’on peut comparer en
exagérant, du moins pour moi, à une prison.
Un maître de salle est placé dans un coin de la salle et indique le
numéro de vestiaire à mesure que chaque élève se présente. Vers 17 h 30,
un autre maître de salle demande l’attention des nouveaux et annonce
qu’il va nous donner les rangs de doyen. Il nous indique que ce rang
s’applique pour
se rendre à la salle d’études, à la chapelle, à la cafétéria et au
dortoir. Je comprends tout de suite que c’est un puissant moyen
d’encadrement.
Les anciens qui connaissent déjà leur rang se placent en une longue file
au sud de la salle. Pendant ce temps, les nouveaux se demandent
mutuellement leur date de naissance pour deviner leur position. Le
maître de salle commence par nommer les élèves d’Éléments-latins qui ont
déjà étudié au Séminaire l’année précédente, soit qu’ils étaient dans
une classe préparatoire, soit qu’ils aient doublé leur année. Un à un,
chacun des autres est appelé
selon leur date de naissance du plus vieux au plus jeune
et prend le rang qu’on lui assigne. Je trouve le temps long parce que
mon nom ne vient pas vite. En effet, je suis à peu près le 150e
sur 158 élèves de ma cohorte.
Le souper pourra bientôt commencer. En attendant, on garde nos rangs de
doyen. Pas habitué à ce genre de règlement, je m’appuie négligemment sur
une table de billard située à proximité. Vu ma grandeur, je n’ai pas à
me pencher beaucoup. Le plus jeune des maîtres de salle qui surveille
notre rangée se dirige vers moi et me dit d’un ton cavalier : « Debout.
La table de billard est capable de se tenir toute seule. » Je me
redresse rapidement, mais j’ai de la difficulté à avaler sa remarque.
Les anciens commencent à défiler vers la cafétéria en groupes d’une
vingtaine d’élèves. C’est un maître de salle qui décide quand le groupe
pourra partir. Il nous avertit que, dès que l’on a franchi la porte de
la salle à manger, c’est un silence complet pour tout le repas.
La cafétéria
Un bénitier nous attend à la porte. Il faut faire son signe de croix à
l’entrée après avoir trempé ses doigts dans l’eau bénite. Nous gardons
nos rangs le long des murs. Les élèves de la Petite salle prennent la
droite de la pièce et ceux de la Grande salle, la gauche. Il y a deux
maîtres de salle qui font la surveillance : un pour chaque salle.
Tranquillement, nous avançons vers notre point de service. Je regarde
attentivement ce que font les élèves qui me précèdent parce que je n’ai
jamais mis les pieds dans une cafétéria. Rendu presqu’au comptoir, je
prends un cabaret. Il y a là un grand jeune homme - on m’a dit plus tard
que c’était un finissant - qui fournit les ustensiles. Des jeunes filles
en costume sont derrière des panneaux qui cachent leur figure. Elles
nous servent tour à tour les portions de soupe, mets principal et
dessert. Nous avons droit à un demiard de lait, gracieuseté des vaches
de l’école d’Agriculture qui appartient au Séminaire.
Je choisis une table qui est peu occupée et je déguste mon premier
repas. Quand j’ai terminé, je prends mon cabaret et me rend à un
comptoir en avant. Je dépose mon demiard vide dans une caisse et je
glisse mon cabaret vers une préposée : tout cela comme je l’avais noté
pendant que je mangeais.
La chapelle
Après la récréation où on a passé le temps dans la cour extérieure,
c’est la prière à la chapelle. Pour s’y rendre, nous prenons nos rangs
dans la salle de récréation. Rendus à la chapelle, on nous attribue une
place tout en respectant ces rangs.
La chapelle est remplie à pleine capacité. Les finissants et autres
élèves de la Grande salle sont à l’ouest et ceux de la Petite salle
comme moi à l’est. Pendant que les autres prient, du moins je l’imagine,
je réfléchis à mon avenir. J’ai 12 ans et je vois des finissants qui ont
19, 20, 21 et même 22 ans. Je me dis : « Je dois demeurer huit ans dans
cette école et je n’ai que 12 ans. Quand j’aurai terminé mon cours
classique, j’aurai 20 ans. J’aurai passé près de 50 % de ma vie au
Séminaire. J’espère
ne pas être malade d’ici ce temps. »
Cela m’atterre et je sens une lourde charge sur mes épaules. Je suis
angoissé.
En même temps, je me dis : « Je veux aller jusqu’au bout. Je veux faire
un prêtre. » Pourtant, sur les 159 élèves inscrits en Éléments-Latins en
même temps que moi, seulement 60 termineront leur cours classique.
Je constate que la chapelle sert à nourrir son âme. Sous la chapelle, se
trouve la salle académique pour la nourriture de l’esprit et sous la
salle académique la cafétéria qui sert à nourrir le corps. La chapelle
sera dans l’avenir presqu’aussi visitée que la cafétéria.
La salle d’études
Quand la prière est terminée à la chapelle, c’est la visite de la salle
d’études, un local comportant autour de 275 bureaux. Un maître de salle
nous attribue une place en alternant, soit un élève dans la partie nord
et le suivant dans la partie sud. Chacun a un bureau qui se ferme par un
panneau. On nous distribue la liste des manuels scolaires obligatoires
et facultatifs, de même qu’une liste du matériel nécessaire pour faire
nos travaux.
Le matériel didactique
Après le déjeuner le lendemain matin, tous les élèves d’Éléments-Latins
dont je suis s’installent à leur bureau à la salle d’études. Des
dizaines d’élèves défilent devant nous et nous font des offres de
manuels scolaires périmés pour eux. Ce sont surtout des élèves de
Syntaxe-Latine, la cohorte antérieure à la nôtre. Il y a même des élèves
de Philosophie 1ère année qui veulent vendre leur grammaire
latine.
Ma mère m’avait donné un peu d’argent pour cette opération car le
directeur des élèves, dans la lettre d’acceptation au Séminaire, l’avait
mentionnée. Quand je trouve le prix trop élevé, je tente de négocier.
Je dois me méfier car certains élèves essaient de me vendre des livres
dont j’aurai peu ou pas besoin en m’offrant un fort rabais.
À coup de 25, de 50 et de 75 sous, je réussis à faire mes achats. J’ai
quand même acheté un livre facultatif : Stylistique française de
Legrand. Je l’ai conservé quelques années parce que je l’aimais bien.
Puis, j’ai réussi à le refiler.
À titre d’illustration, on a pu lire plus tard dans la Vie écolière,
journal étudiant :
Élève d’Éléments
6 septembre – Cet avant-midi, j’ai acheté mes livres. J’ai fait, je
crois de bonnes affaires. Un philosophe m’a vendu deux beaux gros
dictionnaires Latin en Poche
pour deux piastres seulement. Ils sont réellement très bons ces
grands-là et ils savent vous donner d’excellents conseils qui vous
réchauffent le cœur.
Élève de Philosophie
6 septembre – Aujourd’hui traite
des livres. J’en ai vendu pour 25 $. Ça faisait longtemps que je voulais
vendre mes deux anthropopithèques de dictionnaires
Latin en Poche.
Malheureusement, c’est un petit nouveau qui s’est fait attraper. Bah !
Qu’il fasse la même chose que j’ai faite et que l’on m’a faite.
Quand la vente de livres usagers est terminée, on peut se rendre à un
magasin géré par les finissants. On y trouve des livres neufs et tout le
matériel requis pour écrire : crayon, stylos, cahiers, etc.
Horaire d’une journée
Il faut apprendre à vivre selon un horaire rigide. Chaque matin, la
cloche du lever sonne à 5 heures 45. Nous nous habillons et faisons
notre toilette. Puis, nous descendons à la salle d’études pour 6 heures
10. Chaque jour, nous nous rendons à la messe.
Les lundi, mardi, jeudi et vendredi nous avons quatre heures de cours.
Les mercredi et samedi, comme c’est congé l’après-midi, nous avons trois
heures de cours en avant-midi. De 11 heures à midi, sauf s’il y a
classe, c’est une période d’études qui doit être consacrée à faire ses
devoirs et à étudier ses leçons.
À midi, nous retournons à la salle de récréation en attendant le dîner.
Par la suite, nous avons droit à une récréation jusqu’à 13 heures 40.
Suit une courte période d’études. À 14 heures, c’est le troisième cours,
puis à 15 heures, le quatrième et dernier cours de la journée. Vingt
minutes de récréation suivent et c’est le retour à la salle d’études.
Avant le souper, nous retournons pour la deuxième fois à la chapelle
pour réciter le chapelet ou pour les Vêpres le dimanche. Après le souper
et la récréation, c’est le troisième rassemblement de la journée à la
chapelle pour, cette fois-ci, réciter la prière du soir. À 20 heures,
c’est une autre période d’études avec permission de lire des livres
autres que les manuels scolaires. Au bout d’une heure, nous descendons à
la salle de récréation et une dizaine de minutes plus tard, nous prenons
nos rangs de doyen pour nous diriger vers notre dortoir. Le couvre-feu
se fait ordinairement vers 21 heures 30.
Dans cet horaire, la prière est omniprésente. La messe, les vêpres, le
chapelet et diverses prières avant ou après les cours ou les études
prennent environ 12 heures dans une semaine,
presque deux heures par jour.
Les études et les cours vont chercher environ 42 heures. En somme, à
part le sommeil, 14 % du temps est consacré à la prière, 47 % aux cours
et à l’étude. Il reste 39 % pour les repas, les récréations, les
déplacements et l’hygiène du corps.
Les maîtres de salle
Il faut apprendre à connaître les maîtres de salle qui
vivent 24 heures par jour avec nous. Ils
sont dans la cour extérieure, à la salle de récréation, à la salle
d’études, au dortoir, à la cafétéria et à la chapelle.
Les maîtres de salle, appelés officiellement régents, sont de jeunes
prêtres qui occupaient antérieurement cette fonction ou qui viennent
d’être ordonnés. Ils sont responsables de la discipline en dehors des
classes.
Cette première année, les maîtres de salle sont en ordre d’ancienneté
les abbés Léopold Desrosiers, Roland Beaulieu, Louis-Jacques Morissette,
Jean-Luc Thériault et Emmanuel Gagnon.
L’un parle fort et a l’air imposant ; un autre est timide, du moins au
début ; un autre aime communiquer avec nous ; un autre a des yeux
perçants qui semblent tout voir ; un autre se demande bien ce qu’il fait
là. Ils ont chacun leur façon de faire et leur tempérament propre. Pour
un jeune de 12 ans comme moi qui n’a jamais connu un encadrement strict
à l’école, je n’ai pas l’habitude d’une surveillance constante et c’est
très impressionnant.
Ce sont les maîtres de salle qui ont comme mission de faire appliquer le
règlement. Aussi, il faut aussi apprendre à l’apprivoiser. Voici
quelques points du règlement :
- Tous les élèves doivent assister aux exercices religieux de la maison.
- Aucun élève ne peut sortir en ville sans être accompagné de son père
ou de sa mère.
- La morale est surveillée avec une scrupuleuse attention. Tout élève
convaincu d’immoralité ou de mauvais esprit, ou gravement suspect est
renvoyé dans sa famille.
- Aucun livre, journal, brochure ne peut être introduit dans le
Séminaire sans la permission du Directeur des élèves.
- La correspondance est soumise au contrôle de celui-ci. Toute faute sur
ces deux points expose le coupable à une punition et même à l’exclusion.
- Les talons de fer ne sont pas tolérés au Séminaire.
À la salle d’études, un seul régent est responsable. Il occupe un
pupitre adossé au mur du sud au centre de la pièce. Il est là pour
garantir le silence total, s’assurer que les élèves ne soient pas en
train de lire un livre de lecture, sauf pour l’étude du soir, et
distribuer les permissions de sorties de la salle principalement pour
aller rencontrer son directeur spirituel. En principe, il doit toujours
être aux aguets ; mais certains en profitent pour réciter leur bréviaire
ou pour corriger des travaux d’élèves.
Au dortoir, ils peuvent être deux pour surveiller le bon déroulement,
toujours en silence, après le lever et avant le coucher. Pendant la
nuit, l’un d’eux dort dans une petite chambrette érigée dans un coin du
dortoir. Il arrive parfois qu’un maître de salle quitte sa chambrette
après que les élèves se soient endormis. Mais c’est un exercice
périlleux en termes de responsabilité parce qu’en sortant il ferme à clé
la porte du dortoir et, en principe, aucun élève n’a de clé.
À la salle de récréation et dans la cour extérieure, les relations sont
différentes parce que c’est le seul endroit où nous pouvons converser.
Les maîtres de salle en profitent pour nouer des liens amicaux avec les
élèves. De temps à autre, on peut remarquer que certains ont des
préférences. Ce sont des amitiés particulières au sens le plus sain du
terme. Les élèves concernés sont affublés du nom de chats.
De façon générale, les relations entre les élèves et les maîtres de
salle sont très cordiales. Je ne me souviens pas que l’un d’eux ait été
l’objet d’une réprobation générale ou de plaintes importantes.
Il faut aussi apprendre à apprivoiser le règlement même si tout n’est
pas communiqué aux élèves. Il n’est pas rare de se voir réprimander
alors que personne ne sait qu’il s’agit d’une règle de conduite. Le
silence est de rigueur partout, sauf à la salle de récréation et dans la
cour. Les rappels à l’ordre sont nombreux et ne sont pas toujours
communiqués avec diplomatie.
Les classes
Dès les premiers jours, je réalise rapidement qu’il y a deux mondes au
Séminaire : le pensionnat et les classes. À ce dernier endroit,
les rangs de doyen ne sont pas appliqués. Chacun prend une place au
début de l’année dans le local de classe et la conserve jusqu’à la fin.
On sent que la fonction première des professeurs n’est pas de faire de
la discipline mais bien de nous instruire. D’ailleurs, un professeur
dira : « Ce qui se passe en classe reste en classe. » Cette distinction
nous amène à considérer qu’aller en classe, c’est comme quitter notre
domicile pour aller à une école hors les murs.
Un moment que j’avais oublié et qui m’est revenu quand j’ai enseigné à
ce même Séminaire 12 ans plus tard est la marque de respect que nous
manifestions à nos professeurs. En effet, normalement nous arrivons en
classe deux ou trois minutes avant le début de du cours. Nous nous
assoyons alors à notre place. Quand le professeur fait son entrée en
classe, nous nous levons tous.
Dès le début de l’année,
je me rends compte que je n’ai pas les prérequis nécessaires en termes
de connaissances et d’habiletés. Je n’ai jamais suivi un cours si ce
n’est quand j’ai marché au catéchisme. À l’école, comme j’ai presque
toujours été seul dans mon degré, je travaillais à mon rythme.
J’exécutais dans mon cahier les travaux suggérés par l’institutrice. Là,
il y a un professeur en avant de la classe qui peut parler pendant 50
minutes et qui a des connaissances poussées. Je n’arrive pas à me
concentrer pendant tout ce temps et je décroche.
Il me faut apprendre à connaître mes professeurs d’Éléments-Latins C :
les abbés Martin Proulx, en français, arithmétique et histoire qui est
aussi titulaire, Léopold Boulanger, en latin, catéchisme et solfège,
Réal Lamontagne, en anglais, Louis-Georges Lamontagne, en sciences
naturelles. Ce dernier a fondé quelques années plus tôt la colonie de
vacances appelée Camp Cap-à-l’Orignal, camp où j’ai été moniteur.
Quel contraste avec l’année précédente ! À l’école du rang 5, j’avais
une enseignante de 19 ans qui avait huit ans de scolarité. Elle
enseignait toutes les matières et me livrait des explications au plus 5
% du temps. Au Séminaire, j’ai quatre professeurs masculins prêtres qui
ont plus de 25 ans et au moins 19 ans de scolarité. Ils enseignent un
nombre limité de matières et donnent des cours magistraux plus de 95 %
du temps. En outre, il y a une nouvelle matière : le latin. C’est une
adaptation démesurée que je dois assurer rapidement pour ne pas prendre
un retard insurmontable.
Par ailleurs, vu mon âge, je n’ai pas encore atteint complètement le
stade abstrait. Par exemple, le professeur de français parle abondamment
de la Chanson de Roland, un
poème du 12e
siècle qui raconte les exploits d’un chevalier du nom de Roland s’en
allant en guerre. Pour moi, c’est une chanson composée par un monsieur
du nom de Roland. À partir de cette prémisse, je suis incapable de
comprendre l’analyse du professeur concernant ce texte.
Le latin semble rébarbatif. Il faut apprendre par cœur plusieurs
notions. Il n’y a pas d’article en latin comme le, la, les en français.
Le mot est décliné selon sa fonction dans la phrase. Par exemple, si on
dit : la rose est belle, on traduit la rose par
rosa. Si on dit : le jardin
de la rose, on traduit de la rose par
rosae. Si on dit : j’aime la
rose, on traduit la rose par
rosam. Il y a six cas de
déclinaisons : nominatif, vocatif, génitif, datif, ablatif et accusatif.
Évidemment, il y a beaucoup de positif. Les cours sont intéressants. Les
connaissances pleuvent sans arrêt. Je réussis quand même à tirer mon
épingle du jeu. À mesure que l’année avance, je me sens plus en
confiance, sauf en anglais.
Le directeur spirituel
Quand on entre au Séminaire, les autorités recommandent de choisir un
directeur spirituel. C’est un prêtre à qui nous devons faire confiance
pour nous conseiller dans des moments difficiles et pour nous aider à
traverser les épreuves de notre nouvelle vie, le tout
dans une atmosphère amicale.
On nous incite à aller voir ce directeur spirituel au moins une fois par
mois, ou sinon au besoin. On peut le faire pendant les études.
On nous donne une liste de directeurs spirituels qui ont accepté cette
fonction. Je choisis l’abbé Hervé Beaulieu qui est le plus jeune du
groupe.
L’abbé Beaulieu est décédé en 1958 à l’âge de 60 ans. Dans sa courte
biographie après sa mort, l’archiviste du diocèse de Rimouski a écrit :
« Ce sont surtout les jeunes qui le regrettent parce qu'il était pour
eux un ami véritable et un conseiller éclairé. En effet, il avait reçu,
comme saint Jean Bosco, le don de s'attirer les adolescents et de savoir
leur parler. »
Les douches
Une semaine après la rentrée, on nous informe que désormais il sera
obligatoire de prendre sa douche de façon hebdomadaire. Plusieurs élèves
comme moi sont un peu réticents car ils n’ont jamais pris de douche. À
la maison, en particulier chez les cultivateurs, l’eau courante provient
d’une fontaine qui ne fournit pas suffisamment d’eau pour installer un
bain ou une douche. L’hygiène s’y fait donc au moyen d’une
débarbouillette souvent à l’eau froide.
Au Séminaire, derrière la salle des vestiaires se trouvent une trentaine
de douches. Les maîtres de salle y ont affiché l’horaire de chaque
groupe d’élèves. Cela est prévu à une récréation de l’avant-midi ou de
l’après-midi. Lorsque notre tour arrive, nous nous présentons dans la
cabine qui nous a été désignée. Après s’être dévêtu dans la première
partie, nous tirons le rideau et nous aboutissons dans la partie où se
trouve la pomme de douche. À cet endroit, il n’y a pas de poignées pour
ouvrir ou fermer l’eau.
À l’entrée, le maître de salle surveille les présences. Quand il pense
que tous les élèves sont prêts, il active les poignées qui contrôlent le
débit d’eau de l’extérieur. Inutile de dire qu’il y a souvent des cris
en rafales quand ce dernier laisse passer trop d’eau chaude ou encore
trop d’eau froide.
La nourriture
La nourriture, étant préparée en grande quantité, n’est pas toujours
excellente.
Le menu du matin est constitué de gruau, de céréales comme du corn
flakes, de rôties, du beurre de pinottes et d’un café fait à base de
pains légèrement brûlés.
Pour le dîner et le souper, on peut compter sur du hachis, de la
fricassée, du chiard, du macaroni, des fèves au lard, des oreilles de
Christ (un baloney tordu par la cuisson), de la sauce aux effaces (sauce
parsemée de boudins), de la sauce aux poignées de portes (sauce blanche
avec des œufs), des semelles de bottes (steaks durcis), du ragoût de
boulettes, des fèves au lard, des sardines, etc. Pour le dessert, on
nous sert des fruits cuits comme des pommes, des fraises ou des raisins,
des petits puddings, des grands-pères, de la gibelotte, des brioches, du
gâteau, etc.
Un deuxième service existe pour le mets principal et il est ouvert à
volonté.
En plus des élèves du Séminaire, ceux des écoles affiliées prennent leur
repas dans la même cafétéria. Les Sœurs de la Sainte-Famille, secondées
par des jeunes filles célibataires, servent à peu près 3000 repas par
jour. Elles disposent autour de 50 sous par repas par élève, ce qui va
chercher environ 1500 $ par jour. On estime qu’il faut, par année, 400
boîtes de beurre, 8700 brioches, 2000 livres de bœuf, 1000 livres de
porc, 100 000 quarts de pain et un demi-million de moyennes patates.
Une bonne partie de la nourriture parvient de l’École
d’Agriculture, notamment les œufs, les légumes, les pommes de terre, le
lait et la viande. Lors de ma première année, on voit, en hiver, des
traîneaux tirés par des chevaux qui passent dans la cour de récréation.
Ces traîneaux transportent des quartiers de bœufs et de porcs de même
que des bidons de lait et des œufs.
Le souper du dimanche est spécial. Car il faut que les travailleuses se
reposent un peu. Certaines années, le mets principal est constitué d’une
sauce au chocolat peu sucrée et cuisinée maison. Lors d’une année, le
dimanche midi, nous mangeons avec appétit du poulet et des frites. Il
est certain que cette année-là la religieuse qui était cuisinière en
chef a dépassé son budget, à moins qu’elle ait économisé ailleurs.
Toutefois, des rumeurs courent de temps à autre qu’un élève obtient une
portion supérieure aux autres parce qu’il connaît la jeune fille qui
fait le service. D’ailleurs certains usent de signes convenus comme une
bague pour se faire reconnaître.
Les nuits au dortoir
On n’a pas à faire nos
lits le matin. Des filles triées sur le volet
s’occupent d’entretenir les lieux et d’avoir soin de la literie qui est
fournie.
Pendant les premières nuits, le sommeil est plutôt léger.
On
entend des bruits bizarres. Les rêves ne sont pas toujours silencieux.
Parfois, des odeurs nauséabondes vicient l’air ambiant et persistent à
cause d’une aération insuffisante. D’autres fois, une toux prolongée se
fait entendre. Heureusement, dans l’insouciance de la jeunesse, cela ne
me perturbe pas.
Environ une semaine après la rentrée, je suis réveillé en sursaut. Une
main joue dans mes cheveux. C’est mon voisin de tête qui s’amuse à mon
détriment. Il finit par me tirer les cheveux. Je grogne doucement, puis
un peu plus fort. De peur probablement d’être débusqué, il lâche prise.
J’ai de la difficulté à me rendormir. « Que dois-je faire, me dis-je,
dans une telle situation ? Il n’est pas question de référer aux maîtres
de salle et s’il persistait, que ferais-je ? » Il continue son manège
pendant les trois ou quatre nuits suivantes, puis il abandonne. Je suis
soulagé.
Quelques semaines plus tard, une nuit, je pisse au lit. En me levant le
matin, je cache prestement le délit en remontant les couvertures. Je ne
veux pas qu’un autre élève voit ce désastre liquide. Il ne se passe rien
; mais je suis inquiet. Pas longtemps après, à mon grand désarroi, je
récidive. Quand j’arrive le soir à mon lit, une immense toile recouvre
le matelas. J’ai dû coucher quelques nuits sur cette alèse. Mais, j’ai
eu ma leçon. Cela ne s’est plus jamais reproduit.
Plus tard, pendant la saison du hockey, surtout le samedi soir, les
nuits sont plus agitées. Quelques élèves ont un radio-cristal et peuvent
suivre les parties en cachette. Quand le Canadien compte un but, on peut
entendre des cris étouffés. Certains jeunes qui n’ont pas la chance
d’être si bien équipés se lèvent et se dirigent vers les bruits pour
savoir qui a scoré.
Sommeil à l’étude
Les maîtres de salle ont tous leur façon de faire et leur tempérament
propre. L’un d’eux surveille l’étude du matin, immédiatement après le
lever. Il lui arrive assez souvent de dormir la tête couchée sur son
bureau qui est sur une estrade. Un matin, il entend marmonner et se
réveille. Il se lève la tête et identifie un élève qui parle. Il
s’approche à grands pas de l’élève fautif à qui il décoche une de ces
tapes à la figure. Par la suite, notre abbé a pu continuer à dormir
quand il le voulait ; ce fut toujours le grand calme dans la salle
d’études.
Les sorties en ville
Les sorties en ville en solo ne sont pas permises. Seulement dans des
cas urgents, le premier maître de salle peut donner cette autorisation.
Pour réduire ces possibilités, un élève est nommé commissionnaire.
Chaque midi, il va en ville et peut acheter certains articles non vendus
au Séminaire comme un canif, du linge, des biscuits, des fruits, du
beurre de pinottes, du pain, etc. En tout temps,
il doit respecter une liste d’articles qui ont été approuvés par les
autorités.
Il n’y a jamais de collation au Séminaire.
On peut acheter des brioches à un petit magasin géré par les élèves.
Ceux dont la faim est insatiable peuvent avoir recours au
commissionnaire.
Visite du cardinal Léger
À la fin de septembre, le cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de
Montréal,
est reçu en grandes pompes au Séminaire par l’archevêque et tout le
clergé.
Je suis un peu éberlué par ses habits cardinalices. On le considère
comme le Prince de l’Église. C’est le roi des rois. Il règne sur le
diocèse de Montréal.
Antérieurement, j’avais vu le prêtre à l’église revêtir des ornements
sacerdotaux d’une autre époque, mais c’est la première fois que je vois
un clerc se présenter en public dans une tenue qui me semble exagérée.
Je me demande même si ce cardinal bien-aimé est un humain.
Le cardinal Léger donne deux causeries.
Ses propos semblent plus modernes que ceux de l’archevêque de Rimouski.
Il donne quand même une impression de puissance et de noblesse.
C’est l’époque où le clergé se comporte en aristocrate et ne se gêne pas
pour s’immiscer dans les pouvoirs temporels. Bref, l’Église contrôle
entièrement la vie des gens dans les moindres détails ou presque.
Probablement pour ne pas qu’on l’oublie, dans sa dernière intervention,
il donne un congé de classe. On ne refuse jamais ce cadeau.
La lecture
Quand j’étais à la maison, je lisais et relisais les livres que
l’inspecteur d’écoles m’avait donné au cours des années. Derrière mon
local de classe d’Éléments latins C, il y a des livres dans des
bibliothèques. On peut en prendre comme on veut. Je lis surtout des
bouquins qui présentent des contes et légendes de différents pays. Mais,
à la longue, je voudrais d’autres genres de livres principalement
provenant d’auteurs québécois. À cette époque, les livres québécois sont
peu à la mode si bien que je me lasse de lire. Il y a aussi une autre
raison. Je suis enseveli par les connaissances qui nous sont versées en
classe. Je consacre principalement mes énergies à reprendre le temps
perdu.
Un exemple : la bicyclette. Quand j’étais plus jeune, j’aurais voulu
avoir une bicyclette, mais ce ne fut pas possible. Non seulement je n’ai
pas eu de bicyclette, mais je n’en ai jamais touché une. Or, en
feuilletant un manuel scolaire, je vois le dessin d’une bicyclette avec
tout le vocabulaire pour chacune des pièces. Je suis estomaqué. Je ne
connais qu’un très petit nombre de mots comme roue, selle. Pour moi,
c’est le symbole que je ne pourrai jamais réussir mon cours classique.
Je suis trop en retard dans mes connaissances.
Octobre 1953. Un rejet douloureux
Lors de la récréation du soir, en partie dans la noirceur, le sport
d’équipes le plus pratiqué est le drapeau. Jusqu’à ce jour, je n’ai
jamais participé à un sport organisé. Je me contente d’abord de regarder
jouer principalement pour apprendre les règles du jeu. Enfin, je me
lance. Ma performance est très médiocre.
Le soir suivant, je me présente à nouveau. On compose deux équipes avec
les volontaires présents. Je suis le dernier choisi. Je suis humilié et
je me sens rejeté. Mon estime de soi est douloureusement atteint. Je
dois accepter cette situation parce que je n’ai pas été très performant.
Tout en pleurs
Dans la salle de récréation sur le mur ouest, il y a des vestiaires où
les maîtres de salle entreposent notamment leurs vêtements de pluie,
leurs bottes et leurs
vêtements d’hiver. Non longtemps après la rentrée, nous sommes trois ou
quatre élèves à fraterniser avec ces surveillants quand soudain l’un
d’eux ferme la porte de son vestiaire. J’avais les doigts non loin et
ils ont été coincés. Je me mets à pleurer.
Je m’éloigne. D’autres élèves mes suivent sans dire un mot. Je réalise
soudain que je suis tout en pleurs et je me demande pourquoi je suis
dans cet état. En un éclair, je cesse cette comédie. Je viens de passer
de l’enfant à l’adulte.
Communication par lettres
À l’entrée de la salle d’études, il y a une boîte où nous devons déposer
nos lettres. Le directeur des élèves nous recommande d’écrire au moins
une fois par mois à nos parents. L’enveloppe ne doit pas être cachetée.
De temps à autre, j’écris à ma mère. Je ne peux pas m’adresser à mon
père parce qu’il ne sait pas lire.
Dans mes lettres, j’en profite pour décrire quelque peu ce que je vis au
Séminaire et pour demander quelques sous. Au retour, ma mère place dans
l’enveloppe un billet ordinairement d’un dollar, me disant qu’elle
aurait voulu m’en envoyer plus mais qu’elle n’en avait pas les moyens.
Il en coûte alors quatre sous pour un timbre.
Sur conseil de ma mère, j’écris une lettre à Mgr Charles-Eugène Parent,
archevêque de Rimouski, en vue d’obtenir une bourse d’études de 100
dollars dispensée par l’archevêché. Peut-être que ma mère avait déjà
communiqué avec lui et qu’il avait exigé que j’en fasse moi-même la
demande ? Je serais porté à le croire. D’ailleurs, ma mère connaissait
bien Mgr Parent parce qu’elle avait fréquenté la même école que lui à
Saint-Mathieu-de-Rioux, soit l’école modèle dans les années 1910.
Après quelques brouillons d’un jeune de 12 ans, je me décide à
transcrire ma lettre à la plume. Une fois l’écriture terminée, je mets
la lettre dans une enveloppe timbrée que je dépose dans la boîte prévue
à cet effet.
Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, quelques jours plus tard, ma
lettre où le directeur des élèves avait corrigé mes fautes et me
demandait de la reprendre. En même temps, il m’indiquait qu’il n’était
pas nécessaire de mettre un timbre parce que le courrier était livré de
main à main à l’archevêché.
Je suis surpris de cette intrusion dans mon intimité et même un peu
vexé. Je prends mon courage à deux mains.
Je réécris la lettre en soignant mon écriture. J’obtiens la bourse de
100 $ qui me sera versée à chacune des huit années d’études dans cette
maison d’éducation.
Dans toutes ces années au Séminaire, soit de 1953 à 1961, je ne reçois
jamais d’appel téléphonique de ma mère. On communique toujours selon la
méthode éprouvée, soit par la poste. Quand je suis informé de la date de
sortie pour un congé, j’écris à ma mère.
Il y a des petits futés qui contournent le règlement en confiant leurs
lettres à des externes qui les déposent au bureau de poste : ce que
personnellement, je ne fais pas. On comprendra que ce n’est pas alors
une lettre à leurs parents. Certains livres ou revues aussi entrent par
cette filière, mais c’est une complicité dangereuse car les maîtres de
salle ont les yeux à l’affut pour détecter livres ou revues à l’index.
La fête du Supérieur
La grisaille automnale est atténuée par la fête annuelle du Supérieur du
Séminaire. J’apprends vite qu’il est vu comme un Dieu. Depuis le début
d’octobre, des élèves préparent cette fête sous la supervision de
prêtres qui ont une affinité certaine avec tout ce qui est culturel.
Le 21 octobre, en après-midi, comme les autres, je passe une brosse sur
ma redingote. Je me peigne les cheveux. Je vais assister pour la
première fois de ma vie à des vêpres pontificales. J’ai hâte de voir le
spectacle pour vérifier ce qui différencie celui-ci des vêpres
ordinaires. À 16 h 30, à la chapelle, je reconnais Mgr Parent qui
préside la cérémonie. Je comprends que ces vêpres sont ainsi appelées à
cause de l’archevêque. Encore une fois, les habits sont surréalistes.
Au souper, un menu spécial :
jambon, gâteaux et bonnes fraises. C’est probablement peu par rapport au
menu des prêtres à leur réfectoire.
Le soir,
il y a un spectacle organisé par les élèves où se côtoient chants,
musique et présentations d’hommages. Le Supérieur donne un congé pour le
lendemain. Ceux qui le peuvent ont la permission d’aller dans leurs
familles, soit de faire l’aller-retour en une seule journée. À défaut,
on peut aller faire un tour en ville. Pour ma part, je me contente de
rester au Séminaire et de faire mes premiers pas au billard.
Novembre 1953. Jour du Souvenir
C’est le mercredi 11 novembre, journée où on souligne la bravoure des
soldats canadiens morts au combat lors des deux guerres mondiales. Je ne
suis pas au courant du fait que la cérémonie commémorative est boudée
par plusieurs Québécois étant donné qu’on associe l’armée canadienne aux
anglophones, soit à l’Empire britannique.
Lors de la récréation de l’avant-midi vers 10 heures 30, je suis demandé
au parloir. Je m’y précipite anxieux de savoir qui vient me visiter.
C’est d’ailleurs mon premier appel au parloir depuis le début de l’année
et ce sera mon dernier pendant les six premières années d’études au
Séminaire.
Je suis accueilli par mon oncle Léo Théberge et ma tante Lucie. Ils me
disent : « Aimerais-tu venir avec nous à la cérémonie du Jour du
Souvenir ? »
À la fois surpris et content, j’acquiesce mais j’ajoute que je devrais
demander la permission au directeur des élèves. Ils me répondent que
cette permission a déjà été accordée.
Je me rends donc avec eux et leur fils Clovis devant le monument des
Vétérans sur l’avenue de la Cathédrale. Il y a là des hommes d’une
soixantaine d’années vêtus d’uniformes. On me dit que ce sont des
vétérans de la Première guerre mondiale.
La cérémonie commence à 11 heures. Il y a de brefs discours et un dépôt
de gerbes de fleurs au pied d’un monument. Comme je ne suis pas très
grand, je ne vois pas tout ce qui se passe. Mais je m’interroge sur la
signification de cette cérémonie. Je sais seulement que la Première
guerre mondiale était terminée depuis 35 ans et la Seconde depuis huit
ans.
J’ais séché un cours pour la première fois au Séminaire avec la
permission du directeur, l’abbé Gérard Cayouette.
Une mauvaise expérience
En anglais, je vis une expérience pénible. Le professeur veut vérifier
notre connaissance de la prononciation des lettres en anglais. La
question posée, il me pointe du doigt le premier. Je commence é, bi, ci,
di, ... en une prononciation très approximative. À partir de g, j’émets
des sons bizarres et à j, je suis incapable de continuer. Là, un éclat
de rires s’abat dans la classe. Le prof, au lieu de réprimer cette
avalanche, se met à ricaner lui aussi. C’est un choc terrible pour moi.
L’émotion prend le dessus, mes oreilles se ferment et je perds le goût
pour l’apprentissage de l’anglais.
Mes résultats scolaires
Dans le premier bulletin en novembre, mes résultats scolaires ne sont
pas très bons, même très décevants. Je suis au début du troisième tiers.
Depuis le début de l’année, je montre plusieurs carences en
connaissances de base. Je prends la résolution de mieux faire à
l’avenir.
Décembre 1953. Un coup de poing
Sous la supervision d’un maître de salle, certains élèves parmi les plus
habiles ont aménagé une glissade qui suit une partie du contour de la
cour de récréation et de la patinoire. Une tour a été construite d’où se
fait le point de départ. Quelques jours avant Noël, comme d’autres, je
m’installe le long de la glissade. Un de mes confrères me contourne et
se place tranquillement devant moi. J’essaie de reprendre ma position.
Il se tourne vers moi et m’assène un de ces coups de poings en plein
menton. Ses mitaines de bûcherons en cuir durci et à manchettes frappent
fort. Je le prends à bas le corps et nous voilà tous les deux couchés
dans la voie où le traîneau doit passer.
Du haut de la tour, on nous crie de dégager. Je suis tellement choqué
que je ne réagis pas à leurs exhortations. Je tente de le frapper. Je
veux me venger. Finalement, des confrères nous séparent. Heureusement, à
ma connaissance, les autorités du Séminaire n’ont pas été informées.
Toutefois, cet élève n’est pas revenu après les Fêtes.
La guignolée
C’est le 20 décembre 1953, le dernier dimanche avant Noël. Mon cœur est
en effervescence parce que dans trois jours ce sera le départ vers la
maison. Comme j’arrive à la salle de récréation après le dîner, un
inconnu bien habillé, accompagné par un maître de salle, m’accoste. Il
me demande si je veux bien quêter pour la guignolée. Je dis oui tout en
demandant ce que je vais faire. Je ne sais pas ce que c’est la
guignolée, mais je suis trop gêné pour le demander. J’ai peur de passer
pour un ignorant.
L’inconnu me donne un bas rouge. Il me dit : « Tu vas passer par les
maisons et tu vas leur demander quelques sous pour les pauvres. » Il
regarde ses papiers et continue : « Tu vas aller sur la rue Ste-Marie,
celle derrière la meunerie du Séminaire à quelques pas d’ici. Il y a là
une dizaine de maisons. Reviens me voir quand tu auras terminé. »
Je suis heureux de faire cette expérience, mais je suis très mal à
l’aise, n’ayant jamais posé de tels gestes dans le passé. Dès la
première maison, voyant sans doute ma redingote sous mon manteau d’hiver
et ma taille loin d’être menaçante, les occupants sont très réceptifs et
versent quelques pièces de monnaie dans mon bas rouge. Après avoir
atteint le bout de la rue, je reviens donner le bas à l’inconnu qui me
remercie.
Triste décembre
Le mois de décembre se passe à compter les jours avant les vacances des
Fêtes. À la chapelle, durant le temps de l’Avent, on chante souvent :
Venez, divin messie dont le refrain est :
Venez divin messie
Sauvez nos jours infortunés
Venez source de vie
Venez, venez, venez.
Ah! descendez, hâtez vos pas
Sauvez les hommes du trépas
Secourez-nous ne tardez pas
Dans une peine extrême
Gémissent nos cœurs affligés
Venez beauté suprême
Venez, venez, venez.
La vie est pénible pendant cette période. Nous n’avons pas vu nos parents
depuis septembre. Il n’y a pas eu de congé, comme le veut la tradition.
Pour moi comme pour la plupart de mes confrères, c’est la plus longue
période sans goûter à la chaleur familiale. La morosité augmente de jour
en jour. Le jour précédent le départ en vacances, les autorités ont
pensé nous distraire en
présentant une soirée d’amateurs ponctuée de chants, de saynètes et de
déclamations.
Je me vois encore sur ma chaise droite regarder le spectacle en me
posant des questions. Pourquoi personne ne m’a informé qu’une telle
séance aurait lieu ? Pourquoi personne ne m’a demandé ma participation ?
Je remarquai alors que la plupart des participants provenait des
villages. « Probablement, me dis-je, que ces confrères ont déjà monté
dans leur couvent des spectacles organisés par des religieuses. »
Ce qui fut le clou de la soirée, c’est une saynète inspirée de
Perrine était servante, une chanson interprétée par les Compagnons
de la chanson. Les paroles sont illustrées soit par des gestes soit par
des danses. Voici une partie de l’histoire en abrégé : « Perrine
était servante chez Monsieur le Curé. Son amant vint la voir un soir
après l'dîner. « Perrine, ô ma Perrine, j'voudrais bien t'embrasser. »
« Oh! grand nigaud que t'es bête. Ça s'fait sans s'demander. » « V'là
M'sieur l'curé qu'arrive. Où j'va t'y bien m'cacher? » « Cache-toi
dedans la huche. », etc.
Vers la maison
Enfin, le jour tant attendu est arrivé. Je prends le train. En passant
dans un wagon, je vois ma sœur Suzanne, étudiante à l’école Normale de
Mont-Joli. Elle jase avec ses compagnes de classe. Elle me fait signe de
passer outre : ce que je fais avec surprise et une certaine frustration.
Je réussis à me tailler une place assise. Heureusement, car plus tard il
m’est arrivé d’être obligé de faire le trajet dans le wagon à bagages.
Quand j’arrive au foyer paternel, je trouve la maison très petite
d’autant plus que je trouve le plafond est très bas. Je me demande comment 10
personnes peuvent vivre parfois des journées entières dans ce réduit.
Décembre 1953. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 24,78 $.
Janvier 1954. Un scandale
C’est le dîner du jour de l’an chez grand-père Théberge au village.
Après le repas, les femmes font la vaisselle, tandis que les hommes
fument tranquillement leur pipe ou leur cigarette. Quand le ménage est
terminé, les femmes s’en vont dans le haut-côté. Je reste avec les
hommes dans la cuisine de l’oncle Georges.
Comme je n’ai personne avec qui parler, je m’ennuie. Je m’assois près de
la fenêtre et je regarde les gens qui passent. Je vois des jeunes, paire
de patins en bandoulière, se diriger vers la patinoire. Je les trouve
chanceux et je les envie. Ma mère ne nous aurait jamais permis de
quitter la maison en ce jour de fête.
À un moment donné, je vois un trio d’adultes. Un homme et une femme
marchent bras dessus bras dessous. Un deuxième homme est derrière eux et
s’avance la tête baissée. Je ne les connais pas. Mais quelqu’un d’autre
les a vus et les a reconnus. Les conversations s’arrêtent. On a devant
nos yeux le scandale de la paroisse.
La femme qui marche est Georgette (nom fictif). L’homme qui la tient par
le bras est le propriétaire de l’hôtel Croteau situé au lac
Saint-Mathieu. Il demeure à Trois-Pistoles. Georgette travaille à cet
endroit. L’homme qui marche derrière est le mari de Georgette.
Une telle scène dans les années 2000 passerait inaperçue, mais à cette
époque, alors que le divorce est honteux et répudié par les curés, c’est
un scandale. Dans la cuisine, les quolibets fusent de toutes parts. Non
seulement Georgette trompe son mari, mais elle s’affiche publiquement.
D’ailleurs, à l’instar de l’Église et sans connaître ce qui s’est
vraiment passé, tout le monde sait (!) que c’est de sa faute si un
nouvel homme est entré dans sa vie. Le curé a dû être scandalisé quand
il a vu passer le trio devant son presbytère.
Personnellement, je regarde la situation. Je compatis avec le mari, mais
j’ai de la difficulté à comprendre la réaction de ces hommes qui parlent
de l’enfer, mais pour qui, vous pensez ? Évidemment (!) pour la femme,
cet objet de perdition, comme on dit.
Retour au Séminaire
Quand le congé des Fêtes est terminé, il faut retourner au Séminaire.
Mon père me conduit en voiture à cheval au village. De là, avec d’autres
jeunes de la paroisse, nous embarquons dans un snow pour nous rendre à
la gare ferroviaire de Saint-Simon. Nous prenons alors le train pour
Rimouski.
Avant de partir de la maison, ma mère me recommande de passer voir
monsieur le curé. L’abbé Alfred Bérubé me reçoit avec gentillesse. La
visite ne dure que deux ou trois minutes. Toutefois, avant de partir, il
me flanque une de ses tapes sur la joue gauche. J’en suis abasourdi. Je
ne comprends pas son geste et j’en suis humilié. Lors de la visite
suivante, dans les mêmes circonstances, je suis plus prudent et me tiens
le plus loin possible de lui. Il réussit quand même à reproduire son
geste. C’est la dernière fois que je suis allé le saluer. Quand ma mère
me signifie une prochaine visite chez lui, je lui compte les deux
incidents. Elle n’insiste pas.
Dès les premiers jours de janvier, on nous signifie que 1954 a été
décrétée année mariale. Soit une année dédiée à Marie, la mère du
Christ. Une statue de la sainte Vierge se promène dans les classes au
Séminaire. Une procession d’élèves qui chantent les litanies accompagne
la statue d’une classe à l’autre. Dans la classe visitée, au début de
chaque cours, les élèves récitent une dizaine de chapelet et un
cantique.
Février 1954. De l’intimidation
Un mois après le retour des vacances des Fêtes, l’un de mes confrères me
remarque. J’ai 12 ans. Il en a 14. Quand nous entrons dans la salle des
vestiaires, il s’agrippe à moi, me jette par terre et me maintient dans
une position horizontale en me demandant pour être libéré de dire :
« Pardon, mon oncle ». Les confrères passent à côté de nous et personne
n’intervient.
Je suis loin d’avoir sa force. Quand je lui demande pourquoi il fait ça,
il me donne une tape par la tête. Je finis par céder et je lui demande
pardon. À la longue, cela m’ostracise. J’éprouve des sentiments de
détresse. Je n’ose pas me plaindre aux maîtres de salle car j’ai peur de
la réaction de mon intimidateur. Je ne demande à personne de me
défendre.
Je me contente de le surveiller pour ne pas être en sa présence dans les
vestiaires. Il réussit à m’agripper deux ou trois fois par semaine. Je
me demande bien ce qu’il recherche, car il ne me touche jamais aux
parties génitales. Après deux mois de ce manège, l’intimidation cesse
sans que je sache pourquoi.
Mars 1954. Visite à un
bienfaiteur
Dans sa dernière lettre, maman me demande d’aller faire une visite à
l’abbé Élie Beaulieu qui réside à l’archevêché. À ce moment, tout ce que
je sais de lui, c’est qu’il est parent avec ma mère du côté de
grand-mère Marie-Luce Ouellet. Je ne sais pas pourquoi ma mère me
demande d’aller le voir.
Un soir, après le souper, je me rends à l’archevêché sans rendez-vous.
Je sonne à la porte. Quelqu’un me reçoit et informe l’abbé Beaulieu de
ma visite. Ce dernier vient à ma rencontre et, dans l’entrée de
l’archevêché, s’assoit dans une chaise qui est surnommée la chaise des
quêteux, comme je l’apprendrai plus tard. Je reste debout. Il me pose
différentes questions. Je réponds brièvement. La visite dure au plus une
dizaine de minutes.
Si au moins j’avais su pourquoi ma mère voulait que j’aille le visiter.
J’ai lieu de croire aujourd’hui que ce prêtre était un de mes
bienfaiteurs c’est-à-dire qu’il donnait un certain montant pour ma
pension au Séminaire. Ma mère n’a jamais voulu me confirmer cette
hypothèse.
Une remarque blessante
Notre professeur principal qui d’habitude est nuancé dans ses propos
fait une remarque désobligeante. Il raconte l’histoire d’un ancien élève
qui peu doué s’était mis les pieds dans les plats. Pour conclure, il
lance : « On aurait dit qu’il venait du
22e rang de Saint-Marcellin. »
Je pense tout de suite à mes origines modestes. Je conclus que, selon
lui, les jeunes des campagnes vivent dans des coins reculés, qu’ils ne
sont pas très brillants et qu’on devrait les exclure des gens de bonne
condition. Je suis choqué et déçu de constater que même un prêtre peut
avoir des préjugés sur les habitants de la campagne.
2 avril 1954. Une nouvelle bouleversante
Nous sommes en rang dans le corridor à l’entrée de la cafétéria. Je vois
sortir Rémi Thibault avec un maître de salle. Il semble bouleversé. Il
vient d’apprendre que sa mère est décédée à la suite d’un accouchement.
Sa mère, c’est ma tante, la sœur de mon père. Je suis consterné.
De temps à autre, dans notre bulle, nous sommes confrontés à des
événements semblables qui surviennent à l’extérieur. Chaque fois, cela
nous rappelle que la vie continue en dehors de nous.
Mai 1954. Bang au billard
C’est un mercredi, un après-midi de congé, je regarde mes confrères
jouer au billard. L’un d’eux casse avec toute la vigueur d’un jeune
adolescent. Bing, bang, la balle ne se contente pas d’éparpiller les
balles. Elle sort de la table et, avec une force incroyable, elle
m’atteint en plein front. Le choc m’ébranle à ce point que je tombe par
terre. Je me relève. Les confrères sont inquiets pour moi. Ils me
conseillent d’aller à l’infirmerie.
Je n’ai aucune douleur. Mon équilibre demeure parfait. À l’époque, on ne
parle pas de commotion cérébrale. Par précaution, je me rends voir M.
Plourde. Celui-ci, subito presto, me renvoie à la salle de récréation.
Pèlerinage à Sacré-Cœur
Dans le cadre de l’année mariale, un pèlerinage est organisé vers
l’église du Sacré-Cœur pour les congréganistes de la Sainte-Vierge. Le
dimanche 2 mai, le déplacement se fait à pied à partir du Séminaire en
récitant le chapelet et en chantant des cantiques à la Vierge. Je fais
partie des pèlerins.
À l’église, je suis placé dans le banc d’en avant du côté sud. C’est le
curé Louis-David D’Auteuil qui passe la quête. Quand la tasse s’arrête
devant nous, cet homme de 73 ans nous lance : « Vous êtes dans le banc
des marguilliers. » Nous avons un moment de recul ne voulant pas être
des intrus et ne connaissant pas exactement son intention. Je suis quand
même surpris qu’un prêtre fasse la quête et qu’en plus il se permette de
parler fort pendant la messe.
On sent bien qu’il est chez lui. En effet, il est curé de cette paroisse
depuis 25 ans et il le sera encore sept ans.
Juin 1954. Conversations défendues
La cour de récréation de la Petite salle est bornée à l’est par un
terrain appartenant à la ville de Rimouski sur lequel a été construite
la prison. Le gardien, un Monsieur Nelson, demeure avec sa famille dans
une maison qui fait partie de l’édifice pénitentiaire. À l’occasion, on
peut voir les enfants du gardien jouer dans la cour et aussi des
prisonniers qui y travaillent.
Un jour,
mes regards sont attirés par des jeunes hommes qui sont en train de
préparer le jardin de la prison.
Avec
quelques confrères, je m’approche de cette grille pour voir les
prisonniers qui bêchent le jardin. L’un des prisonniers vient nous voir.
Il nous exprime la hâte qu’il a d’avoir fini de purger sa peine dans
quelques mois.
Nous engageons la conversation. Celui-ci nous fait un parallèle entre
notre état et le sien. Il nous dit : « Vous êtes prisonniers autant que
moi. » Je trouve ça charmant même si je sais bien qu’il y a une
différence entre lui et nous. Puis finalement, un maître de salle vient
interrompre la conversation. Il est probable que le directeur de la
prison a été informé de cet incident parce plus aucun prisonnier ne
s’est avancé vers la grille par la suite.
Pique-nique
En juin, le pique-nique annuel arrive. C’est le conseil de classe qui
organise cet événement. Leur tâche : acheter des chips, de la liqueur,
des friandises et ... des cigarettes. Un tel événement ne pourrait pas
exister sans cette dernière substance. Chacun a droit à une ou deux
cigarettes. D’ailleurs, en tout temps, les cigarettes sont vendues dans
un local qui est dans un coin de la salle de récréation : deux
cigarettes pour cinq sous.
Après le dîner, on se dirige vers le Bois à Pierrot (plus tard le Parc
Lepage).
L’après-midi est consacré à participer à certains jeux comme le drapeau,
à se lancer des balles, à se reposer au soleil ou encore à écouter les
musiciens en herbe de la classe qui n’ont pas hésité à apporter leur
instrument de musique. Des chants, des histoires constituent aussi le
menu de cet après-midi qui passe trop rapidement.
Les professeurs viennent nous
visiter. Ils s’amusent gaiement à participer aux activités et à nous
faire voir leur performance sportive, d’autant plus que la plupart sont
dans la vingtaine. Ils sont un élément d’attraction. Comme on leur parle
très peu en dehors des classes, ils en profitent pour nous faire voir un
côté inconnu en racontant des blagues ou des expériences vécues.
Le menu du souper consiste en les traditionnelles fèves au lard. On
revient au Séminaire quand la noirceur commence à s’installer.
Mes résultats scolaires
Au début de l’année, dans ma cohorte, le Séminaire a accueilli 158
nouveaux élèves.
L’écrémage se fait assez rapidement.
Environ 50 ont quitté en cours de l’année ou ne reviendront pas en
septembre. Les raisons sont variées. Certains n’ont pas la préparation
adéquate et sont déboussolés par les cours magistraux. D’autres
manquent d’intérêt pour les études. D’autres sont brimés par la formule
du pensionnat. Leur désir de liberté est exacerbé par l’impression
d’être mis en cage. D’autres
ne peuvent pas accepter le règlement, le considérant trop restreignant.
D’autres enfin s’ennuient de leur famille.
À la fin de l’année scolaire, je me classe 24e sur 39 élèves
en Éléments-Latins C. Je ne suis pas habitué à me classer ainsi. J’avais
passé mes quatre premières années du primaire seul dans mon degré. En
sixième et en septième année, j’étais presque toujours le premier. De
plus, je suis arrivé le premier de la paroisse au certificat de 7e
année.
Cette première année est très difficile pour moi. J’ai une année de
scolarité de moins que la majorité de mes confrères. Comme j’avais
étudié pendant six ans dans une classe à degrés multiples, j’avais
développé le sens de l’autonomie et de l’organisation, mais je ne suis
pas habitué aux cours magistraux dans lesquels on apprend par la voix du
professeur. Je manque donc de concentration. En outre, l’apprentissage
se fait davantage par mémorisation ; tandis que moi je suis meilleur
dans le raisonnement et le fait d’établir des liens entre les
connaissances.
Dans l’ensemble, cette année-là, je suis heureux au Séminaire et je ne
m’ennuie pas de ma famille. Je vis
le bonheur d’apprendre et j’apprécie la fin de l’encadrement familial.
À la mi-juin, les cours se terminent. En arrivant à la maison,
j’apprends que Carmen a mis au monde un garçon, Alain. C’est mon premier
neveu.
Été 1954. Des passe-temps
Je passe les vacances dans ma famille. Cette année, je n’ai pas d’emploi
à l’extérieur. Quand il pleut, je consacre mon temps à lire ou à
réaliser des cahiers de découpure. Un jour, je me réfugie dans le
grenier. Je produis un petit journal de 8 pages à même une feuille
standard pliée en 4. J’écris de courts articles et j’ai même une section
de divertissements. Je prépare trois copies : une pour moi, une pour
Pierre et une pour Raynald. Mes deux frères n’ont pas apprécié du tout
mon initiative. J’ai abandonné.
Un autre jour, je décide de monter un spectacle. Je réunis des boîtes
sur lesquelles je place une nappe de couleur pâle fabriquée avec des
pièces de vieux linge. J’informe mes frères que je dirai une messe à
telle heure tel jour. Malheureusement, personne n’est présent. La messe
n’a jamais eu lieu.
Quelques jours plus tard, une surprise m’attend. Dans le grenier, je
trouve un radio cristal. Je n’ai aucune idée d’où vient ce petit
appareil, mais pendant la traite des vaches, je me réfugie dans le
grenier et j’écoute la radio.
L’annuaire
Je reçois par la poste l’annuaire du Séminaire pour l’année scolaire qui
vient de finir. C’est une surprise pour moi. Je ne savais pas qu’un tel
document était publié chaque année. Je remarque que tous les noms des
élèves y apparaissent. C’est la première fois, à ma connaissance, que
mon nom apparaît dans un livre. J’en suis très fier. Au cours de
l’année, mon nom était apparu dans le Centre St-Germain où on pouvait
connaître les résultats scolaires des élèves du Séminaire. Cela me
gênait parce que mes notes n’étaient pas très bonnes.
Mais là, dans un livre, c’est merveilleux. Petite déception, on a écrit
Charles-Edmond au lieu de Charles-Édouard. En continuant ma lecture, une
autre surprise m’attend. Mon nom apparaît comme étant un membre aspirant
de la fanfare. Plus précisément, je suis en attente de jouer du cornet.
Que s’est-il passé ? Vers le mois de mars, j’étais allé rencontrer le
directeur de la fanfare, l’abbé Charles Morin. Je lui avais signifié mon
intérêt de faire partie de son groupe musical. Il m’avait répondu : « Je
vais y penser ». Je ne suis jamais entré dans le local de pratique. J’ai
encore moins touché à un cornet.
Je ne veux pas que ma mère prenne connaissance de ce fait parce que je
n’avais pas demandé la permission . Alors, je cache l’annuaire dans ma
chambre.
Argent disparu
Je me présente à la Caisse populaire pour retirer de l’argent de poche.
J’avais 22,58 $ dans mon compte. Je demande de retirer deux dollars et
je présente mon carnet. Adrien Ouellet me regarde et me dit : « Il n’y a
plus un sou dans ton compte. Ta mère a tout retiré, même ta part sociale
de cinq dollars. » Je suis très déçu et frustré. J’avais ramassé cet
argent sou par sou. Je m’étais privé pour atteindre ce montant. J’y vois
une injustice. J’en parle à ma mère. Elle me répond qu’elle avait eu
besoin de cet argent pour moi au Séminaire. Rationnellement, je
comprends son geste ; mais, au plan émotif, je ne peux pas l’accepter.
Surtout qu’elle avait agi sans m’en parler.
Travaux de la ferme
J’ai de la difficulté à m’habituer à la vie de famille. Pendant un an,
j’ai vécu dans un encadrement à la fois rigide et large. En effet,
l’horaire était strict ; mais, nous pouvions faire relativement ce qu’on
voulait à l’intérieur de cet encadrement. J’accepte plus difficilement
les ordres ponctuels de ma mère. Je suis en pleine crise d’adolescence.
Je n’aime pas les travaux de la terre ni le jardinage. J’aime la
cueillette des fruits sauvages : fraises, framboises, bleuets, mais pas
trop souvent. Quand la saison des petites fraises commence par exemple,
mes sœurs, mes frères et moi sommes réquisitionnés par ma mère pour en
faire la cueillette tous les jours sans pluie et cela même le dimanche.
J’envie les jeunes du village qui n’ont pas à travailler sur une ferme
et qui peuvent se la couler douce pendant les vacances.
Beaucoup plus tard, je serai fier d’être
né à la campagne. C’est vrai, j’y ai travaillé pas mal. Mais, j’y ai
respiré un air pur. J’ai fréquenté les forêts avec tous leurs mystères.
J’ai connu les mœurs des animaux. J’ai vu les jardins fleurir. J’ai
appris à vivre au rythme de la terre. Bien plus, j’ai vécu de nombreuses
expériences de travail qui m’ont donné des compétences utiles dans la
vie courante. Sans compter les précieuses leçons de la nature.
Je voudrais me dispenser des travaux qu’on me demande. Ma mère prend le
temps de m’expliquer que tous les enfants doivent collaborer pour
assurer la subsistance de la famille. Par ailleurs, devant mes frères et
mes sœurs, je ne veux pas passer pour un paresseux. En même temps, quand
je vois le travail énorme que ma mère affronte sans jamais rechigner, je
ne veux pas lui faire de peine. D’ailleurs certains soirs, ma mère est
tellement fatiguée qu’elle se couche à 19 heures. Un jour, je lui avais
dit : « Maman, pourquoi vous vous couchez de si bonne heure ? C’est
plate quand vous n’êtes pas là. » Je ne savais pas que ce jour-là elle
s’était levée à 4 heures du matin pour aller travailler dans son jardin
et qu’elle se cachait pour ne pas être vue quand les gros camions
passaient.
Quand ma mère voit que nous sommes trop fatigués, elle nous donne congé.
Mon père, qui est loin d’être pédagogue comme ma mère, ne se soucie pas
de cela. Il semble croire que notre résistance au travail est comme la
sienne. Il semble croire que nous sommes aussi en forme que lui, étant
donné qu’il n’a jamais cessé, depuis son enfance, de travailler de ses
bras.
Étant en crise d’adolescence, je me confronte aux demandes de ma mère.
Celle-ci n’aime pas tellement ça si bien qu’elle commence à me dire :
« J’ai hâte que tu t’en ailles au Séminaire. » Cette phrase m’atteint
dans ma sensibilité et fait en sorte que je me sens rejeté. Déjà, à
cause de mon absence de la maison, j’éprouve de la difficulté à
m’intégrer dans la famille.
Depuis que je suis jeune, ma mère me dit souvent : « Lui, c’est mon
prêtre. » Ceci me confère un statut particulier qui se traduit parfois
en permissions spéciales. D’autant plus qu’à l’époque, le prêtre est
considéré tout en haut de l’échelle sociale. Être prêtre, c’est avoir le
pouvoir sur les gens, c’est diriger leur vie, c’est posséder la vérité,
c’est toujours avoir raison, dans un contexte judéo-chrétien, c’est la
certitude d’aller au ciel. Par ailleurs, le fait de me placer à ce
niveau tend à éloigner mes frères et sœurs de moi et me fait prendre une
responsabilité trop grande pour mon âge.
Disparition sournoise
Un beau dimanche de juillet, pour me distraire, je me mets à lancer une
boule après la maison un peu comme à la balle au mur. Dans un moment de
distraction, la boule disparaît dans la rangée des cerisiers qui bordent
le jardin au nord. Il y a là, en effet, quatre cerisiers dont la
vivacité laisse à désirer.
J’entre dans le jardin et, après une dizaine de minutes de recherche, je
n’ai rien trouvé. On m’a déjà décrit un truc infaillible pour retrouver
un objet perdu. Aux grands maux, les grands remèdes. Je sors mon
chapelet de mes poches. Il est là, car on est dimanche. Je me ferme les
yeux, j’étends mon bras et je fais deux ou trois tours sur moi-même. Le
chapelet part. Double malheur, je ne trouve pas mon chapelet.
À la fois gêné et offusqué d’avoir perdu et ma boule et mon chapelet,
j’ai dû changer d’idée sur l’infaillibilité de ce truc. Il ne fallait
surtout pas que ma mère le sache, elle qui croyait aux vertus
surnaturelles du chapelet.
Le sarclage des fraisiers
Depuis quelques années, ma mère récolte des fraises de jardin. Dès que
la neige disparaît et que le sol se réchauffe, il faut procéder au
sarclage des fraisiers manuellement muni d’un petit sarcloir, outil qui
ressemble à une fourchette mais dont les branches sont recourbées. C’est
une tâche ardue, surtout quand le sol est dur. Tout en faisant attention
pour ne pas arracher les plants, il faut détruire le plus possible les
mauvaises herbes en extirpant les racines quand c’est possible. Lorsque
la cueillette des fraises est terminée, il faut à nouveau procéder au
désherbage.
Une surprise
C’est un beau samedi de juillet, soit le 31.
La température est douce. Le soleil darde ses chauds rayons. Nous sommes
quatre ou cinq, y compris ma mère, à sarcler les fraisiers dans le champ
en face de la maison là où jadis avait trôné la vieille grange. Le sol
est dur, desséché par le soleil, et le chiendent livre un combat féroce.
Le travail est difficile.
Vers 11 heures 20, une automobile passe. C’est la voiture d’un médecin
de Trois-Pistoles qui file vers l’est. Sans plus tarder,
ma mère se lève. Elle nous dit de continuer à travailler et de ne pas
bouger tant qu’on nous ne le dira pas.
Nous avons un instant de contentement parce que nous pensons que c’est
l’heure de la pause- dîner, quoique celle-ci survient habituellement
vers midi. Je vois encore ma mère,
affublée d’une robe ample,
marcher péniblement tout en longeant la clôture. Elle se tourne vers
nous et nous dit : « Continuez à sarcler, mes enfants. » On sent
l’inquiétude dans sa voix. On ne le sait pas, mais le « travail » a déjà
commencé.
Ma jeune sœur turlute sur le perron. Ma mère lui dit : « Continue à
chanter, mon enfant. » Quelques minutes plus tard, les chevaux tirant la
faucheuse arrivent au pas de course. Mon père a abandonné son travail et
est venu rejoindre la maison sans prendre le temps de dételer les
chevaux.
Il a l’air bouleversé. Il est nerveux. Il n’est pas comme d’habitude.
Même les chevaux sont stressés. C’est la première fois que je les vois
dans un tel état.
Nous sentons que la situation n’est pas normale. Nous n’avons plus le
cœur à l’ouvrage. Nos yeux sont rivés vers la maison. Que se passe-t-il
?
Pas longtemps après, une de mes sœurs vient interrompre notre activité
pour nous inviter à aller dîner chez Madame Hélène. Nous sommes partis
avec les récipients de nourriture qui avaient été préparés pour le
repas. Tout en mangeant sans appétit, nous voyons le médecin qui arrête
chez nous.
Au retour, on nous montre une belle petite fille que nous aimons tout de
suite. Toutefois, en mon for intérieur, j’étais offusqué que ma mère
m’ait au préalable caché son état. J’avais quand même 13 ans.
Les filles de la famille plus âgées le savaient, pas les garçons.
Huguette
est née vers 11 heures 30. Elle est baptisée le lendemain par le curé
Alfred Bérubé. Sa marraine est Carmen, sa sœur, et son parrain est
Jacques Ouellet, époux de Carmen.
Ma mère avait
47 ans et six mois. C’est le 11e
enfant qu’elle met au monde.
Août 1954. Une bataille perdue
Ma crise d’adolescence me suit partout. Pour je ne sais trop pour quelle
raison, j’ai soudainement un différend avec Pierre qui est plus jeune
que moi de deux ans. J’ai 13 ans, il en a 11. Les invectives commencent.
Le ton monte. Les coups pleuvent. Le corps à corps s’invite. Je tombe
par terre. Pierre réussit à m’immobiliser. J’ai perdu.
Ma mère est mise au courant. Elle nous dit que les batailles sont
strictement défendues et termine : « Je vais en parler à votre père et
c’est lui qui va régler ça. » Que signifie cette menace ? Que va-t-il
arriver ? Nous sommes anxieux. Nous savons que notre père n’est pas doué
pour le dialogue.
Quand mon père arrive des champs, ayant été informé de l’événement, il
prend la strappe de cuir qui sert à aiguiser sa lame de rasoir.
Il nous amène chacun notre tour dans le tambour de la maison. Il nous
fait baisser nos culottes et donne quatre ou cinq coups de strappe
sur nos fesses.
Je suis fâché et insulté par cette punition. Il est vrai que j’ai
contrevenu à la règle de ne pas se battre. Mais c’est la première fois.
Si mon père s’était contenté de me montrer des gros yeux et de promettre
de ne plus recommencer, cela aurait été suffisant pour que je comprenne.
Le pire dans tout ça, c’est que j’avais perdu le combat avec mon frère,
même plus jeune que moi. J’ai donc vécu une double humiliation. J’en ai
voulu à mon père pendant quelques années. J’ai finalement compris qu’il
n’était pas outillé pour agir autrement.
L’éducation des enfants
Je fais partie d’une famille de 10 enfants. Comme dans beaucoup de
foyers de l’époque, ma mère veille non seulement à accomplir toutes les
tâches de la maison, mais encore elle veille à l’éducation des enfants.
Ma mère a un principe de base dans ce domaine et n’y déroge que
rarement. Elle dit souvent : « Il faut prendre les enfants par la
douceur et non par la rigueur. » Elle pense que les affrontements ne
peuvent qu’envenimer les situations parfois délicates.
Elle a le sens du dialogue et nous permet de nous exprimer. Quand elle
s’aperçoit que nos remarques sont justifiées, elle baisse la tête sans
dire un mot. Nous savons que notre mère réagit de façon pratique, mais
pas par principe, sauf s’il s’agit de la religion. Quand nous voulons
quelque chose, nous pouvons argumenter et elle finit souvent par céder.
Mais pas toujours comme dans ce cas. Il y avait assez souvent des repas
chez les frères et les sœurs de mes parents. Chaque fois, mes parents
amenaient l’un de nous d’eux. Un jour où c’était mon tour, ma jeune sœur
a manifesté son désir d’y aller. J’ai insisté pour qu’on respecte la
tradition. Peine perdue, ma mère a préféré ma sœur.
Malgré tout, la patience de ma mère est mémorable. Elle a assuré
l’éducation de ses enfants dans le calme et dans le respect. Elle
élevait rarement le ton de sa voix.
Malheureusement, l’attitude de mes parents était à l’effet plus de
montrer à obéir que de montrer à se défendre.
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Chapitre 7. Syntaxe et Méthode au Séminaire
8 septembre
1954. Rentrée scolaire
J’entre au Séminaire pour une deuxième année. Je suis en Syntaxe-Latine
(Secondaire II). Nous sommes 111 élèves répartis en trois groupes dont
quelques nouveaux confrères, alors que nous étions 158 au début de
l’année précédente. Nous ne sommes plus des nouveaux et nous regardons
avec une certaine condescendance les 162 élèves d’Éléments-Latins.
Les maîtres de salle sont les abbés Jean-Luc Thériault, Emmanuel Gagnon,
Louis-Jacques Morissette, Gilles Roy et Nive Voisine.
Mes professeurs de Syntaxe-Latine B sont les abbés Hervé Beaulieu, en
français, latin et histoire, aussi titulaire, André-Albert De Champlain
en sciences naturelles, Nive Voisine en grec, Gérard Richard en anglais,
Raoul Thibault en catéchisme, Jean-Luc Thériault en mathématiques. Plus
tard, en novembre 1965, comme professeur de sciences naturelles, j’aurai
l’honneur de remplacer M. De Champlain qui a pris sa retraite après
avoir été professeur de sciences pendant 40 ans au Séminaire. En février
1967, comme professeur de mathématiques, je remplacerai M. Thériault qui
a été nommé procureur à l’archevêché.
Mon comportement rebelle à la maison se continue au Séminaire. Je suis
toujours en crise d’adolescence.
J’accepte avec plaisir un nouveau directeur des élèves, l’abbé Robert
Michaud, qui aborde son rôle avec beaucoup d’ardeur et un peu de
candeur, sinon de naïveté. Le règlement est appliqué avec plus
d’humanisme.
L’abbé Michaud, reconnu pour sa jovialité, n’hésite pas à faire
confiance.
Conduite et assiduité
Toutefois, j’ai tendance à briser le silence dans les rangs, à la
cafétéria et parfois à la salle d’études. Les résultats en classe s’en
ressentent. Mes notes de la part des maîtres de salle aussi. Comment
fonctionne ce système de notes ?
Chaque vendredi ou samedi en avant-midi, les cinq maîtres de salle se
réunissent et, pour chaque élève, donne une note sur 10 pour la conduite
et une autre note sur 10 pour l’assiduité au travail.
Les notes 8 et 9 correspondent à excellent, le 7 à
très bon et le 6 à bon. Une note inférieure à 6 veut souligner un
manquement important en termes de conduite ou d’assiduité. Cela peut
avoir notamment comme conséquence l’annulation de sorties en ville et de
certains privilèges. Une accumulation de mauvaises notes peut conduire à
l’exclusion du collège.
En Éléments-Latins, mes notes étaient généralement 7, quelques fois
6.
Chaque samedi en fin d’après-midi, le directeur des élèves se présente à
la salle d’études pour décerner aux élèves leurs notes de conduite et
d’assiduité. Dans un grand cahier, il a la liste des élèves. Il dit leur
nom et la note que les maîtres de salle leur ont attribuée pour la
semaine. Les professeurs ne participent jamais à cette opération. Les
incartades qui se passent en classe se règlent généralement là.
Une anecdote plutôt banale. Le premier samedi, quand le directeur des
élèves fait la lecture des notes pour la première fois, il manque à une
tradition. Au lieu de dire, par exemple, 7 et 8 comme c’est l’habitude
de ses prédécesseurs, il ne prononce pas le « et » si bien qu’il dit 7,
suivi immédiatement du 8. Dès le début, les élèves se retiennent pour ne
pas rire. Imaginez. Le palmarès comprend autour de 250 noms. Ce sont
plusieurs « et » qui ont été économisés. Toutefois, les élèves se
contorsionnent. Après la lecture des notes, aussitôt que le directeur
fait une remarque qui, en un autre temps, n’aurait pas été comique,
c’est l’explosion générale.
Dans la Vie écolière, un
philosophe expérimenté donne à un nouveau ce conseil : « Souviens-toi
qu’un maître qu’on ne voit pas est toujours plus dangereux que celui
qu’on voit. »
Des patates frites
L’ouverture de l’abbé Michaud, qui prône la santé par l’exercice
physique, fait en sorte que lors des congés, nous allons souvent au
Centre des Loisirs ou au Colisée. À l’automne, lors d’une sortie pour
aller voir une partie de hockey au Colisée, je vois des élèves qui, à
l’intermission, commande des casseaux de patates frites. C’est la
première fois que je vois ça. Alors, je veux connaître le nom de ce mets
qu’on arrose de ketchup. Je m’approche près d’un élève plus jeune et lui
demande. Il n’en revient pas de mon ignorance. Inutile de dire qu’il
répand rapidement ce fait. De mon côté, je suis tellement gêné que je
nie, prétextant que ce n’est pas arrivé comme raconté.
La petite chorale
Chaque année, en vue de la fête du Supérieur, un prêtre organise une
chorale avec les élèves d’Éléments-Latins dont la voix n’a pas encore
mué. Je demande la permission de faire partie de ce chœur. Je suis
accepté.
Lors de la première pratique, tout se déroule bien. Je collabore. Dans
les pratiques suivantes, je suis insolent. Je dérange par des
interventions inopinées. Je rigole. Je fais le clown. Le responsable de
la chorale menace de me congédier. Je continue quand même mon petit
manège. La sanction tombe. Je suis mis à la porte. Le directeur des
élèves, Robert Michaud, en est informé. Je gagne un 5 de conduite.
Une période de constipation
Je ne sais pas si ce qui m’arrive, peut-être le stress dû à ma crise
d’adolescence ou des transformations physiques en regard de la puberté.
Vers la fin d’octobre, je suis constipé depuis deux jours. Je vais à
l’infirmerie. M. Plourde me donne un laxatif qui ne produit aucun effet.
J’y retourne le lendemain, pas de changement. Chaque jour, je vais à
l’infirmerie, rien ne change. À partir de la sixième journée, je mange
peu. Lors de la septième journée, pour le repas du soir, je me cache
dans les vestiaires pour ne pas aller à la cafétéria. Je fais de même au
déjeuner du lendemain. Heureusement, c’est la journée de départ pour le
congé de la Toussaint.
Congé de la Toussaint
Pour la première année dans l’histoire du Séminaire, les élèves ont
droit à un congé dans leur famille à l’occasion de la Toussaint. Quand
j’arrive à la maison, maman me dit : « J’ai des questions à te poser. »
Je réponds : « Maman, je n’en peux plus. Ça fait sept jours que je suis
constipé. » En un éclair, ma mère prend un contenant dans la pharmacie
de la cuisine et verse une poudre dans un verre d’eau. Si je me souviens
bien, il s’agit du sel d’Epsom que ma mère avait acheté d’un colporteur.
En quelques heures, mon système était complètement nettoyé.
Quand maman voit que je vais beaucoup mieux, elle me tend mon premier
bulletin. Le directeur avait écrit : « Votre fils se conduit mieux
maintenant. » Elle me demande de lui expliquer le sens de cette
remarque. Ma réponse est plutôt évasive. Toutefois, suite à cette
remarque, je mets fin à ma crise d’adolescence. Elle aura duré presque
cinq mois.
Les colporteurs
Il y a à cette époque des
vendeurs ambulants qui transportent avec eux leurs marchandises de
maison en maison. On les appelle des colporteurs. L’un des plus
remarquables est Édilbert Morin de Saint-Fabien qui vend les produits
Rawleigh et qu’on surnomme Rawleigh. Cet homme très distingué cogne à la
porte, entre et dit : « Pour aujourd’hui » en suintant les syllabes.
Après une courte conversation, il ouvre sa petite valise. On peut
notamment voir des médicaments, des essences, des épices, des articles
de toilette, des savons, du parfum, de la poudre, etc. Ma mère regarde
attentivement les assortiments et achète toujours quelque chose. Elle
lui dit que c’est pour l’encourager. Par-ci par-là, c’est un savon de
toilette, un pot d’onguent, du sirop pour la toux. La facture se situe
généralement à moins de deux dollars.
Un autre commerçant itinérant
est Dominique Thériault aussi de Saint-Fabien. Avant de présenter ses
produits Watkins, il jase longuement car, dans sa jeunesse, il a été
engagé par mon père pour l’aider aux travaux des champs pendant un été.
Maintenant, il vend des produits divers qui ressemblent à ceux de
Rawleigh. Ma mère l’encourage aussi.
Il y a aussi, à l’occasion,
des vendeurs de vêtements ou d’articles divers qui viennent de
Trois-Pistoles ou d’ailleurs.
Un jour, je reviens du
Séminaire. Rendu au village, il n’y a personne pour me recevoir. Je
décide donc de faire le trajet à pied qui est d’environ trois milles et
demi. Quand j’arrive en haut de la première longue côte, une automobile
s’arrête. Le conducteur m’offre d’embarquer. Sur-le-coup, je suis
content et j’accepte. Rapidement, je me suis souvenu des paroles de ma
mère : « N’embarquez jamais avec des étrangers. »
Je regarde le conducteur et je
me rends compte que je ne le connais pas. Il est trop tard. Après les
paroles de politesse, il me demande si ma mère fait parfois des achats
auprès des colporteurs. Je dis oui, sans plus. En même temps, je me
tourne la tête vers derrière et je vois une petite valise avec des
écriteaux. Je suis à demi soulagé. J’en conclus qu’il est colporteur. Je
vérifie avec lui : c’est le cas.
Il passe tout droit devant les
deux premières maisons du rang et s’arrête à la maison de mes parents.
Je crains que ma mère soit fâchée de mon geste. En même temps, j’espère
qu’elle va acheter une ou deux bricoles. Je me réfugie dans ma chambre.
Je ne me souviens pas si ma mère l’a encouragé.
Retour au Séminaire
Malgré mes bonnes résolutions, je fais peu d’effort dans mes études. Je
réalise seulement le nécessaire. Le reste du temps, je compose des mots
croisés. C’est un excellent exercice pour connaître les mots et leur
signification, mais cela n’aide guère dans l’apprentissage du latin et
du grec. En effet, une nouvelle matière s’est ajoutée cette année : le
grec ancien.
J’entreprends aussi une recherche bizarre : faire la généalogie des
dieux latins et grecs à l’aide d’un dictionnaire. Après quelques
semaines, je lâche tout car je frappe des contradictions d’une entrée à
l’autre.
Novembre 1954. Chapelet à l’archevêché
Il
est 18 h 55. Nous sommes quatre ou cinq élèves qui jasent tranquillement
dans la cour de la Petite salle. Tout à coup, un surveillant se
précipite vers nous tout essoufflé. Se peut-il qu’on ait fait un mauvais
coup ? Nous sommes momentanément muets. Le maître de salle nous explique
qu’on a besoin de nous à l’archevêché. Pourquoi ? Pour répondre au
chapelet.
Un
groupe qui avait confirmé sa présence s’est désisté à la dernière
minute. Quand cette situation se présente, on fait appel à des élèves du
Séminaire vu la proximité des lieux ou, à la limite, le secrétaire de
l’évêque remplit cette fonction en solo.
À
la course, nous nous dirigeons vers l’archevêché. Il y a un studio au
rez-de-chaussée de la bâtisse entrée ouest. Il est 18 h 58. L’archevêque
Mgr Charles-Eugène Parent nous reçoit avec gratitude. Nous sommes
invités par le dignitaire à nous mettre à genoux sur le rebord de la
tribune. Lui, il s’installe sur son prie-Dieu le dos à nous.
À
19 h pile, un animateur de la station CJBR-Rimouski annonce le début du
chapelet. Mgr Parent commence normalement le chapelet par le Je crois
en Dieu. Nous répondons selon la coutume sans trop de convictions en
se faisant parfois des grimaces et en étouffant des rires. Le 15 minutes
passe assez rapidement. Après les remerciements, nous retournons dans la
cour du Séminaire.
Visite d’une église protestante
Un
samedi après-midi, un maître de salle, sentant sans doute notre morosité
due aux vents sournois d’automne, aborde un petit groupe dont je suis et
dit : « Aimeriez-vous visiter une mitaine ? » Les élèves se regardent
d’un air incrédule. Il continue en disant : « Il y a à Nazareth, non
loin d’ici, une chapelle protestante qu’on appelle mitaine, provenant du
mot meeting. Si vous le désirez, je vous amène visiter ce bâtiment. »
Tous acquiescèrent mais sans enthousiasme.
Pour ma part, comme d’autres du groupe probablement, je me demande
pourquoi on irait visiter un temple où se rassemblent les ennemis de
notre religion comme on nous l’enseigne. Au long du parcours, je pense à
un de nos voisins qui avaient clamé avec force que les protestants
étaient des communistes. Je pense au curé lors du catéchisme qui avait
dit que les seuls les catholiques peuvent aller au ciel. Pourquoi un
prêtre catholique nous amène-t-il dans un temple rival ?
Nous entrons dans la chapelle. Le maître de salle nous explique que le
gros livre sur un lutrin est une bible. On y voit une croix nue, soit
sans personnage, et pas de statue. Le décor est beaucoup plus sobre que
celui de l’église de ma paroisse. L’abbé nous demande de prendre place
et de nous recueillir pendant qu’il va faire une courte visite de
politesse au pasteur.
Je
me mets en genoux. Je commence mon signe de croix. J’abandonne. « Les
protestants, me dis-je, font-ils ce signe ? » Je voudrais réciter
silencieusement un Notre Père et un Je vous salue Marie, mais je ne sais
pas si j’ai le droit dans ce temple. Bref, je me pose la question :
« Ont-ils le même Dieu que nous. » Toutes ces questions ne font pas
partie de notre formation. Aussi, je comprends mal l’intention de l’abbé
qui nous a fait faire cette visite sans nous situer dans un contexte.
Des films
C’est un automne pluvieux. Comme le nouveau directeur
trouve important que nous ne soyons pas oisifs, des films sont présentés
à la Salle académique lors de certains congés. C’est une joie d’entendre
la voix d’un maître de salle qui annonce une telle activité.
Personnellement, au début j’y assiste. Toutefois, j’ai un
problème de taille. Comme j’ai beaucoup de difficultés à reconnaître les
visages, je perds des séquences à me demander si le comédien est le même
ayant apparu auparavant. Mes interrogations sont si nombreuses en cours
de représentation et mon incompréhension s’accentue si bien que je finis
par sombrer dans le sommeil.
De tous les films que je vois cet automne-là, j’ai
souvenance de n’en avoir vu aucun en entier. Je sors de la salle
académique le corps reposé, mais je suis frustré. Si bien que
j’abandonne de me consacrer à cette activité masochiste.
Ce handicap visuel m’a longtemps apeuré. Je m’imagine être
témoin d’un acte criminel et d’être interrogé par la police. Je sais que
je ne pourrai pas donner une description convenable des suspects et,
bien plus, ne pas pouvoir les reconnaître si on me montre une photo.
Décembre 1954. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 202,90 $.
Janvier 1955. Des passe-temps
Nous apprenons que les élèves de la Grande salle ont maintenant un
téléviseur dans leur salle de lecture. Cet appareil en noir et blanc est
un don des prêtres du Séminaire. Nous sommes contents pour eux, mais
nous aimerions aussi en avoir un à la Petite salle. Cela nous fait
espérer d’être promu à la Grande salle l’an prochain. En même temps,
probablement pour apaiser notre frustration, des
jeux de hockey sur table sont installés à la salle de récréation.
Certains après-midis de congé le mercredi, je vais à la chambre de
l’abbé André-Albert Dechamplain. C’est un grand généalogiste. Il a
compilé des milliers de cartes de couples mariés dans la région. On y
trouve le nom des époux, la date du mariage et le nom des parents. Il
possède des recueils généalogiques. Il m’initie à la généalogie et
m’aide à retrouver mes ancêtres. À quelques reprises, il me prête sa
dactylo. À ce moment, il s’en va à l’extérieur et il me laisse seul.
À
un moment donné, j’ai l’impression d’abuser de sa bienveillance et
j’abandonne mes recherches.
Une carte de visite
À
ma grande surprise, un élève de Méthode (Secondaire III) vient vers moi
et me dit : « J’ai un cadeau pour toi. » Je suis surpris. Je ne lui ai
jamais parlé et, en plus, il est externe. Il me donne une douzaine de
cartes comportant mon nom. Je suis content. « Je suis important
maintenant, me dis-je. J’ai ma carte de visite. »
Je
lui demande la raison de ce cadeau. Il me dit que son père travaille
dans une imprimerie et qu’un jour l’accompagnant, il a fait une
expérience. Son explication me semble boiteuse et elle ne me convainc
pas. Je sens qu’il y a quelque chose d’irrégulier dans son geste. Je
conserve une seule carte dans mon porte-monnaie et je cache les autres
dans mon bureau à l’étude.
Dans les jours suivants, je m’applique à ne pas le rencontrer.
Finalement, il ne m’a jamais reparlé. Je n’ai jamais pu savoir
exactement pourquoi il m’avait choisi, même si je m’en doute.
Concours à Radio-Canada
Lors d’un après-midi de congé, un maître de salle demande à un groupe
d’élèves dont je suis si on veut aller donner un coup de main à des
employés de Radio-Canada de Rimouski. Toute diversion par rapport à la
vie règlementaire qui nous est proposée est bienvenue. J’accepte.
Avec quelques confrères, je me présente au Centre des Loisirs, situé
derrière la meunerie du Séminaire sur la rue Ste-Marie. Je me dirige au
local convenu. Il y a là cinq ou six grosses boîtes pleines de lettres.
« Votre tâche, nous dit un employé de Radio-Canada, est de découper les
timbres que nous acheminerons aux missions. Ces lettres nous ont été
expédiées dans le cadre de concours. Vous n’avez pas le droit de lire
leur contenu. Vous devez garder le secret sur ce que vous pourriez
apprendre. Il en va de la réputation de Radio-Canada ».
Pendant plus d’une heure, je fais mon travail avec beaucoup
d’application. Toutefois, je jette un œil furtif sur le nom des
personnes inscrites au dos de l’enveloppe et, même parfois, sur des
courts textes écrits par des gens qui ont participé à des concours.
17 mars 1955.
L’émeute du Forum
Ce jour-là est une date mémorable dans l’histoire du Québec. Une émeute
a eu lieu au Forum de Montréal lorsque le Canadien affronte les Red
Wings de Détroit. Toutefois, comme je suis pensionnaire, je ne suis pas
informé de cet événement.
Le lendemain matin dès le premier cours à 8 heures 30, notre professeur
de français, l’abbé Hervé Beaulieu, nous en parle. Il commence par nous
dire qu’il n’est pas un amateur de hockey. Puis, il nous raconte
pourquoi et comment s’était déroulée l’émeute la veille.
Quatre jours plus tôt, Maurice Richard, un joueur très talentueux du
Canadien de Montréal, avait été suspendu pour le reste des parties
régulières et même pour les séries éliminatoires, après avoir frappé un
juge de ligne. Cette décision, prise par Clarence Campbell, un
anglophone de Montréal, a choqué profondément les Canadiens français.
Ils ont voulu manifester leur opposition.
L’abbé Beaulieu nous raconte que Maurice Richard devient ainsi un
symbole pour les Canadiens français. Ses talents de joueur, son sens de
la combativité, sa détermination à ne pas vouloir s’en laisser imposer
par les anglophones pourraient devenir, selon lui, une inspiration pour
le peuple québécois qui, à l’époque, est largement dominé par la
minorité anglaise.
Je suis étonné de voir un prêtre si sérieux prendre une dizaine de
minutes de son cours pour nous parler de hockey et de ses conséquences.
Son intervention me fait comprendre que le Québec vient de tourner une
page de son histoire. Finie la tête baissée devant les Anglais.
Dans les joueurs suivants, le célèbre joueur de hockey doit intervenir à
la radio pour calmer les esprits. Les Canadiens français boycottent la
soupe Campbell. Cette marque de commerce n’a pourtant aucune relation
avec le président de la ligue nationale de hockey si ce n’est que le
nom. Il faut ajouter que dans plusieurs milieux, à cette époque, le
hockey est plus populaire que la religion. Même, certains disent que
Maurice Richard est plus populaire que le Pape.
Par son intervention, l’abbé Beaulieu touche la fibre nationaliste qui
sommeille en nous. D’ailleurs, je suis de ceux qui considèrent que cet
événement est le début de la Révolution tranquille au Québec parce que
c’est le peuple qui, spontanément, se lève et parle.
8
avril 1955. Incident en montagne
C’est le vendredi saint, deux jours avant Pâques. Je suis en vacances
dans ma famille. Les érables coulent abondamment. Mon père est à la
cabane à sucre en train de faire bouillir l’eau d’érable. Ma mère me
demande d’aller avec Pierre porter le dîner de mon père. La température
s’est réchauffée légèrement la veille et une croûte glacée recouvre la
neige.
Nous nous rendons sans ambages à la sucrerie située à l’extrémité nord
de la terre. Nous faisons le tour d’une centaine d’érables pour en
recueillir l’eau qui coule abondamment. Puis, vers 14 h 55, nous
quittons la cabane avec les plats vidés de leur contenu.
À
environ 200 mètres se dresse un mont que nous appelons montagne. Pierre
gravit l’escarpement dans le temps de le dire avec ses bottes munies de
crampons et s’assoit en haut de la montagne. Il me regarde, avec mes
bottes dont les semelles sont plutôt lisses, tenter de suivre les traces
faites la veille sur la croûte. J’avance très lentement et lui, il se
moque de moi.
À
un moment donné, par surprise, il bascule et dérive vers le bas. Il me
frappe de plein fouet. Je me ramasse dans quatre pieds de neige autour
d’un sapin, les plats éparpillés dans la nature. Je regarde ma montre.
Il est 15 heures et c’est le vendredi saint, l’heure de la mort du
Christ. Par la suite, nous avons bien ri de cet incident et nous nous le
sommes rappelé de temps à autre.
La
fête de Pâques
Les trois jours précédant Pâques sont parsemés de cérémonies
religieuses, souvent d’une longueur languissante. Le carême qui, en
principe, dure 40 jours se termine à midi le samedi, jour appelé samedi
saint. Ce jour-là, nous sommes heureux de dîner après 12 heures parce
qu’on a le droit de manger de la viande et que les privations comme une
portion moindre de dessert sont tombées.
La
grand-messe du jour de Pâques revêt un caractère particulier qui n’est
pas très religieux. En effet, plusieurs femmes profitent de cette
cérémonie pour montrer leur nouvelle toilette et pour étrenner un
chapeau qui fait fureur ou est la risée de la paroisse. Il est arrivé
qu’une dame imbue de sa personne porte un chapeau dont elle avait oublié
d’enlever l’étiquette du prix. Quelle déception !
Le dîner
pascal sert de prétexte pour des réunions de familles. L’après-midi,
c’est souvent la randonnée à la cabane à sucre, une tradition qui ne
s’éteint pas.
Comme la date de Pâques est variable et s’étale du 22 mars au 25 avril,
avant le maintien des chemins roulants pendant tout l’hiver, il arrivait
que les chemins soient encore traînants.
Les produits de l’érable
Les produits de l’érable sont, pour la famille, un apport important dans
le budget familial. On a accès au sucre d’érable, au sirop d’érable et à
la tire. La tire est consommée en dehors des repas et a une vie éphémère
lors de rencontres à la cabane à sucre.
Mon père vend une partie du sirop d’érable à des particuliers. Nous
consommons une bonne partie du sucre d’érable. On s’en sert comme
dessert. Rien de plus délicieux pour des jeunes papilles gustatives que
de manger une tranche de pain imbibé de lait et recouverte d’une bonne
couche de sucre d’érable.
Quand le sirop d’érable est tout consommé, il est remplacé par la
mélasse ou le sirop doré toujours avec des bouchées de pain.
Mai 1955.
Choix de figurants
Le
congrès eucharistique de Rimouski qui est organisé par l’archevêché a
été annulé en 1950 à cause du feu de Rimouski. Comme la reconstruction
des bâtiments est terminée, l’événement est prévu pour l’été.
J’apprends qu’une des principales activités du congrès eucharistique est
un grand jeu scénique intitulé
Pêcheurs d’hommes et qu’on cherche des figurants. Je veux y
participer. Je m’informe et on me dit que l’abbé Georges Beaulieu fera
des auditions un peu plus tard.
Un
certain soir, je me présente à l’école de Marine. Il y a là une centaine
d’élèves du Séminaire. Je crains de ne pas être choisi. Je me présente à
l’abbé Beaulieu. Il sort son gallon et me mesure. « Désolé, me dit-il,
tu n’es pas assez grand pour faire partie du spectacle. »
Je
sors de l’école de Marine le cœur gros. Je m’assis sur une marche de
l’escalier et je pleure. Un vieux monsieur qui passait par là, me voyant
dans cet état, vient vers moi et me demande la cause de mon chagrin. Je
lui explique que j’ai été refusé comme figurant dans le jeu scénique. Il
me dit : « Mon jeune, il y en aura d’autres congrès eucharistiques. »
Cette réponse me révolte et je retourne au pensionnat du Séminaire le
cœur en lambeaux.
Je
ne sais pas ce qui s’est passé dans les jours suivants, peut-être le
vieux monsieur qui est intervenu, peut-être mon ange gardien, mais
l’abbé Georges Beaulieu me fait dire par un maître de salle qu’en fin de
compte je suis accepté. Je suis totalement ravi. Je m’empresse d’écrire
à ma mère pour lui annoncer la bonne nouvelle. Dans ma tête, je n’avais
pas besoin de lui demander la permission.
Le
toit du Séminaire
Le
Séminaire est un bâtiment de six étages. À chaque étage, les plafonds
sont très hauts. Je ne sais pas par quel hasard je me retrouve un bel
après-midi de congé dans une grande salle située au dernier étage du
côté de l’est.
Il
y a là des vieux meubles qui attendent pour reprendre du service. Il y a
là aussi quelques 200 valises qui dorment paisiblement dans la poussière
depuis septembre dernier. Nous sommes quatre ou cinq élèves ébahis
devant tant d’êtres silencieux quand l’un de nous remarque un escabeau
dans un coin. « Montons, dit-il, sur le toit. »
À
cette simple proposition, mes jambes commencent à flageoler, mais je
fais le brave. Rapidement l’escabeau est installé sous la trappe.
L’élève qui monte le premier la déverrouille et hop le champ est libre.
Je gravis, à mon tour, les marches de l’escabeau. Quand je mets le pied
sur le vaste toit, je tente de me mettre debout. Impossible. Je suis
tout étourdi. Je marche à quatre pattes. Je ne vais pas loin. J’invoque
tous les saints du ciel de me délivrer de ce cauchemar.
Quand je vois mes confrères marcher sur le toit tout à leur aise et se
rendre jusqu’au bord pour regarder en bas, mes craintes augmentent. Je
suis près de perdre connaissance. En même temps, j’ai peur que des
marcheurs sur terre informent les autorités de notre présence
clandestine à cet endroit et qu’on soit puni pour notre escapade. Je me
dépêche à redescendre. Je dis au revoir à ma valise que je reverrai dans
un mois.
Juin 1955.
Machines à boules
J’ai 13 ans. Je viens de passer mon dernier examen de Syntaxe-Latine.
C’est la journée de la sortie pour les vacances d’été. En attendant mes
parents qui sont censés venir me chercher, j’ai l’idée d’aller faire un
tour au restaurant Buffet Éclair
sur la rue de la Cathédrale à deux pas du Séminaire. J’avais entendu
dire qu’il y a là des machines à boules. Je n’en avais jamais vues. La
télévision fait ses premiers pas et les manuels scolaires n’auraient pas
osé montrer ces objets de perdition (!). Je vais donc là par curiosité.
J’entre dans le restaurant. Il y a un comptoir et quelques tables. Je me
dirige vers les machines à boules. Sur l’une d’elles, un jeune
d’Éléments-Latins s’en donne à cœur joie. Je suis mystifié par le
déplacement rapide des boules et les différents chemins qu’elles
prennent. Au bout de quelques minutes, une dame entre. Elle se dirige
vers la machine. Elle prend le jeune par le bras et lui dit d’un ton
fort et sévère : « Viens-t-en. Tu n’as pas d’affaire ici. ». Le fils est
gêné et n’a pas d’autre choix que de suivre sa mère.
Cela fait tomber mon plaisir. Je n’ai pas aimé l’attitude de la mère. Je
quitte le restaurant. Sur le chemin du retour, je me demande comment mes
parents auraient réagi dans une telle situation.
Ma mère seule. Elle m’aurait regardé et elle aurait fait un signe de la
tête. J’aurais compris que je devais abandonner là mon plaisir. Rendue à
l’extérieur, elle m’aurait sermonné en me disant que je ne devais pas
fréquenter ces endroits qui ne servent qu’à gaspiller son argent.
Mon père seul. Il m’aurait regardé sans faire un geste et sans dire un
mot. Il aurait quitté le restaurant. J’aurais compris qu’il fallait que
je le suive. J’aurais marché derrière lui. Par la suite, il ne m’aurait
rien dit.
Résultats scolaires
Je
me classe 15e sur 35 élèves en Syntaxe-Latine B. En cette
deuxième année au Séminaire, mes résultats se sont améliorés. Mon
professeur de français qui est aussi mon directeur spirituel y est pour
quelque chose.
Une éclipse de soleil
Le 20 juin 1955, je me repose dehors près de la maison familiale. Il est
environ 16 heures.
Les poules picorent dans leur
enclos à l’extérieur. Soudain, toutes les poules quittent pour se
réfugier dans le poulailler et atteindre les juchoirs. Je me demande ce
qui se passe. Mais, je l’apprends rapidement. L’obscurité se manifeste
pendant un peu plus de sept minutes.
Je suis impressionné par
les réactions des poules qui ont réagi d’avance à l’absence temporaire
de lumière. Quand la clarté revient, les poules retournent dehors.
Mon premier
rôle de figurant
Le
26 juin, je reviens au Séminaire où les figurants du jeu scénique sont
logés et nourris gratuitement. Les plus jeunes couchent au dortoir B. Au
début, les nuits sont courtes car il n’y a pas de surveillant.
Le
premier jour, avant la répétition, on nous attribue un costume de
couleur blanche ressemblant à une soutane. Certains ont des rôles précis
comme représenter les apôtres, les premiers chrétiens, les premiers
prêtres, etc. Mon rôle, comme pour la majorité des figurants, consiste à
poser des gestes synchronisés et à participer au chant. Il s’agit de
suivre au fur et à mesure les consignes du Père Georges St-Aubin qui est
assis dans une loge placée à une cinquantaine de pieds de la scène.
L’abbé Georges Beaulieu est à ses côtés. Pour ma part, comme je suis un
des plus petits, je fais partie de la première rangée.
Le
mercredi soir 29 juin, c’est l’avant-première devant quelques curieux
des alentours. Le jeudi, il n’y a pas de répétition. Les responsables
nolisent un autobus et nous allons visiter la Pointe-à-Santerre, à
Rivière-Hâtée, où est le chalet des prêtres du Séminaire.
La
première représentation a lieu vendredi le 1er juillet dans
l’après-midi à l’intention des écoliers. Je joue mon rôle avec beaucoup
d’enthousiasme et de plaisir. Les deux dirigeants semblent être très
satisfaits.
En
plus d’être figurants, on nous a demandé d’assurer l’ordre sur le
terrain. En soirée, muni d’un brassard, j’assume cette responsabilité.
Je dirige les visiteurs vers les endroits les moins achalandés. À un
moment donné, un couple se présente. La dame porte des pantalons. Or, on
nous avait dit de ne pas laisser entrer les dames dans une telle tenue.
Je dis à la dame en la regardant : « Les pantalons sont interdits sur le
terrain du congrès. » Elle me regarde d’un air hautain et me dit :
« Comme ça, mon mari ne peut pas entrer. » Elle prend son mari par le
bras et elle passe outre. Je comprends rapidement que je n’ai pas la
prestance pour imposer la discipline.
Je
quitte mon poste. Je rencontre un jeune garçon qui a des
lunettes-miroirs. C’est la première fois que je vois ça. Je me réfugie
alors à l’entrée de l’école de Commerce, plus tard l’école Normale.
Cette salle sert à accueillir les gens qui ont besoin de premiers soins.
Il y a là une infirmière. Elle est seule. Je parle avec elle. Bientôt,
l’heure d’adoration commence. C’est l’abbé Antoine Gagnon qui fait le
sermon. On l’écoute d’une oreille distraite et on fait des commentaires
sur ses propos. Je m’étends sur un lit. Je n’en reviens pas d’agir avec
autant de laisser-aller alors que j’ai toujours vécu dans un climat de
discipline.
Un
peu plus tard, je participe au jeu scénique. C’est un très grand succès.
Comme la majorité des gens n’ont pas encore de téléviseur, ils n’ont
jamais vu un spectacle aussi grandiose. Trois autres représentations ont
lieu.
Le
dimanche après-midi, je rencontre par hasard Ernest Vaillancourt qui est
notre voisin au rang 5. Je lui demande si je peux retourner avec lui. Il
accepte avec plaisir. Quand le jeu scénique est terminé, je prends la
direction de Saint-Mathieu avec Monsieur Ernest et Madame Hélène. À
l’arrivée chez Monsieur Ernest, je lui dis ce que ma mère nous avait
habitué à dire : « Merci beaucoup. Ma mère va arranger cela avec vous. »
Tout au long du retour, je n’ai pas l’esprit en paix. Je n’ai pas assumé
ma responsabilité jusqu’au bout. L’abbé Beaulieu m’avait donné une
chance et je n’avais pas joué franc-jeu. En effet, une autre
représentation était prévue en soirée plus précisément à minuit. Je
crains d’être accusé d’avoir fait un faux bond. Heureusement, personne
ne m’a jamais reproché cette fuite.
Je
passe mes vacances à travailler sur la ferme : ramasser des roches,
pleumer de la pitoune, racler le foin, ramasser des fruits de champs,
surtout des fraises et des framboises, sarcler les jardins, etc.
Juillet 1955. Partage de biens
Un
soir de juillet, ma mère est invitée chez son père au village, comme les
autres membres de sa famille, à la demande de l’abbé Ernest Couillard.
Ce dernier prendra sa retraite bientôt comme curé. Il a fait un grand
ménage et veut distribuer certains biens.
Qui est Ernest Couillard ?
Ernest Couillard,
fils de Louis Couillard et de Démerise Rousseau,
est né à Saint-Simon. Il a d’abord été Frère des Écoles chrétiennes,
puis prêtre à 38 ans.
Sa mère est la sœur de la grand-mère de ma mère, Rose Rousseau.
D’ailleurs, à la mort de son mari, Démerise Rousseau est venue vivre
avec sa sœur Rose dans la maison paternelle des Théberge à
Saint-Mathieu. Voilà pourquoi, M. Couillard a choisi les Théberge pour
la distribution.
Personnellement, j’ai hérité d’un livre de messe en latin, d’une malle
et d’une brosse à manteaux.
Août 1955. Les ours
C’est un dimanche. À la basse messe, le curé annonce qu’il permet aux
cultivateurs de ramasser leur foin. Normalement, il est interdit de
travailler le dimanche vu que ce jour doit être consacré au Seigneur.
Mon père, ayant flairé la bonne affaire pour ne pas aller à la messe,
attèle le cheval après le déjeuner et s’en va au sixième, plus
précisément dans le lot qu’on appelle les prairies, en vue d’y engranger
le foin.
Personnellement, je vais à la messe. À notre retour, ma mère prépare le
dîner pour les travailleurs du sixième. Ma tâche est d’aller leur porter
le repas. La température est magnifique. Le soleil est ardent. Le
problème : je suis seul et je dois transporter des mets dont la cuisson
vient de se terminer. Ces mets répandent une senteur qui, m’a-t-on dit,
est recherchée par les ours.
Je
dois faire un peu plus d’un kilomètre en plein bois. J’ai peur. Les
cheveux me dressent sur la tête. J’ai des palpitations. J’écoute
attentivement les sons qui m’entourent. Au moindre pétillement, je
sursaute. Je chante. Je lance des cris aigus pour éloigner les ours, au
moins pour ne pas les surprendre. À un moment donné, les feuilles
craquent dans la forêt. Le sang me monte à la tête. Je risque de
m’évanouir. C’est probablement un écureuil. De palpitations en
palpitations, je finis par atteindre les prairies sans anicroche. Je
suis épuisé. Je me couche par terre.
La
foudre
Nous sommes partis quatre ou cinq de la famille pour aller cueillir des
framboises sur la terre de Romuald Plourde. Arrivés au champ de
cueillette, c’est rouge de framboises, comme on disait à l’époque.
Avant de partir, ma mère nous avait avertis. « Il fait chaud depuis
trois jours. Il est possible que le temps change rapidement. Si le ciel
se couvre de nuages noirs, revenez vite. Si jamais la foudre s’invite,
ne vous cachez jamais sous un arbre. Si vous n’avez pas le temps de vous
rendre à la maison, changez de chemin pour ne pas revenir à travers les
arbres. Si vous êtes dans un champ, couchez-vous dans des fossés. Jamais
près d’un arbre ou d’une clôture. La foudre ne pourra pas vous
atteindre. »
Ma mère nous avait souvent raconté comment la petite sœur de notre
voisine avait été fauchée par la foudre alors qu’elle revenait des
champs. Elles étaient trois qui se tenaient par la main et la foudre
avait frappé la jeune sœur.
Après une heure de cueillette, le ciel s’assombrit. Une de mes sœurs qui
est plus âgée décide qu’on quitte. À la course, nous parcourons à peu
près neuf arpents à travers les arbres. À un moment donné, la pluie se
déchaîne. D’habitude, la foudre arrive en plus grande force après la
pluie. Nous avons donc confiance que celle-ci ne viendra pas.
Finalement, nous arrivons trempés comme des canards à la maison. Mais
cela n’est pas important. Nous nous assoyons dans la cuisine en nous
éloignant le plus possible du poêle à bois car les éclairs commencent à
scintiller dans le ciel. Tout à coup, un immense boum se fait entendre.
Une boule de feu sort de la boîte électrique située au-dessus de la
radio. Mes 10 doigts sont soudainement engourdis. La foudre est tombée
dans le transformateur situé près de la maison.
Ma petite sœur qui a un an dort derrière une cloison dans la salle à
manger. Le bruit l’a réveillée. Elle crie. Nous sommes catastrophés. Ma
mère va la chercher. Elle n’a pas été touchée.
Balade
équestre
Les foins achèvent. Je suis au sixième rang avec mon
père et mes frères. Je ne sais pas pour quelle raison, mon père me dit :
« Tu vas ramener la Grise à l’étable. » La Grise, c’est un des deux
chevaux de la ferme.
Il n’y a pas de voiture à tirer. Mon père me dit :
« Monte sur la Grise ». J’hésite. Je n’ai jamais vu personne sur son
dos. Je ne sais pas comment elle va réagir. Mon père m’aide à monter. Je
m’accroche au collier et le départ se fait. C’est un moment magique.
J’aurais voulu parcourir des milles et des milles tellement je me
sentais bien. Je serais allé jusqu’au bout du monde. La Grise a réagi
comme toujours en m’accueillant avec bonheur.
Qui est la
Grise ?
Comme la très grande majorité des cultivateurs, mon
père a deux chevaux. Parfois, ils travaillent en équipes. La plupart du
temps, ils sont seuls. L’un des chevaux est
une jument qu’on appelle la Grise.
Elle est douce et facile à conduire. Elle aime se faire voir et galoper.
Lors des déplacements vers le village, elle est pleine d’exubérance.
Quand la Grise a 12 ou 13 ans, mon père décide de
s’en départir. Il l’échange contre un cheval qui est estampé sur
l’épaule comme venant de l’Ouest canadien. On disait que c’était un
cheval sauvage qu’on avait capturé. Quand ma mère voit ce cheval qui
s’appelle le Black, elle dit à mon père : « Tu as fait une mauvaise
affaire. Ce n’est pas un cheval pour toi ». Autant ma mère a le sens des
affaires, autant mon père a de la difficulté dans ce domaine.
Quelques jours plus tard, mon père va au sixième
rang pour charroyer des billots. Croyez-le ou non, le Black s’est dételé
et, à la course, s’est enfui vers l’étable. C’est une distance de près
de deux milles. La porte de l’étable étant en deux parties et la partie
la plus basse étant fermée, il a attendu le cou sur le cadre de la
porte. L’intuition de ma mère venait de se confirmer.
Qu’est-il advenu de la Grise ? Un après-midi d’août, je vois passer
devant la maison un garçon de 13 ou 14 ans qui la tient par la bride et
qui l’amène à la ferme de son père, un M. Belzile qui demeure au
troisième rang de Trois-Pistoles. Je ne sais pas si l’adolescent était
venu à pied. Peut-être son père l’avait-il amené en automobile ? Une
chose est sûre, le jeune garçon a dû parcourir une distance de près de
10 milles pour son retour. Probablement qu’il n’a jamais su qu’il était
possible de la monter. D’ailleurs, ce jeune je l’avais reconnu. Il était
pensionnaire au Séminaire comme moi.
7 septembre
1955. Une surprise
C’est une
entrée surprise au Séminaire. D’habitude, les élèves de Méthode
(Secondaire III) sont répartis en deux groupes d’une trentaine d’élèves
: l’un est à la Petite salle et l’autre à la Grande Salle.
Nous sommes 89
élèves, alors que nous étions 111 au début de l’année précédente. La
direction du Séminaire a formé trois groupes au lieu de deux comme
c’était l’habitude et nous sommes tous à la Grande Salle. C’est le
bonheur total. Nous ne sommes pas séparés les uns des autres. De plus,
le règlement est appliqué de façon plus souple à la Grande Salle.
Comme conséquence, les élèves de Philo I et de
Philo II doivent passer leur temps d’études dans leur classe. Une
décision qui est chaleureusement accueillie par tous les élèves
concernés.
Nous accueillons un nouveau confrère : Clovis Théberge, le fils de Léo,
frère de ma mère. Il a commencé son cours classique un an avant moi. Il
a perdu une année parce qu’il a été hospitalisé au Sanatorium de
Mont-Joli, souffrant de tuberculose. Nous sommes maintenant quatre de
Saint-Mathieu-de-Rioux dans la même cohorte : moi, mes deux cousins
germains : Clovis et Rémi Thibault, et un petit cousin : Ghislain Jean,
fils de Philippe. Cela facilite les déplacements lors des congés.
Comme
d’habitude, l’année scolaire commence par une retraite de trois jours.
Cette année-là,
le thème est savoir accepter.
Je
suis en Méthode C. Petite déception. Notre local de classe est à la
Petite salle ; mais, c’est sans conséquence. De même, je dois occuper le
dortoir C avec les élèves de Syntaxe-Latine de la Petite salle. Comme
c’est la première année de l’histoire du Séminaire que la Méthode
comporte trois groupes et comme les professeurs, à moins de graduer,
enseignent toujours au même degré, la plupart de mes professeurs sont
nouveaux dans cette classe-là. À l’encontre, mes confrères de Méthode A
et B ont des professeurs expérimentés dont deux laïcs comme professeur
principal : Lionel Dion et Gérard Bernier.
Nos maîtres de salle sont les abbés Emmanuel Gagnon, Gaétan Brillant,
Paul Desjardins, Nazaire Hudon et Jean-Yves Leblond. Mes professeurs en
Méthode C, les abbés : André-Albert Dechamplain en sciences naturelles,
Simon Amiot en anglais, Fernand Beauchemin, titulaire, en français,
latin, histoire et géographie, Lionel Pineau en catéchisme, Roland
Beaulieu en mathématiques et en sciences, Jean-Guy Nadeau en grec.
Jean-Guy Nadeau est un amoureux de la culture grecque et nous transmet
cette passion. Roland Beaulieu est aussi excellent en mathématiques. En
novembre, j’ai 100 % dans mes travaux et mes examens en mathématiques.
Même, certains finissants m’abordent pour me signifier qu’ils sont au
courant de cette performance. L’abbé Beaulieu prend alors l’habitude de
m’appeler Einstein. J’ai horreur d’être ramené à un sobriquet, même si
c’est très flatteur. Un jour après son cours, je vais le voir et lui
dis gauchement : « Monsieur Beaulieu, je n’aime pas ça que vous
m’appeliez ainsi. Si vous continuez, je peux vous en donner des noms. »
Je suis parti sans qu’il ait l’occasion de dire un mot. Jamais, il n’a
recommencé. Pour moi, c’est la première fois de ma vie que j’osais
confronter directement une autorité.
Le
titulaire dont la matière la plus importante est le latin n’aime
visiblement pas enseigner. Il n’est pas ponctuel, ne respecte pas les
programmes d’étude relatifs à ses matières, donne peu de travaux et ne
les corrige pas toujours. Un jour, il a besoin d’une note en latin pour
le bulletin. Alors, il nous donne une longue liste de proverbes. Il faut
associer deux proverbes qui ont à peu près le même sens. Il demande à 5
ou 6 élèves de venir à son bureau pour en faire la correction. Après
avoir reçu ma note, je vais le voir et je me plains, parce que je crois
vraiment que l’examen n’est pas valide et que la correction a été
injuste pour moi. Ça n’a rien changé. J’ai cultivé un sentiment
d’indifférence à son égard, si bien que mes résultats scolaires furent
pitoyables particulièrement en latin, cette année-là.
Simon Amiot est un excellent professeur d’anglais. Je suis nul en dictée
anglaise et pas très bon en composition. M. Amiot souligne mes fautes,
mais ne les compte pas, ne me mettant jamais en bas de 6 sur 10. Je ne
sais pas si cette façon de faire m’a rendu service. À ce moment-là,
j’étais satisfait.
Un
nouveau costume
Un
nouveau costume est officialisé,
mais il est facultatif pour cette année. Il
consiste en un blazer bleu marine avec écusson et un pantalon de
flanelle grise. En attendant, nous pouvons porter la redingote, le
blazer ou même un veston ou une veste.
Pour ma part, je finis d’user ma redingote.
À partir de l’année suivante, soit en septembre 1956, le blazer
deviendra obligatoire.
Dans un prospectus destiné aux élèves, on peut lire : « Le costume
réglementaire comporte le blazer bleu marine avec boutons dorés et un
écusson distinctif, le pantalon gris, la chemise blanche et la cravate
rouge. Il est obligatoire tous les jours, sauf que l'élève sur semaine
peut porter une chemise de couleur, la chemise sport et un pantalon de
couleur foncée. L'élève doit garder ce costume pour les sorties en
ville. Le port des jeans n'est
pas toléré. »
Fonctionnaire à l’étude
Dès le début de septembre, un maître de salle, l’abbé Gaétan Brillant,
me confie la tâche d’ouvrir les fenêtres du haut quand les élèves
quittent la salle d’études. L’objectif est d’aérer cette grande salle
pour que l’air soit sain au retour. C’est une tâche non traditionnelle
qui intrigue mes confrères car elle est taillée sur mesure. Je suis donc
promu fonctionnaire. Au Séminaire, un fonctionnaire est un élève qui
assume bénévolement certaines tâches comme
d’arroser la
patinoire l’hiver, d’être responsable de la salle de quilles, de
distribuer les ustensiles à la cafétéria, etc.
À titre de récompense, un fonctionnaire a des privilèges. L’un d’eux est
d’acheter du chocolat à la cantine étudiante. Personnellement, je
n’achète jamais de chocolat parce que je n’ai pas les ressources
financières. Un jour, un de mes confrères me demande d’aller lui acheter
une barre de chocolat à la cantine. Je refuse, mais il insiste.
Finalement, j’accepte. Il me donne 10 sous : ce qui est le prix d’une
barre de chocolat.
Ayant connaissance de ce fait, ultérieurement d’autres confrères me
demandent le même service. Je suis pris dans l’engrenage. Je continue
même si personne ne me donne une commission. Je respecte la marque de
chocolat de chacun. Erreur de ma part. Le commis de la cantine se rend
compte que j’achète différentes marques. Il me soupçonne avec raison
d’acheter du chocolat pour d’autres élèves. Appuyé par le gérant, il me
barre. « Désormais, me dit-il, tu ne peux plus acheter de chocolat. » Je
suis content de sa décision. Je ne veux pas perdre ma tâche de
fonctionnaire : ce qui me serait arrivé si j’avais insisté pour qu’il
m’en vende.
Raoul Thibault
De temps à autre, l’abbé Raoul Thibault, un professeur de catéchisme et
un fervent disciple de la Vierge Marie, vient rencontrer les élèves à la
salle d’études des Grands. L’heure choisie n’est pas la meilleure, soit
6 heures 15 du matin. Nous l’écoutons avec attention même si nous sommes
encore endormis. Il nous incite à devenir membre de la Congrégation
mariale et à demander la protection de la sainte Vierge en tout temps.
Il nous dit souvent que nous sommes et serons l’élite de la société : ce
qui m’indispose. Il nous incite à
placer nos études et notre carrière future sous la
protection de la Vierge Marie.
On finit par s’habituer à son défaut de langage qui
consiste à prononcer « ait » pour « a ».
Dans son livre Horace ou l’art de
porter la redingote, Bertrand B. Leblanc qui a connu l’abbé Thibault
comme directeur des élèves lui consacre un chapitre. Voici un extrait :
« On dira : il ne devait pas être très drôle, le
bonhomme. Pas comique non. Ni ricaneur, ni boute-en-train, mais serein
comme les rares personnes qui possèdent pleinement la paix intérieure.
Et pas triste pour deux sous. Sérieux, certes, mais dans la joie intense
de vivre et précautionneux à ne pas gaspiller les dons précieux de la
santé, du bien-être et de l’intelligence. Et souverainement discret. Ce
qui se passait dans son bureau était aussi bien lié par son secret
professionnel que par celui du confessionnal. »
Les films
Un
des privilèges qui nous est offert à la Grande salle est le fait d’aller
voir des films au cinéma Auditorium
de la rue Michaud le dimanche
après-midi. Deux conditions toutefois : ne pas avoir eu une note de
mauvaise conduite et, pour certains films, avoir 16 ans.
La
projection commence à 13 heures.
Il y a présentation de deux
films en rafale. De temps à autre, quand j’ai l’âge requis et un 25
sous, je me rends au cinéma. Toutefois, chaque dimanche, un problème se
dessine à l’horizon. Nous devons revenir au Séminaire pour 16 heures 10.
Évidemment, le deuxième film roule encore. Nous n’avons pas le choix de
respecter l’heure du retour, sinon ce privilège nous serait
personnellement retiré.
À partir de 16 heures, on peut
voir les élèves du Séminaire, portant le blazer marine, sortir un à un
gênés, frustrés, la tête entre les deux jambes, et courir vers le
Séminaire. On ne savait jamais comment s’était terminé le deuxième film.
Ma difficulté à comprendre les films à cause de la
morphologie s’est amoindrie, surtout quand je connais certains acteurs.
Évidemment, j’exclus tout choix de film où on joue sur la ressemblance
des figurants comme dans les films d’espionnage.
Octobre 1955. Visite d’un bienfaiteur
Dans sa dernière lettre, maman me demande d’aller visiter l’abbé Ernest
Couillard qui a pris sa retraite à l’Institut Mgr Courchesne depuis le
mois de septembre. Cet institut accueille des enfants nés hors mariage.
Plus tard, la bâtisse sera occupée par l’Institut maritime du Québec.
Quand j’arrive à l’Institut, on me dit qu’il n’est pas à sa chambre,
mais sur le toit de l’édifice. On me conduit jusqu’à lui. C’est une
journée d’automne douce et ensoleillée. Je réponds à ses questions. Une
dizaine de minutes plus tard, je quitte.
Comme pour l’abbé Élie Beaulieu une année plus tôt, je ne connais pas la
raison pourquoi ma mère me demande de faire une telle visite. Il est
fort probable que l’abbé Couillard est un de mes bienfaiteurs. Je ne le
sus jamais.
Un
peu d’argent de poche
À la salle des Grands, il y a un local spécialement aménagé pour les
quilles. Cette salle est ouverte lors des après-midis de congé le
mercredi, le samedi et le dimanche. Je voudrais bien jouer aux quilles,
mais je n’en ai pas les moyens pécuniaires.
Je décide de devenir planteur de quilles. La tâche est simple. Quand les
quilles ont été abattues en tout ou en partie, il s’agit de mettre le
pied sur une palette de métal. Dix tiges sortent du plancher. Je dois
placer, sur une tige, chaque quille trouée en son centre, puis rabattre
les tiges. Je ne peux pas me tromper. Pendant que les joueurs lancent
leur boule, je m’assois sur le rebord du mur en ayant soin de surveiller
la boule et les quilles qui parfois rebondissent de façon inattendue.
Pour une partie qui dure environ 30 minutes, je reçois 10 sous. Les
joueurs quant à eux paient cinq sous par partie.
Je passe des après-midis à exercer ce métier. Je me fais ainsi un peu
d’argent de poche pour payer mes effets scolaires. Je me gâte aussi à
l’occasion mais rarement en achetant des brioches à la cantine. On peut
avoir deux brioches enrobées dans une crème délicieuse pour cinq sous.
Je plante les quilles pendant quelques mois. Un jour, je réalise que des
confrères ayant à peu près le même âge que moi s’adonnent à ce sport
parce qu’ils en ont les moyens. Pour ne pas vivre plus longtemps cette
frustration, je décide de ne plus retourner à la salle de quilles. Je
donne ma démission au grand dam des responsables qui ont de la
difficulté à trouver des volontaires. C’est ainsi que se termine ma
carrière comme planteur de quilles.
Décembre 1955. Deux échecs
En
décembre, j’échoue deux examens : thème latin et version latine. J’ai
droit à une reprise en janvier. Si j’échoue, je suis exclu du Séminaire.
Je n’avais jamais raté un examen auparavant. D’ailleurs, ce fut la
dernière fois de ma vie que cela arriva.
Au
retour des vacances des fêtes, je me présente à la reprise et je
réussis. C’est une bonne leçon pour moi, mais pendant le deuxième
semestre, je ne fais pas d’efforts supplémentaires.
Décembre 1955. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 610,00 $.
Février 1956. Ouverture de dossiers
Un jour de congé, l’abbé Robert Michaud, le directeur des élèves, me
fait venir à son bureau. Je crains d’avoir eu une mauvaise conduite.
Mais non. Il m’explique que jusqu’à maintenant les notes de conduite et
d’assiduité au travail de même que les résultats scolaires sont inscrits
dans des grands livres. Il dit que j’ai une belle écriture. Il me
demande si j’accepterais d’ouvrir un dossier pour chacun des 500 élèves
du Séminaire. J’acquiesce avec plaisir. Il me donne des chemises
vierges. Ma tâche est simplement d’écrire le nom de chaque élève sur
chaque chemise. Tous les renseignements sur un élève, au lieu d’être
éparpillés, sont maintenant à un même endroit.
Pendant quelques jours de congé, je m’attèle à cette tâche. Quand le
Séminaire a fermé ses portes en 1968, le classeur contenait encore les
mêmes dossiers où j’ai reconnu mon écriture.
25
avril 1956. Visite du maire de Montréal
Jean Drapeau est reçu au Séminaire.
Il a été élu maire de Montréal
l’année précédente en faisant campagne sur la base d'une épuration des
mœurs dans la métropole.
Il
vient nous rencontrer à l’étude pour nous servir un discours enflammé
sur la solidarité humaine et la moralité publique. Je le vois encore
huché sur la tribune du surveillant dans la salle d’études des grands,
gesticulant et parlant abondamment. Il nous explique que tout citoyen
même jeune a un rôle social et qu’il doit être de conduite
irréprochable. Il le fait par une allégorie en disant en substance :
« Nous devons tous être solidaires les uns des autres. Nous sommes comme
les rayons d’une roue. Si un rayon vient à faiblir ou à se disloquer,
tous les autres auront à subir les contrecoups jusqu’à ce que la roue
s’effondre. »
Il
nous recommande d’être de futurs citoyens honnêtes et exempts de toute
faiblesse morale. On sent qu’il vient chercher l’appui du clergé. À part
cette raison, je me demande bien pourquoi il a été invité au Séminaire
de Rimouski. Ajoutons qu’il sera battu à la mairie en 1957, mais il
reviendra en force en 1960 et sera maire de Montréal jusqu’en 1986.
Mai 1956. Une injustice
Un
mercredi après-midi de mai, les élèves de la Grande Salle obtiennent la
permission d’aller voir un film au Cinéma Auditorium. Le hic, il faut
avoir 16 ans. Avec désolation, une dizaine de mes confrères et moi
devons demeurer au Séminaire : nous n’avons que 15 ans. Nous avons crié
à l’injustice ; rien n’y fit. L’après-midi fut long pour nous.
Préparation des prix
L’abbé Ludger Rioux, le préfet des études, me demande à son bureau. Il
voudrait, avec un autre élève, que je l’aide à préparer des piles de
livres pour la distribution des prix à la fin de l’année scolaire.
J’accepte avec plaisir.
Un
bon soir, au lieu d’aller à l’étude, nous nous rendons dans un local en
face du bureau du préfet. Il y a là des centaines de livres dans des
étagères. Pour certains titres, il peut y avoir des dizaines
d’exemplaires. Notre tâche consiste à faire des piles de 2 à 7 livres
différents en diversifiant le genre des livres. De plus, nous devons
estamper la signature « Préfet des études » dans chaque livre.
Comme récompense pour notre travail, l’abbé Rioux nous donne chacun un
livre. Mon copain demande s’il peut avoir un livre qu’il a vu sur la vie
de Napoléon Bonaparte. M. Rioux accepte. Je n’ose pas faire une telle
demande et notre abbé ne m’offre rien de plus. Je suis légèrement
frustré. Nous terminons notre travail vers 23 h 00.
Le
préfet avait prévenu le maître de salle que nous serions en retard si
bien qu’à notre arrivée la porte du dortoir n’était pas verrouillée.
Quand on est pensionnaire, c’est toujours une grande joie que de vivre
des événements en dehors des autres élèves et à l’encontre des
règlements.
Mes résultats scolaires
À
la fin de l’année scolaire, je me classe 22e sur 30 élèves.
C’est une régression par rapport à l’année dernière. Il est facile de
blâmer les professeurs pour des insuccès. Il est vrai que j’aurais dû
travailler plus, mais notre professeur principal m’a détourné de mes
études. Je me console en étant fier d’obtenir le premier prix de
mathématiques. Cela veut dire que dans tous les examens de l’année y
compris dans l’examen final j’ai perdu peu de points.
Lors de la distribution des prix à la salle académique, je monte sur la
scène le cœur léger et avec une certaine assurance. Je reçois une pile
de livres que moi et mon copain avions préparée.
Été 1956. Abattages d’animaux
Je
passe mes vacances chez mes parents. Au début de l’été, j’écorce des
billes de sapin ou d’épinette de quatre pieds. C’est un travail que
j’aime bien.
Au début de l’été, j’assiste à l’abattage d’un bœuf. Après l’avoir
enchaîné et transporté sur le fenil, mon père s’assure que les liens
sont bien fixés. Le bœuf étant debout, mon père prend une masse et de
toutes ses forces assène un coup sur son front. Le bœuf tombe par terre.
Mon père prend un long couteau et le saigne. Quelqu’un s’approche avec
une chaudière pour recueillir le sang. Je ne peux pas vous raconter la
suite car j’ai déguerpi.
Ma mère attend des tantes qui viennent passer quelques jours chez
nous pendant les vacances d’été. Elle m’aborde et me dit : « Va tuer une
poule, la plus grosse. » Je réponds : « Vous savez bien que je suis
incapable de faire ça. Demandez à mon frère. » Sur ces entrefaites, mon
frère plus jeune que moi de deux ans, donc ayant 13 ans, entre dans la
maison. Il accepte avec plaisir. Il court prendre une hache dans le
hangar, va chercher une poule dans le poulailler, choisit un bout de
madrier, serre fortement le haut du corps de la poule, met son cou sur
le bois et, bang, assène un coup de hache. C’est fait. Cette fois-ci,
j’ai été capable d’assister au spectacle.
La
petite faux
Dans le ramassage du foin, mon père ne veut perdre aucun brin.
Il est très exigeant pour cette opération. Les filles l’apprennent rapidement quand,
munies d’un petit râteau, elles ratissent les brindilles qui restent sur
le sol à mesure que
mon père verse le foin dans la charrette avec une fourche.
Pour obtenir le plus de foin possible, mon père me demande d’aller
faucher la lisière de foin qui entoure le potager. Je vais chercher la
petite faux de mon père dans le fenil. En premier lieu, je fais semblant
d’aiguiser la faux avec une pierre parce que je ne connais pas vraiment
la technique. Je me dirige vers le potager. J’essaie de reproduire les
mouvements vus auparavant de mon père. Je mets mes mains sur les deux
poignées, l’une en haut du manche et l’autre presqu’au milieu de ce
manche. J’arc-boute mon corps et tente de faire une rotation avec la
faux. La lame se dirige vers le haut et étête le foin.
Mon frère plus jeune qui me voit faire vient à mon secours et m’indique
une position précise des pieds et une courbure du corps visant à
protéger les reins. Après deux ou trois minutes, je suis capable
d’appliquer la technique avec succès. Heureusement comme c’est un
travail physiquement très exigeant, je n’ai pas eu souvent l’occasion de
récidiver.
Le
grand râteau
J’obtiens une promotion dans mon travail sur la ferme. Je suis assigné
au grand râteau. Quel bonheur ! Assis sur le siège, je guide le cheval.
Il s’agit de disposer le foin en andains denses le plus possible. Sur
une barre parallèle à l’essieu est attaché un râteau ayant une largeur
de 1,5 mètre et muni de longues dents légèrement courbées qui ramassent
le foin. Pour laisser le foin en andains, je dois faire basculer le
râteau au bon moment. Il y a une pédale à pied mais elle ne fonctionne
pas toujours. Aussi, je dois actionner le long manche vers
l’avant manuellement : ce qui demande un peu de force physique.
Avant de commencer le raclage du foin dans un champ, je dois déterminer
dans quel sens l’opération se fera en tenant compte des obstacles
naturels et de la grandeur du champ. Il faut aussi décider de la
disposition des andains en raison de la densité du foin.
Mon plus grand défi toutefois est de guider le cheval. Celui que mon
père me confie s’appelle la Nelle et il a 6 ou 7 ans. C’est un cheval
peu ou mal dressé. Normalement, quand on tire sur les cordeaux et qu’on
crie woh le cheval s’arrête. Ce bronco-là répond au cri woh quand il le
veut et si je tire sur les cordeaux, il accélère. Le seul moyen de
l’arrêter est de tirer doucement à gauche, puis à droite successivement
jusqu’à ce qu’il comprenne. Il me faut donc organiser mon travail pour
qu’il n’y ait pas d’arrêt. Le plus stressant est d’entrer ou de sortir
le grand râteau du champ puisque les ouvertures n’ont pas été conçues
pour un instrument d’une telle largeur. Souvent, il reste à peine un
pouce ou deux de chaque côté. Surtout qu’il n’est pas possible d’arrêter
le cheval.
J’eus peur une seule fois. Un jour, je descends en ligne droite une
longue côte le râteau levé. Je veux commencer à râteler par le bas de la
côte. Je réalise que le cheval commence à trotter. Inutile de donner des
ordres vocaux. Il faut agir vite. Je tire brusquement sur un cordeau et
en même temps je baisse le râteau. Le cheval semble surpris et il
reprend son pas normal. Je descends la côte en biais me permettant en
cours de route de relever le râteau.
Avec le temps toutefois, on dirait que ce cheval mal dressé me fait de
plus en plus confiance et se conforme au peu d’ordres que je peux lui
donner. Évidemment, je ne l’ai jamais frappé. Il est vrai aussi que, la
fatigue aidant, il est moins fougueux.
Poseur de bardeaux
Quand la température ne permet pas de râcler le foin, je deviens un
poseur de bardeaux. Mon père vient de terminer une bâtisse en trois
sections derrière la maison : un poulailler à l’ouest, un hangar à bois
au centre et un atelier de travail à l’est où on trouve un immense
chaudron qui servira à ma mère pour faire du savon rustique.
Au
début, je suis un peu craintif de monter sur cette bâtisse, mais je
m’habitue rapidement. Je prends un vif plaisir à faire ce travail.
Un
gramophone
Un
changement important dans la vie familiale est l’achat d’un gramophone.
Placé sur un petit bureau dans la cuisine, cet appareil joue
mécaniquement des morceaux de musique et surtout des chants. Avec
l’achat de quelques 78 tours, de 33 tours et principalement de 45 tours,
la discothèque s’enrichit. Quelle joie d’écouter en famille les chansons
de la Bolduc comme
« C’est dans l’temps du jour de l’an » ! Plus tard, quelle
joie d’écouter la chanson dédiée au Canadien de Montréal
«
Ils sont en or, ils sont en or nos Canadiens, les tricolores
».
Quelle joie d’écouter toutes ces chansons qui décrivent le bon vieux
temps.
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Chapitre 8.
Versification et Belles-Lettres au Séminaire
5 septembre
1956. Rentrée scolaire
C’est l’entrée
en Versification (Secondaire IV) au Séminaire. Nous sommes 73 alors que
nous étions 89 au début de l’année précédente. Comme d’habitude, nous
sommes invités à une retraite de trois jours, soit du
9 au 12 septembre.
Les maîtres de salle sont les abbés Emmanuel Gagnon, Gaétan Brillant,
Paul Desjardins, Jean-Yves Leblond, Euclide Ouellet. Les professeurs en
Versification B sont les abbés Georges-Étienne Talbot en histoire et
géographie, Simon Amiot en anglais, Louis-Georges Lamontagne en grec et
catéchisme, Roland Beaulieu en mathématiques, Bernard Lebel, titulaire,
en français et latin. C’est l’abbé Robert Michaud qui est toujours
directeur des élèves.
Nos professeurs sont de plus en plus compétents. Je suis content de
retrouver Roland Beaulieu et Simon Amiot. M. Talbot nous récite un cours
qu’il sait par cœur. Un jour dans un cours, il nous a longuement parlé
d’un personnage du Moyen-Âge. Le cours suivant, il a commencé en
disant que ce qu’il a dit au dernier cours valait pour un autre
personnage.
Il
connaît une liste de blagues qu’il lance toujours à un moment précis. À
l’époque, nous achetions les livres des élèves du degré supérieur. Un de
mes confrères avait acheté un livre qui contenait plusieurs blagues de
cet homme. C’était encore plus drôle quand on connaissait d’avance les
blagues.
L’abbé Louis-Georges Lamontagne est un personnage bien spécial. Ses
cours sont ponctués d’anecdotes qui ne sont pas toujours en relation
avec la matière. J’ai appris à le connaître plus tard au Camp
Cap-à-l’Orignal.
Décembre 1956. Surdité de mon père
Chaque année, ma mère talonne mon père pour qu’il fasse une provision de
bois de chauffage. Malheureusement, il est arrivé quelques fois qu’en
plein hiver les rondins suintaient l’humidité.
On est entre Noël et le jour de l’An. Le soleil est radieux. Le sol est
blanc. Pas de vent. Un froid sec mais supportable. Ma mère qui se plaint
parfois que le bois de poêle n’est pas suffisamment sec dit à mon père
que ce serait le temps idéal pour aller bûcher du bois de chauffage.
Celui-ci se résigne.
Mon frère Pierre et moi accompagnons notre père à la montagne au nord
pour y couper et débiter les spécimens qui sont voués à la disparition à
plus ou moins longs termes. Ce sont des bouleaux, des érables, des
sapins et des épinettes, tous plutôt chétifs.
Presque rendus à la montagne, nous marchons derrière notre père. Je dis
à Pierre d’un ton feutré : « Crois-tu vraiment que papa est sourd ? »
Pierre me répond d’un ton encore plus bas. « Je n’en suis pas certain. »
Au même moment, mon père se tourne la tête et lance : « De quoi vous
parlez ? » Une vraie douche froide. Nous avons presque perdu la langue
pour le reste de l’avant-midi.
Qu’en est-il vraiment ? Mon père joue à l’ermite. Il participe peu aux
réunions de la parenté et pas du tout aux réunions d’association. Ma
mère le couvre en disant qu’il est sourd et que le bruit dégagé par trop
de monde le fatigue. Nous avons alors l’impression qu’il nous entend
quand il le veut bien et que son
degré de surdité est variable.
Une chose est certaine. Il y a du bien-fondé dans les propos de ma mère.
Parvenu à la soixantaine, mon père s’est fait opérer dans les deux
oreilles.
Décembre 1956. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 822,67 $.
Février 1957. Démonstration inusitée
Après les cours de l’après-midi au Séminaire, quelle surprise de voir un
homme en habit et cravate dans la salle de récréation des Grands. Devant
lui sur une table, trône une machine. Nous faisons cercle autour de
l’homme. Il nous dit qu’il fait une démonstration. Je connaissais les
démonstrations en mathématiques, mais une démonstration commerciale est
une nouveauté pour moi, ce qui est d’ailleurs inusité à l’époque.
L’homme met des poignées de blé dans la machine et il en ressort des
filaments, ce qu’on appelle en anglais
shredded wheat. Je ne me
souviens pas pour quelle compagnie l’homme faisait ces représentations.
Était-ce Quaker, Kellogg’s, Post ou une autre ? Les deux premières
compagnies existaient depuis une cinquantaine d’années. La troisième
Post, une compagnie ontarienne, était en opération depuis près de 20
ans.
À mesure que le produit fini sort de la machine, l’homme nous invite à
une dégustation. Ces paillassons sont encore aujourd’hui sur le marché
et sont conçus pour le déjeuner. L’homme prend soin de nous rappeler la
haute teneur en fibres de cet aliment et surtout le fait qu’il est
constitué de blé pur.
En mon for intérieur, je me demande ce qui a poussé la compagnie à faire
une telle démonstration et pourquoi les autorités du Séminaire ont
accepté un pacte avec le diable parce que cela va totalement à
l’encontre des valeurs de l’institution. À l’époque, je pensais que la
consommation de biens ou d’aliments ne devrait pas être dictée par ceux
qui font des profits.
Mon premier réflexe est alors de penser que le Séminaire a obtenu un
rabais sur les achats faits à cette compagnie parce que cet aliment nous
est servi de temps à autre lors de déjeuners. Puis, je me suis interrogé
sur les avantages pour cette compagnie de procéder à une telle opération
devant des jeunes qui n’ont aucun pouvoir d’achat. J’ai finalement pensé
qu’il s’agit d’une publicité à long terme.
Sur ce point, la compagnie a gagné son pari parce que l’opération m’a
suffisamment marqué pour que j’en aie gardé le souvenir.
Campagne de moralité
Au
début de l’hiver, des rumeurs circulent à l’effet que certains élèves
ont des relations douteuses. Une vaste campagne de moralité s’amorce.
Une enquête est instituée. Pendant la retraite, deux ou trois de mes
confrères sont mis à la porte du Séminaire sans qu’on connaisse
véritablement les raisons.
Mars 1957. La composition française
Chaque fin de semaine, je dois
m’échiner à faire une composition française. Parfois le sujet est fort
intéressant, d’autres fois moins. Ce travail est noté sur 30. Une note
24 souligne un travail exceptionnel. Quand cette note dépasse 24, c’est
considéré presque comme un chef d’œuvre. Personnellement, ma note se
situe autour de 21.
Un vendredi, le professeur
propose d’écrire un texte en s’inspirant d’un conte d’Alphonse Daudet
tiré des
Lettres de mon moulin. Quand je reçois ma copie corrigée, le professeur
m’indique que je suis passé à côté du sujet. Il m’attribue une note de
12 sur 30. Je suis catastrophé et même choqué.
Le vendredi suivant, l’abbé
Lebel nous montre une image d’un jeune en larmes qui a perdu un doigt et
qui regarde son violon avec amertume. Je me mets émotivement au travail.
Je concocte une histoire pour expliquer la situation du jeune. Me
souvenant de ma dernière note, j’écris d’un trait et sans effort. Il est
clair que l’émotion ressort tout au long du récit. Mon texte a été cité
en exemple. J’ai été gratifié d’une note de 24.
Une autre semaine, nous devons composer un poème sur le printemps.
J’écris le meilleur poème. Le voici :
Le vent glacial du nord a cessé de souffler.
Lassés d’un long hiver, les arbres essoufflés
de leur pesant fardeau ont relevé la tête.
Depuis peu, l’hirondelle est venue à la fête
annonçant la première un beau printemps vermeil.
Elle a vu la nature oublier son sommeil
et bercer bien au loin une brise d’amour
comme un peu égarée en son nouvel atour.
Enfin, toute égayée d’arôme printanier
la nature réjouie commença à chanter.
Un
peu plus tard, je fais un discours sur Honoré Mercier. Au début, un peu
nerveux, je dis tout d’un trait : « Honoré Mercier, Monsieur le
professeur, chers confrères. » Les élèves se mettent à rire et font
semblant de chercher Honoré Mercier dans la classe. Le professeur se
lève et, en faisant de grands gestes, invite les élèves au calme.
J’obtiens quand même 80 %, l’une des meilleures notes.
Réfectoire des prêtres
À quelques occasions, je suis demandé pour assurer le
service aux tables au réfectoire des prêtres. Il y a là trois longues
tables disposées en U. La seule table transversale reçoit le Supérieur
et les prêtres plus âgés. Dans les deux autres tables, les prêtres sont
placés par ordre d’ancienneté d’ordination. J’étais toujours
impressionné de voir toutes ces personnes dont les uns étaient parmi mes
professeurs anciens ou actuels.
Un jour, un prêtre me demande d’aller fermer un store
horizontal parce que le soleil lui arrive dans les yeux. J’ai un
mouvement de panique. C’est la première fois que je vois de tels stores.
En m’approchant de la fenêtre, je vois une poignée. Je me dis : « C’est
peut-être la clé. » Doucement, je tourne la poignée. Le mécanisme
fonctionne. Le store est obstrué. Je peux maintenant respirer.
Mai 1957. Fête de l’archevêque
Le Séminaire fête l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent.
Après un banquet au réfectoire, l’archevêque donne une allocution à la
salle académique. Le thème choisi est la jeunesse et ses dérives.
Généralement, Mgr Parent profite de cette circonstance pour louer le
passé et stigmatiser les nouveautés quand même rares. Comme on est
généralement à trois semaines des vacances, il en profite pour nous
mettre en garde contre les dangers de la promiscuité. Ces interventions
sont toujours en regard de la moralité, tout comme l’année où il nous a
mis en garde contre les lectures dangereuses.
Comme les autres, je l’écoute poliment mais je considère que ses propos
sont d’un autre âge, pas ceux de la jeunesse des années 1950.
Cette année-là, l’archevêque décide de recevoir les prêtres des
paroisses de façon solennelle au Séminaire. Je suis avec quelques
confrères et j’observe la scène. Monseigneur est debout dans l’entrée du
Séminaire. Tour à tour, les curés se présentent à lui, se penchent et
baisent sa bague. Je suis scandalisé. « Au nom de quoi, me dis-je, cet
homme a-t-il le droit d’humilier ses prêtres qui, par ailleurs, ne
semblent pas offusqués. Probablement, pour faire passer un message
d’obéissance. »
À un moment donné, je vois surgir le curé de ma paroisse presqu’en
trottant. Il met un genou à terre et baise la bague. Je suis
profondément bouleversé et gêné. Heureusement, aucun de mes confrères ne
me demande si je connais cet homme. Il est probable que j’aurais nié.
À la raconter, cette scène me bouleverse encore. La subordination a
quand même ses limites entre adultes.
Une visite à l’hôpital
Rémi Thibault, mon cousin germain du côté des Jean, me demande si je
veux aller avec lui à l’hôpital de Rimouski pour visiter Johnny Jean qui
est notre grand-oncle. Il est l’époux d’Elmire Boucher, la sœur d’Élise,
notre grand-mère mutuelle. J’accepte avec plaisir.
Avant de partir, à notre grande surprise, quelqu’un
avait averti Rémi : « Ne parlez pas de sa femme. Ne lui dites pas
qu’elle est décédée en février. Il ne le sait pas. »
Cet homme de 82 ans est sur un lit d’hôpital depuis environ quatre mois.
Il s’est cassé une jambe. Il est couché sur le dos, la jambe en l’air
retenue par un palan fixé au plafond. Il est très heureux de nous
recevoir et s’informe de notre parenté avec lui.
Il nous parle de sa souffrance de rester ainsi
cloué au lit. Puis, il nous demande si on a des nouvelles de sa femme.
Bien sûr, qu’on en n’a pas. Il nous dit qu’il a hâte de retourner dans
son petit logis attenant à la maison de sa fille Cécile (Albert Dionne)
et de vivre avec sa femme qui est trop malade pour venir le voir.
La
visite est courte parce que nous manquons de sujets de conversation.
Notre grand-oncle mourut trois mois plus tard,
soit le 8 août 1957,
sans savoir que son épouse était décédée et que son logement avait
été vidé. Ses proches étaient alors certains qu’il finirait ses jours au
centre hospitalier.
Juin 1957. L’allée du Séminaire
L’allée du Séminaire était une voie qui permettait d’atteindre le
Séminaire à partir de la rue de l’Évêché. D’un côté, c’était la cour de
récréation des Grands et de l’autre, un magnifique parc. J’ai traversé
cette allée de temps en temps, mais surtout je l’ai beaucoup regardée.
Elle fut, pour moi, un symbole de réclusion et de liberté. Réclusion,
quand j’y entrais ou que je la voyais. Liberté, quand j’y sortais.
Il y avait d’autres issues pour aller en ville ou quitter pour un congé,
mais cette allée demeurait dans mon esprit comme étant la seule voie
royale. Sûrement que depuis ses débuts, elle avait vu de jeunes garçons
entrer en habit de ville et, un peu plus tard, passer par là en
redingote ou en blazer. Elle a dû éprouver une certaine jouissance dans
ces moments puisqu’elle avait réussi à transformer ces garçons.
Je me souviens qu’après le souper les prêtres du Séminaire arpentaient
cette allée dans un sens et dans l’autre. Rendus à la rue de l’Évêché,
ils rebroussaient chemin comme si, eux aussi, ne pouvaient pas fouler le
sol extérieur. Cela m’impressionne encore quand je fais rouler ces
pensées dans ma tête.
Un beau dimanche après-midi de juin 1957, je vois
les Finissants marcher au pas militaire dans cette allée. « Que se
passe-t-il, me dis-je ? » Ils tapent tellement fort sur le sol qu’on
pourrait croire qu’ils veulent anéantir le macadam. Ces élèves d’au
début de la vingtaine sont en colère et pas à peu près. Un des leurs
vient d’être mis à la porte pour avoir passé une nuit en ville sans
permission. Cet élève est mon cousin germain, Jean-Guy Théberge, le fils
de Léo.
Il a dû subir ses
examens universitaires au collège de Sainte-Anne de la Pocatière.
Le fait que ces élèves aient choisi de faire leur manifestation dans
cette allée montre bien l’ambiguïté et la force de sa présence. Elle
appartient à la fois au Séminaire et à l’extérieur. Et une telle
manifestation à l’époque, c’est de l’insubordination pure et dure.
Résultats scolaires
Pendant ce temps, nous de la Versification nous nous préparons aux
examens de l’université Laval. Je suis stressé car c’est la première
fois que je subis ce genre d’examen. J’obtiens comme moyenne un peu plus
de 70 %. En mathématiques, je fais une seule faute. Ma note est de 19,5
sur 20. C’est dans une démonstration en géométrie plane que je perds
0,5. Quant aux résultats de l’année, ils se sont améliorés. Je me classe
au 14e rang sur 37 élèves.
Été 1957. Installation du téléphone
Quand j’arrive chez mes parents pour les vacances estivales, sur un mur
de la cuisine, je vois un appareil téléphonique. Je ne suis pas surpris
parce que ma mère me l’avait annoncé par lettre. Le téléphone a été
installé dans le rang depuis environ deux mois.
On s’est servi des poteaux d’électricité pour installer les fils de
téléphone. Sur les 14 cultivateurs du rang, 10 paient un abonnement. Il
y a deux lignes, soit cinq familles par ligne. Sur chaque ligne, pour
chaque client, un appel est signalé par un code sonore, par exemple, un
grand coup, deux petits coups.
Il faut faire attention pour ne pas tenir des propos personnels parce
que théoriquement quatre autres personnes peuvent écouter la
conversation. Sans compter qu’il faut être le plus bref possible parce
que d’autres clients peuvent vouloir faire un appel parfois urgent. Il
peut arriver que la conversation soit interrompue par une voix qui dit :
« Avez-vous terminé ? » Mais, sauf exceptions, les gens n’abusent pas du
téléphone.
Pendant longtemps, l’appareil de téléphone devait être fixé au mur. On
n’avait pas le droit d’acheter son propre appareil. Il était donc loué
de la compagnie de téléphonie, en l’occurrence de Québec-Téléphone pour
la grande région de Rimouski. Les appareils installés étaient de couleur
noire et il fallait payer un dollar de plus par mois pour avoir un
téléphone de couleur.
Expérience d’arpentage
Je
passe mes vacances d’été chez mes parents à travailler sur la ferme.
Quelques jours après la fin des classes, un propriétaire de scierie de
la paroisse se présente à la maison. Il dit à ma mère qu’il vient
d’acheter une terre à bois à Saint-Valérien, qu’il a engagé un
arpenteur-géomètre pour préciser les limites de son lot et qu’il a
besoin d’un aide pour marquer les arbres. Ma mère se tourne vers moi et
me demande si je veux y aller. Je souscris avec plaisir à cause de
l’expérience que cela m’apportera.
Je
pars avec cet homme. Il s’arrête à Saint-Eugène pour faire le plein
d’essence. En revenant vers sa voiture, il clame haut et fort avec une
indignation surprenante : « Mathieu Ouellet, il va brûler en enfer pour
longtemps. » Je ne comprends pas pourquoi il est si hargneux envers cet
homme et pourquoi il sent le besoin de l’exprimer à ce moment-là.
Rappelons au lectorat que Mathieu Ouellet avait été ordonné prêtre et
qu’il a quitté pour devenir pasteur protestant.
Nous atteignons le lot à Saint-Valérien un peu avant 10 h qui est le
temps fixé pour le rendez-vous. Point d’arpenteur. À midi, je me
rassasie avec les sandwiches de cet homme. Vers 13 heures, l’arpenteur
arrive. On me donne une hache. À mesure qu’on avance dans la forêt,
l’arpenteur indique où se trouve la ligne. Mon patron d’un jour
m’indique de quel côté de l’arbre je dois faire une entaille. Je me
rends rapidement compte qu’il exagère légèrement dans le choix du côté
de l’arbre. Je dois obéir.
Au
début, la hache est légère. Peu à peu, elle devient plus pesante. Cela
fait 10 mois que je n’ai pas travaillé manuellement. Nous devions
revenir pour le souper. Malheureusement, le travail exige plus de temps
que prévu. Un bref arrêt pour manger les restes peu abondants du midi et
on continue. À la fin, j’ai de la difficulté à soulever la hache. Il
faut que je me reprenne trois ou quatre fois et même plus pour faire une
entaille convenable. En même temps, la noirceur s’installe : c’est la
délivrance.
Environ une semaine plus tard, mon patron d’un jour vient chez nous pour
la paie. Il demande à ma mère son tarif. Elle dit 5 $. Il la regarde
dans les yeux et dit : « Mais il n’était pas habitué. » et il a sorti de
sa poche un billet de 5 $. D’habitude quand il achète les billots de mon
père, c’est lui qui fixe les tarifs. Là, c’est ma mère qui a l’avantage
et, en femme d’affaires qu’elle est, elle n’aurait pas reculé.
Léo Jean de Montréal, un frère de mon père, est en vacances chez nous.
Il voit la scène et est profondément fâché de la réaction du monsieur.
Cela lui rappelle avec amertume des souvenirs pénibles. À 14 et 15 ans,
il était obligé de travailler à peu près sans salaire pour le cousin de
cet homme qui avait lui aussi un moulin à scie.
Visite au couvent
Un
bon dimanche, je vais faire une commission au couvent du village. Comme
il se doit, j’entre par la porte principale en avant de l’édifice. Une
religieuse vient me répondre. Je suis rapidement distrait par un tableau
qui est accroché au mur à ma gauche.
En
fait, ce tableau est une mosaïque des prêtres natifs de la paroisse
autour de Mgr Charles-Eugène Parent, archevêque de Rimouski, lui-même
reconnu comme un fils de Saint-Mathieu-de-Rioux. La photo de Mathieu
Ouellet a disparu. On l’avait découpée avec un outil qui laissait des
traces irrégulières.
Que signifie un trou sur une mosaïque ? Une façon de dire qu’on rejette
cet individu ? Comme la photo avait été mal découpée, cela laissait
deviner la rage de la personne qui avait procédé. Le fait qu’on avait
quand même laissé le cadre à cet endroit laissait entendre qu’on
exprimait cette rage de façon publique. J’étais profondément peiné
devant ce « sacrilège ».
Situation crève-cœur
Ce
jour-là, pendant la traite des vaches du soir, je suis seul dans la
maison. Je fouille dans un bureau récemment installé dans la cuisine.
J’y trouve une lettre adressée à ma mère qui provient d’un dénommé
Jean-Baptiste Gauvin, prêtre. Je me souviens avoir déjà entendu ce nom.
« En effet, me dis-je, c’est le frère de l’abbé Joseph Gauvin, un ancien
curé de la paroisse. Pendant ses études, il résidait au presbytère de
son frère. En plus, il a baptisé une de mes sœurs. »
Un
peu à reculons quand même, j’ouvre la lettre et la lit. Je suis
estomaqué. Cet abbé parle de moi et dit que je suis un ingrat, c’est le
mot que j’ai retenu. Il n’explique pas ce que j’ai fait pour m’attirer
ses foudres. Je réfléchis un bon moment. Je finis par me dire : « C’est
probablement un de mes bienfaiteurs au Séminaire. Il a donné un certain
montant pour ma pension et je ne l’ai jamais remercié. »
Que dois-je faire ? Ma mère ne répond jamais clairement à mes questions
quand je lui parle de bienfaiteur. Alors, je prends une décision que je
considère encore aujourd’hui comme une erreur. Je lui écris, à l’insu de
ma mère, en faisant semblant que je le savais et que je le remerciais.
Quelques mois plus tard, il y a une grande fête au Séminaire. Plusieurs
prêtres sont invités. Il y a un banquet au réfectoire. Je suis demandé
pour effectuer le service aux tables. Après le souper, l’abbé Gauvin se
présente à moi. Il me pose quelques questions sans aborder le sujet
litigieux. Je réponds à ces questions, mais pas plus, car je ne sais
vraiment pas par où commencer. Je ne veux pas lui avoué que j’ai menti
et je ne veux pas mettre ma mère dans l’embarras.
Il
y a un détail qui encore aujourd’hui m’intrigue.
En 1993, j’ai eu un appel téléphonique du secrétaire-trésorier de la
corporation du Séminaire de Rimouski m’informant qu’en 1956 un montant
de 391 $ avait été déposé à la Procure à mon intention et à celle d’un
de mes confrères. Ce montant était inscrit aux livres, mais il n’avait
jamais été utilisé pour payer une partie de nos études. Était-ce lui qui
avait déposé ce montant ? Ma mère était-elle au courant ? Je n’ai jamais
reparlé des bienfaiteurs avec elle.
Achat d’un appareil de télévision
À l’époque, une nouveauté
technologique prend des années à s’implanter. Dans le rang 5 de
Saint-Mathieu-de-Rioux, seul Ernest Vaillancourt, notre voisin, avait
acheté un téléviseur dès l’implantation d’une station de Radio-Canada à
Rimouski en 1954. Quelques fois, nous sommes allés voir la lutte à la
télévision. C’était tout un spectacle, surtout que madame Hélène était
très expressive et avait ses lutteurs préférés.
Un jour en juillet, un vendeur
d’appareils électroniques de Trois-Pistoles entre à la maison
transportant un téléviseur. Ma mère s’empresse de lui dire : « Nous
n’avons rien commandé. » Le vendeur rétorque : « Ma chère madame, je
vous installe l’appareil et je reviens dans une semaine. Si vous ne
l’achetez pas, je le reprends et cela sans aucuns frais de votre part. »
Le prix demandé était de 400
$, une fortune à l’époque. Pour ce montant, un élève pensionnaire au
collège était nourri, logé et instruit pendant 10 mois. Par ailleurs, ce
montant de 400 $ en 1957 équivaudra à 3845 $ en 2021. Ma mère a demandé
une contribution à deux aînés de la famille qui gagnaient un peu
d’argent. Ceux-ci ont accepté de donner chacun 100 $.
C’est à contrecœur que ma mère accepte d’acheter l’appareil parce
qu’elle sait qu’elle n’aimerait pas s’asseoir devant la télévision. Elle
est aussi consciente du fait que la disposition des chaises dans la
cuisine se ferait désormais autour de cet appareil qui en devient le
centre d’attraction.
La diffusion se fait en noir
et blanc. L’image n’est pas à son meilleur. Il neige souvent, même en
plein été. Personne ne s’en offusque.
Pour nous les enfants, c’est le bonheur après une
dure journée aux champs de s’asseoir devant le téléviseur. Nous parlons
souvent des programmes passés ou à venir.
Nous n’avons pas le droit
d’ouvrir le téléviseur sans la permission des parents. Mon père
prend goût à
la télévision. Alors, quand il est là, l’appareil est en
marche. Cet été-là, nous avons pu regarder avec délectation la
Famille Plouffe de Roger
Lemelin, les Belles Histoires des
pays d’en haut de Claude-Henri Grignon et
Radisson réalisé par Pierre
Gauvreau. Ces programmes sont diffusés en direct et roulent
hebdomadairement sans interruption peu importe la saison. De plus, à 13
h 30, chaque jour, il y a un film découpé en 15 minutes. Qui aujourd’hui
regarderait un film réparti sur plus d’une semaine ?
Un quêteux
De temps à autre, pendant
l’été, des hommes d’un certain âge passent par les maisons et demandent
des sous et parfois l’hospitalité d’une nuit. On les appelle des
quêteux. À certains endroits, le nécessiteux est invité à coucher dans
la grange. Chez nous, ma mère prépare un lit dans la cuisine en étendant
des draps et des couvertures par terre. Pour éviter la transmission de
parasites, elle lave le tout après le départ du quêteux.
Ce jour-là, un quêteux se
présente un peu avant le souper. Ma mère accepte de l’héberger. Il
enchaîne en disant : « Puis-je aller ramasser des
pissenlits autour de la maison. » « Mais pourquoi, demande ma mère ? »
Il répond qu’il voudrait en faire une salade. Au repas, le quêteux,
assis à la place de ma mère, savoure son bol de salade aux pissenlits.
Nous le regardons avec étonnement. Nous ne savons pas que le pissenlit
peut être comestible. D’autant plus que c’est, pour nous, une plante
nuisible.
En le voyant si à
l’aise, cela me fait penser à un autre quêteux qui lui – il faut le
faire – était arrivé avec une voiture tirée par deux chevaux. Mon père
avait refusé de donner de l’avoine aux quadrupèdes et les avait envoyés
au pacage pour la nuit.
Visite à Saint-Médard
Un
samedi soir, ma mère me dit : « Je vais te couper les cheveux. Je vais
te laver la tête. Par la suite, fais un effort pour bien te laver.
Demain, nous allons dîner au presbytère de Saint-Médard. »
Le
lendemain, après la messe paroissiale, nous partons en camionnette mon
frère, ma mère et moi. Je suis très intimidé de rentrer dans ce
presbytère et d’être reçu dans un salon où l’archevêque de Rimouski a
déjà été accueilli. J’étais allé quelque fois au presbytère de
Saint-Mathieu, mais je n’avais vu que le bureau du curé.
L’abbé Paul-Émile, le curé de la paroisse, est heureux de revoir sa
cousine de sept ans son aînée. Il nous fait visiter le presbytère. Au
dîner, bien sûr, une demoiselle est là pour faire le service.
Pour maman, c’est une visite de courtoisie, mais c’est aussi un moyen de
trouver un nouveau bienfaiteur pour payer une partie de mes études au
Séminaire. Je ne pense pas que cela a fonctionné. En effet, il est de
rumeur que l’abbé Paul-Émile n’a jamais été très riche étant donné la
pauvreté des paroisses où il s’est dévoué.
Une blessure
Nous sommes au
sixième rang. Mon père a décidé de bûcher un petit boisé. Le travail va
bon train. Mon père abat les arbres avec sa hache et son godin, pas de
godendard car les troncs sont petits. Après avoir ébranché une épinette,
je la coupe en billes de quatre pieds. Alors que j’ai presque terminé de
scier une première bille, ma scie se coince. Avec mon pied, je donne un
bon coup de talon sur une partie de l’arbre pour faire tomber la bille.
Malheureusement, sur le tronc se trouve un bout de branche séché et
durci d’environ deux centimètres. Subito presto, le bout traverse ma
botte et entre dans mon talon. Je hurle de douleur. Mon frère rit de moi
et semble être content de ma mésaventure.
Par malheur, nous
sommes sans moyen de transport. Je dois donc parcourir presque deux
kilomètres clopin-clopant sur le bout du pied droit. La route est longue
et la douleur est vive. Je ne connais pas l’état de ma blessure car je
n’ai pas encore enlevé ma botte. Rendu à la maison, maman me donne les
premiers soins. Heureusement, la lésion n’était pas trop profonde.
18 août 1957.
Un anniversaire de mariage
Depuis quelques mois, les filles aînées préparent une fête pour
souligner le 25e anniversaire de mariage de mes parents à
leur insu. Pas de problème avec les Théberge, ils vivent tous à
Saint-Mathieu. La plupart des Jean vivent à Montréal et à New York. Les
invitations sont faites.
Il
faut recevoir tous ces invités à dîner un dimanche. Le scénario prévu
est que mes parents vont à la grand’messe et que les derniers
préparatifs se font pendant ce temps. En temps normal, nous rencontrons
chez grand-père Théberge les familles Édouard Ouellet et Paul-Émile
Bérubé. Ce dimanche-là, personne n’est au rendez-vous. Après la messe,
au village, ma mère, comme d’habitude, va voir ses amies et jasent
longuement. Mon père, qui est fin limier, commence à trouver qu’il se
passe quelque chose. Quand ma mère arrive de sa trotte, il lui dit :
« Tu ne vois donc rien. » Il avait mis bout à bout tous les détails
inhabituels et avait conclu qu’on les fêtait.
À leur arrivée du village, mes parents sont accueillis par les invités
qui sont tous déjà sur place. Après le dîner, une adresse est lue par
mon frère Raynald et une bourse leur est présentée par ma sœur Lucille.
L’émotion est grande chez l’heureux couple jubilaire. Ma mère trouve
néanmoins les mots appropriés pour exprimer sa gratitude aux
responsables de cette fête.
Au
cours de l’après-midi,
tante Lucie D’Auteuil, épouse de Léo Théberge, me
suggère d’écrire un texte pour les journaux rimouskois. Elle se charge
de le transmettre. J’accepte avec plaisir. J’ai 16 ans et un rêve de ma
vie est d’écrire pour publication. L’article a été publié dans le
Progrès du Golfe et dans
l’Écho du Bas-St-Laurent.
Voici ce que ma mère a écrit dans son journal personnel :
« Oui, ils ont fêté nos noces d’argent le 18 août 1957 au milieu de
toutes les familles. Ils nous ont présenté une bourse de 100 dollars en
25 cents neufs, du chocolat et un beau gâteau. Une belle fête de
famille. »
Dans le cadre du 25e anniversaire de mariage, arrêtons-nous
pour énumérer les tâches de mon père et de ma mère.
Tâches de mon père
Comme cultivateur, mon père doit avoir plusieurs métiers et, comme
beaucoup de fermiers, il le fait bien.
Il
est pourvoyeur. C’est à lui que revient la tâche de procurer à la
famille les biens matériels qui assurent sa subsistance. Il besogne dur
car les outils sont rudimentaires.
Il
est producteur de lait. En somme, les plus importants revenus de la
famille proviennent de la vente de crème à la beurrerie du village.
Il
est menuisier. Il construit les dépendances de la ferme : grange,
hangars, poulailler. Il fabrique un traîneau à cheval et une gratte pour
les chemins pendant l’hiver. Il fabrique des meubles pour la maison et
pour l’étable. Il fait toutes les réparations appropriées.
Il
est mécanicien. Chaque été, avant la période des foins, il démonte la
faucheuse et la remonte en ayant bien soin de verser des quantités
parfois exagérées d’huile pour lubrifier les pièces.
Il
est cordonnier. Il répare les chaussures de cuir et les attelages de
chevaux.
Il
est acériculteur. Au printemps, il produit du sirop, de la tire et du
sucre légèrement brunâtre en cornets ou en briques.
Il
est travailleur forestier. Chaque année, il bûche une centaine de
billots de sapin et d’épinette et quelques cordes de bois de pulpe. Il
choisit seulement les plus gros arbres et il fait une rotation d’une
année à l’autre.
Il
est défricheur. Il agrandit sa terre en déboisant certaines parcelles.
Il récupère le bois de chauffage et vend les billots. Par la suite, il
fait des tas de branches et les brûle sous la supervision du garde-feu.
Puis, il sème à travers les souches qui seront éliminées plus tard quand
elles seront plus fragiles.
Il
est chasseur. Il s’en tient seulement aux petits gibiers comme les
perdrix et les lièvres.
Il
est trappeur. Il piège des petits animaux à fourrure comme la loutre, la
martre, le vison, etc.
Certaines de ces besognes exigent de posséder une force assez importante
dont il est doué. Dans ses mémoires, Tante Marie-Ange Jean le confirme :
« Un bon
dimanche, j'eus la visite de mon frère Edmond, il était accompagné
d’Elzéar Lagacé. Tout allait bien quand Elzéar voulut taquiner mon
cousin Paul Jean. Il en résultat qu’Elzéar, qui avait pris un coup tomba
par terre. Edmond l'a ramassé par l'abdomen et d'une main l'adossa à la
cloison, donna un coup de poing près de lui et lui dit : « Grouille de
là … ». Ma sœur Adélia eut peur et Elzéar aussi. Après, quand il prenait
un coup, sa femme n'avait qu'à dire : « Je vais aller chercher Edmond. »
Il se calmait aussitôt. Mon frère était très fort, il avait hérité ça de
son père. »
Bref, mon père est heureux quand il peut subvenir aux besoins de la
famille. Il laisse peu voir son bonheur, mais il transpire dans son
calme et sa résilience.
Tâches de ma mère
Comme femme de cultivateur, ma mère doit avoir plusieurs métiers et,
comme beaucoup de fermières, elle le fait bien.
Elle est éducatrice. Elle est responsable de l’éducation des enfants.
Pour ce faire, elle s’appuie sur l’autorité de mon père.
Elle est gestionnaire. Elle planifie les travaux des champs. Elle gère
les finances de la ferme et de la maison. Elle tient la comptabilité de la famille.
Elle est femme au foyer. Ma mère s’occupe de toutes les tâches
inhérentes à l’entretien de la maison comme nourrir la famille et
entretenir la maison.
Elle est laitière. Elle va à l’étable pour traire les vaches à la main
et pour écrémer le lait.
Elle est couturière. Elle sait tailler dans des vêtements usagés. Elle
fait des vêtements avec de la laine qu’elle a filée.
Elle est avicultrice. Elle fait l’élevage d’une vingtaine de poules qui
servent aux besoins de la maison et du voisin de l’ouest.
Elle est horticultrice. Pendant plusieurs années, elle se voue à la
culture de fraises de jardins : c’est sa petite entreprise.
Elle est maraichère. Elle cultive
un potager pour la subsistance de la famille et vend le surplus.
Elle est archiviste.
Elle conserve précieusement les carnets de la Caisse Populaire de mon
père. Elle produit des cahiers de découpures de journaux et de feuillets
paroissiaux. Elle note certains événements de sa vie, de ses enfants et
de la paroisse, même parfois elle indique la température. Elle collige
des recettes de cuisine. Ses archives ont été utiles pour écrire ce
document.
Elle est sage-femme. Après la naissance de son dernier enfant, elle est
demandée auprès de femmes qui accouchent dans le rang 5.
Elle est lectrice. Elle dévore les journaux comme
La terre de chez nous et l’Action
Catholique de même que des magazines religieux. Elle n’aime pas la
télévision. Alors elle en profite pour effectuer de menus travaux et
pour lire quand elle le peut.
Elle est animatrice de pastorale. Elle fait prier la famille sur une
base régulière : prière avant chaque repas, prière du matin, Angelus du
dimanche midi, chapelet du soir.
Elle est infirmière. Avec l’aide de médicaments principalement obtenus
de colporteurs, aucun petit bobo ne lui échappe.
Bref, ma mère est une femme aux multiples métiers tout en étant douce et
aimante. Elle s’occupe de ses enfants comme une maman oiseau. Elle les
protège et les accompagne sur le chemin de la vie. Elle fait tout à la
maison et, malgré ses occupations, elle participe aux travaux de la
ferme. Elle est heureuse quand ses enfants croissent en âge et en
sagesse devant Dieu et devant les hommes. Elle leur transmet son
bonheur.
6 septembre
1957. Rentrée scolaire
Une autre rentrée scolaire. Belles-Lettres (Secondaire V), c’est l’année
des lettres et de la lecture. Nous sommes 68 élèves. Je lis, au cours de
l’année, au moins 75 livres dont 12 tragédies de Racine et quelques
tragédies de Corneille. Ces tragédies sont écrites en vers et font
allusion à certains événements anciens qui me sont inconnus. Je ne
comprends pas tout, mais je persévère.
Un
nouveau directeur des élèves vient nous rencontrer à la salle d’études :
l’abbé Pascal Parent. Il n’a rien de la bonhomie de l’abbé Robert
Michaud. Il a l’air sévère. Il parle sèchement ; mais, semble avoir une
bonne culture. Il enseigne la métaphysique en Philosophie. Le Préfet des
études est toujours le même, depuis mon entrée au Séminaire : l’abbé
Ludger Rioux.
Le chanoine Antoine Gagnon est le nouveau supérieur du Séminaire. Il
succède à Mgr Louis Martin qui occupait cette fonction depuis neuf ans.
Les maîtres de salle sont les abbés Gaétan Brillant, Paul Desjardins,
Euclide Ouellet, Paul-Émile Paré, Eugène Ruest. Mes professeurs de
Belles-Lettres A sont les abbés Georges-Étienne Talbot en histoire et
géographie, Armand Lamontagne en instruction religieuse, latin et grec,
Simon Amiot en anglais, Marc-Henri Lebel en mathématiques, Émilien
Gagnon en français.
Octobre 1957. La grippe asiatique
J’ai 16 ans et je suis pensionnaire au Séminaire. Vers la fin d’octobre,
je ressens les premiers symptômes. Je me dirige à l’infirmerie.
L’infirmier me passe la moppe
et me renvoie à mes occupations. Peu à peu, en moi, les effets de la
maladie s’accentuent. Je retourne à l’infirmerie. Nouveau refus.
J’avais souvent entendu raconter les horreurs de la grippe espagnole.
J’ai peur ; mais, en même temps, l’insouciance de la jeunesse m’évite de
penser au pire.
Je suis en si mauvaise forme que, pendant les récréations, je passe mon
temps couché sur un divan dans la salle de lecture située en face de la
cafétéria. Mes confrères me disent : « Va à l’infirmerie. Tu ne peux pas
continuer de même. Tu risques de nous contaminer. » Fort de cet appui,
j’y retourne. J’insiste et l’abbé Plourde accepte de m’admettre.
Dès mon arrivée, j’apprends qu’un de mes confrères, ayant passé par
l’infirmerie pour cette maladie, a été transféré à l’hôpital de Rimouski
pour que l’infirmier sache quels soins donner. Je crains d’être admis à
l’hôpital à cause des frais financiers qu’auraient dû supporter mes
parents puisque l’assurance-maladie n’existe pas encore. À l’infirmerie,
il en coûte un dollar par jour.
Dès mon admission, l’abbé Plourde me donne une piqûre dans une fesse. Il
lance l’aiguille avec un tel élan et une telle force que je crains,
pendant un instant, que la vilaine me transperce le corps. On n’a jamais
su si l’abbé Plourde avait les compétences pour poser ce geste médical.
Maladresse de sa part ou manque de confiance en lui de ma part, la
piqûre me fait extrêmement mal. Je me dis que c’en vaut quand même la
peine.
Puis, l’infirmier me donne des comprimés aux trois heures. Je passe une
nuit extraordinaire à voyager dans mon cerveau et à dormir sans dormir
comme si je n’ai plus de corps. Sans aucun doute, on m’a administré une
drogue très puissante que mon organisme n’avait jamais fréquentée. Le
lendemain, je me sens quelque peu libéré. Toutefois, je dors un autre 24
heures en pleine euphorie, toujours avec les médicaments.
Pendant ce temps, comme le personnel est aussi atteint, des élèves
volontaires aident à la préparation et au service des repas. Au plaisir
de certains élèves, le Séminaire ferme ses portes le 25 octobre. Je suis
déçu de voir mes confrères quitter le Séminaire ; mais je me console en
me disant que j’ai les soins appropriés. Avec le temps, ma santé
s’améliore et, même un peu faible, je suis libéré de l’infirmerie. Je
m’en vais chez mes parents dans l’automobile de Philippe Jean dont le
fils Ghislain a aussi été atteint. Je n’ai eu aucune séquelle de cette
maladie. Le retour au Séminaire se fait le 10 novembre.
Décembre 1957. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 1346,73 $.
Janvier 1958
À
part le hockey, un des sports préférés des élèves au Séminaire est le
soccer. Dans notre cohorte, nous avons deux équipes qui participent au
tournoi annuel. Toutes les autres cohortes n’ont qu’une seule équipe.
Depuis la Méthode, nous avons remporté le championnat chaque année.
Au
retour des vacances de Noël, quelques élèves de notre cohorte décident
de recruter des joueurs parmi ceux qui ne jouent pas dans les deux
équipes officielles. J’accepte d’en faire partie. Le calibre n’est pas
très fort, mais on s’amuse beaucoup. On le fait pour le plaisir. Chaque
jour, après le dîner, deux équipes sont formées avec les élèves
présents. Je me débrouille assez bien. C’est sans aucun doute la période
où j’ai fait le plus de sport pendant les huit années de mon cours
classique.
Février 1958. Une chaîne de lettres
Chaque samedi à 17 heures, l’abbé Pascal Parent, directeur des élèves,
vient nous rencontrer à la salle d’études pour nous donner nos notes de
la semaine en conduite et en assiduité. Je remarque qu’un élève d’une
autre cohorte qui est un de mes amis a obtenu un 4 de conduite sur 10.
Pourtant d’habitude, cet élève fait preuve d’un comportement exemplaire.
Quand vient mon tour, on me gratifie d’un 5. Je me demande bien les
raisons de cette note, mais je m’en doute.
Après la lecture des notes, dans ses remarques, l’abbé Parent dénonce un
comportement interdit au Séminaire : participer à une chaîne de lettres.
Je suis surpris car ce sujet n’a jamais été abordé auparavant dans les
règlements. Je suis inquiet car je ne sais pas si d’autres sanctions
pourront s’appliquer. Je
soupçonnais que c’était interdit, mais j’avais quand même pris une
chance. Il est probable que le directeur avait remarqué un envoi inusité
de lettres parce que je n’étais pas le seul. J’étais toutefois le
deuxième dans la hiérarchie de la chaîne. Cette note n’a entrainé aucune
sanction.
Une anecdote : Un de mes confrères qui était extrêmement studieux et qui
était d’un comportement exemplaire avait toujours 9 de conduite et 9
d’assiduité. Un jour, il a eu 8 et 9. Quand la note fut annoncée, ce fut
un rire général. On se demandait : Qu’avait-il pu faire pour avoir cette
« minable » note ?
Faire du théâtre
Dans notre cours de français, un projet nait : présenter un extrait de
la tragédie de Jean Racine intitulée Andromaque. Cette œuvre du 17e
siècle est écrite en vers. Je suis choisi pour jouer le rôle d’Hermione.
Celle-ci est une jeune fille qui est fiancée à un fils du roi.
Chacun apprend ses textes. Je réussis à dénicher parmi les costumes
appartenant à la salle des spectacles une longue tunique affublée d’un
capuchon qui cache la tête. Je dois aller chercher une petite voix au
fond de moi. Dans ce rôle, je me sens tout-à-fait confortable. Je n’ai
pas peur de l’échec.
Le
court spectacle est présenté devant notre classe d’une trentaine
d’élèves. Nous sommes applaudis à tout rompre. Bien sûr que le fait de
voir une femme dans un Séminaire bourré de garçons a une influence sur
la réaction des spectateurs. De bouche à oreille, le succès s’est
répandu chez les élèves de Belles-Lettres de l’autre classe. Nous avons
été invités à présenter notre court spectacle devant eux : un autre
succès.
Une dactylo
Depuis longtemps, je voulais écrire à la dactylo. Je demande une
permission d’aller en ville. Je sais que, sur la rue de la Cathédrale,
un imprimeur loue des dactylos. Je demande un appareil pour une semaine.
Il m’en coûte un dollar. Je l’apporte au Séminaire en la cachant dans
mes vêtements. Je vais la porter dans le bas d’une bibliothèque de ma
salle de cours en espérant que personne ne la trouve puisque la case
n’est pas fermée à clé. Chaque jour, pendant les récréations du midi et
du soir, je me rends dans ma classe en cachette parce que je ne sais pas
si j’ai le droit de faire cela. La dactylo est toujours là. Je copie des
textes que j’ai composés et des bribes de généalogie. La semaine
terminée, je vais la rapporter.
Une scène surréaliste
De
chaque côté de la chapelle, il y a des autels permettant une messe
collective ou des messes individuelles. Cette année-là, pendant la messe
de la communauté, de temps à autre, je tourne la tête vers l’autel
central du côté est. Le prêtre qui y dit la messe est l’abbé Gérard
Plourde, l’infirmier du Séminaire. Je n’en crois pas mes yeux. Quand il
lève les mains en l’air, j’ai l’impression qu’il lévite. C’est comme
s’il flottait. C’est l’extase complet. Je n’en parle pas à mes confrères
de peur qu’il me traite de fêlé.
L’abbé Plourde avait une très grande dévotion envers la Vierge Marie.
Quand je faisais des séjours à l’infirmerie, il nous en parlait souvent.
Il récitait le chapelet les bras en croix.
Une quinzaine d’années plus tard, je suis dans un restaurant de Rimouski
vers 21 heures quand je vois arriver l’abbé Plourde avec un groupe de
charismatiques. Il est revêtu de sa soutane et porte le signe distinctif
de ce mouvement. Pourtant depuis quelques temps, la robe avait été
abolie.
Mars 1958. Tests d’intelligence
L’abbé Fernand Gagnon qui est directeur du Centre d’orientation nous
fait passer une série de tests. Selon lui, ces tests visent à aider les
élèves à choisir la profession qui leur convient, mais il y a plus car
on nous donne notre quotient intellectuel découlant de ces tests.
Quelques semaines plus tard, l’abbé Gagnon nous reçoit individuellement.
Il me demande quel est mon choix de carrière. Je réponds : « Le
sacerdoce ». Il me pose une question qui me surprend : « Te vois-tu dans
un presbytère ? » Je n’avais jamais songé à cette éventualité et je
réponds : « Je veux être professeur de mathématiques au Séminaire. »
L’abbé Gagnon en profite pour me dire que ce n’est pas moi qui décidera
dans le cas où je deviendrai prêtre.
Consternation chez les élèves
Lors de son cours du mercredi 11 heures, le professeur de français
commence en disant : « Quels sont ceux qui ont apporté leur Polyeucte
? » Seulement, la moitié des élèves lèvent la main. L’abbé est furieux.
Il nous dit : « Depuis ces derniers mois, le cours du mercredi est
consacré à l’étude de Polyeucte. » Il continue pendant au moins
cinq minutes, le visage rouge, les mains en l’air, à vociférer contre
les oublieux.
Personnellement, je me sens mal, parce que je n’ai pas apporté le
précieux livre qui est une tragédie de Corneille. Pourtant, il m’arrive
rarement de ne pas être attentif aux demandes des professeurs. Je ne
comprends pas comment j’ai pu oublier cette directive. Je ne me rappelle
pas avoir déjà entendu l’abbé faire cette demande.
Le lendemain, l’abbé Ludger Rioux, le préfet des études, vient nous
informer que notre professeur de français a fait une crise cardiaque
pendant la nuit. Consternation chez les élèves de la classe et surtout
chez ceux qui, comme moi, avaient oublié leur Polyeucte. Nous nous
sentons coupables.
Pour terminer l’année scolaire, il est remplacé par Guy Lapointe, un
laïc et ancien professeur de Belles-Lettres. M. Lapointe nous avertit,
dès le départ, qu’il faut garder le secret sur sa charge de cours, car
il est agent d’assurance. Il nous enseigne la littérature. Mgr Georges
Dionne, âgé d’environ 70 ans, enseigne
Polyeucte. L’abbé Ludger Rioux
s’occupe de la composition française. Il a un cours par semaine et se
présente très peu souvent. En lieu et place, nous écoutons de la musique
classique.
Un jour où l’abbé Rioux est absent, des responsables de la classe font
jouer des pièces de musique classique. Sur une musique dont j’ai oublié
le titre, les élèves de la classe ont chanté amicalement en
chœur : « Charles-Édouard, prends la porte, puis sors dehors. »
Avril 1958. Un
pavillon de philosophie
Nous attendons, dans la salle de récréation, notre tour d’aller souper,
quand l’abbé Gaétan Brillant nous apprend que la corporation du
Séminaire a décidé de construire une annexe à l’ouest de la bâtisse
actuelle à l’intention des élèves de Philosophie I et II. Cette bâtisse
devrait contenir une centaine de chambres, trois classes, une
bibliothèque, deux laboratoires et un gymnase, le tout au coût de 600
000 $. La bâtisse devrait être prête pour septembre 1959.
Les services de l’architecte Albert Leclerc sont retenus moyennant des
honoraires de 40 000 $ pour toute la durée des travaux.
Nous sommes ravis. Nous allons être les premiers étudiants à entrer dans
ce pavillon avec, en prime, une chambre individuelle. Nous savons aussi
que le règlement sera adapté à notre statut de philosophes.
Les travaux débutent quelques semaines seulement après l’annonce. Nous
devons subir les bruits des foreuses et des marteaux. Nous l’acceptons,
parce que nous pensons que c’est le prix à payer pour être admis dans
une résidence qu’on présume de luxe.
Juin 1958.
Résultats scolaires
Je
me classe 16e sur 34 élèves en Belles-Lettres A. Je suis
comblé par le premier prix de mathématiques et le deuxième accessit de
littérature française. Pour l’accessit, cela signifie que j’étais le
quatrième de la classe dans cette matière.
Juillet 1958. Une construction peu utile
De retour à la maison pour les vacances, je découvre dans une revue un
plan pour construire une boîte destinée à l’élevage des vers de terre.
Je soumets ce plan à mon père qui se montre très sceptique. Toutefois,
avec les encouragements de ma mère, il accepte de tenter l’expérience.
Je nous revois encore à l’est de la grange creuser un large trou
rectangulaire, confectionner la boîte avec des planches, la remplir de
terre méticuleusement bêchée et ajouter des feuilles mortes. Les gens du
rang qui passent semblent étonner et se demandent ce qui se trame là.
Pour commencer l’élevage, nous ramassons au moins une centaine de vers.
Nous les enfouissons dans la boîte. Au bout de deux ou trois jours, je
vais vérifier l’état des lieux. Surprise et déception ! Il n’y a plus
aucun ver. Ils sont tous partis. C’est ainsi que commence et se termine
l’élevage des vers de terre sur la ferme de mon père.
Août 1958. Avec un tracteur
L’oncle Timile réquisitionne des bras pour ramasser son foin. Après le
souper, avec un de mes frères, je fais le voyage à pied. L’oncle Timile
nous transporte vers sa deuxième terre située près de Saint-Eugène, sur
la terre où j’étais allé une fois aux fraises. Le travail consiste à
prendre des balles de foin rectangulaires et à les placer en ordre sur
la plateforme d’un tracteur. C’est très dur pour les mains.
Tout en faisant ce travail qui exige une certaine force, je compare la
situation de mon père avec celle de l’oncle. Chez ce dernier, le
tracteur a remplacé le cheval. La moissonneuse-lieuse a remplacé le
râteau et la fourche … et ceci, à environ un kilomètre de la maison
paternelle. |
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Chapitre 9. Mes années
collégiales au Séminaire
5 septembre
1958. Rentrée scolaire
C’est la dernière année du cours de lettres. Je suis en Rhétorique A
(Collégial I), là où les professeurs vétérans du Séminaire enseignent :
le chanoine Alphonse Fortin en histoire et géographie, qui en est à sa
50e année d’enseignement, les abbés Gustave St-Pierre en
littérature française, Charles Morin en anglais, Georges Beaulieu en
latin, grec et initiation aux beaux-arts, Marc-Henri Lebel en
mathématiques. Les maîtres de salle sont les abbés Gaétan Brillant, Paul
Desjardins, Paul-Émile Paré, Gabriel Bérubé et Marius Lepage.
Lors de son premier jour de classe, l’abbé Beaulieu nous souhaite
d’abord la bienvenue. Il se tourne vers moi et me dit : « Tu es assis à
la place de Gilles Vigneault. » Le fait est qu’une dizaine d’années
auparavant Gilles Vigneault, notre poète national, avait passé l’année à
ce même bureau.
Par la suite, l’abbé Beaulieu aura toujours beaucoup d’égard à mon
sujet. Il m’appelait Ti-Jean. Peut-être, quand il me regardait,
voyait-il Gilles Vigneault ?
Les cours du chanoine Fortin quoique très savants sont plutôt monotones.
Il n’y a aucune interaction entre lui et les élèves. Il arrive en
classe, baguette à la main, et il débite son cours comme s’il le savait
par cœur. Alors, j’en profite pour composer des poèmes. Même parfois, je
pique un petit « somme ».
L’examen universitaire de mathématiques a lieu avant Noël. J’obtiens une
note de 9,2 sur 10. J’avais oublié d’écrire la racine négative d’une
variable élevée au carré.
Décembre 1958. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 1419,28 $, une augmentation de 72,55 $ par rapport à
l’année précédente.
Peur de l’enfer
Je suis en vacances des Fêtes chez mes parents. Quelques jours avant la
fin de l’année, je suis envahi par des pulsions dont je n’arrive pas à
me défaire. Finalement, je passe à l’action. J’aurais dû y penser avant.
Je dois affronter un problème fondamental dans la vie régulée par la
religion. Je viens de faire un péché mortel qui risque une peine
éternelle c’est-à-dire l’enfer pour l’éternité.
Mais, ça ne s’arrête pas là. Le jour de l’An, je dois aller à la messe
avec mes parents. Je dois communier car, depuis quelques années, la
communion est donnée pendant les grands-messes. Si je reste dans le banc
pendant que tout le monde se présente à la sainte table, ma mère va me
demander pourquoi. Que vais-je lui répondre ? Je n’ai pas le choix. Il
faut y aller même si je vais commettre un autre péché mortel encore plus
grave, un sacrilège. Au dîner du jour de l’an, je suis pensif. Je crains
de mourir et d’aller en enfer avec le feu, les démons et leurs fourches
… éternellement.
Je retourne au Séminaire le 7 janvier toujours en proie à des troubles
intérieurs et à des craintes démesurées. Je continue d’aller communier
chaque matin. Le samedi vers 17 heures, je me rends à la chapelle pour
l’heure des confessions. Dès le début de l’année, j’avais choisi comme
confesseur un de mes professeurs qui était un homme très rigide. Sans
trop savoir pourquoi, je me sentais à l’aise avec lui.
Dans ma tête, je me prépare à lui expliquer toute la situation.
Toutefois, en entrant dans le confessionnal, je suis saisi de peur. Je
suis incapable d’avouer mes péchés mortels successifs, un autre
sacrilège. Mon dossier est maintenant pas mal noir. Je ne sais plus
comment je pourrai m’en sortir. Une autre semaine d’enfer se passe.
Le samedi suivant, je me présente à nouveau au même confesseur. Je ne
prends pas le temps de réciter les prières préliminaires. Je lui dis :
« Mon père, je suis troublé depuis deux semaines et j’ai peur de
l’enfer. » Je lui raconte tout ce que je viens de vivre. Il m’écoute
attentivement. Quand j’ai terminé, il me dit : « Mon fils, allez en
paix. Dieu vous pardonne. Vous direz un chapelet comme pénitence. »
Je quitte le confessionnal le cœur soulagé. Je sors mon chapelet de mes
poches et je le récite tout d’un trait, heureux d’être enfin libéré des
conséquences de ce plaisir solitaire d’un jour.
6 janvier 1959. Décès d’Alfred Bérubé
En après-midi, j’aide au battage du grain qui se fait sur le fenil de la
grange. D’habitude, je m’occupais de ramasser l’avoine qui provient de
deux dalots. Aujourd’hui, je fournis à la fourche les tiges d’avoine
pour que mon père engrène c’est-à-dire qu’il pousse le grain dans la
batteuse. Les conditions de salubrité sont exécrables. La poussière
accumulée dans les tiges finit par me faire tousser et m’étouffer. Le
mouchoir devient rapidement noir. À la fin, je suis épuisé pas à peu
près.
Il est clair que j’ai outrepassé mes forces. Je n’étais pas suffisamment
en forme pour faire ce travail. À 19 heures, je suis couché dans mon
lit. J’ai des palpitations. Je suis très inquiet. Je dois partir pour le
Séminaire le lendemain. J’entends le téléphone sonner dans la cuisine.
Quelqu’un dit : « Alfred Bérubé est décédé aujourd’hui à l’âge de 68
ans. » C’est le père de l’oncle Timile. J’en suis profondément peiné. Au
bout de deux ou trois heures, mes palpitations cessent. Je me sens
mieux.
Deux épidémies
Le 22 février, une épidémie de diarrhée frappe les élèves du Séminaire.
Inutile de dire comment se comportent les planchers qui sont
récipiendaires de substances nauséabondes. Je ne suis pas touché par
cette épidémie.
En avril, une seconde épidémie s’invite chez les élèves. Cette fois-ci,
c’est une épidémie de grippe. Les dortoirs restent ouverts le jour pour
accueillir les malades. Certains élèves remplacent le personnel féminin
à la cuisine. Après trois jours, la vie reprend son rythme normal.
Encore une fois, je n’attrape rien.
Mai 1959. Dans mon lit
Je me réveille vers 4 heures
du matin. Je ne suis plus seul dans mon lit. Je reconnais mon voisin. Je
le réveille et il s’empresse de rejoindre son lit. Je crains que cet
acte m’apporte des représailles de la part des autorités. Même s’il ne
s’est rien passé, quel est le degré de ma responsabilité ? Le reste de
la nuit se passe dans la brume et les ressacs.
Le lendemain matin, je
m’empresse de raconter cet incident à mes confrères pensant ainsi le
ramener à un fait divers. La nouvelle fait le tour des confrères et
s’éteint. Je pense avoir adopté la meilleure stratégie. Il est probable
que les autorités n’ont jamais été informées. Il n’y eut aucune suite.
D’ailleurs, j’ai toujours cru que le confrère en question était de bonne
foi.
Fou rire à la salle d’études
Je participe à un encart pour le journal étudiant, la
Vie écolière. Le titre est
Les visages de nos confrères.
On y trouve la photo et des particularités sur chacun des rhétoriciens.
Je suggère quelques méchancetés amicales. Dans mon cas, on a écrit :
Type : Einstein
Manie : Faire sourire M.
Brillant.
Profession :
Fonctionnaire à l’étude.
Idole : Charlie Chaplin
Les confrères, trois ans plus tard, n’avaient pas oublié qu’un jour
j’avais eu une fonction taillée sur mesure. Un soir, au début de
l’étude, l’encart est sur nos bureaux. M. Brillant qui était encore
maître de salle, d’ailleurs très apprécié, est justement le surveillant
de l’étude. Il est assis au bureau central. Les 250 élèves lisent
calmement l’encart tout en ayant un œil sur M. Brillant. Tout à coup,
sans prévenir, celui-ci se tourne vers moi et me fait un beau sourire.
Cela provoque un rire général dans la salle. C’est une des rares fois
que cette salle si sérieuse d’habitude se livre à une escalade de rire.
Un bordel
Du côté sud de la cour des
Grands, une construction commence sur la rue de l’Évêché. Tout en me
promenant avec un de mes confrères dans la cour pendant les courtes
récréations, nous suivons l’évolution des travaux. Quand la construction
est terminée, on peut voir un bloc de six appartements. Je pense bien
que c’est le premier immeuble à appartements de Rimouski. Dans ce
temps-là, il y a deux possibilités de résidence : la maison familiale ou
la maison de chambres.
Nous avons tendance à penser
que cet immeuble est occupé par des gens de mœurs légères. D’ailleurs,
un confrère l’a baptisé d’un nom que j’ai oublié mais qui sonne comme
bordel.
Il est certain que nous avons
porté un jugement hâtif sur ces gens qui vivent là. En revanche, en nous
voyant jouer ou prendre une marche dans la cour quatre ou cinq fois par
jour, ces gens devaient se dire : « Que font ces jeunes de 17, 18 ans à
flâner ou à jouer ? Ils devraient plutôt travailler comme nous. »
Juin 1959. Résultats scolaires
Je
me classe 16e sur 32 pour l’année en Rhétoriques A, avec en
prime le deuxième prix de mathématiques. Aux examens de l’université
Laval, j’obtiens une moyenne d’un peu plus de 70% : ce qui est quand
même un bon score pour moi compte tenu de mes débuts difficiles.
Juillet 1959. Achat d’un réfrigérateur
Jusqu’à ce jour, il n’y a pas d’appareil à la maison qui permet de
réfrigérer les aliments. L’un des outils les plus performants est la
mise en conserve. Bon an mal an, ma mère remplit des pots de légumes, de
fruits, de viande et les fait stériliser. Les aliments s’y trouvant se
conservent au moins une année.
Le
4 juillet 1959, ma mère achète son premier réfrigérateur, un Viscount,
payé 405 $. La vie devient plus facile. C’en est presque fini de la mise
en conserve.
L’été de mes
18 ans
Je
passe mes vacances d’été sur la ferme de mes parents. Cet été-là, mon
père est en déprime. Il travaille l’avant-midi.
Il se contente de faucher le foin toujours avec
deux chevaux.
L’après-midi, il se couche. Moi et Pierre,
qui a alors 16 ans,
prenons la relève. Nous travaillons à notre rythme et selon nos
capacités. Il n’y a personne pour nous chiâler.
Il faut dire que mon frère se plait à assumer les tâches les plus
astreignantes parce qu’il est beaucoup plus en forme physiquement que
moi. Nous nous entendons très bien. Même si je suis l’aîné, je le laisse
diriger les opérations.
L’été passe assez rapidement, mais je me dis que c’est la dernière année
où je fais les foins.
4 septembre
1959. Rentrée scolaire
Enfin, le
Pavillon de Philosophie. Nous entrons dans un pavillon moderne qui
finalement a coûté 1,2 million de dollars. Nous sommes 65 élèves en
Philosophie I (Collégial II).
Mon premier geste est de visiter la chambre qui m’est assignée au
deuxième étage : un lit, un bureau,
un vestiaire, un lavabo, une toilette
et ... une chaise berçante. Des douches sur chaque étage. Quel luxe !
Ensuite, je découvre la salle de repos, appelée salon, contenant des
chaises, des petites tables et un téléviseur. Puis ce sont les
vestiaires au sous-sol, un grand gymnase, trois classes, une
bibliothèque et des laboratoires. Quant à la chapelle, je préfère
attendre pour la voir lors de la messe du lendemain.
L’abbé Pascal Parent est le maître des lieux : directeur des élèves et
préfet des études. Avec une certaine souplesse, il fait régner la loi et
l’ordre. Il se vante d’ailleurs souvent d’être capable d’assurer la
discipline sans l’aide de maître de salle. Chaque semaine, le samedi, il
nous rencontre pour donner ses directives. Il n’y a pas de règlement
écrit très précis, vu que c’est la première année.
Dès le début de l’année, il est assez facile de s’adapter à cette
nouvelle vie. Au lieu de se lever à 5 heures 45, la cloche sonne à 6
heures 30. En milieu d’année, pour favoriser l’exercice physique, un
tintement plus court, se fait entendre à 6 heures 15 pour inviter les
élèves au gymnase. Si on ne s’y rend pas, il reste 15 minutes à dormir.
À 6 heures 45, c’est la messe qui est dite par le directeur. La messe
terminée, soit vers 7 heures et demie, on se rend à la cafétéria du
Séminaire.
Nous allons
manger quand ça nous tente en respectant les heures d’ouverture de la
cafétéria.
Il n’est pas requis de prendre les rangs de doyen pour y aller. Là, on
doit observer le silence, comme les autres élèves de la Petite salle et
de la Grande salle. De façon générale, les surveillants sont tolérants
et n’interviennent pas à moins d’abus ou de propos trop forts. Après
tout, nous sommes des philosophes !
Après une courte récréation pour aérer ses poumons, deux heures de
classe suivent et une troisième heure les mercredis et les samedis.
Puis, c’est le dîner.
La récréation du midi se passe à faire du sport ou à participer à des
activités socioculturelles. Dans le salon, on peut lire le journal,
regarder la télévision, jouer aux cartes … ou simplement jaser. En
principe, il n’est pas permis d’aller en ville pendant ce temps. Deux
heures de cours suivent en après-midi, puis une longue étude avant le
souper.
À 19 heures 45, les élèves se retrouvent à la chapelle pour la
récitation du chapelet ou pour toute autre cérémonie. À 22 heures, c’est
le couvre-feu.
Les mercredis, samedis et dimanches dans l’après-midi, il est permis
d’aller en ville sans demander de permission. Toutefois, il faut
absolument rentrer à 17 heures pour l’étude ou pour les vêpres le
dimanche.
La vie est
belle.
Pour maintenir une certaine discipline, l’abbé Pascal Parent abandonne
la pratique de notes de conduite et d’assiduité chaque semaine. Il
institue une liste noire qu’on dénomme Black List et qui, au besoin,
apparaît sur un babillard. Si on s’y retrouve plus de trois fois, c’est
l’exclusion. On s’imagine bien que, pendant ces deux dernières années,
personne ne veut prendre le risque d’être exclu.
Mes professeurs de Philosophie 1ère année sont les abbés
André-Albert Dechamplain en sciences naturelles et biologie, Grégoire
Bélanger en mathématiques, André-Albert Gauvin, en littérature
contemporaine, Fernand Gagnon en apologétique, Yves-Marie Dionne en
chimie, Marcel Morin en logique et philosophie naturelle.
Cercle missionnaire
Notre vie au pavillon comme pensionnaire est bien différente de celle de
la Grande salle. Nous vivons à part. Tous les privilèges qui étaient
traditionnellement acquis pour les philosophes sont entre les mains des
rhétoriciens. Pour ma part, comme deux autres philosophes, ayant senti
le besoin de connecter avec les autres élèves du Séminaire, je m’inscris
au Cercle missionnaire dont l’aumônier est l’abbé Robert Michaud.
Mariage de mon frère
Le
26 septembre, le mariage de Gilbert et de Martine Ouellet est prévu à
St-Mathieu. Je vais visiter mon frère Raynald au juvénat des Frères du
Sacré-Cœur. Nous convenons que chacun de notre côté nous demanderons
l’autorisation d’aller au mariage. Les Frères autorisent mon frère à la
condition que j’aie la permission.
Antérieurement, aucun pensionnaire du Séminaire n’était autorisé à se
rendre au mariage d’un membre de sa famille. En réalité, je suis le
premier à demander cette autorisation au Pavillon de Philosophie que
nous habitons depuis moins d’un mois. L’abbé Pascal Parent refuse de
m’accorder cette permission. Résultat : aucun de nous deux ne peut
assister au mariage. Ceux qui, par la suite, ont demandé cette faveur
l’ont obtenue. Je fus donc le seul dans l’histoire du Pavillon de
Philosophie à avoir essuyé un refus sur ce sujet.
Octobre 1959. Inauguration du Pavillon
Le 3 octobre, un événement majeur se déroule au Séminaire. C’est la
bénédiction du Pavillon de philosophie qui est célébrée en grande pompe. L’Harmonie
Sainte-Cécile interprète le God
Save the Queen, suivi de l’O
Canada. Mgr Charles-Eugène Parent bénit le nouveau bâtiment.
On m’a demandé de servir
d’acolyte de l’archevêque lors de la cérémonie : ce que j’ai accepté
avec plaisir.
Cela me permet
de prendre l’ascenseur seul avec Mgr Parent qui va bénir l’autel
de la chapelle.
Je porte le bénitier. En prime, une photo où j’apparais est publiée dans
le quotidien de Québec, l’Action catholique.
Les invités de marque sont le premier ministre Paul Sauvé, nouvellement
élu, et le lieutenant-gouverneur Onésime Gagnon. Le premier ministre
promet d’accorder un octroi additionnel de 200 000 $ pour aider à
défrayer le coût du Pavillon.
Novembre 1959. Proche d’une sanction
Au début de l’année, le directeur nous avait averti qu’il était interdit
d’aller dans la chambre d’un confrère. Il avait spécifié que, le cas
échéant, l’élève qui
reçoit serait passible de sanctions graves.
Un
soir de novembre, un de mes confrères cogne à la porte. Je n’ai pas le
temps de lui dire que les visites sont interdites. Il entre et s’assoit
par terre dos à la porte. À voix basse, il me demande de lui expliquer
comment résoudre un problème de mathématiques.
Au
bout d’environ une minute, un professeur dont la chambre n’est pas loin
de la mienne passe par hasard et constate le délit. Il demande à mon
confrère de retourner à sa chambre. « Que va-t-il se passer, me dis-je
? » Je suis anxieux et je tarde à m’endormir.
Je me demande quelle punition me sera infligée. Je
souhaite qu’au mieux mon nom soit inscrit sur la liste noire sans autre
conséquence.
En même temps,
je me prépare à argumenter que la règle est injuste.
Le lendemain matin, je crains d’être demandé chez le directeur. Il n’en
est rien.
C’est le visiteur qui doit maintenant payer. Mon confrère reçoit comme
punition de séjourner une semaine à la Grande salle, sauf qu’il peut
venir suivre ses cours normalement au Pavillon de Philosophie mais
sans avoir accès à sa chambre. Je
l’ai échappé belle.
La
Ste-Catherine
Enfin, c’est notre tour de fêter la Ste-Catherine le 25 novembre. Bien
astiqués, nous nous présentons à la chapelle du Séminaire. Certains
confrères exécutent un
programme de chants dodécaphoniques.
Vers 8 heures, c’est l’entrée triomphale à la cafétéria aux acclamations
hystériques d’une jeune foule en délire, accompagnées de la
traditionnelle danse des
cuillers sur les cabarets.
La journée se passe à recevoir nos invités au salon des philosophes et à
leur fournir des « amuse-gueules » dont des cigares et … notre amitié.
Tour à tour, on voit défiler nos professeurs anciens et actuels, les
finissants et même les étudiants du Grand Séminaire.
Pour le dîner, on a droit à un banquet à la dinde. Une soirée récréative
réservée à notre classe clôt la fête.
Décembre 1959. Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 2326,84 $, une augmentation de 907,56 $ par rapport à
l’année précédente.
Janvier 1960. Retraite de vocations
Dimanche le 17 janvier, nous entrons en retraite pour une semaine
totalement en silence. À l’intérieur de la bâtisse, ce n’est pas un
problème. En dehors des prédications, nous gagnons notre chambre. Mais,
à l’extérieur, il peut se passer des situations saugrenues comme ce
confrère qui rencontre sa cousine dans l’allée du Séminaire et qui
s’enfuit pour ne pas lui adresser la parole.
Ce temps d’arrêt est appelé retraite des vocations car il est presque
temps de choisir la profession qui nous conviendra. Il nous reste, en
effet, seulement un peu plus d’un an pour prendre la décision de notre
vie.
Les rencontres se font à l’amphithéâtre du pavillon et sont animées par
un Jésuite, le Père Hudon. Le bon père parle abondamment de la mort et
de l’enfer. Son raisonnement est simple. La vie est un voyage. La
destination doit être le ciel. Le sacerdoce est un billet pour le ciel.
La mort peut nous surprendre de façon inopinée. Ceux qui recevront le
sacerdoce seront assurés d’être sauvés. « Si vous voulez vraiment aller
au ciel, faites-vous prêtre ou religieux », proclame-t-il haut et fort. Plusieurs réflexions du
prédicateur provoquent de l’angoisse chez la plupart des élèves, surtout
chez ceux qui veulent servir la société dans l’état civil.
Le message est bien entendu car, à la suite de cette retraite, au moins
la moitié des élèves sur 65 décident de se diriger vers le sacerdoce.
L’année suivante, après une autre retraite, 17 philosophes font ce choix
et depuis ce temps quatre seulement ont été prêtres pour la vie.
Une anecdote. Une rumeur a circulé que le bon père Hudon avait été
foudroyé par la mort comme il était en train d’acheter un billet
d’autobus.
Voyage à Rivière-Blanche
La
semaine de la retraite étant terminée, en ce beau dimanche, un de mes
confrères avec qui je prends souvent des marches dans la cour de
récréation m’invite à aller visiter un de ses oncles à Saint-Ulric de la
Rivière-Blanche, une municipalité située à 80 kilomètres de Rimouski.
J’acquiesce avec plaisir. Moyen de transport prévu : le pouce.
Après le dîner, nous nous dirigeons vers la rue Saint-Germain. Nous
levons le pouce : c’est ma première expérience. Un automobiliste nous
fait embarquer en nous disant que nous n’avons pas le droit de faire du
pouce dans les limites de la ville de Rimouski. Il nous offre de nous
amener à l’extrémité de la ville.
Pour attirer l’attention des automobilistes, nous ouvrons nos manteaux
laissant voir nos blazers. Un bon samaritain nous amène à destination.
Rendu à Saint-Ulric, une surprise nous attend. Il n’y a personne à la
maison. Au cas où, nous attendons une quinzaine de minutes assis sur les
chaises de la galerie.
À
notre retour, toujours sur le pouce, un pépin s’impose. Un pneu éclate.
Je regarde ma montre. Les vêpres sont à 17 heures. Je crains que nous
n’arriverions pas à temps au Séminaire pour assister à cette cérémonie
obligatoire. Pendant que la roue de secours s’installe, je fais les cent
pas en songeant aux conséquences de notre retard. Finalement, nous
arrivons au pavillon de Philosophie vers 17 heures 30. Au lieu de nous
rendre à la chapelle, nous nous engouffrons dans nos chambres en
espérant que le directeur qui préside lui-même la cérémonie ne
remarquera pas notre absence. Nous n’avons subi aucune conséquence.
Un
peu plus tard, un dimanche, je suis allé à Trois-Pistoles avec mon
cousin Rémi Thibault. Nous allions visiter tante Marie-Ange et oncle
Alphonse. Notre voyage sur le pouce s’est bien déroulé.
7
mars 1960. La Saint-Thomas d’Aquin
Nous sommes des jeunes philosophes, du moins en considérant le nom de
notre cours. Lors de la journée dédiée à Saint-Thomas D’Aquin, nous
sommes invités à profiter d’un congé d’études
pour approfondir la doctrine de ce grand homme. Des
exposés préparés d’avance sous la supervision de l’abbé Pascal Parent,
directeur des élèves et éminent professeur de métaphysique, sont
présentés. La discussion suit.
Un cahier assez volumineux est publié à cette occasion. Je l’ai acheté,
puis je suis allé voir l’abbé Parent pour le faire autographier. Il a
été surpris de ma demande et a écrit : « À un élève brillant et
moqueur » tout en signant son nom. Je n’ai jamais compris le sens de ces
remarques.
Avril 1960 : Visite à l’abbé Lamontagne
Suite à la lecture d’un article dans la Vie écolière, je décide
que je veux être moniteur au Camp Cap-à-l’Orignal situé dans une baie à
la limite de Saint-Fabien et de Bic. Je vais rencontrer le directeur du
camp, l’abbé Louis-Georges Lamontagne, un de mes anciens professeurs.
Quand j’arrive à son petit logement - on appelle cela alors une chambre
- dans la résidence des prêtres du Séminaire, il me demande de plier le
sac de couchage qui est étendu par terre dans son bureau. Je me dis :
« Il veut me tester ». Il me raconte alors des tas d’histoire. Je ne
parviens pas à dire un mot. Au bout de 15 minutes environ, j’annonce que
je pars. Il ne me demande pas l’objet de ma visite. Je retourne, très
déçu, au Pavillon de Philosophie.
Deux semaines plus tard, je retourne voir l’abbé avec la ferme intention
de ne pas le laisser parler. Il acquiesce à mon projet d’être moniteur
au camp qu’il a fondé en 1948. Je lui demande ce qu’il attend de moi. Il
me répond qu’il n’avait pas encore distribué les tâches. Il m’offre un
salaire de 100 $ pour six semaines, logé et nourri en sus. Je suis très
content. Finis les travaux de la terre et surtout, un petit pécule comme
argent de poche. Il me demande si j’ai l’intention d’y travailler plus
d’une saison. Je réponds oui. Il m’offre la possibilité de m’inscrire au
Camp-École Trois-Saumons pour une semaine de formation de moniteurs à la
fin de juin.
Mai 1960. Vers la présidence
Les activités
du Cercle missionnaire prennent fin. En tant que vice-président, je suis
fier du travail accompli qui touche à
quatre volets : la récupération de remèdes pour
envoyer aux missions, la production de chapelets, la cueillette de
timbres et l’information aux autres élèves sur les activités
missionnaires.
De nombreux
chapelets ont été fabriqués manuellement par les jeunes membres. Ces
chapelets qui ont été bénis par l’archevêque de Rimouski, Mgr
Charles-Eugène Parent, en janvier ont été expédiés à différents
missionnaires en même temps que des remèdes et des timbres recueillis. Je me souviens d’être allé cogner à la porte de la
maison de Jules-A. Brillant, en compagnie de Pierre-Paul Parent, pour
recueillir de l’argent en vue d’achat de matériel : grains de chapelets,
croix, broche et pinces. Madame Brillant nous avait reçus aimablement et
nous avait donné 5 dollars : une fortune pour nous.
En
mai, une réunion plénière est convoquée. Nous sommes deux philosophes à
nous présenter à la présidence pour la prochaine année. Le vote est
pris. Mon confrère est élu président avec une voix de majorité. Je suis
déçu. Je voulais vraiment obtenir ce poste. Après la réunion, quelques
membres qui m’étaient favorables sont venus me dire qu’ils ont voté pour
mon adversaire car ils étaient certains qu’il ne serait pas élu.
Quelques jours plus tard, je prends une marche avec le vainqueur. Ce
dernier me fait part qu’il ne se sent pas tout-à-fait prêt à assumer la
présidence. Je ne prononce aucune parole directe qui aurait pour effet
de l’encourager à conserver ce poste. Au contraire, mon attitude
contribue plutôt à le décourager. Finalement, il décide de démissionner.
En septembre, je serai le président du Cercle missionnaire.
La descente du drapeau
Quatre de mes confrères nationalistes mijotent un coup qu’on n’est pas
habitué à voir dans ces années-là. Sur le toit du bureau de poste de
Rimouski, trône le Red Ensign britannique. Ce drapeau qui n’a jamais été
officiellement adopté par le Parlement du Canada montre l’Union Jack et
les armoiries du Canada. Il flotte sur les édifices gouvernementaux du
Canada depuis 1945.
Le coup consiste à aller décrocher le drapeau pour montrer l’émergence
du Québec dans le Canada et le souci d’être libéré des symboles
canadiens. Un mercredi après-midi, les confrères concernés montent sur
le toit du bureau de poste sur la rue de la Cathédrale, prennent le
drapeau et l’apportent au Séminaire en toute discrétion.
Je me souviens d’avoir été informé de « ce coup d’état » et de
m’être précipité au bureau de poste. Malheureusement, tout était
terminé.
Le risque est grand, car tous se rappellent qu’en juin 1957 un finissant
avait été congédié pour avoir découché. La GRC fait enquête. Ils
retrouvent le drapeau et le confisquent ; mais ils ne portent aucune
accusation. Il est probable que les dirigeants du Séminaire ont informé
la GRC qu’ils règleraient eux-mêmes le problème. Le cas de ces élèves
s’est sûrement rendu jusqu’au Supérieur. Peut-on penser que le chanoine
Alphonse Fortin, un éminent nationaliste et un disciple du chanoine
Lionel Groulx, ait eu son mot à dire ? Il était alors
assistant-supérieur.
Toujours est-il que les élèves concernés n’ont pas été punis, pas même
une réprimande. C’était là une façon tacite de montrer l’accord des
autorités avec le but poursuivi.
Juin 1960. Résultats scolaires
Le
15 mai, les cours se terminent. Nous avons à peu près trois semaines
pour nous préparer aux examens du baccalauréat de l’université Laval. À
part les récréations et les repas, je passe tout le temps dans ma
chambre à réviser mes notes et à apprendre par cœur des notions que je
crois susceptibles de faire partie des examens.
Pour l’année, je me classe 4e sur 34 élèves. J’obtiens le
deuxième accessit d’excellence et de mathématiques. Aux examens
universitaires, mes résultats sont :
Apologétique : 16,6 sur 20
Chimie : 14,2 sur 20
Grand total : 41,5 sur 55, soit 75 %
L’homme à la valise
Le
20 juin, je prends le train pour me rendre au Camp-école Trois-Saumons
pour un stage d’une semaine de formation de moniteurs. Comme bagage
principal, j’ai ma grosse valise que je n’ai pas défait au retour des
classes. Lorsque je débarque du train à Saint-Jean-Port-Joli, les
employés du chemin de fer qui s’occupent des bagages me rappellent que
Québec est en période électorale. En effet, tout en travaillant, ils
crient à tue-tête : « Il faut que ça change », le slogan du parti
libéral.
Je téléphone au camp pour avoir une voiture.
J’ai une surprise parce que c’est le directeur du camp lui-même, l’abbé
Raoul Cloutier, qui vient me chercher. Quand il voit ma valise, il me
demande si j’avais prévu un long séjour au camp. Je sens son ironie. Je
réalise trop tard que je viens de faire une gaffe.
Normalement, en arrivant au camp, j’aurais pu
me rendre à pied à pied dans le campement qui m’était assigné. Il a
fallu que l’abbé Cloutier vienne m’y reconduire en voiture. Il n’était
pas très content.
Notre camp qui fait office de dortoir
accueille une douzaine de futurs moniteurs. Je place ma valise au pied
de mon lit. Quand un nouvel arrivé entre, il regarde ma valise. Il m’est
arrivé d’entendre chuchoter mes compagnons de nuit en me désignant comme
l’homme à la valise.
Cela assombrit quelque peu mon séjour d’une
semaine au camp. Mais, le tout revient à la normale après un jour ou
deux. Mon plus gros problème c’est que je n’ai aucune idée de ce qu’est
le camp Cap-à-l’Orignal. Je regrette de ne pas avoir, au moins, relu
l’article de la Vie écolière. Quand on me questionne sur les
bâtisses, les activités du camp et le nombre de campeurs, je ne peux que
répondre évasivement.
Changement de régime
Pendant ce temps, à Saint-Mathieu-de-Rioux, des journaliers s’affairent
à élargir la route du rang 5. Ce faisant, les cerisiers du nord dans le
jardin familial sont éradiqués. Les travaux sous la direction de l’oncle
Georges Théberge, un bleu, vont bon train.
Toutefois, Jean Lesage est élu. Changement de gouvernement oblige,
l’oncle Georges est congédié et remplacé par un rouge.
Juillet 1960. Au Camp Cap-à-l’Orignal
Le
3 juillet 1960 en après-midi, le taxi Paul Lafontaine vient me
reconduire au camp Cap-à-l’Orignal pour un contrat de six semaines. Je
me dirige vraiment vers l’inconnu. L’abbé Lamontagne, le directeur du
camp, me reçoit avec beaucoup d’égards. Je fais connaissance avec la
vingtaine de moniteurs seniors et la dizaine de moniteurs juniors. Ces
derniers sont des scouts du Séminaire dont l’âge varie de 13 à 16 ans.
Parmi ce groupe, il y a un neveu de l’abbé Lamontagne qui tutoie son
oncle. Cela me fait bizarre, alors qu’on est à l’époque du vouvoiement
gros comme le bras.
Les moniteurs juniors font principalement des tâches d’entretien.
Toutefois, quand une responsabilité de supervision leur est confiée,
certains agissent comme étant investis d’une mission supérieure et
entrent en conflit avec les campeurs surtout les plus âgés. Comme
moniteur senior, il nous incombe de prévenir et de régler ces conflits.
Au
souper, dans la cafétéria, je fais connaissance avec les campeurs dont
l’âge varie de 8 à 15 ans. Ils sont près de 120, une bonne partie pour
six semaines, une autre partie pour quatre semaines et une dernière
partie pour deux semaines. Dès le premier jour, l’abbé Lamontagne est
capable de nommer tous les campeurs par leur petit nom. Il faut dire que
certains jeunes sont des anciens. Pour les autres, le directeur a
lui-même fait les admissions ou connaît très bien les parents.
Les premiers jours sont difficiles pour moi parce que je n’ai pas de
tâche précise. Je me donne donc comme mission d’assurer la surveillance
et la sécurité des campeurs, surtout les nouveaux, partout sur le
terrain.
Chaque soir, vers 21 h 30, les moniteurs sont invités à fraterniser à la
cafétéria où on nous offre de la « picerine », un jus-maison, et des
biscuits.
Mon rôle
d’infirmier
Après quelques jours, le directeur du camp me confie entre autres la
tâche d’assistant-infirmier. Je n’ai aucune connaissance spéciale et
aucune expérience dans ce domaine. À ce titre, je suis amené à passer la
moppe. Il s’agit de placer une
palette sur la langue et de gargariser la gorge au moyen d’une tige
d’ouate empreinte d’un sirop rosâtre. J’avais été, à plusieurs
occasions, bénéficiaire de cette intervention au Séminaire de Rimouski
de la part de l’infirmier, l’abbé Gérard Plourde.
Le
hic de l’affaire à la colonie de vacances, c’est que l’infirmier en
chef, Robert Rioux, est aussi commissionnaire. Il est donc sur la route
du lundi au vendredi pendant le jour. Je dois donc être disponible
pendant ces périodes. Un après-midi, je suis demandé à l’infirmerie. Un
campeur est là avec une coupure sérieuse dans les cheveux en avant de la
tête. Il a été frappé par une planche à la piscine. Évidemment, il
saigne abondamment. Or, je suis incapable de voir du sang : cela peut
même me mener à une perte de connaissance.
Je
n’ai pas le choix. Je dois agir. Dans le feu de l’action, la vue du sang
me laisse indifférent. Je nettoie la plaie avec beaucoup d’attention et
en prenant mon temps. Ayant été mis au courant de ce fait, le directeur
du camp fait venir le soir même une infirmière de Rimouski qui est
officiellement la responsable de la santé des campeurs. Elle examine la
plaie et conclut que le travail a été bien fait. Je suis soulagé.
Un
autre cas lourd m’arrive un peu plus tard. Il s’agit d’un campeur qui
fait une crise ressemblant à de l’épilepsie. Évidemment, je n’ai pas les
connaissances et les outils pour intervenir. Je me contente de
l’accompagner. Je m’assoie avec lui sur un lit de l’infirmerie et je lui
parle longuement. Au bout d’une trentaine de minutes, il regarde sa
montre et me dit : « Il me reste encore 15 minutes ». Je me mets à
douter de l’authenticité de sa crise ; mais j’agis comme si elle était
réelle. Après un questionnement serré, il m’avoue être victime d’une
telle crise de temps à autre. Je comprends alors que ce n’est pas un
caprice. À un moment donné, il me dit : « Il me reste encore cinq
minutes ». Ce qui s’avère. Le tout se termine bien, mais les parents
sont avertis de venir chercher leur fils.
Jeux de nuit
D’habitude, les campeurs se couchent vers 9 heures 30. De temps à autre,
quand la température le permet, le coucher est retardé pour faire place
à un jeu de nuit.
Le jeu de nuit le plus populaire est celui des
bootleggers. C’est un terme américain pour désigner les
contrebandiers qui faisaient le commerce illicite d’alcool sur le
territoire québécois pendant la prohibition aux États-Unis.
Pour faire revivre l’époque de la prohibition, on divise les campeurs en
deux groupes. Les plus jeunes sont les contrebandiers et les plus vieux
les gendarmes. À la tombée de la nuit, on réunit tous les campeurs dans
le terrain en bas de la côte. On donne à chaque contrebandier une
bouteille de liqueur. Au signal donné, ceux-ci vont se cacher en haut de
la côte ou ailleurs. Certains, parmi les plus jeunes des contrebandiers
ne comprennent pas très bien le sens du jeu. Il faut non seulement leur
expliquer abondamment, mais les accompagner dans leur cachette.
À un autre signal, quand les contrebandiers ont eu amplement le temps de se
cacher, les plus vieux doivent partir à leur recherche. Tous les
moniteurs sont présents pour éviter les tricheries et les intimidations.
Quand un gendarme découvre un contrebandier, il a le droit de confisquer
sa bouteille. Il faut parfois consoler les plus jeunes pour avoir perdu
leur liqueur lorsque les larmes coulent abondamment.
Les gendarmes qui réussissent à s’emparer d’une bouteille doivent cesser
l’activité ; mais ils sont fiers de leur trophée. Les contrebandiers qui
ont réussi à déjouer les gardiens de la paix peuvent boire leur précieux
liquide à la santé des moniteurs et de leurs pourchasseurs. Ils sont
surtout heureux d’avoir déjoué les plus grands.
Combats de moulée
Quand j’étais jeune, mon
père, étant cultivateur, achetait de la moulée pour les vaches. Au Camp
Cap-à-l’Orignal, la première fois que je vois arriver le commissionnaire
avec des poches de moulée, je demande au directeur qui était à vérifier
les biens achetés pourquoi il avait commandé cette marchandise. Il me
répond en riant : « C’est pour nourrir les campeurs. » Sur le coup, je
suis froissé. Il me donne rapidement la raison. « C’est pour des combats
de moulée. »
Lorsqu’un tel combat est prévu, nous
remplissons des petits sacs en papier d’une poignée de moulée. Comme les
combats sont souvent précédés d’une course au trésor, nous allons dans
un boisé situé sur la terre d’Arsène Michaud au sud de la chapelle. Nous
cachons des papiers contenant des questions de sciences naturelles.
Celui qui trouve le papier doit répondre à la question.
Le combat de moulée est le point
culminant de l’activité. Nous formons deux équipes de campeurs. Nous
distribuons à chacun cinq ou six sacs de moulée. Les campeurs doivent
s’éloigner temporairement du centre de distribution. Quand le signal est
donné, ils lancent un à un les sacs sur leurs adversaires. Quand un
joueur est touché, il est éliminé et doit donner le reste de ses sacs à
un équipier. Un campeur a le droit de ramasser les sacs par terre et
ceux-ci peuvent être utilisés s’ils contiennent suffisamment de moulée
pour atteindre une cible.
À cette occasion, nous sommes trois ou
quatre moniteurs pour surveiller. Car, même si c’est catégoriquement
interdit, des campeurs ont parfois la tentation de mettre une petite
roche ou un bout de bois dans le sac et de le lancer. Si cela arrive, le
fautif est exclu du jeu.
Il y a aussi des combats de moulée sur
l’eau. Les jeunes embarquent dans deux chaloupes conduites par des
moniteurs. Les embarcations s’éloignent du rivage à une distance où
l’eau est encore peu profonde. Au signal, le lancement s’effectue. Il
arrive alors que des jeunes tombent à l’eau. Dans cette version marine,
les campeurs ont le droit de tremper le sac dans l’eau : ce qui permet
d’atteindre la cible avec plus justesse et de puissance.
Les campeurs adorent ces activités et
ils en redemandent. À ma connaissance, il n’y eut jamais d’accidents
graves si ce n’est de la moulée dans les yeux.
Excursion à
l’Île-aux-Amours
Quand la température est favorable, l’abbé
Lamontagne annonce des excursions. Pour prendre en charge un groupe de
randonneurs, il s’agit de se porter volontaire. Chaque excursion est
sous la supervision d’un moniteur senior et d’un junior.
Un jour, avec l’accord de l’abbé Lamontagne,
j’indique mon intérêt pour une excursion à l’Île-aux-Amours qui fait
aujourd’hui partie du Parc du Bic. C’est une charmante petite île située
à environ 200 mètres du rivage dans l’Anse à Doucet. À partir du camp,
il faut parcourir autour de deux kilomètres. Une douzaine de campeurs de
8 et 9 ans accepte de participer à la randonnée.
Aussitôt le déjeuner terminé, c’est la
confection des sandwiches. Puis, assisté d’un moniteur junior, je pars
avec les jeunes. Nous suivons un sentier qui avait été tracé pour les
véhicules de ferme. En route, j’en profite pour indiquer aux campeurs le
nom des plantes et des arbres que nous rencontrons.
Nous traversons facilement sur l’île parce que
la marée est basse. Après une séance d’animation, nous dînons. Puis
c’est une autre séance d’animation et une sieste pour les campeurs.
Vers 13 heures 30, la marée commence à monter.
Nous rejoignons la terre ferme. Normalement, nous sommes censés revenir
au camp par le même versant que pour l’aller. Le moniteur junior me
propose d’emprunter le rivage du fleuve Saint-Laurent : ce que j’accepte
d’emblée. Mon manque de connaissance des marées me joue un vilain tour.
Tout en prenant notre temps, nous contournons
une immense anse. L’expédition avance lentement car les jeunes trouvent
sur le rivage des coquilles ou des roches qu’ils mettent dans leurs
poches en vue de les collectionner. Ils trouvent aussi des oursins de
mer qui les mystifient.
Quand nous aboutissons sur le rivage du
fleuve, la marée est devenue suffisamment haute pour recouvrir la partie
sablonneuse. Il faut avancer en marchant sur les nombreux rochers.
Parfois, aucun campeur de cet âge n’est capable de passer d’un rocher à
l’autre, soit que la pente est trop prononcée, soit que la distance
entre deux rochers est trop grande pour eux. Dans d’autres cas, les plus
petits ou les moins habiles sont incapables seuls de sauter d’un rocher
à l’autre.
Au début, le moniteur junior qui est en tête
attend la cohorte. De temps à autre, on s’arrête pour le comptage. Mais,
à un moment donné, la fatigue aidant et oubliant son rôle de
responsable, le junior cesse de nous attendre et continue son chemin
avec les jeunes les plus robustes. Pendant ce temps, je dois m’occuper
des trois ou quatre retardataires. L’un d’eux est tellement épuisé que
je dois le porter dans mes bras. Normalement, nous devions être de
retour vers 15 heures 30. Quand nous atteignons la rive sablonneuse à
environ 300 mètres du camp, je suis seul avec les retardataires. Je ne
sais pas combien sont rendus au camp. J’ai peur d’en avoir perdu. Au
camp, le haut-parleur nous interpelle, mais il n’existe aucun moyen de
communication. L’abbé Lamontagne est vraiment inquiet.
Finalement, j’arrive avec les derniers
campeurs vers 17 heures. Je suis épuisé. Mais ce qui m’angoisse au plus
haut point, c’est que je n’avais pas été assez vigilant pour conserver
la cohésion du groupe. Dans une excursion de ce genre, une règle d’or,
c’est de s’arrêter de temps à autre pour un comptage, et ce jusqu’à la
destination finale. Dans la dernière partie du trajet, j’avais été dans
l’impossibilité de respecter cette règle. Cela aurait pu provoquer des
conséquences fâcheuses. Une autre leçon que je tire de cette expérience,
c’est que je n’ai plus jamais accepté, les yeux fermés, les propositions
d’un moniteur junior. J’ai vieilli de plusieurs mois à cause de cette
expérience.
C’est la première excursion de ma vie que je
dirige. Mais ce n’est pas ma dernière. Au contraire, j’ai appris de mes
erreurs.
Cachette des
contrebandiers
Une semaine plus tard, j’explore un nouveau territoire. Avec une dizaine
de campeurs et un moniteur junior, je pars en excursion pour faire le
tour du mont Cap-à-l’Orignal où on peut voir une cachette des
contrebandiers.
Après avoir traversé la ferme ancestrale Rioux, on peut atteindre le
versant nord du cap. Le clou de l’excursion est de faire visiter aux
campeurs le caveau qui a été érigé entre 1919 et 1933. C’était alors la
période de la prohibition de la vente des boissons alcoolisées aux
États-Unis. On raconte alors aux campeurs, d’après ce qui circulait à
l’époque, que l’alcool était fabriqué aux Îles Saint-Pierre-et-Miquelon
et que des bateaux transportaient les caisses d’alcool de contrebande
jusqu’à ce caveau situé, à travers les arbres, à environ 100 pieds de la
rive sur le versant sud du massif rocheux.
Comme la circulation sur le fleuve Saint-Laurent était contrôlée,
d’autres bateaux conduits par des pilotes ayant leur permis d’y naviguer
venaient chercher les cargaisons d’alcool et les transportaient vers le
port de Montréal, et de là à New York.
Le
caveau lui-même n’a rien d’extraordinaire. Son entrée est presque
invisible. Il y a un large trou dans la terre recouvert d’une structure
de bois formant une voûte à peu près au ras du sol. Mais ce qui est
intéressant, c’est de raconter aux campeurs un pan d’histoire qui, au
début des années 1960, est relativement récente. Bien sûr, les campeurs
en profitent pour poser des questions sur ce qu’était la prohibition.
J’insiste peu sur le fait que l’application de cette loi avait été un
échec et qu’elle avait réussi à enrichir des criminels comme Al Capone.
Retour à la maison
Après six semaines de travail, sauf un congé de trois jours, quand le
camp ferme ses portes, je suis épuisé. À mon arrivée à la maison,
j’informe ma mère que je ne pourrai pas participer aux travaux de la
ferme. Je fais une visite à un médecin de Trois-Pistoles qui me prescrit
du repos.
7 septembre
1960. Rentrée scolaire
C’est ma 14e rentrée scolaire. Deuxième année dans le
Pavillon de philosophie. Enfin, nous sommes finissants. Après sept
longues années de labeur, de succès ou d’insuccès, nous voici à la
dernière étape de notre cours classique. Nous savons qu’en septembre
prochain, nous serons tous ailleurs.
Être finissant signifie être le sujet de regards tendres de la part des
400 à 500 élèves qui attendent leur tour. C’est se faire traiter de
chanceux. C’est jouir d’un prestige sans pareil. C’est n’avoir pas de
défauts, que des qualités. C’est être capable de
faire trembler les
colonnes de la salle de la cafétéria. Bref, c’est appartenir à une caste particulière.
Jusqu’à l’ouverture du
pavillon de philosophie, les membres de cette caste exerçaient des
fonctions variées : servir les messes des prêtres, donner les ustensiles
à la cafétéria, servir au réfectoire des prêtres, gérer la cantine,
distribuer les articles de sport, être présidents d’associations ou
d’organisme internes, et pour leur doyen sonner les cloches tout au long
de la journée. En retour des services, les autorités leur concédaient
des privilèges.
Les finissants
actuels, ayant peu de contacts avec les élèves de la Grande salle,
n’exercent plus ou si peu de fonctions auprès de la communauté. Personne
ne dit mot car le fait d’avoir une chambre individuelle et un règlement
fort assoupli comble amplement pour cette perte.
Nous sommes 61 élèves. Les professeurs de Philosophie 2e
année (Collégial III) sont les abbés : Grégoire Bélanger en
mathématiques, Pascal Parent en métaphysique et histoire de la
philosophie, Gilles Beauchemin en physique, Jean-Paul Bérubé en religion
et morale.
La
fatigue que j’avais accumulée au camp tarde à disparaître. À chaque jour
du mois de septembre, je prends une sieste avant le souper au lieu
d’étudier. Au début d’octobre, je reviens à ma forme normale, mais je ne
peux pas rattraper complètement mon retard.
Novembre 1960. Décès de grand-père Théberge
En
arrivant chez mes parents pour le congé de la Toussaint, ma mère
m’apprend que son père a été hospitalisé au Sanatorium de Mont-Joli.
Depuis sept ou huit ans, il est confus par périodes.
À l’âge de 78 ans, grand-père Théberge décède. Il est inhumé dans le
cimetière de Saint-Mathieu le 3 novembre. Six petits-fils dont je suis
portent son cercueil.
Voici ce que
ma mère a écrit dans son journal personnel :
« Mon père est décédé le 31 octobre 1960 au Sanatorium de
Mont-Joli. Comme il avait perdu la mémoire, nous les enfants avons
décidé de le faire soigner. Après quelques jours d’hospitalisation, il
est tombé dans le coma. Nous étions tous au chevet de son lit le 25
octobre, mais il dormait et il ne s’est pas aperçu de nous. Nous
l’aimions bien notre cher Papa. C’est un grand vide dans sa maison. Il
nous accueillait toujours les bras ouverts. Mes enfants, c’est votre
mère qui a écrit cela en 1964. »
Décembre 1960. Un deuil éprouvant
J’apprends avec stupeur que l’abbé Simon Amiot, un de mes professeurs
d’anglais pendant trois ans, est décédé subitement d’une crise cardiaque
le 13 décembre. C’est la consternation générale au Séminaire autant chez
les prêtres que chez les élèves. Cet homme aimé de tous et qui n’a que
44 ans s’est affaissé dans sa chambre sous les yeux d’un de mes
confrères qui a alerté immédiatement les autorités. On lui a administré
l’extrême-onction, mais à l’arrivée du médecin, il avait déjà quitté ce
monde.
Étant incapable de me concentrer pendant un cours, j’écris alors un
court poème dont le titre est Marteau. Le voici :
La vie frappe comme marteau.
Décès, cimetières, deuils forgent trame.
L’enclume si solide finit par choir sous pression.
Elle éclate en mille miettes.
Elle emplit les yeux des geignards.
Elle entoure affectueusement le cadavre traqué.
Elle vole de ses ailes de plomb vers des tranchées
plus cadavéreuses.
L’enclume est si pesante qu’elle s’écrase au centre
du quartier alerté.
Le marteau frappe.
Naïvement la vie jette un coup d’œil et s’éteint.
Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 2045,68.
Janvier 1961. Retraite des vocations
Une autre retraite de sept jours en silence, une retraite dite de
vocations, commence. Celle-ci s’avère plus comme une distraction. Le bon
Père prêcheur ne cesse de faire des blagues et aborde les sujets sérieux
avec une certaine insouciance. On rit et on rit, mais le problème reste
entier. Il faut que je me décide si je veux vraiment m’inscrire au Grand
Séminaire pour l’an prochain.
Nous sommes le vendredi. Depuis dimanche, la retraite est commencée et
je ne suis pas encore décidé. J’invoque les saints du ciel de me
souffler la réponse pour que je puisse vivre en paix.
Ce vendredi, vers 15 heures, je suis assis dans la chaise berçante de ma
chambre. Je m’endors en méditant. Soudain, une lumière apparaît. Suit un
homme en robe blanche. Je le reconnais, c’est Jésus. Il me regarde avec
affection. Il me dit : « M’aimes-tu ? ». Je réponds oui avec
enthousiasme. Il continue : « Si tu m’aimes, viens et suis-moi. » Je me
réveille sans avoir le temps de répondre. Ma décision est prise. Je
serai prêtre un jour. Je prendrai le ruban blanc, celui du sacerdoce.
Je me dirige à la chapelle pour officialiser ma décision. Je vois là en
prière un de mes professeurs qui semblent être dans un état de remise en
question. Je me dis que c’est peut-être une intervention du démon pour
me faire changer d’idée. Je ne bronche pas.
Mars 1961. Ma seule partie de hockey jouée
Il y a une tradition au Séminaire. À la fin de chaque hiver, les
finissants (autour de 20 ans) doivent jouer une partie de hockey contre
une équipe d’Éléments-Latins (autour de 13 ans), soit les plus jeunes.
Évidemment, les finissants doivent présenter une équipe comportant les
moins habiles. Je fus un des premiers choisis pour faire partie de cette
équipe, peut-être un juste retour du balancier pour les fois où j’avais
été choisi le dernier.
Un de mes confrères, un expert dans ce sport, m’approche pour m’offrir
tout son attirail. C’est avec une sensation hors de l’ordinaire que,
avec l’aide de ce confrère, je pose les épaulettes et tous les autres
objets de protection. Il me semble que ce confrère m’aide à me
transformer en joueur de hockey.
Ayant peu patiné dans le passé, mon problème consiste à me déplacer sur
la glace. Je suis assigné à la défense. Je fais de mon mieux, mais je ne
peux pas arrêter les jeunes joueurs qui me contournent sans trop
d’efforts. Nous perdons la partie, mais c’est une expérience spéciale
que je suis loin d’avoir oubliée.
Les jeunes étaient fiers de nous avoir battus. À cause de notre piètre
performance, mes confrères avaient pu rigoler et se moquer gentiment de
nous. Ce qui était le plus rigolo, c’est que nous n’avions pas fait
exprès pour perdre la partie.
Un événement gênant
Il y a parfois des coïncidences qui donnent un sens particulier à un
événement, parfois pour le mieux, parfois pour le pire. Dans ce cas-ci,
c’est l’abbé Pascal Parent qui est en cause et c’est pour le pire. Je
suis malheureusement un acteur de ce pseudo-drame.
La cloche sonne pour le deuxième cours de l’avant-midi. L’abbé Pascal
Parent entre en même temps que les élèves. Je suis derrière lui. Il y a
des poils blancs au dos de sa soutane. J’extirpe doucement un de ces
poils. Les autres élèves qui me suivent rigolent non pas ouvertement
mais de façon à atténuer le rire. Si ce n’était que cela, il n’y aurait
pas d’événement.
Il y avait sur le
bureau du professeur,
un document
d’environ 8 pages qui avait été produit par Richard Joly, conseiller en
orientation de l’université de Sherbrooke. À la une, on pouvait lire :
« Es-tu un monstre ? »
Le professeur précédent avait fait des expériences
en électricité. Il avait utilisé ce document et
l’avait laissé là sans
arrière-pensée.
En
prenant sa place derrière le bureau, l’abbé Parent a lu la une et a fait
le lien avec les rires en sourdine. Le visage rougi par la colère, il
s’est mis les deux mains sur le bureau et a dit en substance : « Il
vient de m’arriver un événement hors de l’ordinaire depuis que
j’enseigne. Je ne peux pas croire que des élèves aient pu agir de cette
façon. Je reviendrai en classe quand j’aurai eu des excuses. »
Tout le monde est abasourdi et moi, en plus, je me sens coupable. J’ai
peur des conséquences de mon acte. J’attends d’être demandé au bureau de
l’abbé Parent qui est aussi le directeur des élèves. Mais cela ne se
produit pas. Finalement, voyant que le professeur ne revient pas en
classe, le président de notre cohorte va le rencontrer. L’abbé Parent
comprend vite qu’il n’y a eu aucune intention malveillante des acteurs
de ce drame. Il revient en classe au bout de trois jours.
Sauvé par la cloche
J’avais déjà entendu maintes fois l’expression « sauvé par la cloche »,
soit dans le sens où un événement externe imprévu nous permet de nous
sortir d’une situation problématique. Lors d’un cours de mathématiques,
j’ai entendu l’expression au sens propre.
On est presqu’à la fin du cours. Je fais une remarque assez forte pour
que mon voisin d’en arrière l’entende. Il se met alors à rigoler. Le
professeur n’apprécie pas son attitude et l’interpelle, lui demandant de
venir terminer le problème qu’il est en train de résoudre au tableau
noir.
Mon confrère pose sa craie sur le tableau, mais il a perdu le fil de la
solution et hésite avant d’écrire quoi que ce soit. Au même instant, la
cloche sonne. Et le professeur, sourire en coin, de dire : « Sauvé par
la cloche. »
Avril 1961. Un film honni
Cette année-là, je fais partie d’un organisme
récemment créé dont les membres sont les présidents des différentes
associations culturelles et sportives de la maison. Lors d’une
réunion, il est proposé que chaque association organise une activité
spéciale pour tous les élèves. Étant président du cercle
missionnaire, j’énonce le projet de présenter un film payant à la
salle académique. En même temps, je veux amasser un petit pécule
pour donner à la société des Missions-Étrangères. Le projet est
accepté avec enthousiasme.
Je vais consulter l’aumônier du cercle au sujet de
mon projet. Il se dit totalement en désaccord. Je décide quand même
de le réaliser.
Je vais voir l’abbé qui est responsable de
l’audio-visuel. Je lui demande de me suggérer un film à saveur
missionnaire. Il sort son gros catalogue et pointe le titre d’un
film dont j’ai oublié le titre. Il me dit : « Je m’occupe de tout.
Ce film sera présenté à tous les élèves à la salle académique un
samedi après-midi. » Évidemment, je dois absorber le coût de la
location. Je fais de rapides calculs. Le prix d’entrée serait de 15
sous pour les élèves de la Petite salle et de 25 sous pour les
élèves de la Grande salle et du Pavillon de philosophie. Je pense
avoir une recette d’au moins 40 dollars.
Mes confrères du Pavillon de philosophie ne sont pas très
enthousiastes à l’idée d’aller voir un film missionnaire alors
qu’ils peuvent sortir en ville à volonté. Je compte sur les élèves
de la Grande salle et surtout sur ceux de la Petite salle.
Une demi-heure avant que la projection du long métrage, j’entends
dire que le film est interdit aux élèves de la Petite salle parce
que jugé non conforme aux bonnes mœurs. Comme l’action se déroule
sur une île habitée par des autochtones, il y avait des scènes où on
voit des torses nus.
Je suis abasourdi. Je suis certain de faire un déficit car, à la
Petite salle, il y avait environ 200 pensionnaires. Certains
confrères du Pavillon devant cette situation changent leur plan et
se présentent en plus grand nombre que prévu à la représentation.
Avant la projection, le responsable de l’audio-visuel monte sur
scène et fait de nombreuses mises en garde. Je suis assis sur mon
siège et ne cesse d’être étonné de la tournure des événements, étant
donné que ce n’est pas moi qui avait choisi le film mais bien lui.
Je me pince pour être bien certain de ce que j’entends.
Quand la caisse est comptée, le profit s’élève à huit dollars et
quelques sous. J’ai alors un double problème. D’abord, je trouve que
le montant est insuffisant pour faire un don aux
Missions-Étrangères. De plus, je me souviens avoir été à l’encontre
de l’avis de l’aumônier.
Je me rends au bureau du chanoine Raoul Thibault que je considère
toujours comme mon directeur spirituel même si je ne vais presque
jamais le voir. Je lui demande conseil. Il me dit : « Cher élève,
prends l’argent ; mets-le dans la caisse de ton cercle missionnaire.
Ainsi, vous pourrez continuer à fabriquer des chapelets pour les
missions. » C’est ce que je fis. J’étais soulagé.
La messe
Comme on se place toujours au même endroit lors des cérémonies à la
chapelle, je m’aperçois que quelques-uns de mes confrères
s’absentent de la messe hebdomadaire de temps à autre. Sans doute
que le directeur n’a pas encore remarqué ce qui se passe, car il est
occupé à dire la messe. Un bon matin où je fais la grasse matinée,
vers 7 h 15 quelqu’un cogne à ma porte. Des sueurs froides me
parcourent le corps. Je le sais. Il est interdit d’entrer dans la
chambre d’un confrère.
Je me lève. Je m’avance vers le carreau. J’y vois la figure du
directeur qui me regarde et ne dit aucun mot. Aussitôt qu’il est
parti, je crains une punition quoique cette étrange apparition en
est déjà une. Il n’y a pas eu de conséquence, mais je ne me suis
plus absenté de la messe par la suite.
La cabane à sucre
La dernière année d’études au Séminaire tire à sa fin. Il faut bien
se distraire un peu. On va là où il y a de la tire. C’est ainsi que
les 61 élèves de ma classe se rendent à une cabane à sucre à
Saint-Fabien le 19 avril.
On s’y rend en autobus. Un traîneau à cheval nous attend près de la
route 132. Ce sont nos professeurs qui y montent. Nous parcourons à
peu près un kilomètre dans une neige moulante.
La journée se passe trop rapidement à se lancer des ballons, à
manger les mets québécois typiquement d’une cabane à sucre et
surtout à déguster la tire sur neige.
Ruban blanc
Au début d’avril, j’écris à mes parents pour leur « chuchoter à
l’oreille le choix de mon futur état de vie ». Voici un extrait de
cette lettre :
« Puisque vous avez été les premiers à me guider, à
me conseiller, à m’orienter, vous méritez d’être les premiers à
connaître cette décision qui m’est si chère. J’ai donc opté en toute
confiance pour la vie sacerdotale. Prêtre, j’ai choisi d’être ;
prêtre, je serai plus tard. Si je me suis lancé dans cette voie sans
crainte, c’est que je suis toujours assuré de vos prières ferventes
et de votre constante générosité. Pour ma part, je ne mérite pas
d’être appelé à servir Dieu en gravissant les marches de son autel,
mais vous l’avez mérité pour moi. »
Le 23 avril, ma mère et certains membres de ma fratrie assistent à
la prise de rubans à la salle académique du Séminaire. Je me
présente sur la scène avec un ruban blanc. Ma mère est très fière.
Mon père est absent.
Mai 1961. Jeux olympiques
Chaque année, la Grande salle organise des jeux olympiques. Ceux-ci
ont lieu lors d’un après-midi d’un congé spécial. La présidence des
jeux est attribuée aux finissants. Comme ma réputation de fort en
mathématiques est établie, on me demande d’agir à titre de
statisticien. J’accepte avec bonheur. Je passe l’après-midi juché
sur le toit du préau à enregistrer les résultats et, parfois micro
en main, à annoncer des résultats d’épreuves sportives de même que
des records lorsque cela se produit.
Cercle missionnaire
Pour terminer les activités du cercle missionnaire en beauté,
j’organise un petit spectacle pour tous les membres. Entre autres,
un chœur interprète une chanson que j’ai composée sur l’air de
L’eau vive de Guy Béart. Le refrain est :
« Dévouons-nous pour les missions
avec beaucoup de zèle.
À son immense moisson,
c’est Dieu qui nous appelle. »
De
plus, trois jeunes acteurs présentent une saynète que j’ai composée
et dans laquelle il est précisé pourquoi on doit adhérer au cercle
missionnaire. L’aumônier est très fier de ce spectacle.
Examens universitaires
Comme pour l’année précédente, les cours se terminent vers le 15
mai. Je prends très au sérieux cette période de préparation aux
examens universitaires. Non seulement je veux obtenir mon
baccalauréat, la raison de tous mes efforts depuis huit ans, mais je
veux avoir les meilleures notes qu’il est possible. « Pourquoi pas
80 %, me dis-je ? »
Comme ma réputation en mathématiques est faite, de temps à autre,
des confrères viennent cogner à ma porte pour qu’on aille dans la
classe voisine et que je leur explique comment résoudre un problème.
C’est une tâche que j’aime bien. Le temps nécessaire aux
explications est variable. Un jour, un des premiers de classe
demande mon aide. Je dis une phrase. Il rétorque : « J’ai compris. »
J’étais légèrement frustré.
Toutefois, le temps file rapidement et j’ai l’impression que je ne
pourrai pas accomplir toutes les tâches que j’avais planifiées. À
regret, je mets cette note dans la vitre de ma porte : « Prière de
ne pas déranger ». Malgré tout, quelques confrères insistent.
Juin 1961. Fin de la fin
Dernière journée comme étudiant au Séminaire de Rimouski. C’est le
déchirement final, la transition vers une autre vie. Après le
déjeuner, nous nous donnons la main et nous nous souhaitons, la voix
enrouée, de nous revoir le plus tôt possible. C’est l’examen de
mathématiques qui nous attend, examen redoutable pour plusieurs.
L’examen comporte six problèmes qu’il faut résoudre. Nous avons
trois heures pour le faire. Ce sont donc des problèmes assez
costauds qui exigent des connaissances acquises au cours des deux
dernières années. Dans la première heure, je réussis quatre
problèmes. Je rédige les solutions avec le plus de clarté possible.
Je les vérifie. Je suis certain que mes solutions sont bonnes.
Il
me reste deux problèmes que, dès le départ, j’avais mis de côté car
ils me semblaient coriaces. Cela me prend environ 45 minutes pour
résoudre le cinquième problème et une heure pour le sixième. Je
quitte le local d’examens tout heureux. Je suis certain d’avoir 20
sur 20 et ce fut le cas.
Je
passe par le salon des étudiants. Il n’y a plus personne. Je suis
vraiment éberlué et déçu. Dans ma tête, je m’étais imaginé à tort
que certains confrères attendraient pour un dernier adieu.
Résultats scolaires
Pour l’année, je me suis classé 22e sur 61 étudiants.
Voici mes notes des examens universitaires de fin d’année y compris
celles de l’année précédente :
Apologétique : 16,6 sur 20
Logique et philosophie : 10,7 sur 15
Chimie : 14,2 sur 20
Dissertation : 14 sur 20
Morale et métaphysique : 22,3 sur 25
Physique : 14,3 sur 20
Mathématiques : 20 sur 20
Total : 112,1 sur 140, soit 80 %
En
Rhétorique, j’ai obtenu un peu plus de 70 %. Cela me donne la mention
« magna cum laude » ou avec grande distinction. Si j’avais eu quelques
points de moins dans un examen, j’aurais plutôt eu la mention « cum
laude ».
Session de formation
À la fin du mois, je retourne parfaire ma
formation au Camp-école Trois-Saumons … sans ma valise. Je peux alors
répondre à toutes les questions sur le Cap-à-l’Orignal. J’obtiens mon
diplôme de moniteur que j’ai conservé précieusement. On peut y lire que
j’ai « complété, selon les exigences requises, les deux sessions de
perfectionnement pour moniteurs. » C’était signé Raoul Cloutier, prêtre,
directeur.
Juillet 1961. Emploi d’été
Je retourne au
camp Cap-à-l’Orignal pour six semaines. En plus d’être encore infirmier
remplaçant, je suis assistant aux sciences naturelles et sacristain. Des
parents demandent au directeur du camp, l’abbé Lamontagne, s’il avait
déjà songé à organiser des cours d’été en mathématiques pendant le camp.
Dans ces cas, l’abbé me les réfère disant que j’ai la bosse des
mathématiques. En particulier, je suis engagé par un juge de Rimouski
pour donner quelques heures de formation à son fils dans cette matière.
Je le fais pendant la sieste des campeurs au début de l’après-midi.
Quelques jours
après le début du camp, un dimanche, je suis demandé à la réception. À
ma grande surprise, j’ai de la visite : trois de mes tantes Jean avec ma
mère. Les tantes sont Rosanne de Montréal, Antoinette et Marguerite de
New-York. Je leur fais visiter le camp dans tous ses détails. Elles
adorent. En comparaison de la vie en ville, c’est la vie en plein air.
La chapelle du
camp a été bâtie en forme de tente. Je les invite à y entrer. Une des
tantes de New-York dit : « Mais je ne peux pas entrer, je n’ai rien sur
la tête. » Elle prend un papier-mouchoir dans sa bourse et le place sur
ses cheveux. Je n’en revenais pas de voir qu’en 1961 la religion
continuait à dicter la conduite de personnes qui, par ailleurs,
semblaient autonomes depuis longtemps.
Dommage que
les tantes ne soient pas venues pour assister à la grand-messe du
dimanche, elles auraient vu un vrai fou diriger le chant d’une main
molle et sans aucun sens de la mesure. Cet énergumène, c’est moi qui
agit à titre de sacristain. Curieusement, personne ne me fait des
remarques sur mon style.
Ce qui est le
plus curieux dans cette situation, c’est que ce jour-là les gens qui
habitaient la quinzaine de chalets à l’entrée du camp venaient entendre
cette messe et sûrement qu’il y avait parmi eux des connaisseurs en
chant et en musique.
Visite à
Rimouski
Un jour, une
dame de Rimouski m’approche et me dit que son fils qui est moniteur au
camp comme moi a échoué son examen universitaire de mathématiques. Elle
me demande si j’accepterais de l’aider à se préparer en vue d’un examen
de reprise. Sachant que j’avais eu 100 % à mon examen, je préparais déjà
les points sur lesquels je pourrais apprécier ses forces et ses
faiblesses.
Quelques jours
plus tard, elle s’amène au camp en après-midi. Elle vient nous chercher.
L’examen de reprise a lieu le lendemain. Je suis un peu intimidé parce
que la dame est infirmière et que son mari est médecin.
Quand j’entre
dans leur somptueuse demeure, je suis ébloui. Je n’avais jamais vu une
maison aussi grande et aussi richement meublée. Au souper, nous sommes
quatre autour de la table. Une cinquième personne nous sert. Je la vois
manger seule dans la cuisine. C’est une situation tout-à-fait
surprenante pour moi. Ils sont deux à la maison et ils ont une servante.
Après le
souper, la dame qui est en contrôle sur son gars de 20 ans nous invite à
rejoindre sa chambre pour revoir les notions de mathématiques
susceptibles de faire partie de l’examen. Évidemment, il doit laisser sa
porte ouverte. Dès l’entrée, il me dit : « Non, je ne veux pas faire
quoi que ce soit en mathématiques. » Je me demande alors pourquoi il a
laissé sa mère faire tout cela s’il ne veut rien savoir.
Nous parlons
alors doucement. De temps à autre, on entend une voix venant d’en bas :
« Comment ça va les gars. » Vers 21 heures, mon confrère demande à sa
mère s’il peut aller prendre une marche. Elle accepte. Je l’accompagne.
Le lendemain avant-midi, le fils se présente à son examen. Dans
l’après-midi, la dame vient nous reconduire au camp.
Quelques
semaines plus tard, la dame revient au camp. Elle tient à me remercier
pour le beau travail que j’ai fait car son fils a réussi son examen. Je
suis resté bouche bée.
Séance
d’hypnose
Lorsque la
température le permet, il y a de temps à autre des soirées autour d’un
feu de camp où les moniteurs font l’animation. Un soir, un de mes
confrères présente aux campeurs une séance d’hypnotisme. Les campeurs en
redemandent.
Le lendemain,
en faisant ma ronde sur le terrain, je vois un jeune de 10 ou 11 ans qui
semble s’ennuyer. Je lui propose de l’endormir. Il accepte avec
empressement. J’utilise les mots de mon confrère qui sont à peu près
comme ceci : « Tu t’endors. Tes paupières sont lourdes. Tes yeux se
ferment. Tu vas dormir. Tes paupières sont lourdes, etc. » En quelques
secondes, le jeune campeur tombe par terre. Je suis abasourdi. Je suis
démuni. Je ne sais pas quoi faire. Je lui donne des tapes douces dans la
figure. Il finit par se relever.
De deux choses
l’une : ou le campeur était facilement influençable ou j’avais un don
pour ce genre d’action. Je ne le saurai jamais. À la suite de cette
expérience, j’ai pris la ferme résolution de ne plus jamais toucher à
l’hypnotisme.
Ascension du
Pic Champlain
Au déjeuner,
l’abbé Lamontagne annonce une
excursion qui s’adresse seulement aux campeurs
de 13 et de 14 ans : c’est l’escalade du
Pic Champlain, une montagne haute de 346 mètres à Saint-Fabien qui est la
plus haute de la région. Je me porte volontaire. Le groupe comprend huit
garçons.
Nous prévoyons une trousse de secours et une grosse corde comme celle qui
sert au souque à la corde. Nous partons du camp vers 10 heures de
l’avant-midi. Nous nous dirigeons vers l’ouest en passant dans le champ
d’Arsène Michaud. Nous marchons au moins deux kilomètres jusqu’à
atteindre des chalets de Saint-Fabien-sur-mer.
Nous choisissons la partie la moins escarpée de la face nord dans une zone
peuplée d’arbres. Le moniteur junior qui m’assiste, un scout d’environ
15 ans, montre aux campeurs comment faire un nœud en toute sécurité.
Dans les zones où il est impossible d’avancer sans l’aide de la corde, un
campeur plus robuste monte le premier et attache la corde à un arbre
idéalement entouré d’un plateau même minuscule permettant aux campeurs
de s’arrêter pour une pause. Je suis derrière. Je vois et j’entends les
roches dégringoler. J’ai peur d’autant plus que je n’ai aucune formation
dans ce genre de randonnée et que je ne peux pas prodiguer des conseils
comme un expert l’aurait fait.
D’un plateau à l’autre, nous gravissons la montagne. Parfois, la face est
très abrupte et la montée est ardue surtout pour certains jeunes. C’est
un ouf général quand nous atteignons le sommet. Aucune blessure, aucune
égratignure. On a alors une vue imprenable sur le fleuve Saint-Laurent
et les alentours. À cet endroit se trouvent des antennes de
communication notamment pour la télévision.
Il faut maintenant surveiller les campeurs
pour qu’ils ne s’approchent pas trop du bord de la falaise parce qu’il
n’y avait pas de belvédère à l’époque. Après un repas aux sandwiches,
certains campeurs font provision de feuilles et de plantes pour leur
collection. En tant que moniteur de sciences naturelles, j’en profite
pour leur indiquer le nom des plantes et des arbres.
Nous sommes revenus par la route, une marche
d’environ trois kilomètres. Ce fut ma première escalade du Pic Champlain
et ma dernière. J’y retournai une autre fois avec des plus jeunes, mais
par la route.
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Chapitre 10. Mon
séjour au Grand Séminaire
Septembre 1961. Entrée au Grand Séminaire
C’est le jour que j’attends depuis longtemps. J’entreprends ma première
année au Grand Séminaire, rue Saint-Jean-Baptiste. Cet édifice accueille
des futurs prêtres depuis près de 20 ans. Nous sommes là pour y étudier
pendant quatre ans. Nous sommes tous pensionnaires même ceux dont les
parents demeurent à Rimouski.
Je
me rends dans un local où on vend des vêtements ecclésiastiques.
J’achète une soutane noire, un col romain et un chapeau de paille noir.
Il faut s’habituer à monter les escaliers sans s’enfarger dans le bas de
la soutane car c’est un vêtement qui s’arrête aux pieds.
On
m’attribue une chambre dans la section sud avec vue sur la cour
intérieure. Comme je suis le plus jeune, il est probable que ma chambre
est la moins bien située.
La
première cérémonie est celle de la prise de soutane. C’est l’abandon de
la vie civile pour revêtir l’habit ecclésiastique qui devient un signe
distinctif du don à Dieu. Les parents sont invités à cette cérémonie,
mais les miens ne viennent pas puisqu’ils n’ont personne pour conduire
la camionnette.
Certains cours sont donnés seulement aux étudiants de première année.
Pour les autres cours, l’organisation est cyclique c’est-à-dire que les
étudiants des quatre années sont regroupés dans une grande salle et que
le cours revient à tous les quatre ans.
Les cours dispensés sont : théologie dogmatique, théologie morale,
écriture sainte, droit canonique, patrologie, histoire de l’Église,
théologie ascétique et mystique, pédagogie catéchistique. Le directeur
est l’abbé Lionel Hudon, le préfet des études l’abbé Robert Lebel et le
procureur l’abbé Paul-Émile Michaud.
Au
réfectoire, les plats sont mis sur les tables et nous nous servons. Nous
sommes quatre par table et nous changeons de partenaires à chaque
semaine. À tour de rôle, nous faisons une lecture pendant le repas. Le
reste du temps, nous pouvons parler, sauf dans des circonstances
spéciales où nous devons manger en silence. De façon générale, la
nourriture est bonne et très diversifiée. Les directeurs et les
professeurs mangent dans la même salle que nous sur une grande table en
avant du réfectoire.
Nouvelles de la famille
Quelques jours après mon entrée au Grand Séminaire, je sens le besoin
d’écrire à mes parents. Voici un extrait de cette lettre :
« Depuis déjà une semaine ce soir, je porte la soutane.
Tranquillement, on s’y habitue. La vie ici est différente de celle que
nous menions au Petit Séminaire de telle sorte que je suis enthousiasmé
par notre mode de vie actuel. Nous sommes en tout 58 séminaristes dont
21 en première année.
J’espère que le tout va aussi bien chez nous. »
Je
reçois une lettre de ma mère datée du 25 septembre. Un peu plus tard, je
lui réponds :
« Ma santé est bonne, même excellente car nous avons la chance de
faire beaucoup de sport : ce qui favorise le travail et la prière. Ici
au Grand Séminaire, je suis le plus jeune et conséquemment c’est moi qui
sonne la cloche tout le long du jour. Je vois que chez nous la vie
continue toujours comme avant. Lise partie, Pierre aussi. Et Raynald et
Urbain ont-ils eu de bons résultats en septembre, sans oublier Lucille
et Huguette ?
J’ai appris à relier des livres. Il en coûte environ 50 sous par
volume. Si vous venez me voir, vous amènerez un livre de messe, je
pourrais l’arranger. »
Pour la reliure, un atelier existe au sous-sol du Grand Séminaire. Il
est équipé de machines modernes. Je prends rapidement goût à cette
activité. Cela me permet de dissiper l’ennui qui s’installe rapidement
dû au fait que je suis pensionnaire et que les sorties en ville sont
permises au seul cas de stricte nécessité. Autant, j’étais heureux comme
pensionnaire au Pavillon de philosophie autant cet état de vie
s’appesantit sur moi à cet endroit.
Je
travaille très fort à relier des livres. Je commence par une série de
revues missionnaires qui m’appartiennent et je les réunis en un seul
volume. L’opération la plus délicate consiste à inscrire le titre et le
nom de l’auteur sur le dos du livre à l’aide d’un composteur et de
minces lamelles d’or. Je pense que mes résultats sont bons car
l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent, me fait relier deux
de ses livres. Par la suite, on m’appelle l’archi-relieur.
Novembre 1961. Apprentissage de la dactylo
Le
directeur du Grand Séminaire nous informe que six dactylos sont placés
derrière la grande salle de cours. Il nous enjoint d’apprendre la
technique de frappe au clavier appelée la méthode La Salle. Il nous
nomme un tuteur qui doit superviser l’évolution de notre apprentissage.
Il semble bien que mon tuteur soit peu intéressé à visualiser mes
progrès. Il se présente seulement pour la première leçon. Je suis la
méthode le mieux possible. Quand j’arrive à la rangée des nombres,
j’abandonne.
Décembre 1961. Vacances en famille
Je reviens chez mes parents pour les vacances de Noël. Mes frères et mes
sœurs sont éberlués de me voir en soutane. Ma mère est contente. Mon
père ne manifeste rien de spécial. J’enlève rapidement ce costume.
Pour les cérémonies religieuses à l’église de Saint-Mathieu, on m’a
préparé un prie-Dieu dans le chœur près de l’autel. Dans la procession
d’ouverture, j’entre derrière les enfants de chœur et en avant du curé.
Je sais que tout le monde me regarde et j’en suis mal à l’aise.
Finances de la famille
À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse
populaire est de 3219,26 $, une augmentation de 1173,58 $ par rapport à
l’année précédente.
En 1961, ma
mère a utilisé un document intitulé
Le livre de comptes du
cultivateur, gracieuseté de John Deer, un fabricant de machineries agricoles. Voici quelques
données qui s’y trouvent :
Au cours de
l’année, mon père a vendu un veau pour 28,90 $, un bœuf pour 90 $, des
vers de terre pour 23,35 $, du sucre et du sirop d’érable pour 237,03 $.
Les allocations familiales ont rapporté 264 $ et les paies de beurrerie
étalées sur les 12 mois : 1156,30 $.
Parmi les
dépenses, on peut noter deux commandes chez Dupuis : l’une de 2,29 $ en
janvier l’autre de 10,61 $ en avril, l’épicerie pour 4 personnes : 7 $ à
12 $ par semaine, le snowmobile pour aller à la messe en hiver : 1 $ par
dimanche.
Maman inscrit aussi les revenus de Lise et de Pierre. Lise gagne 5 $ par
semaine comme servante. Pierre travaille dans le bois et a gagné 500 $
pendant l’été. Cet argent est remis directement à ma mère et elle le
conserve. Sa philosophie est que, tant qu’un enfant demeure à la maison,
l’argent gagné appartient au patrimoine familial. Elle dit alors à
l’enfant pourvoyeur de lui indiquer ses besoins. Par exemple, cette même
année, ma mère donne 200 $ à Pierre pour qu’il s’achète une scie
mécanique. Elle lui paie un habit au montant de 48 $, une retraite pour
15 $ et son permis de conduire pour 5,50 $.
Les échecs
Au Grand Séminaire, il faut vaincre la monotonie de
l’hiver. Un comité organise un tournoi d’échecs. Même si je suis bien
occupé par mon travail de reliure, je m’inscris. Je connais les règles
pour avoir joué quelquefois. Je me retrouve rapidement en demi-finale.
Je dois affronter un séminariste qui est arrivé premier aux examens de
l’université Laval de fin d’année. Il est très fort aux échecs. Je suis
certain d’être battu. Heureusement, la chance est de mon côté. Je sors
vainqueur. Je déclare forfait en finale devant un joueur que j’aurais pu
battre si je n’avais pas été influencé par le syndrome de l’imposteur
suite à mon gain lors de la demi-finale.
Mars 1962. Anniversaire de mariage
Le
30 mars, je fais parvenir à mes parents une lettre signée par deux de
mes frères et par moi-même. Voici ce texte :
« Vos trois fils, Charles-Édouard, abbé de Rimouski, Raynald
d’Amqui, Urbain de Sully vous prient d’agréer en ce 30 mars à l’occasion
de votre 30e anniversaire de mariage l’honneur de leurs
faveurs spirituelles. Ils ont offert ou offriront pour vous 30 messes,
30 communions, 30 chapelets, 30 invocations : Jésus, Marie, Joseph
bénissez papa et maman. Nous vous embrassons bien gentiment et espérons
avoir agi selon nos moyens. »
Cours de peinture
L’abbé Léonard Parent, Basque de son nom de peintre, offre aux étudiants
du Grand Séminaire des cours d’initiation pratique à la peinture.
J’assiste à deux ou trois séances. Même si je pense avoir quelque
facilité avec cet art, je me rends compte que je ne peux pas l’apprendre
d’une autre personne.
Opération au talon
Quand j’étais en Rhétorique au Séminaire, j’avais une seule paire de
souliers. Ils étaient de cuir et peu à peu, la tête d’un clou a émergé
vis-à-vis le talon. Tranquillement, une corne s’est formée. Je n’ai pas
porté attention.
Trois ans plus tard, la corne est toujours là. Je commence à sentir des
douleurs. Je vais voir le médecin. Il me donne un rendez-vous pour
l’opération. Au jour fixé, je me présente. Il m’installe
confortablement. À froid, il découpe la corne. J’endure le plus
possible.
Je retourne au Grand Séminaire clopin-clopant. Le directeur
m’assigne une chambre temporaire sur l’étage de l’entrée. On vient me
porter mes repas. Je ne vais pas à mes cours. J’en profite pour lire un
livre Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne de
Pierre Daco, un ouvrage de 512 pages. Je le confesse : je suis un peu
loin de mes cours de droit canonique et de théologie.
Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi l’on ne m’a pas offert des
béquilles et pourquoi j’ai séché mes cours alors que la salle des cours
n’était pas très loin.
Voyage à Québec
Je suis élu président du cercle missionnaire du Grand Séminaire. À
ce titre, l’abbé Robert Michaud me propose de participer à une journée
de formation en mai à Québec. J’accepte, mais je n’ai pas d’argent.
Alors, il me donne le montant correspondant aux frais de transport par
train et quelques sous additionnels. Cet argent est puisé dans la caisse
diocésaine de la Propagation de la foi dont il est le responsable.
J’écris à un confrère qui étudie au Séminaire des Missions
étrangères à Québec pour lui demander si son institution peut m’héberger
pour une nuit. Il me répond par lettre que les autorités sont d’accord.
J’ai hâte de le rencontrer.
Quand on voyage, il est recommandé de ne pas porter la soutane mais
de la remplacer par un veston foncé et d’une chemise fermée par un col
romain : c’est ce qu’on appellait un clergyman. J’emprunte donc un habit
noir d’un autre séminariste.
Un vendredi après-midi vers 16 h 30, j’arrive au Séminaire des
Missions étrangères. Un portier me reçoit aimablement et me conduit vers
une chambrette où il y a un lit et un bureau. Vers 17 h 30, mon confrère
vient me chercher et m’amène au réfectoire. Les séminaristes prennent
place autour de longues tables qui accueillent 10 à 12 personnes.
Le tout commence par une lecture. Puis, des séminaristes apportent
les plats du menu sur la table. Je réalise rapidement que la quantité de
nourriture est très minime pour autant de personnes. En même temps, je
regarde ces jeunes hommes qui m’entourent et je constate que leur masse
corporelle est plutôt mince. Quand c’est mon tour de me servir, j’en
prends très peu, prétextant que le voyage m’a fatigué et que je n’ai pas
faim.
Après le souper, mon confrère vient me reconduire à ma chambrette
comme on lui a recommandé et retourne à ses engagements. Je suis déçu.
Je suis seul. J’ai faim et je suis prisonnier dans ce réduit. Le
lendemain matin, je me lève tôt. Je quitte pour ne pas aller déjeuner au
réfectoire de l’institution.
À ma sortie, je remercie le portier pour le « bon » accueil. Je lui
demande d’informer mon confrère de mon départ hâtif. Je n’ose pas aller
déjeuner dans un restaurant avec mon accoutrement. D’ailleurs, j’ai très
peu d’argent de poche sur moi. J’ai faim tout l’avant-midi.
Après ma journée de formation, je reprends le train pour Rimouski.
Je conserve un souvenir pénible de ce voyage.
Mai 1962. Gilles Vigneault
J’apprends que Gilles Vigneault va donner un spectacle à
l’Auditorium du Séminaire de Rimouski, aujourd’hui Salle
Georges-Beaulieu du cégep. Je me souviens qu’en rhétorique l’abbé
Beaulieu nous avait parlé de temps
à autre de ce poète avec qui il correspondait et à qui il avait déjà
enseigné. Un jour, il nous avait lu un de ses poèmes. À la salle de
lecture des Grands, il nous avait fait écouter ses premières chansons
comme interprète. J’ai donc acheté un billet.
En me rendant au spectacle, dans l’allée du Séminaire je fus rapidement
rejoint par quatre ou cinq jeunes de la Grande salle pour qui j’étais un
héros. Nous avons discuté quelques instants. Qu’avais-je fait de spécial
? Rien. Pour les élèves qui étaient dans les classes après nous, le seul
fait d’avoir terminé ce cours de huit ans était considéré comme un acte
d’héroïsme.
Lors du
spectacle,
Gilles Vigneault s’est dit ému de fouler la scène sur laquelle il
était monté une dizaine d’années auparavant sous la supervision de
Georges Beaulieu duquel il disait conserver un souvenir impérissable. Il
a rodé avec nous le refrain « Qu’il est difficile d’aimer » de sa
chanson intitulée Doux chagrin.
Juin 1962. Un ordre mineur
À la fin de l’année scolaire, les
étudiants de première année dont je suis reçoivent la tonsure. On nous
coupe quelques mèches de cheveux sur le derrière de la tête pour
souligner notre entrée dans l’état clérical. Certains prêtres vont
conserver ce symbole en se faisant raser un rond de cheveux au sommet du
crâne.
Juillet 1962. Un emploi d’été
Pour le troisième été, je travaille pendant six semaines au Camp
Cap-à-l’Orignal. Aussitôt arrivé au camp, j’enlève ma soutane. J’agis
comme le directeur du camp qui est un prêtre. Je mets ma soutane
seulement pour aller à la messe le matin.
Je
suis sacristain et responsable aux sciences naturelles. J’ai un local à
l’extrémité de la salle de récréation où je peux recevoir les campeurs
qui veulent en apprendre davantage dans ce domaine. Avec l’aide du
directeur du camp, nous organisons une tribu : la tribu de l’Orignal.
Pour y entrer, il faut passer des épreuves qui, une fois réussies,
permettent aux jeunes d’obtenir des grades.
Le
toit de la bâtisse où je travaille et où je couche est recouvert
seulement de tôle autour et sur le dessus, si bien que lors de fortes
pluies le bruit est infernal.
Mon lit est situé le long du mur sur le côté du fleuve. Une nuit, je
suis réveillé en sursaut par un bruit extérieur. Je vois un début de
corne à travers la tôle du revêtement et cela, à quelques centimètres de
ma tête. C’est une vache du cultivateur voisin qui encorne le mur.
Visite d’une caverne
Je dirige encore certaines excursions. Cette
fois-ci, c’est la visite d’une caverne située dans l’actuel Parc du Bic.
Je ne me souviens pas précisément où était la caverne, mais on peut y
avoir accès en passant sur le terrain de la ferme Rioux et en faisant le
tour du massif montagneux appelé Cap-à-l’Orignal.
Pour pouvoir retrouver l’entrée de la caverne,
il faut être attentif à une corde posée entre deux roches sur la rive.
Par la suite, il s’agit de suivre la corde. Il faut être mince pour
pouvoir ramper à travers les obstacles rocheux. On doit parcourir une
vingtaine de mètres le plus souvent à plat ventre. À un moment donné, on
doit passer entre deux grosses roches qui laissent peu d’espace. Les
campeurs qui refusent d’y entrer ou qui rebroussent chemin sont sous la
surveillance d’un moniteur junior à l’extérieur.
Arrivés dans la caverne, on voit dans un coin
un filet de clarté provenant du ciel. C’est impressionnant. On peut être
une dizaine de personnes debout. Il y a là encore quelques stalactites
et quelques stalagmites que nous prenons plaisir à récupérer.
Comme moniteur de sciences naturelles,
j’aurais dû savoir que ce n’était pas une bonne idée que de spolier la
caverne de ses sédiments. Personnellement, j’en recueillais pour les
exposer dans mon local de sciences naturelles. Mais, c’était quand même
une agression contre la nature qui avait secrété ces substances depuis
des millénaires.
Je suis certain que si l’abbé Lamontagne, un
naturaliste chevronné, nous avait mis en garde contre cette spoliation,
nous aurions respecté ses directives. Mais, la conservation de la nature
n’était pas à la mode à cette époque.
J’imagine que cette caverne existe encore ;
mais je ne sais pas si elle fait encore l’objet de visite.
Rencontre de l’archevêque
Je
suis revenu à Saint-Mathieu pour la fin des vacances. Mgr Charles-Eugène
Parent a été invité par le curé à présider une cérémonie spéciale.
J’appréhende de le rencontrer parce qu’il est reconnu comme étant un
personnage sévère. Revêtu de mon habit ecclésiastique, je me présente à
la sacristie. Dès qu’il me voit, il me demande si je viens à la messe
tous les matins. Je lui explique qu’au Cap-à-l’Orignal j’y vais toutes
les fois que l’abbé Lamontagne la dit, mais qu’à Saint-Mathieu je n’y
assiste pas étant donné l’éloignement de l’église. Mgr ne dit rien, mais
je sens une moue intérieure.
Septembre 1962. La rentrée scolaire
J’entre au Grand Séminaire pour la deuxième année. Ma chambre est située
face à la rue Saint-Jean-Baptiste. Je vois le Séminaire. Je suis de
moins en moins certain de mon choix de vie. Je continue à faire de la
reliure.
Octobre 1962. Inquiétudes quant à ma vocation
Au
début d’octobre, je me sens mélancolique et anxieux. J’attribue cet état
d’âme à la saison d’automne qui commence. Mais cette sensation prend de
l’ampleur. Je réalise que je me dirige à petits pas vers une dépression.
Je m’isole dans mon travail de relieur. Je cesse de parler à la table.
Je
finis par comprendre qu’un problème me chicote : « Ai-je vraiment la
vocation ? » Je vais voir le médecin de l’institution. Il en a vu bien
d’autres avant moi. Il me pose des questions pertinentes relativement à
mon choix de vie. Je lui indique que de plus en plus je me sens
prisonnier comme pensionnaire et que je ne suis plus sûr d’être dans la
bonne voie. Il m’invite à réfléchir et à en parler avec mon directeur
spirituel.
Lecture de la Bible
Un
professeur organise un cercle de lecture de la Bible. Je ne suis pas
invité officiellement, mais on me dit que je peux y aller quand même.
Après deux ou trois séances, je me présente. Le déroulement va bon
train. Toutefois, le tout se passe comme si je n’étais pas là. Je ne
suis pas invité à lire. J’en sors meurtri. Cela s’ajoute aux tourments
qui me rongent. Je m’en plains auprès d’un de mes confrères. Le cercle
de lecture est immédiatement dissous.
Un
rêve
Les relations entre les États-Unis et l’URSS sont tendues. Les journaux
nous apprennent que des missiles nucléaires soviétiques sont pointés en
direction des États-Unis à partir de Cuba. On parle de la possibilité
d’une troisième guerre mondiale. Je crains vraiment que la situation
dégénère. Je suis troublé. Cela s’ajoute à l’anxiété causée par la
question qui me hante concernant ma vocation. Un après-midi de congé, je
vais prier à la chapelle. Cela me libère du stress, mais si peu.
Une des nuits suivantes, je fais un rêve. Je suis assis dans ma chaise
berçante. Jésus m’apparaît. Il me dit : « Serais-tu prêt à mourir pour
moi ? » Sans réfléchir et d’une voix ferme, je dis non. Je suis
estomaqué par ma réponse. Je me réveille. C’est bien un rêve, mais c’est
plus qu’un rêve, c’est une prémonition. Je saisis l’ampleur de ma
réaction. Même si rationnellement je ne crois pas à l’apparition, je
considère que le message est clair.
Décembre 1962. Une décision importante
Après mûres réflexions, je vais voir mon directeur spirituel. Je lui
indique mon intention de quitter le Grand Séminaire. Il m’interroge sur
mon état de spiritualité et sur le sens de ma vocation. Finalement, il
se range de mon côté. Je prépare alors mon départ. J’écris à mes
parents :
« C’est le cœur gros que je vous écris aujourd’hui. Depuis le début
de l’année, j’ai travaillé et prié afin de savoir si je suis réellement
dans le chemin que Dieu m’a tracé. Après mûres réflexions et conseil de
mon directeur spirituel, j’ai décidé de quitter le Grand Séminaire.
C’est peut-être une très grande épreuve pour vous, chers parents, mais
c’en est une encore plus grande pour moi.
Veuillez croire que je n’ai pas pris cette décision à l’aveuglette
et que j’y ai réfléchi longuement. Cela ne m’empêche pas d’oublier tous
les sacrifices que vous vous êtes imposés pour moi. Tout cela n’est pas
perdu. Les mérites vont retomber sur vos enfants pour que Dieu les place
là où il veut. »
Il
y a une tradition qui veut qu’un partant n’informe aucun autre
séminariste de son départ. La seule exception est pour celui qui est
nommé « exécuteur testamentaire ». Le terme ici est trop fort mais il
désigne la personne à qui l’on confie ses biens matériels, livres et
vêtements ecclésiastiques, en vue de les vendre.
Achat d’un habit
Il
me faut des vêtements civils pour quitter le Grand Séminaire, mais je
n’ai pas d’argent. Je vais voir le procureur de l’institution et lui
demande conseil. Il me dit : « Mon frère a justement une mercerie pas
loin d’ici. Je vais l’appeler et il va te vendre à crédit. » Le
lendemain, je me présente à cette boutique. J’achète un habit, une
chemise blanche et un chapeau de feutre. Je ne trouve pas de cravate et
de chaussures à mon goût. Alors, le commis me dit : « Je vais appeler à
une autre mercerie et ils vont te vendre à crédit. »
Le
matin de mon départ, je vais à la messe comme d’habitude. Je déjeune
normalement. Pendant que mes confrères suivent leur cours de droit
canonique, j’enlève mes vêtements ecclésiastiques. Je revêts la tenue
civile. Je quitte l’institution en catimini et je me rends à la station
du chemin de fer où il est entendu qu’un de mes beaux-frères vient me
chercher. J’ai le vague à l’âme et la larme à l’œil. Ma sœur comprend ce
qui se passe quand elle me voit dans mon nouvel habillement.
Arrivé à la maison, je salue mes parents qui sont en train de plumer des
poules pour les repas de Noël et du jour de l’An et je me réfugie dans
ma chambre. J’ai laissé ma valise au Grand Séminaire qui me sera livrée
plus tard.
Mon père semble indifférent comme d’habitude à toute cette situation. Ma
mère est catastrophée. Son rêve de toute une vie vient de s’écrouler.
Toutefois, jamais elle ne s’en ouvre à moi. Mais je sens sa douleur
profonde. Voici ce qu’elle a écrit un peu moins de deux ans plus tard.
« Notre Charles-Édouard qui avait choisi le ruban blanc a porté la
soutane un an et demi. Il est sorti le 18 décembre 1962. Il faut y avoir
passé pour savoir le glaive qui traverse le cœur. Mais avec le secours
du Bon Dieu, il a fallu se consoler et surtout pas trop faire voir la
peine que nous ressentions. Mais comme les épreuves sont pour ceux qui
sont sur cette terre, on a accepté cette épreuve comme venant de la main
du Bon Dieu. Après avoir bien prié, fait des neuvaines, petit à petit,
nous nous sommes encouragés. C’est sur cette terre d’épreuves de toute
sorte que nous nous ramassons des trésors pour le ciel. Cette année, il
étudie à l’école Normale de Québec pour faire sa carrière dans
l’enseignement. »(Archives de maman, 25 septembre 1964)
FIN |
|||
Annexe 1. Mes principales réalisations
À titre de compléments,
voici les principales réalisations de ma vie, autres que familiales :
1.
Avoir fait mon primaire en 6 ans au lieu de 7, passant de la 4e
à la 6e année.
2.
Être arrivé premier de Saint-Mathieu-de-Rioux pour les résultats du
certificat de septième année en 1953.
3.
Avoir publié, à l’âge de 16 ans, un premier article dans un hebdomadaire
en août 1957, article qui relatait la fête du 25e
anniversaire de mariage de mes parents.
4.
Avoir obtenu une note parfaite, 20 sur 20, et ainsi m’être classé
premier au Québec - probablement avec d’autres - à l’examen
universitaire de mathématiques de Philosophie II en juin 1961.
5.
Avoir obtenu le baccalauréat-ès-art de l’université Laval en 1961 avec
la mention « magna cum laude » (grande distinction)
6.
Avoir été moniteur au Camp Cap-à-l’Orignal pendant sept ans et avoir été
directeur-adjoint au cours de l’été 1965 et 1966.
7.
Avoir, en 1963-1964, enseigné toutes les matières dans une classe à
degrés multiples : 9e et 10e année à Saint-Fabien.
8.
Avoir obtenu un deuxième baccalauréat en 1965 : le baccalauréat en
pédagogie de l’université Laval, jumelé au Brevet A qui constituait le
permis d’enseignement.
9.
Avoir enseigné les mathématiques et les sciences naturelles au Séminaire
de Rimouski de septembre 1965 à juin 1967.
10.
Avoir, en juin 1966, présenté une exposition montrant les meilleurs
travaux de mes élèves en sciences naturelles, exposition qui a eu un vif
succès.
11.
Avoir été l’auteur de l’album-souvenir de la paroisse de
Saint-Mathieu-de-Rioux en 1966.
12.
Avoir été directeur adjoint au Séminaire de Rimouski de septembre 1967 à
juin 1968. Le Séminaire a fermé ses portes en juin 1968.
13.
Avoir conçu et réalisé l’annuaire 1967-1968 du Séminaire de Rimouski, le
dernier et 87e annuaire de l’histoire du Séminaire.
14.
Avoir été directeur adjoint d’une école temporaire de la commission
scolaire du Bas-Saint-Laurent de septembre 1968 à juin 1969.
15.
Avoir été membre et secrétaire de la Corporation du Camp Cap-à-l’Orignal
de 1966 à 1974.
16.
Avoir été membre et vice-président de la Corporation du Séminaire de
Rimouski de 1967 à 1979.
17.
Avoir été membre et vice-président du comité de retraite des prêtres du
diocèse de Rimouski de 1969 à 1979.
18.
Avoir été, en 1968, l’un des signataires du contrat de vente du
Séminaire de Rimouski et de ses écoles au cégep de Rimouski pour un
montant d’environ quatre millions et demi de dollars.
19.
Avoir signé, en 1969, un éditorial dans le dernier numéro dans la revue
Le Centre St-Germain, après y avoir écrit quatre articles.
20.
Avoir enseigné
les mathématiques en Secondaire IV et V pendant 10 ans (1969-1979) à
l’école polyvalente Paul-Hubert de Rimouski.
21.
Avoir été chef
de groupe en mathématiques à l’école Paul-Hubert pendant neuf ans
(1970-1979).
22.
Avoir fait l’homélie, un dimanche d’octobre 1970, à l’église Saint-Pie X
dans le cadre du synode du diocèse de Rimouski.
23.
Avoir été, en 1970, nommément mentionné dans une loi du gouvernement du
Québec, la loi privée 178 sur le Séminaire de Rimouski.
24.
Avoir été
membre-fondateur du GRMS (Groupe des responsables des mathématiques
au secondaire) en 1971 et avoir plus tard écrit une partie de son
historique.
25.
Avoir fait, en 1971, une entrevue de sept minutes à l’émission 5D de
Radio-Canada à Montréal au sujet du rapport de la commission de la
Jeunesse dont j’avais été l’auteur dans le cadre du synode du diocèse de
Rimouski.
26.
Avoir conçu et expérimenté, avec plusieurs enseignants, une méthode
d’apprentissage des mathématiques au secondaire à l’école Paul-Hubert.
Ce modèle appelé L’apprentissage
par phases a été expérimenté dans plusieurs écoles du Québec et a
fait l’objet d’une étude de recherche universitaire en 1979-1980.
27.
Avoir
donné 12 ateliers portant sur les mathématiques récréatives et en
particulier sur l’apprentissage par phases à l’AMQ (Association
mathématique du Québec), au GRMS et dans différentes commissions
scolaires.
28.
Avoir composé en 1974 quatre chansons qui ont été interprétées par
Gabriel April.
29.
Avoir été, à
l’université du Québec à Rimouski en 1975, co-auteur du cours
Théorie des nombres.
Ce cours s’adressait aux
adultes qui étaient inscrits au baccalauréat en mathématiques et se
donnait par correspondance.
30.
Avoir obtenu un troisième baccalauréat en 1976 : baccalauréat en
mathématiques de l’université du Québec à Rimouski.
31.
Avoir publié
un article dans la revue Protégez-vous de septembre 1977 intitulé
Formation à la consommation par les mathématiques.
32.
Avoir créé un
cours optionnel de Mathématiques du consommateur en 1977 et avoir
organisé une semaine du consommateur à l’école Paul-Hubert.
33.
Être le
premier à Rimouski en 1978 à avoir été propriétaire d’un ordinateur
domestique. Cela a fait l’objet de la une du journal Le progrès du
Golfe.
34.
Avoir été
chargé de cours en résolution de problèmes à l’UQAR aux sessions d’hiver
1978 et 1979.
35.
Avoir tenu une
chronique trimestrielle dans la revue du GRMS pendant 10 ans
(1978-1988).
36.
Avoir vu Distractions
mathématiques référencer par l’américain William L. Schaaf
(1898-1992) dans un supplément de
A Bibliography of Recreational Mathematics.
Il a écrit :
« A
charming, unsophisticated collection of numerical, geometrical and
logical puzzles ; with answers; short bibliography. »
37.
Avoir été responsable national de l’implantation des nouveaux programmes
de mathématiques du secondaire pendant deux ans (1979-1981).
38.
Avoir donné une conférence sur l’implantation des programmes de
mathématiques au premier cycle à un congrès du GRMS en 1980.
39.
Avoir à pied
levé remplacé le ministre de l’Éducation, Camille Laurin, pour une
allocution sur le régime pédagogique à l’école Manikoutai de Sept-Îles
en mai 1980.
40.
Avoir été
directeur des services éducatifs au ministère de l’Éducation et membre
de l’Association des cadres supérieurs du Gouvernement en
1982-1984.
41.
Avoir été
directeur des services éducatifs et directeur général adjoint
dans deux commissions scolaires : Bas-St-Laurent et Neigette,
et membre de
l’Association des cadres supérieurs des commissions scolaires en
1984-1988.
42.
Avoir été responsable des communications au salon du Livre de Rimouski
et président pendant deux ans (1985-1987).
43.
Avoir été président de la table de concertation des directeurs des
services éducatifs de la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie
pendant deux ans (1986-1988).
44.
Avoir enseigné à l’UQAR pendant sept ans de 1990 à 1996 comme chargé de
cours en didactique des mathématiques.
45.
Avoir été l’auteur des textes d’un spectacle historique et avoir animé
la soirée lors du 125e anniversaire de Saint-Mathieu-de-Rioux
en 1991.
46.
Avoir tenu une chronique dans le magazine
Les Débrouillards pendant six
ans dans laquelle des récréations mathématiques étaient présentées.
47.
Avoir été conseiller pédagogique en mathématiques à la commission
scolaire La Neigette de 1993 à 1997.
48.
Avoir
collaboré avec Roger V. Jean, un professeur de l’UQAR, pour son cours
Outils mathématiques en
composant près de 100 problèmes récréatifs en 1995.
49.
Avoir tenu une
chronique de jeux mathématiques et littéraires dans le quotidien de
Rimouski, le Fleuve, en 1996.
50.
Avoir reçu un trophée en 1997 pour avoir publié le meilleur article
annuel de la revue du GRMS, article intitulé
Portrait des futurs enseignants et enseignantes en
mathématique au secondaire.
51.
Avoir composé sept articles sur des sujets mathématiques dans la revue
de l’AMQ et dans celle du GRMS.
52.
Avoir traduit du latin au français un recueil de 53 problèmes récréatifs
écrit par Albinus Flaccus Alcuin (735 -804).
53.
Avoir créé et alimenté le site web Récréomath à partir de l’an
2000, site qui aura reçu plus de 10 millions de visiteurs qui
proviennent de plus de 90 pays.
54.
Avoir été gratifié, le 3 janvier 2001, pour mon site Récréomath, d’un
coup de cœur par la Toile du Québec, un moteur de recherche
disparu, soit le premier coup de cœur du nouveau siècle et millénaire.
55.
Avoir été gratifié de centaines de références provenant de plusieurs
pays pour mon site Récréomath.
56.
Avoir composé un lexique de mathématiques intitulé Aide-mémoire
dans lequel on retrouve les principaux termes de mathématiques au
secondaire et qui est publié dans Récréomath.
57.
Avoir composé un Lexique de
résolution de problèmes, unique dans le monde francophone, et qui
est publié dans Récréomath.
58.
Avoir composé un Dictionnaire de
mathématiques récréatives, unique dans le monde francophone, et qui
est publié dans Récréomath.
59.
Avoir composé plus de 30 articles d’une dizaine de pages chacun sur des
sujets mathématiques dans Récréomath.
60.
Avoir été cité
par la prestigieuse revue française Science et vie qui a
recommandé Récréomath dans son édition d’août 2008.
61.
Avoir créé et alimenté le blogue Les Charleries à partir de
septembre 2013 dans lequel j’ai notamment publié les mémoires de tante
Marie-Ange Jean.
62.
Avoir publié un roman Fred-Éric et une cinquantaine de contes
dans le blogue Les Charleries.
63.
Avoir été le sujet d’un article dans le magazine Le lien express,
bulletin électronique des diplômés de l’UQAR, en mai 2016.
64.
Avoir été l’auteur de la monographie Saint-Mathieu-de-Rioux intitulé
Saint-Mathieu-de-Rioux se raconte, un livre de 366 pages, dans le
cadre du 150e anniversaire de la paroisse en 2016, soit 50
ans après avoir écrit l’album-souvenir du centenaire en 1966.
65.
Avoir publié plus d’une quarantaine de livres à partir de 1966 à nos
jours : livres publiés sur papier ou en ligne.
66.
Avoir monté, au cours des ans, une bibliothèque de plus de 1250 livres
de jeux, mathématiques générales et récréatives.
67.
Avoir monté une bibliothèque de plus de 600 livres de lecture qui
contient principalement des romans et des nouvelles.
68.
Avoir accordé en 2017 à Bibliothèque et Archives nationales du Québec
une licence pour archiver Récréomath et Les Charleries. |
|||
Annexe
2. Courte biographie
Cette biographie reprend certains éléments qui
ont été mentionnés dans l’annexe 1. Elle s’intéresse surtout à ma
carrière qui s’est déroulée de façon plutôt désordonnée.
* * * * * * *
Charles-Édouard Jean naît le 6 juillet 1941 à
Saint-Mathieu-de-Rioux. Son père est cultivateur. Sa mère est une femme
au foyer comme la majorité des femmes de l’époque. Il fait ses études
primaires à l’école du rang 5. À l’âge de 12 ans, il quitte la maison
familiale pour faire des études classiques au Séminaire de Rimouski. En
1961, il obtient un baccalauréat-ès-arts de l’Université Laval. Il
poursuit des études théologiques au Grand Séminaire de Rimouski qu’il
délaisse en 1962.
En 1963-1964, il est professeur titulaire à
l’école Saint-Stanislas de Saint-Fabien où il enseigne toutes les
matières à 28 élèves de 9e et 10e année, regroupés
dans un même local. L’année suivante, il s’inscrit à l’École Normale
Laval où il obtient un baccalauréat en pédagogie.
En septembre 1965, il enseigne les
mathématiques et les sciences naturelles au Séminaire de Rimouski. Deux
ans plus tard, il est nommé directeur-adjoint à cette institution. En
juin 1968, le Séminaire cesse ses activités. Il demeure
directeur-adjoint d’une école temporaire de la commission scolaire du
Bas-Saint-Laurent qui est installée dans les locaux du Séminaire et qui
reçoit 800 élèves.
À partir de septembre 1969 jusqu’en juin 1979,
il enseigne les mathématiques à l’école polyvalente Paul-Hubert. Il est
chef de groupe en mathématiques pendant neuf ans. En 1973, il conçoit un modèle
d’enseignement en mathématiques à l’intention des élèves du secondaire.
Ce modèle appelé L’apprentissage
par phases est expérimenté dans plusieurs écoles du Québec et fait
l’objet d’une étude universitaire.
En même temps, il s’inscrit à l’Université du
Québec à Rimouski et fait partie de la première cohorte d’étudiants
adultes en mathématiques. Il obtient un baccalauréat en
mathématiques-administration en 1977. En 1978 et en 1979, il est chargé
d’un cours à l’université du Québec à Rimouski. Le cours est
Résolution de problèmes.
En juillet 1979, il est engagé par la
Direction régionale du ministère de l’Éducation de la Côte-Nord à titre
de responsable de l’enseignement secondaire, avec résidence à Sept-Îles.
Il assume notamment la responsabilité de l’implantation des nouveaux
programmes de mathématiques du secondaire au plan national. Après deux
ans, il est nommé directeur des services éducatifs au même endroit.
En 1984, il revient à Rimouski pour être
directeur des services éducatifs et directeur général adjoint à la
Commission scolaire du Bas-Saint-Laurent. Après deux ans, dans le cadre
de l’intégration des commissions scolaires, il conserve ces deux postes
à la Commission scolaire La Neigette.
Pendant ce temps, il est choisi comme président de la table de
concertation des directeurs et directrices des services éducatifs de la
région Bas Saint-Laurent et Gaspésie. Il est notamment responsable des
communications au Salon du livre de Rimouski pendant un an, puis
président pendant deux ans. Il collabore à des journaux et à des revues.
À titre d’exemple, il tient une chronique pendant 10 ans dans la revue
du GRMS (Groupe des responsables de mathématiques au secondaire).
En
1988, il prend un congé sabbatique où il se consacre à des recherches en
mathématiques. Il devient, en 1990, chargé de cours en didactique des
mathématiques à l’Université du Québec à Rimouski, poste qu’il occupera
pendant sept ans. En même temps, il est conseiller pédagogique à temps
partiel en mathématiques à la Commission scolaire La Neigette et remplit
des contrats de production de problèmes pour des éditeurs de manuels
scolaires. Il prend sa retraite en juin 1997. Cette année-là, il reçoit
un trophée du GRMS pour avoir écrit le meilleur article dans la revue de
l’association.
En
2000, il met en ligne un site web destiné aux mathématiques récréatives
dont le titre est Récréomath. Dans le site, ses œuvres les plus
importantes sont un Dictionnaire
de mathématiques récréatives, un
Lexique de résolution de problèmes
et un Aide-mémoire mathématique.
En outre, on y retrouve plus de 7500 problèmes, énigmes et jeux, de même
que plus de 30 articles sur des sujets mathématiques. Bon an mal an, le
site reçoit en moyenne 2000 visiteurs par jour provenant d’environ 90
pays dont les quatre plus présents sont la France, le Canada, la
Belgique et la Suisse. Depuis ses débuts, le site a reçu plus de 10
millions de visiteurs, se classant ainsi dans le 1 % des sites les plus
fréquentés sur le web.
En
2013, il met en ligne un blogue dont le titre est
Les Charleries. On y trouve notamment des contes, un roman, des
souvenirs et des articles sur Saint-Mathieu-de-Rioux. Une section
consacrée aux mathématiques y est intégrée.
Charles-Édouard Jean a écrit une quarantaine de livres consacrés
principalement aux mathématiques et à la logique dont deux sur
l’histoire de sa paroisse natale, Saint-Mathieu-de-Rioux.
Annexe 3. Mes livres publiés
par ordre de parution (56)
1.
Album-souvenir du centenaire de Saint-Mathieu, 1966, 75 p.
Cet album, écrit en collaboration, contient un bref historique de cette
paroisse et rappelle des souvenirs si chers à ce terroir. L’album a été
produit dans le cadre du premier centenaire de l'arrivée du premier curé
résident.
2. Des
activités mathématiques pour une classe, Éditions du Losange, 1973, 52 p.
Ce recueil contient une trentaine de problèmes et de jeux pour les
classes du secondaire. Ces activités touchent aux nombres, aux carrés
magiques, au déplacement du cavalier et à des parcours variés de jetons.
3. Mini-jeux
magiques,
Éditions du Losange, 1974. Huit numéros, 192 p.
Les huit numéros contiennent chacun une vingtaine de problèmes
récréatifs conçus pour le grand public. Les problèmes sont pour la
plupart simples et requièrent une connaissance du calcul élémentaire et
des principales opérations mathématiques.
4.
Distractions mathématiques, Éditions de l'Homme, 1977, 181 p.
Ce livre est composé de 150 problèmes mathématiques amusants, suivis de
leurs solutions détaillées. Les distractions touchent à des domaines
divers.
(L’américain William L. Schaaf (1898-1992) a retenu Distractions
mathématiques dans un supplément de A Bibliography of Recreational
Mathematics.
Il a écrit : “A charming, unsophisticated collection of
numerical, geometrical and logical puzzles; with answers; short
bibliography.”)
5. Initiation
aux carrés magiques.
Ministère de l'Éducation du Québec, 1981, 73 p.
Ce document a été conçu pour les élèves du premier cycle du secondaire à
titre de sujet d'enrichissement. Il contient des méthodes de
constructions de carrés magiques d'ordres 3, 4 et 5, de même que de
nombreux problèmes sur les carrés magiques.
Deuxième édition : Initiation aux carrés magiques, Éditions Récréomath,
2012.
Les 80 problèmes amusants de ce livre abordent les domaines les plus
populaires des récréations mathématiques. Ils touchent à des situations
diverses comme le calendrier, le hasard, les dés, l'argent, les dominos,
les cartes et le cube de Rubik. Le tout est enrobé dans des chiffres,
des nombres, des grilles ou des symboles.
Deuxième édition : Évasions
calculées, Éditions Récréomath, 2012.
7. Enjeux de
mots,
ÉDITEQ, 1986, 120 p.
Ce livre contient plus de 200 jeux de lettres et de mots qui permettent
des défis fascinants. Ces jeux utilisent les combinaisons de lettres de
multiples façons.
8. Au jeu !,
GRMS, 1988, 175 p. (7)
Ce recueil contient environ 150 problèmes récréatifs et une vingtaine de
textes sur des sujets de recherche mathématique récréative. Il est conçu
pour les élèves du secondaire à titre d'enrichissement. Les récréations
et textes proviennent de chroniques publiées dans la revue du GRMS de
mars 1978 à juin 1988.
Deuxième édition. Au jeu !, GRMS, 1995.
Troisième édition. Au jeu !, 170 problèmes, Éditions Récréomath, 2012.
9. Au royaume
des chiffres, Éditeq, 1989, 99 p.
Ce livre contient 75 petits problèmes amusants pour les jeunes de 8 à 12
ans. La résolution exige des connaissances mathématiques adaptées aux
enfants de cet âge. Chaque petit problème est illustré par un dessin qui
supporte le texte ou le complète.
10.
Remue-méninges.
Éditions de la Paix, 1994, 120 p.
L'auteur propose 140 énigmes suivies de 10 problèmes qui étaient
proposés aux élèves au début du 20e siècle. Les énigmes font
intervenir des personnages divers dans des situations variées.
11. Jouons
avec Beppo 3,
en collaboration avec Les
Débrouillards, Héritage, 1996, 32 p.
Les problèmes proposés dans ce recueil ont déjà été publiés dans la
revue Les Débrouillards. Ils
font appel aux nombres, aux figures géométriques et à la logique. Ils
sont accessibles aux personnes de tous les âges. Peu de connaissances
mathématiques sont requises.
12. Drôles
d’énigmes,
Éditions de la Paix, 1996, 120 p.
L'auteur propose 140 énigmes. Les énigmes font intervenir des
personnages divers dans des situations variées.
13. Jouons
avec Beppo 4,
en collaboration avec Les
Débrouillards, Héritage, 1997, 32 p.
Les problèmes proposés dans ce recueil ont déjà été publiés dans la
revue Les Débrouillards. Ils
font appel aux nombres, aux figures géométriques et à la logique. Ils
sont accessibles aux personnes de tous les âges. Peu de connaissances
mathématiques sont requises.
14. Question de rire.
Éditions de la Paix, 2000, 96 p.
L'auteur propose 140 énigmes dont certaines sont visuelles. Les énigmes
font intervenir des personnages divers dans des situations variées. Dans
le Devoir du 28 janvier 2001,
Gisèle Desroches écrit : « (un livre) aussi divertissant et inattendu
que possible. »
15. Amusements mathématiques.
Éditions Récréomath, 2009.
Ce livre contient 200 problèmes. C’est une édition revue et
enrichie de Distractions mathématiques, livre publié aux Éditions de l'Homme en
1977. En
ligne seulement.
16. Mathémots.
Éditions Récréomath, 2009.
On y trouve 200 problèmes de chiffres et de mots. La plupart des
problèmes ont été publiés dans le quotidien le
Fleuve (1995-1996).
En ligne
seulement.
Les 200 problèmes de ce livre sont une traduction d’Amusements mathématiques publié par les éditions Récréomath.
En ligne
seulement.
Ce livre contient 150 récréations touchant aux mathématiques et à la
logique. La plupart des problèmes ont été publiés dans le magazine
Les Débrouillards (1990-1996).
En ligne seulement.
19. 365 énigmes et devinettes, vol 2. Éditions Goélette, 2010, 261 p.
C’est un recueil de 365 problèmes récréatifs. On y joue avec les
chiffres, les lettres et différents objets ludiques. Voilà des énigmes,
des devinettes, des charades pour chaque jour avec congé mobile pour une
année bissextile.
20. 1001
énigmes et devinettes.
Éditions Coup d'œil, 2010, 536 p.
C’est un recueil de 1001 problèmes comportant des énigmes mathématiques,
des acrobaties logiques et magiques, des charades et des récréations
teintées de réalisme.
21. Secrets des carrés magiques
d'ordre 3.
Éditions Récréomath, 2011.
C'est une étude relative aux carrés magiques constitués de neuf cases.
On fait l'analyse des relations qui existent entre les neuf éléments. On
y révèle la richesse des principales propriétés de ces carrés magiques.
En ligne seulement.
22. Récréations orphelines.
Éditions Récréomath, 2012.
Ce recueil présente 150 récréations de classes et de difficultés
variées.
Certaines récréations peuvent avoir plusieurs solutions ; d'autres une
seule. Les solutions ne sont pas données. En ligne seulement.
23. Panoplie de formules,
Éditions Récréomath, 2012.
Ce recueil contient 120 récréations pour lesquelles il faut établir une
formule. Une solution détaillée est suggérée seulement pour les
problèmes de rang impair.
En ligne
seulement.
24. 500 énigmes et devinettes,
vol. 1,
Éditions Coup d'œil, 2012, 254 p. Ce livre contient des énigmes logiques, des énigmes mathématiques, des anagrammes, des devinettes, des charades, quelques pièges et quelques fausses pistes : le tout pour le plaisir.
25. Algorithmes en tête,
Éditions Récréomath, 2013.
Ce recueil contient 100 récréations pour lesquelles il faut établir un
algorithme. Les solutions sont données.
En ligne
seulement.
26. Preuves à l'appui,
Éditions Récréomath, 2013.
Ce recueil contient 100 récréations pour lesquelles il faut faire une
démonstration. Une solution détaillée est donnée pour chaque problème.
Les solutions s’appuient, en grande partie, sur les propriétés des
nombres et des réseaux.
En ligne
seulement.
27.
Galaxie de mots,
Éditions
Charleries, 2013.
28.
500 problèmes
anciens, Éditions Récréomath, 2014.
29.
1001 nombres charmants, Éditions Récréomath, 2014.
30.
Fred-Éric,
Éditions
Charleries, 2014.
31. 500
énigmes et devinettes, vol. 2, Éditions Coup d’œil, 2015, 254 p.
Recueil de 500 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.
32.
Saint-Mathieu-de-Rioux raconte son histoire,
en collaboration,
Édité par la municipalité, 2016, 366 p.
Dans le cadre du 150e anniversaire de l’arrivée du premier
curé résident, présentation des principaux événements et personnalités
qui ont marqué Saint-Mathieu-de-Rioux.
33. Énigmes
et devinettes du jeudi, Éditions Goélette, 2016.
Recueil de 110 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.
34.
Petits problèmes plaisants,
Éditions
Charleries, 2016.
Deuxième édition. Petits
problèmes plaisants, Éditions Récréomath, 2019
35.
Jeux de grilles,
Éditions
Charleries, 2016.
Deuxième édition. Jeux de
grilles, Éditions Récréomath, 2019.
36.
Testez vos
connaissances en mathématiques,
Éditions
Charleries, 2017.
Deuxième édition. Testez vos
connaissances en mathématiques, Éditions Récréomath, 2019
37. 675
énigmes,
Éditions Goélette, 2017.
Recueil de 675 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.
38.
100 récréations mathématiques sur 100,
Éditions
Charleries, 2017.
Deuxième édition. 100 récréations
mathématiques sur 100, Éditions Récréomath, 2019
39. Énigmes
et devinettes du jeudi, vol. 2,
Éditions Goélette, 2017.
Recueil de 110 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.
40. 500
énigmes et défis,
Éditions Coup d’œil, 2018, 270 p.
Recueil de 500 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.
41.
2000 questions-quiz
mathématiques, Éditions Récréomath, 2019-2023.
42.
1100 trucs
mathématiques, Éditions Récréomath, 2019-2023.
43.
150 énigmes, Éditions Récréomath, 2019.
44.
120 passe-temps
cryptarithmiques, Éditions
Récréomath, 2019.
45.
240
passe-temps combinatoires, Éditions Récréomath, 2019-2023.
46. 120 passe-temps logiques, Éditions Récréomath, 2019.
47. 240
passe-temps arithmétiques, Éditions
Récréomath, 2019-2023.
48.
120 passe-temps géométriques, Éditions Récréomath, 2020.
49. 140 énigmes, Éditions Charleries, 2020.
Recueil de 140
énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de
chiffres, et des situations logiques.
En ligne
seulement.
50.
Défis logiques,
Éditions Goélette, 2020.
51. Énigmes, 450
défis, Éditions Goélette, 2022.
Recueil de 450
énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de
chiffres, et des situations logiques.
52.
500 énigmes et casse-têtes, Éditions Goélette, 2022.
Recueil de 500 énigmes de lettres, de chiffres et de logique.
53.
500 énigmes et jeux d’esprit, Éditions Goélette, 2022.
Recueil de 500 énigmes de lettres, de chiffres et de logique.
54.
Défis logiques, 120 casse-têtes, Éditions Goélette, 2023.
On y trouve 120 situations originales et stimulantes qui font
appel à l’esprit logique et au sens de la déduction.
55. Banque de problèmes résolus, Éditions Récréomath, 2024.
Une diversité de problèmes accompagnés de
démarches variées dans le cadre de la résolution de problèmes. En ligne
seulement.
56. Énigmes, 110 défis,
Éditions Goélette, 2024.
Recueil de 110 énigmes comportant des
charades, des devinettes, des jeux de mots et de chiffres, et des
situations logiques.
********** FIN **********
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