(Dessin réalisé au primaire)

Contactez-moi : cejean@charleries.net

Les charleries

Bienvenue sur mon blogue,

Ce blogue contient des souvenirs, des anecdotes, des opinions, de la fiction, des bribes d’histoire, des énigmes et des documents d’archives.

Charles-É. Jean

Ma première vie

Par Charles-É. Jean

Avant-propos

 

La vie est un ensemble d’événements souvent relativement peu importants mais qui façonnent la personnalité de chacun. C’est dans ce contexte que j’aligne les faits et gestes de mon enfance jusqu’au début de l’âge adulte en des images successives. Ce que la nature m’a offert et les événements relatés mêmes anecdotiques ont fait de moi ce que je suis devenu.

 

Aucune vie n’est pareille à une autre, mais ma première vie, comme celle de beaucoup de mes contemporains qui sont nés en campagne au milieu du 20e siècle, ne ressemble pas du tout à celle des jeunes du début du 21e siècle.

 

Le lecteur remarquera qu’une évolution certaine apparaît dans mon environnement tout au long de ce récit. Peu à peu, se greffent des commodités à la maison et sur la ferme. À ma naissance, les moyens technologiques sont minimes. Avec le temps, ils surviennent tranquillement dans la vie collective.

 

Après une présentation de mes parents, je décris les événements de mon enfance à la maison et à l’école. Puis, je parle de mes années de pensionnat qui, à partir de 12 ans, occupe une période de près de 10 ans, soit presque la moitié de ma première vie.

 

Bonne lecture !

 

Table des matières

 

Chapitre 1. Avant 1941

Chapitre 2. Ma petite enfance

Chapitre 3. Mes débuts à l’école du rang

Chapitre 4. Ma 3e et 4e année à l’école du rang

Chapitre 5. Ma 6e et 7e année à l’école du rang

Chapitre 6. Ma première année au Séminaire 

Chapitre 7. Syntaxe et Méthode au Séminaire

Chapitre 8. Versification et Belles-Lettres au Séminaire

Chapitre 9. Mes années collégiales au Séminaire

Chapitre 10. Mon séjour au Grand Séminaire

Annexe 1. Mes principales réalisations

Annexe 2. Courte biographie

Annexe 3. Mes livres publiés

Chapitre 1. Avant 1941

 

Lieu de naissance

Ma paroisse natale, c’est Saint-Mathieu-de-Rioux, petit patelin rural qui compte environ 1200 habitants en 1941, année de ma naissance. Cette municipalité est située à 50 kilomètres au sud-ouest de Rimouski. Les premiers occupants sont des Micmacs. Leur campement est situé le long de la rivière Neigette là où sera construit le premier moulin à farine.

 

Le premier colon de Saint-Mathieu est Michel Jean (1794-1870), maçon de métier qui est un de mes ancêtres. En juillet 1830, il achète un lot de 10 arpents de largeur à l’ouest de l’église actuelle. Quand il s’y installe, il est accompagné de sa seconde épouse Sophie Bergeron, de ses trois enfants du premier lit et de ses trois enfants du second lit. Pendant trois ans, il est seul avec sa famille au milieu des bois n'ayant pour compagnons que trois Micmacs.

 

À ce moment, pour se rendre à Saint-Simon, Michel Jean doit emprunter un sentier non carrossable qui a été aménagé à la pelle et à la hache. Il peut aussi se rendre à Trois-Pistoles par le lac Saint-Mathieu. Il profite de cette voie pour aller y vendre des échantillons de sa récolte. Ses proches sont étonnés de voir la qualité de ses produits et certains décident de le suivre.

 

Un peu plus tard, avec l’aide de d’autres colons, à la place du sentier, Michel Jean construit sur sa terre une route qui permet de rejoindre le village de Saint-Simon. Elle est située à peu près au même endroit que la route actuelle Saint-Mathieu/Saint-Simon. Plus tard, il vend sa terre et va s’établir au sud du lac tout près du pont de l’ouest.

 

J’ai découvert que Michel Jean était le premier colon de Saint-Mathieu quand j’ai fait des recherches pour écrire l’album-souvenir de cette paroisse en 1966. Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne parmi les paroissiens, pas même parmi les Jean, ne détenait cette information.

 

Je suis de la cinquième génération de Michel Jean (1793-1870) et de Véronique Plourde (1797-1825). Se suivent :

- Melchior Jean (1819-1894), mon arrière-grand-père, époux d’Élisabeth Dionne (1823-1903) (couple de gauche)

- Théophile Jean (1845-1922), mon grand-père, époux d’Élise Boucher (1868-1910) (couple de droite)

- Edmond Jean (1905-1997), mon père, époux de Marie-Laure Théberge (1907-2003)

                        

 

Mon père

Mon père Edmond Jean naît le 2 mars 1905 au village de Saint-Mathieu-de-Rioux. Il est le huitième enfant d’une famille qui en comptera 11. Son père Théophile a alors 59 ans. Sa mère, Élise Boucher, a 36 ans. Quand Théophile se marie le 24 avril 1893 à 47 ans, il est, selon l’expression de l’époque, un vieux garçon et cela depuis longtemps. Son épouse a 24 ans.

 

Élise Boucher décède le 17 mai 1910, soit 15 jours après avoir donné naissance à son 11e enfant, Candide. Une pleurésie l’emporte alors qu’elle a seulement 41 ans. Élise était mariée depuis 17 ans à Théophile qui avait alors 65 ans. Sa mort a bouleversé la vie de sa famille.

 

Ses parents adoptifs

Lors d’un prône, le curé de Saint-Mathieu-de-Rioux, le révérend Réal Cayouette, annonce que le père Théophile Jean est prêt à donner en adoption un de ses trois garçons. Ludger Ouellet qui est cultivateur au petit-rang 4 se présente avec son épouse Philomène Lévesque. Le couple choisit mon père qui a 5 ans. Grand-père Jean accepte et mon père est adopté sans acte légal.

 

Dans ses mémoires, Marie-Ange Jean, la sœur de mon père, écrit :

« Quelques temps après la mort de ma mère, M. et Mme Ludger Ouellet de St-Mathieu qui n'avaient pas d'enfant se présentèrent chez mon père pour le supplier de leur donner un de ses enfants. Après réflexion, mon père se décida de lui passer Edmond, le deuxième des trois garçons. »

 

Ludger Ouellet naît le 30 juin 1862. Il est le fils de Narcisse Ouellet et d’Hortense Lagacé. Il épouse Philomène Lévesque le 23 janvier 1883 à Saint-Mathieu. Lors de leur mariage, Ludger a 21 ans et Philomène 17 ans.

 

Philomène est née le 21 septembre 1866 deux semaines avant l’ouverture des registres paroissiaux de Saint-Mathieu-de-Rioux. Elle est la fille de Joseph Lévesque et de Sophie Paradis.

 

Lors du recensement de 1901, Ludger, son épouse Philomène, sa fille Emma, son père Narcisse, ses neveux Arthur (16 ans) et David (13 ans) sont domiciliés au Petit-4, soit sur la route du cinquième rang. Leur voisin de l’ouest est Ferdinand Dionne, père de Charles Dionne, et celui de l’est Majorique Lagacé, père d’Elzéar Lagacé. Les deux fils hériteront de la terre paternelle.

 

En 1910, lors de l’adoption d’Edmond, Ludger a 48 ans et Philomène 44 ans. Ludger cultive la terre qu’il a héritée de son père. Plus tard, le beau-fils de Ludger, Adélard Ouellet, en deviendra le propriétaire. Puis, ce fut au tour d’Omer, le fils d’Adélard, de cultiver cette terre jusqu’à son départ pour Amos en Abitibi en 1953.

 

Un crochet aux États-Unis

Quelques mois après l’adoption de mon père, le couple Ouellet-Lévesque décide de s’expatrier aux États-Unis. Allait-il rejoindre leur gendre Adélard qui avait épousé leur fille unique Emma en 1904 à Newmarket, dans l’état du New Hampshire ? Probablement. Une chose est certaine : mon père les accompagne. Il vit aux États-Unis pendant deux ans où il apprend quelques mots d’anglais, mais il ne va pas à l’école. Cette photo de mon père a été prise aux États-Unis.

 

Mon père et ses parents adoptifs reviennent à Saint-Mathieu au printemps 1913 : c’est ce que nous apprend le Progrès du Golfe, un journal de Rimouski, dans son édition du 11 avril 1913 :

 

« Cinq familles absentes nous sont revenues dans la paroisse. Ce sont les familles de M. Ludger Ouellet, de M. Adélard Ouellet, de M. Ernest Jean qui étaient aux États-Unis depuis deux ans. M. Alexandre Vézina, absent depuis un an est revenu dans sa maison du village. M. Arthur Ouellet a vendu sa terre et réside maintenant au village. »

 

À leur retour à Saint-Mathieu, Ludger, 51 ans, se réinstalle sur sa terre. Le cheptel de la ferme est composé d’un cheval, de deux vaches, de quatre moutons et de quelques poules.


Courte période d’études

Mon père vient d’avoir huit ans. Il commence sa première année à l’école du Faubourg du Moulin qui, à cette époque, est un véritable petit village. On y trouve même un magasin, qu’on appellerait aujourd’hui un dépanneur, et bientôt un bureau de poste.

 

Il aurait pu faire de bonnes études car il est doué, mais il n’est pas intéressé. À 11 ans, il se présente à l’école avec une cigarette en bouche. La maîtresse lui signifie qu’il est interdit de fumer à l’école. Après des pourparlers, l’institutrice lui dit qu’il doit choisir entre la cigarette et l’école. Il rétorque avec assurance qu’il opte pour la cigarette. C’est ainsi qu’il termine ses études primaires avec à peine une troisième année. Il désapprend rapidement ce qu’on lui a enseigné si bien qu’il devient analphabète, ne sachant ni lire ni écrire. Tout ce qu’il a retenu de ses années à l’école, c’est de signer son nom et il le fait à la façon d’un dessin.

 

Mon père a été confirmé à l’âge de 13 ans. Voici ce que ma mère a écrit dans son journal :

« Edmond a été à l’école du Moulin et terminé ses études à 11 ans. Il a été confirmé le 9 avril 1918. »

 

Mon père travaille sur la ferme et dans l’érablière de Ludger Ouellet, son père adoptif. Adélard et son épouse demeurent dans la même maison. Ludger Ouellet quitte la maison familiale en 1922 pour aller s’établir au village. Mon père, qui a 17 ans, choisit de demeurer sur la ferme avec Adélard. Dans les dernières années de célibat, il va bûcher dans les chantiers pendant l’hiver aux alentours de la rivière Humqui. Il économise son argent en vue de s’acheter une terre.

 

Fratrie de mon père

Mon père a toujours été indifférent envers ses frères et ses sœurs. Nous n’avons jamais senti un esprit de famille. Est-ce dû à l’adoption ou est-ce une attitude dans cette famille ? Une chose est certaine : la plupart des membres de cette famille se sont dispersés avant même d’être adultes.

 

Deux filles, Adélia et Arthémise, s’installent à Saint-Fabien. La première quitte plus tard pour Barraute en Abitibi. Deux filles, Antoinette et Marguerite, passent leur vie d’adulte à New York ; deux autres, Valentine et Rosanne, à Montréal. Les deux frères de mon père vivent à Montréal sans jamais se marier. L’un, Léo, a toujours demeuré en chambre sur la rue Notre-Dame à Montréal. Il a travaillé pour le Canadian Pacific. L’autre a été itinérant. J’en reparlerai plus loin Seuls trois membres de la famille Théophile Jean se sont installés à Saint-Mathieu : mon père et deux de ses sœurs : Marie-Ange et Candide.

 

Ma mère

Ma mère Marie-Laure Théberge naît le 24 janvier 1907 au village de Saint-Mathieu-de-Rioux. Elle est le deuxième enfant d’une famille qui en comptera 11. Son père Émile a alors 25 ans. Sa mère, Marie-Luce Ouellet, a 28 ans. Émile est le fils d’Alfred Théberge et de Rose Rousseau. Il est né le 29 août 1882. Marie-Luce est la fille de François Ouellet et de Vitaline Gravel. Elle est née le 22 mai 1879.

 

Grand-père Émile Théberge cultive la terre voisine de celle de la fabrique à l’est. Il a hérité du lot familial. Son père l’avait obtenu de Vital Rousseau, père de son épouse Rose.

 

Enfance de ma mère

Dès sa naissance en janvier, ma mère doit affronter le froid de l’hiver, car, à cette époque, les maisons ne sont pas suffisamment chauffées. Elle est l’aînée de la famille. Un garçon était né un an plus tôt.

 

Quand ma mère a 6 ans, tante Corinne Théberge, la sœur de grand-père Émile Théberge, enseigne à l’école du Moulin. Non loin de l’école, il y a un moulin à farine et un moulin à scie. Mon père fréquente cette école depuis peu. Un jour, tante Corinne amène sa nièce à son école et c’est là que ma mère voit pour la première fois son futur mari. Cette première rencontre ne laissera aucune trace à court terme.

 

Tante Clémentine Théberge qui est célibataire et au début de la cinquantaine est responsable de la centrale téléphonique qui dessert toute la paroisse. Cette centrale est installée dans le haut-côté de la maison d’Alfred Théberge. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, ma mère est initiée par sa tante à tenir la console téléphonique. Cette dernière va à la messe de 7 heures à peu près tous les matins. C’est pendant ce temps que ma mère achemine les appels. C’est le moment d’ailleurs où les appels sont les plus nombreux de la journée puisque le téléphone doit servir presque uniquement pour les affaires et, par ricochet, est utilisé par les hommes. Pour communiquer avec une autre personne, il faut appeler la console et la préposée signale le numéro demandé que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la paroisse.

 

Dès son jeune âge, comme elle est l’aînée, ma mère aide sa mère dans les travaux domestiques. Les garçons, en ce temps-là, sont exclus des tâches ménagères.

 

À l’école

C’est avec ravissement que ma mère commence l’école dans un bâtiment situé à l’ouest de l’église, là où plus tard s’est élevée la salle paroissiale. On appelle ce bâtiment l’école modèle. On y dispense sept années d’études, alors que les écoles de rang offrent à cette époque-là les cinq premières années.

 

Ma mère aime l’étude et est très appliquée. Une de ses institutrices est la jeune Jovette-Alice Bernier, de Saint-Fabien, qui fut connue plus tard comme romancière. Elle côtoie aussi Charles-Eugène Parent qui est devenu archevêque de Rimouski.

 

Elle est en cinquième année à l’école modèle et elle a à peine 11 ans. Son rêve de devenir une femme instruite s’estompe quand sa mère lui demande d’abandonner l’école pour l’aider aux tâches ménagères. Elle a très souvent raconté qu’elle avait pleuré et qu’elle avait insisté auprès de sa mère pour qu’elle puisse continuer ses études. Peut-être serait-elle devenue institutrice comme ses tantes Corine, Émilie et Laura Théberge, les sœurs de son père ?

 

Peine perdue, la famille Émile Théberge compte déjà huit enfants dont quatre ont moins de six ans et un neuvième s’annonce. De plus, la santé de sa mère est défaillante. Quand ma mère abandonne l’école, elle vient de recevoir le sacrement de confirmation le 9 avril 1918.

 

Malgré cet abandon qu’elle juge précoce, ma mère continue à s’instruire en s’adonnant à la lecture et en fouillant dans les livres d’école de ses tantes Théberge. Aussi, elle en arrive à être capable d’écrire à peu près sans faute d’orthographe et de grammaire. De plus, elle est naturellement une bonne conteuse et son vocabulaire se diversifie assez rapidement.

 

C’est avec résignation qu’elle se met à la tâche en approfondissant peu à peu les rudiments du métier de ménagère. Sans le réaliser, elle se prépare déjà à être mère au foyer.

 

Ma mère aime surtout la couture. Dès l’âge de 15 ans, en cachette, elle prend la machine à coudre et confectionne un habit pour son frère Georges. Sa mère est agréablement surprise du résultat et lui permet d’utiliser l’appareil de couture. Avec le temps, elle se perfectionne dans ce domaine pour lequel elle a un don remarquable.

 

À l’âge de 20 ans, elle est engagée chez Antoine Dionne qu’elle a toujours appelé M. Antoine. Ce dernier héberge son père Jean Dionne qui est veuf.

 

Qui est M. Antoine ?

Antoine Dionne est un personnage important dans la paroisse de Saint-Mathieu-de-Rioux. En 1906, avec son cousin Ernest Dionne, il fonde la manufacture de boîtes à beurre. Il est reconnu comme un génie de la mécanique, créant plusieurs machines adaptées à la production. Il administre une succursale de la Banque canadienne nationale et possède un moulin à scie en bas de la paroisse.

 

En 1918, il est élu maire, poste qu’il occupera jusqu’en 1934 après avoir démissionné pour des raisons de santé. Sa mère, Hélène Jean, est la sœur de Théophile Jean, le père de mon père. M. Antoine est donc le cousin germain de mon père.

 

Ma mère gagne alors 15 $ par mois, un excellent salaire. Elle aide ainsi à faire vivre la famille Théberge. En effet, elle remet une bonne partie de sa paie à ses parents. De plus, elle a la permission, dans ses temps libres, de faire des travaux de couture pour sa fratrie. Elle reste à l’emploi de cet homme jusqu’à son mariage.

 

En même temps, Monsieur Antoine est l’exécuteur testamentaire de grand-père Théophile Jean. Au décès de ce dernier en 1922, il a le mandat d’administrer ses biens et devient le tuteur légal des enfants mineurs (moins de 21 ans). Mon père a alors 17 ans. Il a été adopté à 5 ans de façon non légale. Aujourd’hui, on dirait qu’il était en famille d’accueil. Théoriquement, Monsieur Antoine est son tuteur pendant quatre ans.

 

À l’occasion, mon père visite son oncle. Il est probable que Monsieur Antoine encourage ses visites. Il en est d’ailleurs peut-être l’initiateur. À ce propos, ma mère a déjà raconté qu’elle avait reçu un cavalier antérieurement et que Monsieur Antoine lui avait interdit de le fréquenter.

 

Monsieur Antoine est décédé deux ans après le mariage de mes parents. Ma mère a toujours manifesté de l’admiration envers cet homme. Par ailleurs, les parents proches de monsieur Antoine ont toujours eu une grande considération pour elle.

 

La fratrie Théberge

J’ai eu la chance de bien connaître les frères et les sœurs de ma mère parce que, sauf Antonio, ils ont toujours vécu à Saint-Mathieu-de-Rioux. On peut voir sur la photo en 1957.  Troisième rangée : Léo ayant dans ses bras France, la fille de Gabrielle, Antonio, Maurice, Georges. Deuxième rangée : Gabrielle, Candide, Lucienne. Première rangée : mon père, ma mère, grand-père Émile Théberge.

Il y a eu Léo, l’aîné de la famille. Il montrait un air sérieux. Il a travaillé la plus grande partie de sa vie au magasin général de Lucien Ouellet comme commis. Il a été secrétaire de nombreux organismes. Son épouse Lucie D’Auteuil était une personne dynamique. Elle a rendu de nombreux services à la communauté de Saint-Mathieu en conseillant les gens dans leurs transactions et en étant gérante d’une succursale locale de la Banque canadienne nationale.

 

Il y a eu Marie-Ange que je n’ai pas connue. Elle a travaillé comme commise au magasin coopératif à ses débuts. Elle est décédée d’un cancer à l’âge de 35 ans.

 

Il y a eu Antonio, prêcheur talentueux. Il était profondément religieux. Il s’est dévoué dans plusieurs associations dont le Cercle Lacordaire et l’Union des cultivateurs catholiques en prononçant maintes conférences. Il a été gérant du magasin coopératif pendant plusieurs années. La vie ne l’a pas toujours gâté. Il a perdu sa première épouse Adrienne Théberge lors d’un accouchement, lui laissant neuf enfants. Sa deuxième épouse, Gertrude Thériault, a eu deux enfants et est décédée à 50 ans. Il a conclu un troisième mariage avec Rose Dumont qui est décédée à 101 ans et 10 mois.

 

Il y a eu Candide dont je parlerai plus loin.

 

Il y a eu Lucienne, femme digne et élégante, ma marraine. Elle a épousé Édouard Ouellet et a été femme de cultivateur.

 

Il y a eu Thérèse, ancienne institutrice. Elle a épousé Roland Dionne qui a d’abord été cultivateur, puis qui a travaillé pour la compagnie Dionne et Dionne dont les propriétaires étaient ses frères.

 

Il y a eu Maurice, homme généreux qui a été sacristain, chantre et directeur de chorale. Il a gagné sa vie en faisant divers métiers, par exemple, comme barbier, peintre ou comme concierge de l’école. Il a épousé Lucille Lavoie, une musicienne accomplie.

 

Il y a eu Georges, homme d’allure sévère. Il a hérité de la terre paternelle située près de l’église. Il a été de la quatrième génération sur cette terre. Il fut brièvement maire. Il a épousé Jeanne Parent, une ancienne institutrice.

 

Il y a eu Gabrielle, femme sympathique et ambitieuse. Elle a épousé Paul-Émile Bérubé et a été épouse de cultivateur.

 

Il y a eu Bernadette que ma mère appelait la petite Bernadette. Elle est décédée à 4 ans.

 

Tante Candide Théberge

Candide Théberge naît le 23 mai 1912. Elle demeure catherinette toute sa vie ; elle n’a jamais voulu se marier. J’ai souvent demandé à ma mère la raison de ce choix. La réponse a toujours été évasive. Elle disait qu’il en fallait une dans une famille pour prendre soin de son vieux père. Tante Candide avait peu d’autorité sur les enfants. Elle a pris soin de son père pendant plusieurs années. N’ayant pas d’enfant, elle relevait souvent ses sœurs.

 

Plus tard, quand j’ai marché au catéchisme, je suis demeuré chez elle pendant un mois. Elle était très attentive et me traitait avec beaucoup de soins. Un jour qu’elle m’avait demandé de faire une commission au magasin coopératif, elle me donna un sou comme récompense. J’étais content. Une trentaine d’années plus tard, je lui ai rappelé ce fait et elle m’a dit : « Aujourd’hui, je t’en donnerais beaucoup plus. » J’ai regretté de lui avoir raconté ce souvenir parce que j’ai eu l’impression que cela l’avait froissé.

 

Quand l’oncle Georges se marie en 1948, elle emménage avec son père dans le haut-côté de la maison paternelle. Elle n’a aucune ressource financière si ce n’est la pension de vieillesse de son père et les redevances de son frère Georges qui a hérité de la terre paternelle. Chaque dimanche, elle reçoit aimablement notre famille avant et après la messe.

 

Elle s’occupe de son vieux père jusqu’à sa mort en 1960. Quand celui-ci meurt, il lègue à tante Candide, outre ses biens, 1500 $. Les autres enfants reçoivent 170,94 $. Un de mes cousins me racontait que son père, Léo Théberge, lui avait remis son chèque pour la remercier des bons soins qu’elle avait apportés à leur père. Je ne sais pas si ma mère ou d’autres ont fait de même.

 

Dans les années 1990, tante Candide se fracture une hanche en tombant de sa chaise. Elle décide alors de ne plus jamais remarcher. Elle finit ses jours au Centre hospitalier de Trois-Pistoles. Je conserve un excellent souvenir d’elle. Je suis certain que les indulgences plénières qu’elle a gagnées lui procurent une belle place dans l’au-delà.

 

Les petits-enfants

Le couple Théophile Jean et Élise Boucher auront 47 petits-enfants issus de leurs 11 enfants. Le couple Émile Théberge et Marie-Luce Ouellet auront 61 petits-enfants issus aussi de leurs 11 enfants. Mes parents auront 22 petits-enfants issus de leurs 10 enfants.

 

Hiver 1931. Aventures d’amour

Tout en travaillant, mon père confie à Omer Ouellet ses états d’âme.

 

Qui est Omer Ouellet ?

De neuf ans, il est plus jeune que mon père, mais il a été élevé dans le même foyer que lui. En effet, il est le fils d’Adélard et petit-fils de Ludger Ouellet, père adoptif de mon père. Il a épousé Rose-Aimée Ouellet, sœurette de ma mère.

 

Dans son autobiographie en 1987, Omer Ouellet décrit le souvenir suivant :

 

« Après le bûchage, lorsque la neige commençait, c’est le moment du charroyage du bois en sleigh double. Pendant tout l’hiver, je charroyais avec Edmond, chacun notre voiture. En montant les côtes, nous marchions tous les deux ensemble. Cette année-là, il courtisait Marie-Laure Théberge et il me contait ses aventures d’amour, certes pas les plus importantes, mais ça m’intéressait tout de même. Un jour, il arrive et me dit : « C’est cassé avec Marie. ». Je lui demande ce qui s’est passé mais il ne me répond pas. Il me dit : « Il y a des chances que ça reprenne car il fait doux ; quand il fait froid, ça casse plus sec et les chances de reprise sont faibles. » Tout s’est passé pour le mieux car Marie-Laure est devenue sa femme et lui a donné une très belle progéniture. Tous les deux sont très fiers, et avec raison. »

 

Automne 1931. Achat de deux terres

Mon père achète les deux terres de Philéas Gaudreau. L’une est au rang 5. Elle mesure quatre arpents de front et environ 30 arpents de profondeur. On y trouve une maison, une vieille grange-étable et un hangar. Par bonheur à l’extrémité nord, il y a une érablière. Son voisin de l’est est Ernest Desjardins, gendre du père Philéas et celui de l’ouest est Hormidas Gaudreau, fils du père Philéas. Cette terre est escarpée et rocheuse. En particulier, il y a une grosse roche dans le jardin qu’il faut contourner.

 

Le rang 6

L’autre terre est au rang 6. Elle mesure deux arpents de front et environ 15 arpents de profondeur. Pour s’y rendre, à partir de la maison du rang 5, on emprunte la route qui conduit au Lac-Boisbouscache. Avant la barrière en opération à l’année pour empêcher les chasseurs et les pêcheurs d’aller plus loin, un chemin en forêt est tracé vers l’est. On franchit environ un kilomètre en passant sur la partie concédée à la Brown Corporation, une compagnie forestière, puis on atteint la terre du rang 6.

 

Il y a là un lopin de terre qui avait déjà été habité par Ferdinand Rousseau au début du 20e siècle. Il y a déjà eu des bâtiments sur cette terre. Ils étaient dans la partie nord. On pouvait encore voir l’emplacement de la maison et d’une fontaine. Chaque été, des fleurs vivaces de parterre principalement des marguerites apparaissaient autour des restes du solage.

 

En continuant vers le sud dans la forêt et après avoir franchi un pont de construction artisanale, on atteignait un immense terrain plat. Nous appelions ce terrain Les prairies. La raison est que, vers l’ouest, il y avait un lac, soit le lac des Prairies. Le terrain était entouré de forêts et était borné au sud par le Lac-Boisbouscache. On y trouvait un petit camp et une grange ouverte pour y déposer temporairement le foin.

 

Coût des terres

Le coût des deux terres et des dépendances y compris l’érablière : 4000 $. C’est un montant considérable pour l’époque. Mon père donne 1500 $ comptant, argent gagné dans les chantiers à bûcher, puis s’engage à verser 125 $ annuellement en janvier pendant 20 ans.

 

Voici ce que Marie-Ange Jean, la sœur de mon père, a écrit dans son autobiographie :

 

« Pendant ma deuxième année d'enseignement à Saint-Mathieu, mon frère Edmond acheta la terre de Philéas Gaudreau. Comme il était seul, il me demanda pour aller rester avec lui. Je quittai ma pension chez M. Bérubé pour aller rester avec lui. Je m'avisai de faire du grand ménage par les soirs et les fins de semaine, me voilà lavant murs et plafonds. Après quelques jours, j'avais de la peine à me tenir droite, j'avais mal aux reins, j'avais les muscles endoloris. C'était le fun pour la petite maîtresse d'école, ah ! ah ! ».

 

« Mon frère se maria quelques mois après avec Marie-Laure Théberge, une fille très bien qui prit sa place comme maîtresse de la maison. Je pris pension chez eux pour finir l'année scolaire. »

 

Avant le mariage, mon père suit une « retraite préparatoire » avec le curé Joseph Gauvin, ma mère pas. On peut penser que cette retraite est de courte durée et qu’elle vise à instruire mon père sur ses responsabilités de géniteur. Ma mère est exemptée, probablement comme pour toutes les femmes de l’époque qui doivent obéir à leur mari.

 

30 mars 1932. Mariage de mes parents

 Le 30 mars 1932 à 7 heures du matin, mon père Edmond Jean et ma mère Marie-Laure Théberge se marie en l’église de Saint-Mathieu-de-Rioux devant le curé Joseph Gauvin qui est en poste depuis cinq mois.

 

La famille Théberge est là de même que certains membres de la famille Jean et de la famille adoptive. Les témoins sont le père adoptif d’Edmond, Ludger Ouellet, et le père de Marie-Laure, Émile Théberge. Outre les époux et les témoins, Léo Théberge, frère de Marie-Laure, appose sa signature dans le registre paroissial.

 

Le dîner de noces a lieu chez Émile Théberge. En après-midi, les jeunes époux montent dans la carriole tirée par un cheval (photo ci-contre) et se rendent dans leur nouvelle résidence au rang 5. La soirée de noces est prévue pour le même soir chez Ludger Ouellet, mais mon père décide en arrivant chez lui qu’il ne veut pas y aller. Alors, mes parents ne se présentent pas. Ma mère qui aime beaucoup les relations sociales et familiales est très déçue.

 

Ma mère vient d’épouser un homme très sédentaire et très solitaire, un homme qui n’aime pas la compagnie, un homme qui parle peu, un homme peu pratiquant en matière religieuse. Ma mère, elle, adore sortir chez des parents ou amis, parle beaucoup et est super pratiquante. De plus, ses principes religieux sont très forts. Ces deux personnes sont à l’extrême l’une de l’autre.

 

Selon la coutume, mes parents ne font pas de voyage de noces. C’est beaucoup plus tard en 1965 qu’ils font leur premier voyage ensemble. Je faisais partie du voyage. Voici ce que ma mère a écrit à ce sujet :

 

« Oui, nous avons fait notre voyage de noces. Ça faisait 33 ans que nous étions mariés. Papa, la maladie l’a pris en montant. Rendus à Montréal, Mont-Laurier, on a pu se rendre à Val d’Or où il a été hospitalisé. Il a subi une opération de la prostate. Il a été un mois à l’hôpital. […] On a été 6 jours à notre voyage, nous sommes allés à Barraute et Amos. C’est le premier voyage que nous faisions, partis le 18 août 1965 ».

 

Après le mariage, ma mère offre à mon père de lui donner des cours de lecture et d’écriture. Il accepte, mais peu à peu, il s’en désintéresse.

 

Moyens de survivance

Pour survivre sur cette terre rocheuse et escarpée, il faut des sources de revenus diversifiées : vente du lait ou de crème, vente d’animaux de boucherie, principalement du porc et du bœuf, vente de peaux de bœuf et de petits animaux de trappe destinés au tannage, vente de produits de l’érable, vente de la laine de mouton, vente de billots de bois mou pour la construction.

 

Pour se nourrir, un potager qu’on appelle jardin à l’époque, des pommiers, des cerisiers, des poules et leurs œufs, l’abattage d’un porc et d’un bœuf par année, la chasse aux petits gibiers comme le lièvre et la perdrix, les fruits des champs comme les fraises, les framboises et les bleuets, aussi la culture de la pomme de terre.

 

Pour s’habiller, une partie de la laine des moutons qui est cardée, puis filée et avec quoi ma mère confectionne des bas, des gilets, des tuques, des camisoles, des pantoufles, des foulards, des sacs d’école, des revêtements de coussins ; aussi, des boîtes de linge données par les tantes Rosanne de Montréal, Marguerite et Antoinette de New York. Les vêtements reçus sont transformés par ma mère qui en confectionne des habits, des pantalons, des robes et même ... des casquettes ou des sacs à dos pour l’école.

 

La maison paternelle
Quand ma mère entre dans sa nouvelle maison, elle tient à la faire bénir par le curé. Cela se fait en juillet 1932. La
maison comprend un corps principal à deux étages. L’annexe à l’est qui deviendra la cuisine n’est pas encore finie. Il n’y a pas de plancher. Le local sert comme remise pour les graines de semence et les agrès de toutes sortes. Des touffes d’herbe apparaissent çà et là.

 

Comme dans toutes les résidences du rang, il n'y a pas d’électricité, pas de bain, pas de douche, pas de toilette. Pour le chauffage de la maison et de l’eau et pour la cuisson, un poêle à bois. Pour les besoins naturels, des pots de chambre et, en été, une bécosse située au sud de la maison. Le téléphone existe, mais il est en difficulté. Il est possible de recevoir des appels ; il est impossible d’en faire.

 

Avec le temps, mon père transforme l’annexe en cuisine où il installe un poêle à bois. De nombreuses chaises berçantes complètent le décor. Pour accéder à la cuisine par l’arrière, on doit passer par un local qu’on appelle tambour et qui est non chauffé l’hiver. On y trouve un garde-manger nommé dépense. Pendant quelques années, le tambour arrière sert de cuisine d’été.

 

30 juin 1933. Naissance de Carmen

À 16 heures 30 minutes, c’est l’arrivée du premier rejeton de la famille : c’est une fille. Elle est appelée Carmen. Le docteur Langlois de Trois-Pistoles assiste à la naissance dans la maison familiale. Elle est baptisée le lendemain par l’abbé Jean-Baptiste Gauvin, un ami de la famille Théberge et frère du curé de Saint-Mathieu. Ses parrain et marraine, Émile Théberge et Marie-Luce Ouellet, ses grands-parents maternels.

 

Le 15 juillet, ma mère s’abonne à la revue la Bannière de Marie-Immaculée et reçoit un agenda spécial qui est fait pour indiquer les événements marquants d’une famille. Pour chaque enfant, ma mère y inscrit la date de naissance, la date du baptême, des parrains, etc.

 

28 septembre 1934. Naissance de Gilbert

Un second rejeton : c’est un garçon. Il naît à 22 heures 15 et est appelé Michel Gilbert. Comme pour tous les autres enfants de la famille, l’accouchement se fait à la maison. Il est baptisé le lendemain par le curé Joseph Gauvin. Ses parrain et marraine sont Ludger Ouellet et Philomène Lévesque, les parents adoptifs de mon père.

 

5 mars 1935. Mariage de Marie-Ange Jean

Mon père sert de témoin lors du mariage de sa sœur Marie-Ange. Voici ce que cette dernière a écrit dans ses mémoires :

 

« Ce lundi de Pâques, 5 mars 1935, à huit heures du matin, j'entrais dans l'église au bras de mon frère Edmond qui me servait de père. Environ une heure après, j'en sortais au bras de mon époux Alphonse, « ce bon garçon ».

 

21 mars 1936. Naissance de Suzanne

Suzanne atterrit dans ce monde vers 20 heures. Elle est baptisée le lendemain par le curé Joseph Gauvin. Il n’y a pas eu de médecin pour l’accouchement. Ses parrain et marraine, Antonio et Marie-Ange Théberge, le frère et la sœur de ma mère.

 

Mai 1937. Finances de la famille

Jusqu’à ce jour, toutes les transactions se font en argent sonnant. Par exemple, à la fin de chaque mois, le beurrier place l’argent dans une enveloppe. Il n’y a pas d’institutions financières dans la paroisse. Il faut aller à Trois-Pistoles ou à Saint-Simon où la Caisse populaire est en opération depuis cinq mois. La Caisse populaire de Saint-Mathieu-de-Rioux voit le jour le 2 mai 1937 dans la grande maison d’Émile Ouellet, située à l’ouest de l’église en face du futur magasin COOP.

 

Dès le 3 mai 1937, mon père prend une part sociale de 5 $ sous le folio 21. Il est alors le 21e sociétaire de la Caisse. Pour les transactions, on lui attribue le folio 30. Ce n’est que le 12 août 1937, soit trois mois plus tard, que mon père fait un dépôt de 40 $. Le 10 septembre, il dépose un autre 40 $, puis 50 $ le 11 octobre et 25 $ le 25 novembre. Il retire 8 $ le 27 décembre. L’année 1937 se termine avec 147 $ dans son compte.

 

Ma mère aurait bien voulu devenir membre de la Caisse populaire. À cette époque, les femmes n’y ont pas le droit. Dans la pratique, toutes les transactions ou presque à la Caisse ont été effectuées par ma mère qui était la maîtresse du budget familial.

 

13 octobre 1937. Naissance de Lise

C’est au tour de Lise de faire son apparition vers quatre heures du matin. Elle est baptisée le même jour par le curé Joseph Gauvin. Ses parrain et marraine sont Donat Jean et son épouse Marie-Ange Jean, oncle et tante. Plus tard, Donat prend le nom d’Alphonse quand il apprend que c’est ce prénom qui apparaît aux registres paroissiaux au lieu de Donat.

 

Janvier 1938. Finances de la famille

Il n’y a pas de retrait en janvier 1938 dans le carnet de la Caisse populaire de mon père. Ce qui laisse supposer que mon père avait accumulé à la maison l’argent pour payer son terme de terre au montant de 125 $.

 

Pendant l’année 1938, il y a six écritures. On y trouve un retrait de 50 $ et un dépôt du même montant. À la fin de l’année, le montant d’épargne est de 136,55 $.

 

Le 13 janvier 1939, pour la première fois, un retrait de 125 $ est effectué dans le compte de la Caisse populaire de mon père pour payer le terme de la terre. Il ne reste que 11,55 $. Un autre retrait de 10 $ le 18 mars 1939 abaisse le compte à 1,55 $. Le 19 mars, mon père emprunte 35 $ pour trois mois. De son emprunt, il rembourse 15 $ le 16 juin et 20 $ le 10 juillet. Cela lui a coûté 59 sous d’intérêt. Entre temps, un boni de 10 sous et un intérêt de 1,30 $ lui sont attribués le 21 mai. À la fin de l’année 1939, l’épargne est de 138,98 $. Sévit encore la crise économique causée par le crash de 1929 dû à la rapacité d’investisseurs américains qui ont fait sauter la Bourse.

 

15 novembre 1939. Décès de Ludger Ouellet

Ludger Ouellet, le père adoptif de mon père, décède le 15 novembre 1939 à l’âge de 77 ans. Majorique Lagacé porte la croix et Désiré Rousseau porte le drapeau du Sacré-Cœur. Mon père porte le cercueil. Il est accompagné de Jean Ouellet, Émile Plourde et Eusèbe Côté.

 

15 janvier 1940. Finances de la famille

Le 15 janvier 1940, dans son carnet de la Caisse populaire, mon père est riche de 138,98 $. Il retire 125 $ pour payer un terme de terre. Il lui reste 13,98 $.

 

23 juillet 1940. Naissance d’un bébé anonyme

Tragique journée en ce beau lundi matin. Ma mère est sur le point d’accoucher. Le docteur Talbot de Trois-Pistoles est demandé pour assister ma mère. La situation se complique. Un garçon est mort-né vers 8 heures. Ma mère qui a failli mourir est épargnée. C’est un vrai miracle. Paul est ondoyé par le médecin. M. Ernest fabrique un petit cercueil blanc. Le corps de Paul est mis en terre dans le lot familial.

 

16 janvier 1941. Finances de la famille

En début d’année, mon père n’a que 34,68 $ dans son carnet de la Caisse populaire et il doit verser le terme annuel de sa terre qui s’élève à 125 $. Le 16 janvier, il retire 33 $. Mon père a-t-il été capable de payer son terme de terre au début de 1941 ? Impossible de le dire. Il emprunte 25 $ le 19 février 1941 et le rend le 28 mars, avec un intérêt de 17 sous. À la fin de l’année, l’épargne est de 135,61 $.

 

Chapitre 2. Ma petite enfance

 

6 juillet 1941. Ma naissance

Ma mère désire ardemment avoir un garçon. Elle a déjà trois filles et un garçon. C’est à mon tour de voir le jour ... ou plutôt la nuit. Je nais vers minuit 45. C’est un dimanche. Ma mère me met au monde à la maison, aidée d’une sage-femme, dans la chambre mystérieuse soit celle de mes parents.

 

Je suis le deuxième garçon vivant de la famille. Mon frère Gilbert aura bientôt sept ans. Ma sœur Lise, mon aînée, marche sur quatre ans. Je suis un bébé bleu : un bébé qui a des problèmes respiratoires et dont le système immunitaire est faible.

 

La maison qui me voit naître est dans ma vision d’enfant la plus belle de toutes. Dès que j’ouvre les yeux dans la chambre de mes parents, les murs sobrement tapissés m’accueillent en me tendant les bras. Avant mon départ pour le baptême, les plus âgés de la famille viennent me souhaiter la bienvenue.

 

Je suis baptisé l’après-midi même en l’église de Saint-Mathieu par le curé Charles Pelletier. Ma marraine est Lucienne Théberge et mon parrain, Édouard Ouellet. Le nom de Charles-Édouard provient de la combinaison des prénoms du curé et de mon parrain. Ma mère est très heureuse. Enfin, un garçon.

 

Ma mère décide que je suis le plus vieux du deuxième lit. Je deviens donc en quelque sorte l’aîné et cette blague mi sérieuse aura sans aucun doute influencé les gestes de ma vie. En effet, quelque part, j’ai vécu les responsabilités et les avantages d’un fils aîné.

 

Les difficultés respiratoires sont bien présentes. Elles sont accentuées par des problèmes de digestion dus sans doute au fait que je suis nourri au lait de vache qui contient des substances irritantes pour mon estomac. Évidemment, le lait n’est pas stérilisé.

 

Août 1941. Bénédiction d’une croix de chemin

En 1932, la croix du cimetière avait été remplacée. L’ancienne croix avait été déménagée sur la terre de mon père au rang 5. Elle était placée à l’intersection de la route menant au Lac-Boisbouscache. C’est ma mère qui avait fait les démarches nécessaires.

 

Puisque cette croix vieillit, il faut la remplacer. Mon père en collaboration avec Charles Plourde construit une nouvelle croix. Il la peint en noir et la dépose sur un soc en ciment au même endroit que la précédente. Une palissade en blanc l’entoure.

 

Un dimanche d’août, en après-midi, toute la paroisse se donne rendez-vous pour la bénédiction de la croix. Beaucoup de monde viennent visiter le petit bébé d’un mois qui n’en mène pas large. Même le curé vient me voir pour encourager ma mère. Celle-ci veut faire une retraite fermée ; mais, elle a peur de ne pas me revoir à son retour. Elle demande conseil à son cousin l’abbé Élie Beaulieu qui lui dit : « Va faire ta retraite, il sera encore là à ton retour. »

 

Je suis gâté par mes sœurs aînées. Mais, je ne peux vraiment pas jouer avec elles. Elles se trouvent trop vieilles pour moi et elles n’aiment pas les jeux de garçons.

 

À ma naissance, Saint-Mathieu compte 105 fermes. Il y a 1105 vaches laitières, 513 bovins, 978 moutons, 790 porcs, 3679 volailles et 272 chevaux. On trouve donc en moyenne 10,5 vaches par ferme, 4,8 bovins, 9,3 moutons, 7,5 porcs, 35 volailles et 2,6 chevaux.

 

Janvier 1942. Finances de la famille

En janvier 1942, mon père retire 135 $ de son compte à la Caisse populaire, ce qui est supérieur de 10 $ au terme de la terre. Après le retrait, le compte montre la coquette somme de 61 sous. À la fin de 1942, l’épargne est de 100,19 $.

 

Le 13 janvier 1943, mon père retire 100 $ de son compte. Il lui reste 0,19 $, eh oui, un gros 19 cents. Il emprunte 50 $ à la Caisse populaire. Le 22 février, il dépose 249,49 $. Cet argent provient probablement d’une vente de bois de sciage, peut-être d’animaux, mais ce n’est pas tellement la saison pour ce dernier genre de transactions. Mon père fait de plus en plus d’opérations à la Caisse. On peut penser que la confiance envers cette institution augmente. On aura atteint 16 écritures en 1943.

 

À la fin de l’année, le montant d’épargne est de 537,39 $. Ce n’est quand même pas si mal pour un cultivateur qui a six enfants à la maison. La crise économique sévit encore. Mais, l’économie va bientôt reprendre son souffle. L’argent recommence à circuler.

 

18 mai 1943. Naissance de Pierre-Paul

Un petit frère vient m’accompagner : Pierre-Paul. Il naît vers 21 heures. Il est baptisé le lendemain par le curé Charles Pelletier. Ses parrain et marraine sont Léo Théberge, frère de ma mère, et son épouse Lucie D’Auteuil.

 

13 janvier 1944. Finances de la famille

Le 13 janvier 1944, mon père retire 135 $ de son compte de Caisse pour payer le versement annuel de sa terre. Il lui reste 402,39 $ : une fortune quoi ?

 

5 novembre 1944. Naissance de Raynald

Pierre-Paul vient à peine d’avoir 16 mois. Un troisième garçon du deuxième lit naît vers 10 heures 30. Il est appelé Louis Raynald. Il est baptisé le même jour par le curé Charles Pelletier. Sa marraine est Candide Jean, sœur de mon père, et son parrain Thomas Thibault, époux de Candide.

 

Rêve ou réalité

C’est l’été. La chaleur est au rendez-vous. Je me vois le long du chemin du rang 5 en face de la maison. Je suis pieds nus. Je porte un vêtement pâle agrémenté de petites fleurs. J’ai l’intention de traverser le chemin pour me rendre à l’ancienne étable.

 

Je vois un gros camion rempli de billots qui se dirige vers moi. Il me semble encore assez loin. Je fais un pas sur le chemin. Je tombe. Le camion se rapproche. Je me relève. Je fais un autre pas. Je tombe. Le camion approche de plus en plus. Je me relève. Je fais un autre pas. Je tombe. Le camion est très proche. Je me relève. Le camion a disparu. Je suis de l’autre côté du chemin. Je vois du sang sur mes genoux. Je pleure et pleure. Quelqu’un vient me chercher.

 

Dans ma tendre enfance, j’ai fait ce rêve des dizaines de fois. Y a-t-il eu dans la réalité un premier événement qui m’a marqué ? Je serais porté à le croire vu l’intensité des faits et leur fréquence. Dans tous les cas, à un moment donné le camion disparaît.

 

Ce qui m’intrigue dans ce rêve, c’est qu’il était rare que des camions de transport du bois viennent de l’est. Ceux qu’on voyait passaient entre la maison et la croix du chemin. Ils ne passaient pas devant la maison.

 

Décembre 1944. Finances de la famille

En 1944, avec 7 vaches, les paies de beurrerie ont rapporté 401,96 $. D’autres revenus s’ajoutent :

12 août : 1 veau, 10,00 $

15 août : 1 porc, 35,00 $

12 octobre : 3 porcs, 77,26 $

15 octobre : 1 taure, 35,00 $.

                                  

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 500,80 $. Le 9 janvier 1945, mon père retire 125 $ de son compte pour payer son terme de terre. Il lui reste 375,80 $.

 

22 mai 1945. Décès de Marie-Luce Ouellet

Ma grand-mère, Marie-Luce Ouellet décède à l’âge de 66 ans. Je n’ai gardé aucun souvenir d’elle, ni de cet événement. Voici ce que ma mère a écrit dans son journal personnel :

 

« Ma mère est décédée le 22 mai 1945, le jour même de son anniversaire de naissance, après seulement quelques jours de maladie. Elle est décédée subitement. Lorsqu’on est arrivé à son chevet, nous n’avons pas pu la voir, car la mort avait déjà fait son œuvre. Elle nous manque beaucoup, notre chère maman. Papa (Émile Théberge) est resté bien désolé, ainsi que ses neuf enfants qui lui restaient. »

 

Mon grand-père Théberge prend beaucoup d’années avant d’accepter le départ de son épouse. Il va souvent prier sur sa tombe dans le cimetière qui est situé tout près de sa propre maison.

 

De mes six grands-parents, il ne me reste alors que Philomène Lévesque, mère adoptive de mon père, et Émile Théberge. Ma grand-mère Jean, Élise Boucher, est décédée le 17 mai 1910 à l’âge de 41 ans dans les circonstances décrites précédemment. Mon grand-père Jean, Théophile, est décédé le 30 avril 1922 à l’âge de 76 ans.

 

Un souvenir impérissable

C’est un dimanche après-midi. De tous mes souvenirs, c’est le premier où je réalise que j’existe. Après le dîner, ma mère m’assoit sur ses genoux. En même temps, elle prend Pierre à ma droite. Elle nous berce doucement en chantant.

 

Je suis très heureux. J’ouvre les yeux. Je découvre la réalité qui m’entoure. J’ai une réflexion embrouillée mais elle est là. Je sens le lien qui existe entre ma mère et moi. C’est comme si je venais de me réveiller. Cet état d’esprit n’a pas perduré. Toutefois, il a été suffisamment intense pour que je le garde en mémoire.

 

Août 1945. Une bombe

Un soir d’août 1945, la cuisine qui est l’endroit des rassemblements est pleine de visiteurs. Les hommes parlent de choses et d’autres. Quelqu’un annonce : « Une bombe a explosé dans les vieux pays. Il y a eu des milliers de morts et de blessés. »

 

Je suis assis dans l’escalier du haut. Je regarde sur le poêle. Il y a là une bombe (bouilloire). J’ai peur qu’elle explose. C’est la première fois que j’entendais le mot « bombe » pour désigner un engin explosif. Dans ma famille, la bombe servait à faire bouillir l’eau. Je fais des cauchemars pendant plusieurs nuits.

 

D’ailleurs, pendant au moins une dizaine d’années, j’ai peur d’être enrôlé un jour et je cherche des tas de raisons que je pourrais invoqué pour être exempté d’aller à la guerre.

 

Un enfant perdu

Un épisode qui aurait pu être dramatique a remué la famille. J’ai 4 ans. Ma mère demande à mes trois sœurs aînées d’aller cueillir des framboises sur la terre de Cyprien Plourde. Je veux aller avec elles, mais celles-ci ne veulent pas m’emmener prétextant que je serais un embarras. J’essaie quand même de les suivre, mais elles font une diversion.

 

Elles font le tour de la maison et font semblant d’emprunter la route du rang 6. Je m’engage dans cette route. Quand je m’aperçois que je ne les vois pas, je reviens sur mes pas. Parvenu au coin nord-est de la maison, une surprise m’attend. Elles ne sont pas sur la route du rang 5. Je me rappelle très bien de ma mine déconfite quand je réalise qu’elles s’étaient volatilisées. J’emprunte alors la route du rang 6. Pour le reste, je n’ai aucun souvenir, mais on me l’a raconté si souvent que j’en connais les détails.

 

Je me dirige vers le sud et je m’assois sous un arbre le long de la route en bas d’une petite côte et je pleure. Probablement que j’avais perdu mon chemin et que je ne voyais plus la maison. Combien de temps ai-je été dans cette position ? Je n’en ai aucune idée.

 

La voisine Hélène Jean, l’épouse d’Hormidas Gaudreau, dont la maison est à un arpent de celle de mes parents, entend des pleurs. Elle vient voir ce qui se passe et, toute heureuse, me ramène à la maison.

 

Les parents de ce temps-là ne s’inquiètent pas outre mesure pour leurs enfants. Cette route du rang 6 voit passer souvent des camionneurs qui transportent des billots du Lac-Boisbouscache à la scierie Dionne située sur la rive nord du Petit lac Saint-Mathieu. Il est certain que si un camionneur m’avait vu à cet endroit, il aurait arrêté son véhicule et m’aurait conduit chez mes parents.

 

Les enlèvements d’enfants sont, à l’époque, un phénomène très rare. Les gens qui circulent dans les chemins du rang 6, comme les touristes par exemple, sont des gens honnêtes qui n’auraient jamais pensé profiter de la situation. Du moins, tout le monde le pensait alors.

 

Décembre 1945. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 738,09 $. Le 12 janvier 1946, mon père retire 138 $. Il doit payer son terme mensuel de terre qui s’élève à 125 $. Il lui reste 600,09 $ dans son carnet.

 

Été 1946. Chez le dentiste

J’ai cinq ans. Depuis plusieurs jours, je sens une douleur lancinante à une dent. Ma mère m’amène chez le dentiste Louis Desjardins à Trois-Pistoles. C’est la première fois que je franchis les frontières de la paroisse. Je suis impressionné par cette ville qui est très grande à mes yeux.

 

Le dentiste Desjardins me fait coucher dans un lit et m’anesthésie. Plus tard, je suis réveillé par un vacarme épouvantable qui ne s’épuise pas. J’ai soudainement peur. Je me demande bien ce qui se passe. Je pense que c’est la guerre, comme j’en attendais parler très souvent à l’époque vu que la deuxième guerre mondiale s’était terminée un an plus tôt. Je regarde à l’extérieur et je me rends compte que c’est le train qui passe près du bureau du dentiste avec son hurlement et ses bruits d’enfer. Ce sont des bruits de ferrailles épouvantables pour mes petites oreilles habituées au calme de la campagne. Heureusement, la dent est extraite.

 

À la sortie du bureau du dentiste, maman m’amène au restaurant-bar situé dans la même bâtisse. Je suis très impressionné par la hauteur des tabourets et surtout par la hauteur du comptoir alors que je suis petit en taille. Ma mère m’aide à monter sur un tabouret. Même le restaurant me semble énorme. Ma mère me commande un verre de lait. C’est la première consommation que je prends dans un bar.

 

Cueillette de l’anis

C’est toujours étonnant de revivre les sensations provenant de la jeune enfance au moment où on commence à réaliser la portée de nos gestes et surtout les inscrire dans notre cerveau. C’est le cas d’une journée ensoleillée de la fin du mois de juillet.

 

Mon père a fauché le foin au sud de la maison derrière le vieux hangar. Une partie du fourrage est constituée d’anis qui a eu le temps de sécher. Je sens encore l’odeur de l’anis mêlé au foin. Ma mère s’amène avec une poche de jute vide et se met à empiler les tiges de cette plante. Je l’aide de mes petites mains et de mon intention. Je me vois encore lever le pied dans ces « broussailles » pour ne pas tomber. Je respire à plein nez toutes les odeurs d’anis.

 

Par la suite, ma mère se rend au vieux hangar. Pour accéder au deuxième étage, il faut grimper un escalier qui, en réalité, est un escabeau. J’ai toutes les misères du monde à me hisser. Ma mère m’aide. Je la regarde en train de détacher les graines de la tige au moyen d’une machine. Là s’arrête mon souvenir.

 

Mon premier spectacle

Depuis longtemps, je supplie ma mère de m’amener à l’église pour la grand’messe du dimanche qui est une messe chantée. Je n’ai pas mis les pieds (!) dans cet édifice depuis mon baptême. Je veux en voir l’intérieur. Je veux voir les gens de la paroisse. Je veux voir comment se déroule cette cérémonie. Il faut dire que les sorties sont rares et qu’il n’y a pas encore de télévision. Comme nous sommes sept enfants et que le seul moyen de transport est la voiture à cheval, nous devons attendre notre tour pour aller à la messe. Il faut vieillir. De plus, le banc loué par mon père à l’église en est un de seulement quatre places.

 

Un samedi soir d’été de 1946, j’ai alors cinq ans, en me coupant les cheveux, ma mère me dit : « Ton tour est venu d’aller à la messe. Demain, on t’amène. Si tu veux y retourner une autre fois, tu ne parles pas, tu regardes toujours en avant, jamais en arrière, tu suis les mouvements des grands. » Bien sûr que j’accepte les conditions.

 

Le dimanche matin, ma sœur aînée m’aide à m’habiller proprement : chemise, cravate et culottes courtes. Puis j’embarque dans le boghei tiré par la Grise, mon cheval préféré. Nous allons directement chez grand-père Théberge où mon père remise son cheval. À 9 heures 15, les cloches sonnent invitant les paroissiens à se rendre à l’église.

 

Dès l’entrée à l’église, je suis ébloui par sa grandeur et son plafond qui, il me semble, touche au ciel. Nous nous rendons dans le banc familial situé en avant de l’église derrière celui des marguilliers. Derrière notre banc se trouve celui de grand-père Théberge. Du côté gauche, ce sont les bancs de deux frères de ma mère et à droite le long du mur ce sont les bancs des deux sœurs de ma mère.

 

Je vois les autres habitants de la paroisse qui ont revêtu leurs plus beaux vêtements : habits et cravates pour les hommes, robes élégantes et beaux chapeaux pour les dames. À gauche en avant, deux religieuses du Saint-Rosaire occupent chacune un prie-Dieu. Elles sont revêtues d’une longue robe noire qui va jusqu’à terre et la tête couverte d’une espèce de capuchon.

 

Je suis surpris de voir que, dans l’église, les hommes enlèvent leur chapeau tandis que les femmes le conservent. D’ailleurs, tous les chapeaux d’hommes se ressemblent tandis que ceux des femmes sont très variés. Je suis aussi étonné de constater que l’homme de la famille ou un garçon prend la première place dans le banc.

 

À 9 heures 30, une dizaine d’enfants de chœur portant une soutane noire et un surplis entrent en rangs venant de la sacristie. Ces derniers prennent place des deux côtés du chœur. Ils sont suivis par deux servants de messe en soutane rouge et en surplis. Monsieur le curé entre le dernier.

 

Le curé est drôlement habillé. Pourtant, ce n’est pas l’hiver. Je l’avais vu déjà vu lors de ses visites paroissiales. Il portait une robe noire allant jusqu’aux pieds. Mais là, dans ses habits sacerdotaux : chasuble dorée, aube et étole, il est imposant. Il a l’air d’un prince. La messe commence : Introibo ad altare Dei (Je monterai à l’autel du Seigneur).

 

J’écoute avec attention la musique apaisante provenant de l’orgue, les chants grégoriens de la chorale et même Monsieur le curé qui, à l’occasion, se met à chanter. Le spectacle est d’autant plus exotique que tout se déroule en une langue étrangère qu’on m’a dite être le latin. Monsieur le curé, dos aux fidèles, semble parler tout seul. Toutefois, de temps à autre, un servant de messe lui répond. Ce qu’ils disent, je n’en ai aucune idée. Par exemple, le prêtre dit : Dominus vobiscum et les servants répondent : Et cum spiritu tuo. Cela revient à : « Le Seigneur est avec vous et avec votre esprit. »

 

J’ai de la difficulté à voir ce qui se passe dans le chœur car l’un des marguillers qui est devant moi est de forte taille. Ce qui m’intrigue, c’est sa rondelle chauve derrière la tête qui ressemble à la tonsure de Monsieur le curé, mais qui occupe plus d’espace.

 

Au milieu de la messe, monsieur le curé monte en chaire. Il communique différentes nouvelles comme les promesses de mariage, les noms de donateurs qui permettent de faire brûler la lampe du sanctuaire, les intentions de messes de la semaine, une invitation à venir aux vêpres, etc. Puis il se met à prêcher. Je n’arrive pas à saisir le sens de ses paroles. Ma mère écoute attentivement, mais mon père semble distrait et tout-à-coup se met à roupiller.

 

Quand le prêtre revient à l’autel, il entonne le Credo in unum Dei (Je crois en un seul Dieu). À un moment donné, le prêtre lève en l’air une grande hostie. Une crécelle se fait entendre et tous les fidèles baissent la tête. Puis le prêtre lève un calice. Comme les autres, je baisse la tête.

 

Au moment de la communion, je vois tous les paroissiens se déplacer vers l’avant de l’église, attendre leur tour en rang, s’agenouiller à la balustrade appelée sainte table, cacher leurs mains sous une nappe et recevoir le Saint-Sacrement. Je trouve que monsieur le curé est bien gentil de mettre l’hostie sur la langue de tous. Heureusement qu’un enfant de chœur suit avec une patène pour ne pas que des miettes d’hostie - ô sacrilège - tombent par terre.

 

Plus tard, Monsieur le curé se tourne vers nous et chante en trémolo Ite missa est (Allez, la messe est dite). C’est la sortie générale. Je n’avais jamais vu autant de monde en même temps. Certaines personnes s’attardent sur le perron de l’église. Je ne sais pas si c’est ce jour-là, mais je me rappelle avoir entendu le secrétaire-trésorier de la municipalité, l’oncle Léo Théberge, y lire une proclamation en anglais.

 

Je suis sorti de l’église plein d’enthousiasme. J’étais très fier d’avoir assisté à ce spectacle mémorable.

 

Sur la galerie

Après la messe, j’accompagne ma mère chez son père dans le haut-côté de la maison familiale. Étant pas mal survolté par les moments précieux que je viens de vivre, je m’assois sur la petite galerie qui est plus haute que celle du corps principal. Je suis face au sud. Je regarde la maison d’en face. On m’avait dit que cette maison appartenait à Gérard Rioux et qu’elle faisait office d’hôtel. J’essaie d’imaginer qui peut bien avoir besoin d’une chambre à Saint-Mathieu. À la maison, quand nous avons de la visite, ils couchent chez-nous et je sais que toutes les maisons ont des lits en abondance.

 

Je tourne légèrement la tête vers l’ouest, toujours en face. Je vois une bâtisse sans fenêtre qui, de toute évidence, n’est pas une maison. Je demande à ma sœur qui passe à quoi sert cette bâtisse. Elle m’explique que la bâtisse est sur le terrain de Monsieur le curé et qu’elle contient un énorme réservoir d’eau potable. L’eau est puisée dans le lac Saint-Mathieu et acheminée dans ce réservoir par une pompe. Cette tour se situe au point le plus élevé du village si bien que l’eau peut se rendre à ses deux extrémités par gravité. Elle ajoute que c’est l’oncle Léo Théberge qui est responsable de la tour et qu’il la visite régulièrement.

 

Les framboises

Je demande à maman une tasse en lui disant que je veux aller ramasser des framboises. Je prends ma tasse et, de mes petites jambes, je me dirige vers le lot du voisin de l’est. Il y a là un tas de roches où je sais qu’il y a des framboisiers. Ce tas de roches est à la frontière des deux terres et se continue chez le voisin.

 

Quand j’ai ramassé toutes les framboises de mon côté, je salive à pouvoir attraper les petits fruits rouges que je vois sur le tas de roches du voisin. Je sais que prendre le bien d’autrui c’est mal. Je sais même que c’est péché. J’ai entendu ma mère prononcer ce mot souvent. Je l’ai aussi entendu quand mes sœurs récitaient leur catéchisme devant maman. Toutefois, je ne peux pas résister. Je tends ma petite main et je cueille les quelques framboises que je peux attraper.

 

Je retourne à la maison la tête basse, inquiet des conséquences des gestes que je viens de poser. Je n’en parle à personne. Je me dis : « C’est mon secret. » Dans mon for intérieur, l’aventure s’efface doucement et disparaît dans un coin de mon cerveau où j’ai pu la récupérer pour la raconter.

 

On joue dehors

L’été 1946 jouit d’une température remarquable. Nous passons l’été à nous amuser autour de la maison. Pour ne pas user nos chaussures trop vite, avec la recommandation de maman, nous marchons nu-pieds. Un jour, je marche sur des débris de vitre cachés près d’une roche en face de la croix du chemin. Il apparaît de légères lacérations. Informée de cet accident, maman nous ordonne de mettre désormais nos chaussures pour jouer dehors.

 

Une nouvelle grange

Les bâtisses de la ferme commencent à avoir de l’âge : une grange-étable en face de la maison de l’autre côté du chemin, un garage à l’est de la grange et un hangar derrière la maison. Les animaux sont peu nombreux : six vaches, quatre ou cinq veaux, deux chevaux, une dizaine de moutons et des poules.

 

Sur la ferme, aucun instrument mécanisé. Évidemment, pas de tracteur, pas de camion et pas d’automobile. Les deux chevaux sont requis pour les travaux de la ferme et pour les sorties.

 

En 1946, mon père construit une nouvelle grange (photo ci-contre). C’est Omer Ouellet qui en est le contremaître. Le bois neuf provient de billots coupés sur la terre et transformés en madriers ou en planches à la scierie de Désiré Dionne. Il faut acheter notamment des clous, du ciment et faire une nouvelle canalisation vers la fontaine qui était près de l’ancienne grange, sans compter au moins un salaire.

 

Lors de la construction, il n’y a pas d’électricité dans le rang. Pas de trayeuse : les vaches sont traites à la main. Pas d’eau courante : une pompe à l’eau qui remplit manuellement un corps (tonneau) à coup de bras. Pas d’ampoule : le fanal sert à l’éclairage. Le travail dans la grange se fait le plus possible à la clarté. Pas de chauffage : les animaux conservent l’étable dans une certaine chaleur en hiver.

 

Un jour, pendant que mes parents font le train du soir dans la nouvelle étable, je me berce sur la galerie. Je vois Omer Ouellet en train de défaire le plancher du fenil. Ce sont d’énormes madriers qui une fois décollés tombent avec fracas sur le sol. Je vois l’homme se tenir sur les barres transversales pour faire son travail. J’ai peur qu’il tombe. Je me détourne la tête pour ne pas le voir, mais je reviens sans cesse à mon spectacle qui me procure quand même un peu d’adrénaline.

 

Digne d’un vétérinaire

Pendant la construction de la nouvelle grange, les deux chevaux de mon père pensionnent chez le voisin de l’est, Léon Bérubé. Un dimanche, après le dîner, cet homme arrive en panique chez nous : « Un cheval est en train de mourir. Il gonfle ». Le réflexe de ma mère : « Allez chercher M. Ernest. » Ce dernier accourt emportant une trousse de premiers soins pour animaux et ce, même s’il n’est pas cultivateur.

 

Il comprend immédiatement la nature des troubles du cheval. Il sort une longue aiguille, la stérilise et l’enfonce dans le ventre de l’animal qui se met à dégonfler. L’air sort comme d’un ballon percé. L’animal est guéri. Il est probable que le cheval avait mangé du fourrage vert.

 

Janvier 1947. Finances de la famille

La construction de la grange semble ne pas trop avoir affecté les finances de la famille puisqu’à la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 550,44 $.

 

Le 13 janvier 1947, mon père retire 125 $ de son compte pour payer son terme de terre. La balance est de 425,44 $.

 

23 janvier 1947. Naissance d’Urbain

Un quatrième garçon de suite naît vers 10 heures 30. Il s’appellera Noël Urbain. Je ne vais pas encore à l’école. Alors, ma sœur Carmen me conduit chez Madame Hélène. En revenant chez nous, j’apprends que la cigogne est passée et qu’elle y a laissé un poupon. Le deuxième lit compte maintenant quatre garçons en ligne.

 

Urbain est baptisé le 25 janvier par le curé Louis-Joseph Lavoie. Sa marraine est Thérèse Théberge, sœur de ma mère, et le parrain est Roland Dionne, époux de Thérèse.

 

Ma mère est découragée. « Encore un garçon, se dit-elle. » Autant, elle était heureuse à ma naissance d’avoir un garçon, autant elle est déçue. Elle pense que le bon Dieu en met un peu trop. En femme croyante et courageuse, elle accepte cette situation.

 

C’est tante Candide, la sœur de ma mère, qui prend la relève. Elle s’occupe de l’entretien de la maison ; elle cuisine et s’occupe de nous. On sent qu’elle n’aime pas les enfants, car elle est toujours impatiente avec nous. Pierre et moi, nous la provoquons. À la queue leu leu, nous la suivons pendant qu’elle se déplace dans la maison. Cela la rend de mauvaise humeur et, quand elle se retourne, elle crie après nous. Mais cela nous amuse.

 

Quelques jours après son départ, je demande à ma mère pourquoi tante Candide a de si gros seins. La réponse de ma mère est foudroyante. Elle me regarde d’un air fâché et me dit : « On ne parle pas de ça. » C’est un choc pour moi. La question maintenant qui m’a assailli est : « Pourquoi on ne peut pas parler de ça ? » Je n’ai plus jamais posé de questions de cette nature à ma mère. Dommage.

 

Dans la maison

Comme je ne vais pas encore à l’école, je demeure presque tout le temps dans la maison surtout en hiver. Cette maison est une oasis de bonheur. Elle grouille de larmes, de pleurs, de cris, de ripostes, de rivalités, de rires, de taquineries, d’entraide.

 

J’apprends rapidement que moi et Pierre nous n’aimons pas les mêmes jeux. Moi, je suis plutôt intello. Lui, il est manuel. Il aime les jeux extérieurs reliés à la terre et à la forêt. Moi, j’aime les jeux dans la maison.

 

J’ai un défaut de langage. Je prononce les CH comme des C. Je dis par exemple : un ceval pour cheval. Je prononce le son Z comme le Y si bien que je dis : « Je suis don bien dans la mêyon à maman. » Je transforme parfois le F en P. Ainsi, quand je parle de mes sœurs, je dis « les petites pilles ».

 

Souvent, je m’assois dans une chaise berçante. Je regarde le feu qui pétille dans le poêle. De temps à autre, ma mère ouvre la porte d’en avant et y dépose un rondin. Parfois, elle doit tasser les morceaux de bois qui se transforment en tisons. Elle met littéralement la main dans le feu. J’ai peur qu’elle se brûle.

 

Je regarde aussi filer ma mère : ça me fascine. J’apprends à faire des pelotons de laine, à carder et à travailler avec le dévidoir. Le dévidoir est une espèce de tourniquet qui permet de mettre la laine en écheveau.

 

Loin du monde

Dans cette bulle familiale qui est alors exempte de la radio et de la télévision, nous n’avons pas à supporter le poids du monde. Nous avons peu de biens matériels, car, sans électricité, les grille-pains et les réfrigérateurs de ce monde n’ont aucune utilité. Ce qui existe dans la maison est en bois, un matériau rafraîchissant et près de la nature.

 

Autour de la maison, la nature est vaste et prend toute la place. Les champs ensemencés et affectés par la moutarde sauvage respirent de fraîcheur. Les pointes de forêt qui ont résisté à l’abattage sont un terrain de jeux formidable surtout pour les garçons. Les animaux font partie de notre vie.

 

Février 1947. Le beurre

C’est samedi après-midi. Je suis assis dans la cuisine. Ma mère apparaît avec un drôle d’appareil en bois. Je lui demande ce que c’est. « C’est une baratte à beurre, dit-elle. » Elle rince l’intérieur à l’eau chaude et va chercher une chaudière de crème dans la cave. Après avoir versé la crème, elle agite une tige dans tous les sens et brasse ainsi le liquide. Après un temps que j’ai trouvé très long, elle y verse du gros sel. Elle en sort des mottes de beurre qu’elle potasse avec ses mains pour en faire une grosse boule, puis de moyennes boules.

 

Pourquoi ma mère fait-elle du beurre en cette période de l’année ? En hiver, on trait seulement les vaches qui ne vêlent pas. Cela donne peu de crème. Par ailleurs, la beurrerie ferme ses portes pour trois ou quatre mois. Pendant ce temps, ma mère conserve la crème et de temps à autre la transforme en beurre. Plus tard, quand le transport sera facilité par des véhicules motorisés, la beurrerie fonctionnera 12 mois par année. Les barattes à beurre seront remisées.

 

Le pain

En plus de faire du beurre, maman fait son pain à coup d’une douzaine à la fois. La farine est achetée au magasin coopératif La Familiale. Elle est vendue en poches de 100 livres qui sont entreposées provisoirement dans le grenier.

 

C’est un spectacle qui m’émerveille de voir ma mère tourner et retourner la pâte, installée sur la table de la salle à manger. Elle place deux boules de pâte par casserole. Quand la pâte a suffisamment levé, elle fait cuire les pains dans le fourneau du poêle à bois, une fournée de 4 ou 5 pains à la fois. Quand le premier pain sort du four, ma mère nous fait une beurrée. Du pain chaud et tendre, c’est du bonbon. Plus tard, ma mère se procure un pétrin : ce qui facilite la tâche.

 

Avec le temps, ma mère fait de moins en moins son pain. Elle achète cet aliment au magasin général. Puis, vient la distribution commerciale du pain à sandwiches, un pain tranché. Il en coûte un sou de plus qu’un pain non tranché. Les tranches sont moins épaisses et plus uniformes que pour le pain de ménage.

 

À cette époque, une tranche de pain accompagne toujours le mets principal au dîner et au souper. Quand ma mère a des invités et si elle oublie de mettre du pain sur la table, il y a toujours quelqu’un pour réclamer sa tranche. Je crois que c’est une coutume généralisée à l’époque de faire appel à cet aliment nutritif lors des repas.

 

Les repas

Rassemblés autour de la table familiale, nous ingurgitons une nourriture variée allant des légumes du potager de ma mère jusqu’à la viande de bois récoltée par mon père. Chaque automne, mon père tue un porc et un veau. Une partie de la viande est congelée dans le garde-manger du tambour pendant l’hiver, l’autre partie est mise en conserve par ma mère. Les tartes et les gâteaux sont consommés en portion limitée.

 

Une seule exception : mon père. Quand ma mère vient de faire une fournée de tartes, il a droit à une tarte entière. Un jour, je dis à ma mère : « Pourquoi vous donnez à papa toute une tarte, alors que nous on en a seulement une pointe ? » Ma mère répond que mon père travaille dur. C’est d’ailleurs la même réponse qu’elle nous donne quand on s’inquiète de voir que notre père ne jeune pas pendant le carême alors qu’elle le fait.

 

Les repas se prennent autour d’une table rectangulaire que mon père a fabriquée. Ce meuble fait de bois franc peut accueillir au moins 10 personnes. Un long banc est disposé du côté ouest. Il accueille les garçons qui prennent toujours la même place par ordre d’âge. Mon père s’assoit du côté nord au bout de la table, ma mère est à ses côtés et les filles, du même côté que ma mère.

 

Les filles, mais aussi ma mère, font le service. Les garçons, eux, n’ont pas le droit de se lever. Il faut toujours demander lorsqu’il nous manque quelque chose, comme un ustensile.

 

Les repas satisfont toujours notre faim. Parfois, des bouchées de pain à satiété trempées dans de la mélasse ou du sirop doré ne ratent jamais leur coup.

 

Les vaches

La neige a fondu. La température se réchauffe. C’est le temps de faire sortir les vaches qui sont encarcannées dans une crèche de l’étable depuis au moins six mois. À ma souvenance, j’assiste pour la première fois à ce spectacle surprenant. Au contact de la liberté, la plupart des vaches expriment leur exubérance et leur joie. Les unes se mettent à courir comme des folles, d’autres gambadent sur place, quelques-unes se contentent de suivre. Ce jour-là, l’une d’entre elles m’a profondément marqué.

 

Plus que toutes les autres, elle s’est mise à sautiller jusqu’à ce qu’elle passe près d’une grosse roche. Que fait-elle ? Dans un excès de bonheur, elle se met à frapper avec ses cornes le mastodonte qui hélas ne bouge pas. Elle le fait si brutalement que finalement elle se casse une corne. Sentant la douleur, elle s’assagit en un instant et marche la tête baissée. Mon père la ramène à l’étable et lui donne les premiers soins. Elle est obligée de demeurer 24 heures de plus dans sa crèche pour éviter l’infection de la plaie.

 

Par observation, j’apprends que chaque animal a sa personnalité propre. Les vaches en sont un exemple frappant. Permettez-moi d’en faire une liste.

 

L’une est timide. Elle manque d’audace et a peur du risque. Elle se cache derrière les autres. Elle s’organise pour passer inaperçue.

 

L’autre est envieuse. Elle désire obtenir une reconnaissance exclusive de notre part faisant signe de la tête aux autres de dégager. Elle désire l’herbe du pré du voisin et n’hésite pas à sauter la clôture pour y aller paître.

 

L’une est gourmande. Elle cherche les meilleures herbes du pré et s’active à les consommer avant que quelqu’une d’autre ne les remarque. Plus souvent qu’autrement, elle manifeste son impatience quand elle en voit d’autres s’approcher de son trésor.

 

L’autre est friande de pouvoir. Elle se complaît à diriger le troupeau et se place à la tête lors des déplacements vers l’étable. Gare à celle qui veut lui voler sa place.

 

L’une est sauvage. Elle protège son aura et se tient éloignée des autres. Elle n’aime pas se faire traire même si c’est pour elle une délivrance.

 

L’autre est douce. Elle ne connaît pas la brusquerie. Elle aime se faire flatter. Elle n’est jamais impatiente lors de la traite même si la personne qui remplit cette tâche est gauche et prend un temps démesuré.

 

L’une est frivole. Elle aime s’amuser loin des autres. Elle rejoint le troupeau seulement quand cela lui tente ou quand le désir d’être soulagée de son lait l’emporte.

 

L’autre est peureuse. Une personne qui arrive subrepticement à ses côtés la fait sursauter. Quand elle voit un fouet, elle comprend et est d’une docilité exemplaire.

 

L’une est triste. Elle marche toujours la tête baissée se demandant sans doute ce qu’elle fait dans cette galère. Elle n’apprécie pas les marques de reconnaissance qu’on peut lui prodiguer.

 

L’autre est curieuse. Quand elle voit un objet qu’elle ne connaît pas, elle s’en approche et tente avec sa langue d’en saisir la substance.

 

L’une est impulsive. Elle ne « réfléchit » pas aux conséquences de ses actes. Elle réagit spontanément et manifeste sa joie de façon exagérée.

 

L’autre est sournoise. Elle dissimule sa colère ou son impatience de façon insidieuse et donne un bon coup de patte de manière inattendue.

 

L’une est capricieuse. Elle dédaigne la paille qui lui est donnée pendant l’hiver se contentant de la mâchouiller au risque d’avoir faim.

 

L’autre est hautaine. Elle se mêle peu au troupeau comme si elle était d’une race supérieure aux autres et qu’elle les méprise.

 

Bref, comme on peut le voir, les vaches éprouvent des sentiments qui ressemblent à ceux des humains. Il s’agit de pouvoir les décoder. Quelle belle leçon de vie qui nous est offerte sur une ferme !

 

Mai 1947. Le bidon de crème

Je vois le voisin de l’est prendre le bidon de crème placé par mon père le long du chemin, le mettre dans sa voiture à cheval et repartir. Je cours vers ma mère : « Maman, monsieur Léon a volé notre bidon. » Ma mère se met à rire. Elle m’explique que les quatre voisins ont décidé d’aller chacun leur tour porter le bidon de crème à la beurrerie au village. « Te rappelles-tu, me dit-elle, quand j’ai fait du beurre cet hiver ? Eh bien, à la beurrerie, ils font de même avec notre crème. » Je lui demande si le beurre est aussi salé que le sien. Elle se contente de sourire.

 

Les patates

Ma mère transporte des chaudières de pommes de terre de la cave à l’extérieur de la maison. Elle installe une table pliante et se met à découper les patates. Je lui demande pourquoi elle fait cela. Elle me dit qu’elle prépare des morceaux de patate pour la semence. Elle m’explique comment elle fait. « Il faut, dit-elle, repérer les yeux de la patate et la découper en gardant un œil par morceau. » Je veux participer. Alors, ma mère me dit d’aller me chercher un couteau coupant dans la cuisine. Je commence à travailler. J’abandonne assez rapidement car je trouve compliqué de produire un morceau tout en protégeant les autres yeux.

 

Plus tard, quand il n’y a pas d’école, on est invité à mettre les patates en terre. Pendant l’été, il faut arroser les plantes pour détruire les mouches à patates qui rongent les tiges. À l’automne, c’est la récolte de ces pommes de terre. On arrache le plan qui souvent vient avec cinq ou six patates et même plus. Armé d’une bêche, il faut retourner le sol pour quérir toutes les autres patates. Il est recommandé de laisser les patates sécher sur le sol quelques heures. C’est ainsi qu’en allant à l’école, on peut, un jour, voir un champ plein de tiges et le lendemain uniquement des patates disséminées sans ordre.

 

Ma mère, croyant fermement à l’importance de l’école, ne m’a jamais fait abandonner une journée d’école pour ramasser les patates à l’automne.

 

À ce moment, s’il reste encore des patates de l’année précédente, ma mère les fait cuire dans des immenses chaudrons et elles servent à la nourriture des porcs. De même, pendant l’année, les pelures des patates, sans cuisson toutefois, sont récupérées pour les cochons. De temps à autre, pendant l’hiver, il faut égermer les patates, sans autre entretien requis.

 

Nous n’avons jamais manqué de pommes de terre. La récolte est toujours suffisante pour boucler l’année. Elles constituent la base de la nourriture des repas du midi et du soir. Souvent, ma mère prépare un hachis. Elle fait cuire les patates en tranches avec quatre ou cinq grillades de lard. Elle nous sert aussi une autre forme de hachis qui consiste à écraser les patates cuites pour former une purée. Elle y verse du lait chaud et mélange.

 

Quand il reste des patates d’un repas du midi, ma mère les fait rôtir dans une poêle ou même directement sur le poêle. Bref, les patates font partie de nombreuses recettes, y compris le pâté chinois et le pâté au saumon.

 

Un jour, ma mère reçoit deux visiteurs pour le dîner. Elle leur demande s’ils aiment le pâté au saumon. Ils disent oui. Quand l’un d’eux commence à manger sa pointe de pâté, il se tourne vers ma mère et lui dit : « Il me semble que tu nous avais dit qu’on mangerait du pâté au saumon. Je ne trouve pas de saumon. On dirait que c’est du pâté aux patates. » Ma mère est humiliée. Il est vrai qu’il y a très peu de saumon. Elle a versé le contenu d’une petite canne de saumon pour une tablée d’une dizaine de personnes. Cet homme qui a fait cette remarque est le cousin de ma mère. Il est très volubile et aime les taquineries. C’était uniquement là son intention.

 

Juin 1947. L’abattage d’un porc

Dans ces années-là, il n’y a pas de réglementation concernant l’abattage des bêtes. Chaque cultivateur le fait en suivant le protocole que son père lui a montré. Je suis à la maison. Mes parents sont à l’étable et viennent de finir de tirer (traire) les vaches. Je sais que mon père projette de tuer un porc après le train. J’ai soudain la curiosité d’aller voir le spectacle.

 

Comme j’approche de la grange, à ma grande surprise, je vois mon père sortir de l’étable en empoignant un porc. L’animal hurle et hurle comme s’il savait qu’il s’en allait à l’abattoir. C’est un hurlement strident et répétitif qui me casse les oreilles et que seuls les porcs en détresse peuvent faire. Je prends peur et je monte en vitesse sur la machine à battre située près du vieux hangar. Je ne sais pas comment j’ai fait pour me hisser aussi haut. Je suis resté un long moment dans la même position et si personne n’était venu m’aider à descendre, je pense que je serais encore là aujourd’hui. À cause de ma peur, j’ai raté le spectacle qui s’est déroulé sur le fenil de la grange.

 

Juillet 1947. Mon premier voyage à Québec

Je suis souvent malade. On pense que je fais de l’asthme. Ma mère entend dire qu’il y a une guérisseuse à Beaumont. Alors, elle cherche un moyen pour que j’aille la rencontrer.

 

Une situation se présente. Le voisin Ernest Vaillancourt projette un voyage à Québec. Ma mère fait les arrangements avec Madame Hélène pour que je sois du voyage.

 

Qui est Madame Hélène ?

C’est la voisine de l’ouest. Elle demeure à un arpent de notre résidence. Elle est mariée à un prénommé Hormidas Gaudreault. On l’appelle Monsieur Midas. Il est cultivateur. Le couple n’a pas d’enfants. Madame Hélène héberge un homme d’environ dix ans son aîné. Lui, c’est Ernest Vaillancourt.

 

Hélène, Hormidas et Ernest forment un triangle car Madame Hélène, de toute évidence, préfère le pensionnaire à son mari : ce qui laisse Ernest indifférent.

 

De temps à autre, Hélène vient visiter ma mère et y passe des après-midis. Elle est plutôt négative et critique parfois le comportement des jeunes de l’époque. Je me rappelle qu’une fois elle était scandalisée du fait que les filles et les garçons du village puissent patiner ensemble. Je n’y comprenais rien.

 

Je vais parfois faire des commissions chez Madame Hélène. Par exemple, elle achète les œufs de chez-nous. À chaque fois, elle me donne un biscuit : ce qui est apprécié.

 

Quand Hélène décède, son exécuteur testamentaire, l’oncle Maurice Théberge, décide qu’elle occupera le lot d’Ernest qui est seul, alors qu’Hormidas avait été enterré dans une fosse commune. C’est ainsi que Madame Hélène repose pour l’éternité aux côtés de celui qu’elle a tant aimé … en silence.

 

L’intérêt et la considération que les jeunes de ma famille ont manifestés et manifestent encore envers M. Ernest sont probablement démesurés. Mais, la grandeur et l’originalité de cet homme expliquent cet attrait.

 

Qui est Monsieur Ernest ?

Ernest vient souvent faire un tour chez mes parents et nous sommes toujours heureux de le voir arriver. Il a le verbe facile et est très bon conteur. Il est cultivé. Ayant lu beaucoup, il peut parler de ce qui arrive ailleurs dans le monde. D’ailleurs, il est abonné à La Presse, un journal quotidien que le clergé interdit d’acheter parce qu’il est vu comme un journal rouge, communiste et anticlérical.

 

Monsieur Ernest qui parle anglais exerce ses talents de cuisinier et de guide dans des clubs de chasse et de pêche : au printemps pour la pêche et à l’automne pour la chasse. Tout comme son père, Léon Vaillancourt, il a installé un moulin à vent sur le toit de la maison où il habite et il s’éclaire au courant électrique. Il a construit une glacière à l’extérieur. Au printemps, il remplit la glacière de blocs de glace et il peut conserver tout l’été ses provisions, notamment les poissons et la viande de bois.

 

Monsieur Ernest a été un des premiers habitants de la campagne à avoir une automobile. Pendant un temps, il a eu un « Jeep » de marque Willis. Lors d’un voyage dans le Sud au début des années 1950, il est revenu avec une vidéo de ses pérégrinations. Il a été un des premiers à avoir un téléviseur, pas longtemps après l’arrivée de la télévision à Rimouski en 1954.

 

Monsieur Ernest ne s’est jamais marié. Quand on demandait à notre mère, pourquoi il n’avait pas de femme dans sa vie, elle répondait : « Parce qu’il n’aurait pas pu arriver à temps pour la messe de son mariage ». Cet homme n’est jamais pressé. Souvent, quand nous partons pour la messe, il est en train de se faire la barbe. En réalité, il a failli se marier avec une sœur de mon père, Marie-Ange. La décision du mariage était prise. Ernest projetait alors de s’acheter un terrain au village pour construire une maison quand il perdit son emploi de garde-chasse qu’un homme marié a obtenu.

 

Monsieur Ernest n’a jamais eu une considération à la mesure de ses capacités pendant sa vie. Il n’a jamais occupé de fonction officielle si ce n’est qu’il a été marguillier de 1950 à 1953.

 

Madame Hélène avait un faible pour Ernest. Elle le manifestait en toutes occasions. Quand Hormidas exprimait une opinion et qu’Ernest disait le contraire, elle disait : « Tais-toi, Midas, puisqu’Ernest le dit, c’est qu’il le sait. »

 

Voyage à Québec (suite)

Un bon matin, je monte dans l’automobile de M. Ernest. Il est accompagné de Mme Hélène et de M. Émile Plourde, un cultivateur du rang 5. Mon cœur vole de joie car c’est la première fois que je fais un aussi long voyage. Mes frères et mes sœurs m’envient parce qu’ils ne sont jamais allés à Québec. Ma mère y est allée une fois avant de se marier.

 

Nous empruntons la route 132, celle qui passe par tous les villages. L’autoroute 20 n’est pas encore construite. Le trajet se déroule normalement. Je suis assis derrière Madame Hélène. Je regarde partout, mais je ne dis pas un mot. Pas une parole de surprise, pas une parole d’exaltation.

 

Rendus dans les rues de Québec, je constate que Monsieur Ernest immobilise son automobile en plein milieu de la rue. Je ne comprends pas du tout comment il peut savoir qu’il faut s’arrêter là. À ce moment, je n’avais jamais entendu parler de feux de circulation et c’est impensable pour moi de demander la raison de ces arrêts. Car, avant de partir, ma mère m’avait prévenu. « Parle seulement quand on te pose des questions. »

 

Nous logeons chez mon grand-oncle Eugène Vaillancourt, le frère d’Ernest et époux de Laura Théberge qui est la sœur de mon grand-père Théberge. Il y a beaucoup d’enfants à la maison. Ils demeurent sur la rue Joffre tout près de la falaise Dufferin. N’ayant pas de lit disponible, on me fait coucher dans le bain.

 

Le lendemain avant-midi, Madame Hélène m’emmène dans les magasins du quartier Saint-Roch. Elle me prend par la main et je n’aime pas ça. Je suis impressionné par la grandeur du magasin Paquet et par son contenu. Je suis étonné quand je vois un escalier mécanique qui permet d’accéder au deuxième étage.

 

Dans l’après-midi, nous sommes allés au Lac-Beauport où mon grand-oncle Eugène a un chalet. Je ne suis pas impressionné par le lac parce que j’avais déjà vu le petit lac Saint-Mathieu, mais je le suis par la grappe de chalets qui s’y trouvent. J’ai d’ailleurs longtemps rêvé de retourner au Lac-Beauport, mais l’occasion ne s’est jamais présentée.

 

Au retour, en passant par Beaumont, nous faisons un arrêt pour voir la guérisseuse. Elle me conseille de ne pas m’exposer à la poussière, en particulier de ne pas fouler le foin. Elle ajoute que je peux conduire les chevaux. Je suis tout excité. C’est la première chose que je dis à ma mère en arrivant à la maison. Quand mon père entend cela, il fait la moue. Toutefois, il accepte une ou deux fois lorsqu’il n’y a aucun danger.

 

Août 1947. Ma première cigarette

Tante Rosanne, la sœur de mon père, vient nous visiter à Saint-Mathieu-de-Rioux de temps à autre en été. Elle conduit une automobile, elle fume la cigarette et est propriétaire d’immeubles à Montréal. Quand elle vient à Saint-Mathieu, elle apporte toujours une boîte de linges usagés. Elle a deux fils qui sont plus âgés que moi. Comme les vêtements sont souvent trop grands, ma mère en couturière expérimentée les rapetisse ou même les défait et les recoud pour les ajuster à notre taille. Nous sommes, dans le rang, les enfants parmi les mieux habillés à cause de ces dons, mais nous ne l’apprécions pas. Comme c’est fait dans du vieux, nous ne nous sentons pas mieux que les autres.

 

En août 1947, tante Rosanne vient passer quelques semaines de vacances à Saint-Mathieu. Elle est accompagnée de ses deux fils Raymond et Claude. En arrivant, elle nous dit : « J’ai eu peur en montant dans les côtes de Saint-Mathieu. Je préfère conduire dans les rues de Montréal que dans ces côtes. » Nous avons été fort surpris de ces propos. Nous étions certains que ces côtes étaient plus sécuritaires que les rues de Montréal, même si nous n’étions jamais allés dans cette grande ville.

 

Tante Rosanne organise une fête spéciale pour souligner l’anniversaire de son fils Raymond et de Raymonde Jean, la fille de sa sœur Marie-Ange. Cette fête a lieu au troisième rang ouest chez l’oncle Donat. J’ai le privilège d’accompagner mes parents.

 

Des ballons, des guirlandes, des décorations d’usage sont disposés dans la maison et même à l’extérieur. J’ai six ans et c’est là que je fume ma première cigarette. À un moment donné, tante Rosanne offre des cigarettes à tout le monde. Ma mère refuse, mais tante Rosanne réussit à la convaincre d’essayer. Je manifeste le désir d’en avoir une et ma mère se dit d’accord. Je me suis vite étouffé et la cigarette a rejoint le cendrier, tout comme celle de ma mère d’ailleurs. À cette époque, il arrive souvent dans les fêtes de famille qu’une tournée de cigarettes soit faite … évidemment pour les adultes.

 

Chapitre 3. Mes débuts à l’école du rang

 

Septembre 1947. Enfin l’école

Depuis quelques temps, j’ai hâte de commencer l’école. Je regarde mon frère et mes sœurs en train de faire leurs devoirs et je les envie. Quand je constate qu’ils ont de la difficulté à apprendre leurs leçons et parfois à faire leurs devoirs, cela me fait peur. Je suis envahi par des sentiments contradictoires : envie et crainte.

 

Je ne sais pas encore lire ni écrire, mais je regarde les bandes dessinées du journal L’Action catholique, en particulier La famille Têtebêche dans l’édition du jeudi. Je ne comprends pas toujours les intrigues. Je crois alors que c’est parce que l’histoire se continue d’une journée à l’autre. Aussi, je demande à ma mère qu’elle s’abonne de façon quotidienne. Elle m’explique qu’elle n’en a pas les moyens financiers. En réalité, ce que je ne savais pas, c’est que chaque jour a sa propre aventure.

 

À cette époque, selon la loi de l’Instruction publique, il faut avoir eu 6 ans au plus tard le 30 juin pour être admis à l’école. Comme je suis né au début de juillet, j’aurais dû être refusé. Mais ma mère obtient une permission spéciale de la part de l’institutrice qui, cette année-là, est Jeanne Ouellet. Celle-ci est la cousine germaine de ma mère et est âgée de 19 ans.

 

Je prépare cette rentrée scolaire. En effet, jusqu’à ce jour, on m’attribue le sobriquet de Tibi. On prononce très rarement Charles-Édouard. Quelques jours avant la rentrée scolaire, je dis à ma mère : « Je vais bientôt aller à l’école. Aussi, je ne veux plus qu’on m’appelle Tibi. À l’école, ils vont rire de moi et je ne veux pas être Tibi toute ma vie. » Ma mère agrée à ma demande. Elle transmet le message. Dans la famille, Tibi a disparu. Seules quelques dames amies de ma mère m’ont longtemps appelé ainsi.

 

Habillé comme un cœur

Avec l’aide de ma sœur aînée, ma mère me confectionne des vêtements neufs : un habit avec chemise blanche et cravate, une casquette et en prime un sac à dos, le tout à partir de vieux vêtements provenant directement des tantes Jean. Je pars pour l’école habillé comme un cœur, heureux d’accéder au monde des grands.

 

Pour ma mère, l’école a toujours été un lieu aussi sacré que l’église. En nous habillant proprement, elle veut que ses enfants aient une tenue digne de l’église. C’est sa façon de donner à l’école un statut privilégié, elle qui a dû abandonner l’école en 5e année pour aider sa mère.

 

Enfin le 2 septembre arrive. Accompagné de mon frère aîné qui est en septième année et de deux de mes sœurs, ce matin-là je me dirige vers l’école no 5, soit celle du rang, qui est située à environ trois quarts de kilomètre de la maison. Je vois l’école pour la première fois. Elle est située au nord du chemin à l’extrémité ouest de la terre d’Émile Plourde.

 

L’institutrice me reçoit à bras ouverts. Nous sommes quatre de la même famille et la classe, cette année-là ne comporte que neuf élèves de la première à la septième année. Les cinq autres élèves se répartissent ainsi : les deux cadets de Joseph Lagacé, Yvon et Normand, les deux cadets d’Émile Plourde, Jeannine et Charles-Eugène et l’aînée de Charles Vaillancourt, Lisette. Je suis seul en première année.

 

Nous devons nous déplacer à pied pour aller à l’école. Quand il y a tempête de neige, mon père vient nous reconduire à l’école en traîneau tiré par un cheval. Ça arrive au moins deux ou trois fois par hiver.

 

Une école qui a vieilli

Avec le temps, j’apprends à connaître ma nouvelle école. En voici une brève description :

 

C’est une bâtisse à un étage en bois mal isolée. Pour y entrer, on monte un escalier qui s’arrête à un perron. En ouvrant la porte, on voit un pan de mur où des crochets sont fixés. C’est le portique pour déposer ses vêtements d’hiver et son lunch au besoin. On tourne à gauche et on arrive dans le local de classe : une pièce qui peut contenir au moins une quinzaine de bureaux. Les murs et les planchers sont peints en gris.

 

À l‘est de la classe, il y a une porte qui conduit au local privé de l’institutrice. On y trouve là deux pièces : une cuisine sans poêle et sans réfrigérateur et une chambre à coucher. Dans la cuisine, il y a une table et quelques chaises. Dans la chambre à coucher, un lit et un bureau. Pour des raisons de sécurité, l’institutrice couche la plupart du temps chez un des voisins de l’école.

 

Tout près de la porte, à l’intérieur du local de classe, on trouve un poêle à bois qui sert au chauffage et à la cuisson, puis un tableau noir. Un deuxième tableau est installé du côté nord, soit en avant de la classe. Devant ce tableau, le bureau de l’institutrice trône. Les bureaux des écoliers sont de bois et les sièges y sont attachés. On peut ranger ses livres en soulevant un couvercle. Tout près de la fenêtre, à l’est, il y a un aiguise-crayons, ce qu’on n’a pas chez nous. Il y a en plus des cartes géographiques accrochées à une patère, un globe terrestre, un boulier, une horloge au mur, une clochette et un dictionnaire.

 

Entre les deux tableaux, une porte permet d’accéder au nord à une annexe non chauffée. Des cordes de bois de chauffage y sont soigneusement placées. Après avoir franchi un court passage, on trouve deux petites pièces : ce sont les bécosses (latrines), une pour les garçons et une pour les filles. Un couvercle en bois cache un trou. En soulevant le couvercle, une fosse de trois ou quatre pieds apparaît. Quelques feuilles de papier journal ou de catalogue sont disposées dans chaque pièce. De temps à autre, le commissaire vient et étend de la chaux dans les fosses pour enrayer les odeurs.

 

Avec l’automne qui arrive, je réalise assez vite que le seul moyen de chauffage dans l’école est le poêle à bois, tout comme chez nous d’ailleurs. Lors des froids intenses d’hiver, on n’a pas d’autres choix que de rapprocher les pupitres autour du poêle car les doigts gèlent. Pendant l’hiver, le commissaire d’école engage un jeune garçon pour allumer le poêle vers six heures du matin les jours de classe. Les jours de congé, c’est ce même jeune qui entretient le feu pour protéger la bâtisse du gel. Il n’y a pas d’éclairage si ce n’est une lampe à l’huile. Quand je commence l’école, l’électricité n’est pas encore installée dans le rang 5.

 

Apprentissages de base

Jeanne Ouellet me montre à écrire les lettres et les chiffres au moyen d’un crayon à mine. Elle colle des étoiles de différentes couleurs dans mon cahier à petites lignes. Je n’ai pas encore droit à la plume. Elle m’apprend à lire dans le manuel scolaire Jouons ensemble de Forest-Ouimet et à compter. Elle rayonne de bonheur et s’adonne à sa tâche avec enthousiasme.

 

À cette époque puritaine, j’apprends notamment à prononcer la lettre Q en disant QUE. Par exemple, si j’ai à épeler BARQUE, je dois dire B, A, R, QUE, U, E. Certains grands, plus futés que moi, savent que ce n’est pas la bonne prononciation, mais ils le disent seulement en cachette pour ne pas égratigner les oreilles pudiques.

 

Jeanne Ouellet enseigne toutes les matières de la première à la septième année. Elle a un brevet C, soit une scolarité de 11 ans. Sinon, elle devrait avoir un permis d’enseigner délivré par le département de l’Instruction publique. Elle montre aux jeunes les rudiments de l’écriture, de la lecture, de l’arithmétique et de la religion. En plus, elle doit leur montrer à prier et à se comporter en catholique exemplaire.

 

Une des conditions de son engagement est qu’elle soit de bonne conduite. Elle ne doit pas être mariée, ne pas fréquenter de jeune homme du moins à l’école.

 

Je ne m’ennuie pas à l’école. J’aime bien écouter ce que l’institutrice dit aux autres élèves. Je les regarde en train de réciter leurs leçons, de répondre à des questions de catéchisme ou de participer à des combats de calcul mental. Elle me donne des exercices d’écriture et de comptage. Je les fais à mon rythme et sans compétition.

 

Une journée de classe

À 9 heures, la cloche sonne. La journée commence par une prière ou un cantique. Après cela, c’est le catéchisme. On a dû apprendre par cœur des réponses qui doivent être données à des questions posées dans un livre appelé Petit catéchisme. Tour à tour, les élèves se présentent en rang devant le bureau de l’enseignante pour dire à haute voix les réponses apprises. Si l’enfant bafouille ou ne peut répondre adéquatement, il est invité à prendre la queue de la file en même temps qu’il est réprimandé. Il y a aussi l’apprentissage de prières en latin comme l’Angelus. Il faut dire qu’à cette époque on apprend nos prières en français et en latin et, pour certaines, en anglais comme le Our Father.

 

Après le catéchisme, l’institutrice présente des notions d’histoire sainte qui consiste en un ensemble de faits racontés dans la Bible, avec ses drames, ses légendes et ses mythes. Les élèves apprennent que la création de l’univers s’est faite en sept jours. Ils sont confrontés au déluge qui a envahi la terre et aux épreuves que Satan a fait subir à Job. Je suis très impressionné quand j’apprends que Job, un personnage de l’Ancien Testament, avait déjà été riche, mais que Dieu pour l’éprouver couvrit son corps d’ulcères et le dépouilla de tout, si bien qu’il devait vivre sur un tas de fumier.

 

Après la récréation, c’est le français : exercices de grammaire et d'écriture cursive. Une dictée est donnée en regroupant au besoin les élèves de deux ou de trois degrés. Les textes sont corrigés et, dans des cas quand même rares, le nombre de coups de règles est proportionnel aux fautes de grammaire ou d’orthographe. Suit une séance de lecture par degré où les élèves sont invités à bien articuler et à faire des liaisons parfois exagérées. Ils doivent, en certaines occasions, expliquer en leurs termes le texte lu, ce qui est une opération très difficile. En effet, la plupart des jeunes de cette époque sont contraints par leurs parents à ne pas intervenir dans les conversations des grandes personnes à la maison, si bien que leur vocabulaire demeure restreint.

 

L’avant-midi se passe ainsi avec une pause de 15 minutes où les élèves peuvent aller prendre l’air. Dans mon école, il n’y a ni matériel de sport ni jeux de société. Aussi, les récréations sont plates. Elles se transforment parfois en séance de chamaillage chez les garçons.

 

À 11 heures 30, après une prière, la cloche annonce une pause pour le dîner. Les élèves, qui demeurent loin de l’école et les autres en cas de tempête ou de froid intense, sortent leur repas soigneusement placé dans un sac de papier. Ils ont la possibilité de faire réchauffer certains aliments sur le poêle à bois de l’école.

 

De son côté, l’institutrice prend son repas dans son appartement de deux pièces. Sans surveillance temporaire, les plus futés en profitent pour emprunter un langage prohibé et pour taquiner les plus jeunes. C’est là que certains élèves apprennent les mystères de la vie.

 

À 13 heures, après une prière ou un cantique, c’est le temps de l’arithmétique : le calcul mental, les quatre opérations de base, les fractions ordinaires et décimales. Les moins doués pour cette matière se découragent parfois devant leur insuccès. Il arrive que l’institutrice, surtout si elle n’est pas diplômée et qu’elle n’a jamais suivi de cours de didactique des mathématiques, ne puisse pas expliquer les raisons de procéder ou le pourquoi des opérations dans les problèmes écrits.

 

Après la pause de l’après-midi, différentes matières comme l’anglais, l’histoire du Canada, la géographie, l’agriculture sont présentées, sans compter les connaissances usuelles et l’enseignement ménager. Le tout se termine par une prière.

 

Le vendredi après-midi, l’emploi du temps diffère des jours précédents. La première partie est consacrée au dessin. Encore là, on ne nous permet pas de nous exprimer dans ce domaine. On nous donne plutôt des objets ou des scènes à reproduire.

 

Parmi les objets à reproduire, il y a les feuilles d’arbres. Dessiner une feuille avec ses nervures est relativement facile parce que cet objet est presque plan. Là où c’est plus compliqué, c’est quand on nous fait dessiner des objets à trois dimensions comme des tasses, des verres, des pots. L’institutrice place ces objets sur son bureau en avant de la classe et il faut qu’on se débrouille. L’objet dont je garde le plus mauvais souvenir est la pomme. C’était une tâche presque insurmontable, au moins pour moi. J’avoue avoir souvent effacé à l’excès si bien que mon papier à dessin devenait troué.

 

Les scènes proviennent de manuels qui sont à la disposition de l’institutrice. Je me souviens d’avoir dessiné un navire flottant, un jeune homme avec son parapluie, un pot de fleurs, un boulanger qui livre le pain, des arbres près de l’école.

 

Parfois, le dessin est remplacé par le collage d’images ou d’objets comme les feuilles d’arbres à l’automne et ce, dans un cahier ou sur des feuilles volantes.

 

Le reste du temps est consacré aux travaux manuels pour les garçons. Pour les filles, c’est le tricot et la broderie. L’après-midi se termine par des conseils sur l’hygiène et la bienséance.

 

Avant le départ, l’institutrice donne des travaux pour la fin de semaine. Il s’agit ordinairement d’une composition. Elle nous demande parfois de raconter une histoire sur un thème donné. Dans ce dernier cas, les élèves ne peuvent pas faire autrement que de commencer par « Il était une fois ».

 

Les anges gardiens

De toutes les histoires inventées par l’Église, il en est une qui résonne à mes oreilles dès mon plus jeune âge. Ma mère me racontait que chaque personne avait un ange qui le surveillait et le protégeait. Quand j’entendais le chant de Noël Les anges dans nos campagnes dont la première strophe était : « Les anges dans nos campagnes ont entonné l'hymne des cieux et l'écho de nos montagnes redit ce chant mélodieux. », je me disais avec satisfaction que les anges savaient aussi chanter.

 

Personnellement, je n’ai jamais senti un ange sur mon épaule et je ne pouvais pas réussir à y croire. Toutefois, à l’école, l’institutrice tient les mêmes propos que ma mère. Elle nous enseigne que « les anges sont de purs esprits créés à l’image et à la ressemblance de Dieu pour l’adorer et le servir ». Elle ajoute : « Les anges s’occupent de nous ; ils ont souvent été envoyés par Dieu à l’homme comme messagers, et ils nous sont aussi donnés comme gardiens et protecteurs. »

 

Je pense en moi-même : « C’est bien ce que ma mère disait ». Pour préciser sa pensée (ou la pensée du petit catéchisme), l’institutrice confirmait que chacun avait son propre ange gardien. « Dieu, disait-elle, a donné à chacun de nous un ange gardien pour nous préserver du mal et nous aider à être de bons chrétiens. Nous devons respecter sa présence, lui témoigner notre reconnaissance pour les soins charitables qu’il prend de nous, l’invoquer avec confiance dans les tentations, et éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu et l’éloigner de nous ».

 

Cette suite de mots tirée du catéchisme n’avait aucun sens pour moi. Comment pouvais-je croire en une entité dont la présence réelle n’existe pas ? Comment se fait-il qu’à l’école les plus grands font des mauvais coups et désobéissent à l’institutrice ? N’ont-ils pas eux aussi un ange gardien et pourquoi cet ange n’intervient-il pas ?

 

Par la suite, l’histoire devenait à la fois plus intéressante, mais plus troublante. En effet, l’institutrice ajoutait que, lorsque les anges ont été créés, ils étaient bons et heureux, mais que certains, par orgueil, avaient désobéi à Dieu et avaient été précipités en enfer. Ils étaient devenus des mauvais anges ou des démons.

 

La question que je me posais alors : « Mon ange gardien, s’il existe, fait-il partie du groupe des bons ou des mauvais anges ou peut-il en même temps être bon et mauvais ? » Je n’ai jamais eu de réponse à cette interrogation.

 

En fait, cet enseignement servait beaucoup plus à troubler nos jeunes cerveaux qu’à nous amener à une bonne conduite.

 

Le lavage

Le lundi, quand je pars pour l’école, ma mère a déjà sorti sa lessiveuse à bras et sa planche à laver. La lessiveuse n’est pas activée par l’électricité parce qu’il n’y en pas encore au rang 5. C’est au moyen de ses bras que ma mère fait valser la cuve qui contient le linge. Après une centaine de va-et-vient. elle passe le linge à un tordeur constitué de deux rouleaux qui compressent le linge pour en extraire l’eau. Ce tordeur doit être activé manuellement. Puis, c’est l’étendage à l’extérieur ou au grenier selon les saisons. Ma mère doit laver le linge de neuf personnes, sans compter un jeune bébé. Parfois, quand j’arrive de l’école le soir, elle n’a pas encore terminé.

 

Dans le grenier

Jusqu’en 1950, les enfants de quatre ans et moins de ma famille couchent dans la chambre des parents ou dans une petite chambre au premier étage. Les enfants plus âgés dorment dans le grenier comportant une seule pièce partagée en deux par un rideau : au nord les filles, au sud les garçons.

 

Le grenier est situé en haut de la cuisine. Il n’y a aucun chauffage dans cette pièce. Une minuscule ouverture a été aménagée au plafond de la cuisine pour laisser passer la chaleur dégagée par un poêle à bois qui est seul à réchauffer la maison. Comme le poêle n’est pas alimenté la nuit, sauf lors des grands froids, nous sommes souvent réveillés par la trop grande intensité du froid, sans compter l’humidité. L’hiver, la glace s’installe à l’intérieur dans le seul châssis à l’est.

 

Heureusement, avec mon frère dans un grand lit, nous avons une peau d’ours. Il faut certaines nuits dormir la tête sous les nombreuses couvertures.

 

Décembre 1947. Dîner à l’école

Je vis mon premier dîner à l’école avec mon frère et deux de mes sœurs. C’est une expérience unique pour moi. Un repas de sandwiches hors de la maison sans la présence de mon père et de ma mère me semble plus satisfaisant qu’un repas à l’hôtel. Je mange doucement et je m’en lèche les babines tellement je suis heureux quand j’eus avalé le seul biscuit qui me revenait.

 

Les oreillons

Nous sommes le 23 décembre 1947. C’est l’euphorie à l’école : dernier jour avant les vacances de Noël. J’ai six ans. Pour ma part, je n’ai pas le goût de fêter. Je ne me sens pas vraiment bien. Je ne sais pas pourquoi.

 

Quand j’arrive à la maison, ma mère me tâte le visage et constate que le bas de mes joues commence à enfler. Elle me dit : « Tu as les oreillons. »

 

Deux de mes sœurs plus âgées que moi sont déjà atteintes de cette maladie contagieuse et sont alitées. Normalement, nous couchons dans le grenier, mais pour éviter toute contagion, ma mère a installé un demi lit au premier étage dans une petite pièce près de la salle à manger. Mes deux sœurs occupent déjà le lit. À la guerre comme à la guerre, ma mère ne recule pas. Elle me fait coucher de travers au pied du lit.

 

Quand la soirée du 24 décembre arrive, j’entends des voix dans la cuisine. J’écoute attentivement ce qu’on dit : des bonbons, une orange, etc. Je reconnais la voix de mon père et celle de ma mère qui préparent les bas de Noël.

 

Grâce aux oreillons, j’apprends qu’on ne me dit pas la vérité quand on me fait croire que le contenu des bas provient directement du Père Noël.

 

Décembre 1947. Finances de la famille

Le 14 décembre 1947, mon père retire 125 $ de son compte de la Caisse populaire pour payer son terme de terre. Il lui reste 614,04 $. Les finances commencent à s’améliorer.

 

Janvier 1948. En toute sécurité

Mes parents sont allés souper dans la parenté. Ma sœur aînée qui a 13 ans garde la maisonnée qui est composée de huit enfants. Après le souper, elle nous annonce que nous allons jouer au bureau de poste. Je ne me rappelle pas comment se déroulait le jeu si ce n’est qu’on collait des timbres usagés sur de fausses enveloppes, mais je ressens encore la jouissance que j’avais à participer à cette activité.

 

Tout-à-coup, quelqu’un frappe à la porte du tambour situé en arrière de la maison. Le jeu s’arrête. Nous sommes tous anxieux et apeurés. Au départ, ma mère avait averti : « Dès que nous partons, vous barrez la porte et vous ne laissez entrer personne. »

 

Ma sœur passe dans le tambour et dit sans ouvrir la porte extérieure :

- Qui est là ?

- C’est Joseph Lagacé.

- Mes parents ne sont pas là.

 

M. Joseph venait voir son bon ami, mon père. Il est retourné bredouille.

 

Veillées religieuses

Le Centre St-Germain est une revue religieuse mensuelle publiée par l’archevêché de Rimouski. On y trouve différents articles sur des sujets religieux. Le clergé recommande des veillées d’équipe où des voisins se réunissent pour approfondir les textes de la revue.

 

Ma mère forme une équipe avec les voisins. Quand la veillée a lieu chez mes parents, j’obtiens la permission de ma mère d’y assister. Celle-ci anime la veillée. Elle commence par une prière. Une lecture est faite dans le Centre St-Germain. Ma mère demande des commentaires. Les hommes fument leur pipe tranquillement et semblent s’ennuyer. Les femmes interviennent brièvement mais cela ne semble pas soulever de l’intérêt. Ma mère fait lire une page dans le livre des quatre évangiles. Les réactions ne sont pas plus grandes. Je regarde ma mère. Elle se débat comme un diable dans l’eau bénite pour activer l’assemblée qui ne lève pas. Finalement, la conversation bifurque vers un sujet hors d’ordre et l’assemblée se termine en queue de poisson.

 

Devant le manque d’intérêt des participants, ma mère abandonne ces veillées-là.

 

La prière à la maison

À l’époque, la prière fait partie de notre quotidien. Nous prions en famille au moins cinq fois par jour, sans compter la recommandation de notre mère qui nous incite à offrir notre journée à Dieu au lever et à le remercier avant de se coucher.

 

La première prière est celle du matin. Entre la traite des vaches et le déjeuner, nous nous agenouillons en ligne dans la cuisine devant la croix noire de la tempérance et l’image du Sacré-Cœur pour réciter les prières dirigées par ma mère. Mon père assiste rarement à cette liturgie. Il profite de ce moment le matin pour aller soigner ses chevaux à l’étable. La prière est quand même assez courte. Elle débute par le signe de croix : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis suivent : le Notre Père, le Je vous salue Marie, le Je crois en Dieu, une offrande de la journée au Seigneur et parfois ma mère lit ou récite par cœur une prière qu’elle avait trouvée dans une revue religieuse ou au dos d’une image. La prière se termine par le Gloire soit au Père.

 

Avant chaque repas, autour de la table, il faut réciter le bénédicité. Une prière qui se présente comme suit : « Bénissez-nous, ô mon Dieu, ainsi que la nourriture que nous allons prendre. Amen. » Plus tard, la prière est devenue : « Bénissez-nous, Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l’ont préparé et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas. Amen ». Après le repas, une prière individuelle est recommandée à l’effet de remercier Dieu pour le bon repas.

 

Le dimanche midi, c’est plus solennel. Le menu est plus diversifié que les autres jours et ma mère remplace le bénédicité par l’Angélus, une version latine du Je vous salue Marie qui est une des premières prières que nous apprenons en latin à l’école.

 

La prière du soir se fait vers 19 heures à genoux dans la cuisine. Elle est d’abord composée d’un chapelet. Puis nous récitons en groupe le Je crois en Dieu, le Confiteor, les neuf actes (adoration, foi, espérance, charité, contrition, remerciement, offrande, humilité, demande), les 10 Commandements de Dieu, les 7 commandements de l’Église. Nous attendons avec impatience le moment où nous allons prononcer le Gloire soit au Père : ce qui marque la fin de la prière du soir. Pendant cette prière, au grand détriment de ma mère, mon père s’appuie sur le bras de sa chaise et souvent baisse la tête comme s’il dormait.

 

Puis vint le chapelet à la radio. Chaque jour à 19 heures, l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent, récite le chapelet à la radio. Cette émission provient de la station CJBR de Rimouski, affiliée à Radio-Canada.

 

Dans notre foyer, comme dans beaucoup d’autres, toutes les activités cessent pour dire le chapelet en famille. Agenouillés, nous répondons aux prières de Mgr Parent. Nous trouvons le temps long car le chapelet dure 15 minutes. Quand nous manquons l’émission, la récitation du chapelet par ma mère ne dépasse pas 10 minutes.

 

C’est que Mgr Parent passe des messages en commentant les mystères reliés au chapelet. Ceux-ci sont partagés en trois classes : mystères joyeux (lundi et samedi), mystères douloureux (mardi et vendredi) et mystères glorieux (mercredi, samedi et dimanche).

 

Pendant la période d’été, à cause des travaux des champs, il est plus difficile de se réunir pour la prière du soir. Toutefois, en juin, mois consacré au Sacré-Cœur, nous récitons avec plaisir le chapelet du Sacré-Cœur. À la place du Notre père, ma mère dit « Doux Cœur de Jésus » et nous répondons « Soyez mon amour ». À la place du Je vous salue Marie, c’est « Doux cœur de Marie » avec réponse « Soyez mon salut ». À force d’insister, nous obtenons parfois le privilège de réciter ce chapelet en d’autres occasions.

 

Ma première confession

Bientôt, la fin de la petite enfance se concrétise par la première communion. J’ai hâte d’accomplir ce geste pour montrer que je ne suis plus un bébé. Mais ce geste doit être précédé d’un autre qui est la confession. Quelle exigence insensée que la confession d’autrefois ! Je sais qu’il faudra me présenter au confessionnal et réciter la liste de mes péchés.

 

Heureusement, l’institutrice a le mandat de me préparer à la confession. D’abord, Jeanne Ouellet me demande d’apprendre par cœur la formule d’introduction que je devrai réciter au prêtre. « Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché. Je me confesse à Dieu et à vous mon Père. C’est ma première confession. » Par la suite, je devrai énumérer mes péchés en commençant par « Mon père, je m’accuse. »

 

Jeanne Ouellet me donne des suggestions de péché : chicanes entre frères et sœurs, les gros mots, les vols de biscuits, les fruits ramassés chez les voisins, le refus de faire des commissions, la gourmandise, la paresse de ne pas apprendre ses leçons et de ne pas faire ses devoirs, les mensonges, etc. Je devrai aussi indiquer le nombre de fois pour chaque péché. À la fin, je devrai dire : « Mon père, je m’accuse de plus de bien d’autres péchés que je ne connais pas et de ceux de toute ma vie. J’en demande pardon à Dieu et à vous mon père, la pénitence et l’absolution. »

 

Comment choisir dans la liste suggérée par la maîtresse d’école ? Je ne veux pas consulter ma mère parce que je serais obligé de lui avouer de vrais ou de faux manquements. Je décide que je dois me débrouiller et inventer des peccadilles de conduite.

 

Le jour venu, ma mère m’accompagne à la sacristie de l’église. Il y a là deux confessionnaux. Chacun des deux est divisé en trois compartiments séparés. Le curé est installé dans le compartiment central d’un des deux confessionnaux. Comme pénitent, je dois ouvrir une porte et entrer dans un des deux isoloirs libres. On y trouve un agenouilloir, mais comme je suis petit, je reste debout pour pouvoir parler au prêtre à travers la grille. Ce dernier est en train de confesser un pénitent qui est de l’autre côté. Je dois attendre que le prêtre déplace un panneau qui laisse paraître le grillage séparant le pénitent du confesseur. Le moment venu, je dois parler à travers le grillage.

 

Avec l’aide du curé, je réussis à énumérer quelques péchés. Pour plusieurs, je n’ai pas le temps d’indiquer le nombre. Le prêtre m’absout de mes péchés et me donne une pénitence, probablement de réciter trois Ave Maria ou l’acte de contrition. Je suis fier d’avoir réussi à passer la douloureuse épreuve de la confession. Je peux alors faire ma première communion qui me permet d’entrer dans le monde des grands.

 

Mes confessions postérieures

L’Église nous enseigne qu’il faut se confesser une fois par mois. Le dimanche prévu, en famille, nous nous rendons à la sacristie avant la messe. Là nous attendent le curé et parfois un prêtre de passage, lesquels sont confortablement assis dans leur confessionnal.

 

Au début, la préparation de la liste des péchés est fastidieuse. Je repasse les manquements que j’ai pu commettre. Peu à peu, je raffine ma liste. J’invente des péchés pas trop compromettants pour être certain d’avoir l’absolution. Le fait de préciser le nombre de fois ne me cause pas de problème. Au hasard, je donne une fréquence qui varie de 1 à 6. Je justifie mon attitude en pensant qu’il y a des péchés partout et que, pour ma part, je dois en inventer pour pouvoir satisfaire aux préceptes de l’Église.

 

Avec le temps, par le catéchisme, j’apprends de nouveaux péchés que je ne connaissais pas à six ans. Je les inclus dans ma liste et je mets de côté certaines fautes enfantines. Voici un exemple des confessions de mon jeune temps : « Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché. Je me confesse à Dieu et à vous mon Père. Il y a x semaines que je me suis confessé. J’ai reçu l’absolution et j’ai fait ma pénitence. »

 

Les fautes avouées suivent. Je choisis au hasard dans cette liste. « Mon père je m’accuse d’avoir menti x fois, de m’être mis en colère x fois, d’avoir été gourmand x fois, d’avoir été désobéissant x fois, d’avoir été impoli x fois, d’avoir dit des gros mots x fois, de m’être chicané x fois, d’avoir eu des mauvaises pensées x fois, d’avoir été impur x fois. »

 

Il arrive que le prêtre me pose des questions. Pour éviter cette répétition, la fois suivante, j’ajoute une autre forme de péché. Il en est ainsi de l’impureté.

 

À 7 ou 8 ans, déjà je m’accuse de péchés d’impureté sans vraiment savoir ce que c’est, mais il est dans la liste des sept péchés capitaux. Comme le curé parle souvent de l’impureté dans ses sermons, je vois d’un bon œil de choisir ce genre de péché. Un jour, alors que je me confesse d’avoir été impur, le prêtre me demande avec qui. C’est ainsi que j’apprends qu’on peut être impur avec d’autres et je l’ajoute à ma liste même si je ne sais pas en quoi cela consiste. Bref, la confession nous apprend à faire de nouveaux péchés.

 

Je n’ai jamais su comment les autres se confessaient. Je n’ai jamais parlé de ce sujet avec quelqu’un d’autre, parce que si le prêtre était lié au secret de la confession, je pensais que nous étions liés au secret de notre confession.

 

Avril 1948. À la cabane à sucre

Depuis quelques jours, je compte les dodos. Je suis excité. Ma mère a invité la famille Joseph Lagacé, le deuxième voisin de l’est, à venir à la cabane à sucre chez nous. Je ne suis pas encore allé à cet endroit. De plus, j’ai l’impression que je vais assister à la plus grande fête de tous les temps, et comme prime en plein air.

 

Bientôt, nous sommes une douzaine de personnes à boire de l’eau d’érable, à manger de la tire sur neige, à manger des beurrées trempées dans le sirop d’érable et … pour les jeunes à se chamailler gentiment. J’ingurgite tellement de produits de l’érable qu’à force de me délicher un cerne brun s’incruste au-dessus de ma lèvre supérieure. Je continue ma manie rendu à la maison jusqu’à ce qu’une de mes sœurs m’indique brutalement d’arrêter ce manège.

 

Chasse à la toison

Je suis debout dans l’étable là où le foin est empilé dans ce qu’on appelle les tasseries. Derrière moi, une cloison me sépare des vaches qui sont attachée dans une crèche depuis la fin d’octobre. C’est de l’endroit où je suis qu’on peut les nourrir.

 

Devant moi, à quelques mètres, dans la tasserie, je vois maman à demi agenouillé et armé d’une paire de longs ciseaux en attente. Elle porte un tablier de couleur foncée qu’elle utilise parfois pour traire les vaches. Il n’y a presque plus de foin sous elle, signe que le temps de l’hivernement tire à sa fin.

 

Mon frère aîné arrive avec un mouton qu’il est allé chercher dans la bergerie où loge une dizaine de bêtes en libre mouvement. Il rejoint ma mère dans la tasserie et approche d’elle le mouton en le tenant immobile. Centimètre par centimètre, ma mère détache la laine de l’animal. Le mouton se lamente en articulant faiblement béhé béhé. Finalement, l’animal est tout nu.

 

J’ai de la peine. « Il va avoir froid, me dis-je, sans manteau dans cette bergerie non chauffée. » Il faut croire que l’animal n’en meurt pas et n’attrape pas de maladie parce que cette opération se répète année après année au printemps. Mon frère ramène le mouton à la bergerie et revient avec un autre.

 

Par la suite, ma mère débarrasse la laine d’impuretés visibles et la fait tremper dans des récipients d’eau chaude. La laine est « bouillie » sur le poêle à bois. Cela donne une senteur épouvantable dans la maison parce que la laine contient encore, notamment, du suint et de la graisse.

 

Une fois cette opération terminée, ma mère fait des paquets et envoie le tout par la poste à l’Isle-Verte où il y a une filature. Au bout de quelques semaines, le tout revient en boudins blancs. Ma mère sort son rouet et file la laine en vue principalement de faire des vêtements.

 

Un visiteur

De temps à autre, des voisins ou des gens du rang viennent veiller chez mes parents. Ce printemps 1948, un visiteur qui a rarement mis les pieds chez nous se présente. Il s’appelle Paul-Émile Bérubé. Il a presque 30 ans et il vit avec ses parents sur une terre à l’est de l’école.

 

Quand arrive le mois de mai, à l’occasion, Paul-Émile se rend à l’école en soirée pour réciter le chapelet, dire des prières et participer à des chants en l’honneur de la Vierge Marie dont c’est la fête pendant tout le mois. Il est là aussi quand la cérémonie a lieu devant la croix qui est sur la terre de mon père. Après avoir participé à une cérémonie, il vient veiller chez nous, toujours en bicycle, car personne sauf M. Ernest a un véhicule motorisé dans le rang 5.

 

Après un certain nombre de visites, je demande à ma mère pourquoi monsieur Timile vient si souvent. Ma mère répond : « Il va falloir que tu apprennes à dire Mon oncle Timile. » J’ouvre grands les yeux. Elle continue : « Monsieur Timile fréquente ma sœur Gaby (Gabrielle). Ils vont se marier bientôt. » J’ai de la difficulté à comprendre qu’on peut fabriquer un oncle quand il a 29 ans. C’est la première fois qu’une grande personne a soudainement un lien de parenté avec moi.

 

Le mariage a lieu en juin 1948. J’aurais bien aimé aller aux noces mais ce n’est pas mon tour. Pour le dîner de noces, tante Candide veut décorer la table avec des guirlandes. Ma mère a offert de lui procurer des guirlandes d’arbustes. C’est mon père qui est chargé de cette tâche. Un dimanche après-midi, une semaine avant le mariage, après le dîner, il annonce qu’il va en forêt au sud de la rivière pour chercher les précieuses guirlandes. Je demande d’aller avec lui. Au début, mon père est réticent, mais il finit par accepter.

 

Je suis tout heureux de partir avec mon père. Nous nous rendons dans le clos de pacage du sud où on trouve des milieux humides. J’essaie d’arracher des tiges mais je ne suis pas assez fort. Mon père est impatient et n’aime pas les suggestions que je lui fais. En plus, il n’aime pas être dérangé dans ce travail qui lui a été imposé. Je suis très déçu.

 

Juillet 1948. Une rencontre inoubliable

J’ai 7 ans. Le soleil plombe ses chauds rayons sur la campagne. Les oiseaux piaillent tout autour de la maison. Après le train et la prière du matin en famille, ma mère décide que nous irons aux petites fraises au rang 6 sur la terre d’Hormidas Gaudreau. Elle prépare notre dîner.

 

Ma mère sait que Philéas Gaudreau, alors âgé de 72 ans, et son épouse Delphine Dionne, 74 ans, séjournent dans un petit camp pour une partie de l’été sur la terre de leur fils Hormidas. Alors, elle nous recommande de leur demander la permission d’y cueillir des fraises.

 

Je pars avec mes trois sœurs plus âgées. Après une bonne dizaine de minutes de marche, nous passons à travers bois et nous atteignons le petit camp situé à l’orée de la forêt. Nous cognons à la porte. Ils nous reçoivent aimablement comme les paysans de l’époque savent le faire. Nous nous présentons. Le père Philéas dit : « Ah ! les enfants d’Edmond Jean ». Ils connaissent très bien mon père car Philéas est le cousin germain de mon père et c’est à lui qu’ils ont vendu leur terre du rang 5 et une partie de leur terre du rang 6 en 1932, soit 16 ans plus tôt.

 

C’est impressionnant de voir ces deux vieillards – c’est ainsi qu’on appelait les gens de 70 ans et plus à l’époque – qui semblent très heureux de vivre dans la nature, loin du village où ils résident. Le camp est très petit, probablement trois mètres sur quatre mètres. Au centre, il y a un petit poêle. Autour du poêle, deux chaises berçantes ; au mur, deux ou trois tablettes pour déposer la vaisselle et des chaudrons vieillots accrochés sur des clous ; derrière le poêle, un lit.

 

Ils nous autorisent aimablement à cueillir des fraises à la condition qu’on leur laisse un certain périmètre autour de leur camp. Ils ont l’habitude d’en cueillir pour leurs repas. Nous respectons leur exigence même si on doit laisser de côté de beaux ronds de fraises.

 

C’est la première fois que je vois le couple et c’est la dernière. Delphine décédera en septembre 1949, un an plus tard, et Philéas, en avril 1952.

 

Mardi 14 juillet 1948. Une scène banale

Je suis allé au village avec mes parents en voiture à cheval. Au retour, en passant devant la maison de Joseph Lagacé vers 21 h 30, je vois une scène banale mais qui, pour moi, me semble historique. Lucien, le fils aîné de 27 ans, est en train de se faire la barbe.

 

Pour la première fois je vois un autre homme que mon père se passer la lame dans la figure à travers une broue blanche. Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est qu’en plus il se marie le lendemain même.

 

Les foins

Encore une fois cette année, alors que les cultivateurs voisins commencent à faucher, mon père prépare sa faucheuse. Il démonte les pièces de l’instrument, les huile abondamment et les replace en les vissant solidement. Ma mère lui reproche son retard. Pendant cette journée où mon père astique la faucheuse, il est heureux. Il appréhende le début des récoltes, car il n’aime pas travailler sur la terre.

 

Quand tout est prêt, mon père, autour du champ choisi, fauche une lisière avec la petite faux afin de ne pas écraser indûment le foin lors du premier tour. Par la suite, il attelle ses deux chevaux à la faucheuse. L’opération se déroule bien tant que la faux ne frappe pas une roche ou qu’elle soit bloquée par des herbes humides difficiles à couper.

 

7 septembre 1948. Rentrée scolaire

J’entre en 2e année du primaire. Je suis toujours seul dans ma classe. Ovila Vaillancourt, le frère de Lisette, commence l’école. Il est seul en 1e année. C’est encore Jeanne Ouellet qui nous enseigne. J’apprends à écrire avec une plume qu’on appelle petite plume. Il s’agit d’une tige appelée porte-plume au bout de laquelle on insère un morceau de métal en forme de bec fendu. On trempe cette plume dans un encrier et on reproduit la configuration d’une lettre ou d’un chiffre. Si on puise trop d’encre dans le contenant, on risque de faire ce qu’on appelle des pâtés qu’on ne peut pas corriger même avec du papier buvard.

 

Plus tard, la plume comportera un réservoir et évitera les dégâts de renversement d’encrier. Ce sera l’avènement de la plume-fontaine qui sera remplacée par le stylo, la dactylo et … le clavier d’ordinateur.

 

10 novembre 1948. Naissance de Lucille

Enfin, une fille. Lucille Jacinthe naît vers 7 heures 30. Elle est baptisée le lendemain par le vicaire Fortunat Blanchet. Son parrain est Maurice Théberge, frère de ma mère, et sa marraine est Lucille Lavoie, épouse de Maurice.

 

Ce jour-là, vers 5 heures du matin, Carmen vient nous réveiller dans le grenier. Nous nous habillons sans savoir ce qui se passe et nous sommes amenés chez Madame Hélène.

 

Décembre 1948. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 1165,54 $. Après un retrait de 125 $ le 12 janvier 1949 pour payer le terme de terre, la balance est de 1040,54 $.

 

Janvier 1949. Un mystère

Je suis le plus surpris du monde quand l’institutrice Jeanne Ouellet m’annonce qu’il y a trois personnes en Dieu : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Je sais que Dieu existe parce que ma mère l’a dit tellement souvent. Je trouve logique que Dieu soit le père, mais sûrement pas en même temps le fils. De plus, que vient faire le Saint-Esprit dans cette galère ?

 

Voyant que je ne comprends pas, l’institutrice me lance « Tout ça est un mystère ». J’avais déjà entendu ce dernier mot de la bouche de ma mère. Elle ne retrouvait plus son chapelet et avait dit : « Pourtant hier, je l’avais mis sur mon bureau. Il n’est plus là. C’est un mystère. »

 

Je pouvais maintenant dormir tranquille. Il y avait deux genres de mystères : les grands comme celui du catéchisme et les petits comme celui de ma mère.

 

Mars 1949. Un accident

En mars 1949, pendant la récréation de l’avant-midi, je tombe sur une surface glacée en avant de l’école. Je me fais une blessure sur la paupière au-dessus de l’œil droit. Je pleure. Rapidement, Jeanne Ouellet me fait entrer à l’intérieur.

 

La maîtresse, n’ayant rien pour les premiers soins, nettoie ma plaie avec de l’eau de la pompe et pose une bande collante qui sert à réparer les livres. Inutile de dire que son enlèvement a été très douloureux. La plaie se referme. Toutefois, la cicatrice ne s’est jamais résorbée. Lorsque j’y place mon doigt, je sens, malgré les années, une légère douleur.

 

Avril 1949. Un choc historique

À ce jour, j’avais appris que le Canada était constitué de neuf provinces et que, dès 1867, quatre provinces avaient signé une constitution pour faire un nouveau pays : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Québec.

 

Au début d’avril, l’institutrice nous dit : « J’ai appris à la radio que le Canada est maintenant formé de 10 provinces. Depuis le 31 mars, Terre-Neuve n’est plus une colonie de la Couronne britannique, mais une province du Canada. »

 

Je suis abasourdi. Je ne peux m’empêcher de dire : « Mais Mademoiselle, c’est écrit dans notre livre de géographie que le Canada compte neuf provinces. »

 

Je suis certain que l’institutrice se trompe car, pour moi, ce qui est écrit dans un livre est la pure vérité. Jeanne Ouellet nous explique calmement que l’histoire évolue et que les événements marquants sont inscrits plus tard dans les livres. Elle ajoute que Joey Smallwood, premier ministre de Terre-Neuve, est reconnu comme un Père de la Confédération. Là, je suis troublé. Pour moi, un Père de la Confédération est un vieillard qui est décédé depuis longtemps.

 

Cette révélation de l’institutrice me fait prendre conscience que la grande histoire, tout comme la petite, n’est pas figée dans le temps.

 

Mai 1949. Deux visites

Alors que la neige vient de fondre et que les chemins sont roulants, mon père doit aller au village. Je suis heureux de pouvoir l’accompagner et de faire deux visites.

Première visite : la grange à dîme. Mon père y apporte des poches de grains. Pour faire vivre le curé, les cultivateurs sont tenus de céder à la fabrique un dixième de leur récolte, ce qu’on appelle la dîme. Quand on arrive à la grange, les grandes portes (sur la photo) sont ouvertes. Mon père dépose les poches de grains et nous continuons notre voyage vers l’ouest.

 

Deuxième visite : le forgeron. Je vois pour la première fois l’homme qui ferre les chevaux et qui répare les voitures : Napoléon Saindon. Mon père est là pour faire ferrer son cheval. Le forgeron porte un énorme tablier de cuir. Je suis attiré par le chauffage du fer et par les frappes sur l’enclume qui produisent des étincelles. Quand le forgeron tient la jambe du cheval, j’ai peur qu’il se fasse blesser. J’ai aussi peur qu’il fasse mal au cheval quand il plante des clous dans ses sabots.

 

Lac-Boisbouscache

Je vais porter une douzaine d’œufs chez Mme Hélène qui me donne les sous prévus et, comme récompense, un biscuit. En revenant, je vois que, sur le panneau de signalisation avant l’embranchement de la route du sixième rang, on peut lire Lac-Boisbouscache. Pourtant l’année dernière, il était écrit Club Appalaches.

 

En arrivant à la maison, je demande à ma mère le pourquoi de ce changement. Elle m’explique que le Club Appalaches est un club privé de chasse et de pêche tandis que Lac-Boisbouscache est le nom de la municipalité où se trouve le club. Les habitants sont des touristes qui viennent majoritairement de la région de Sherbrooke pendant l’été taquiner les mêmes poissons que nous et tuer les mêmes bêtes que nous parce que la terre de mon père au sixième rang est située aux frontières de cette municipalité. On les appelle les Américains.

 

En 1932, quand mon père a acheté sa terre, il est devenu le conducteur officiel des membres du club. La route n’était pas encore carrossable par les automobiles. Quand les membres arrivaient chez nous, ils garaient leur automobile sur la terre de mon père. Ce dernier attelait son cheval et les conduisait à leurs chalets. En cours de route, les touristes offraient à mon père un p’tit verre : ce qu’il ne dédaignait pas. Au bout de trois ou quatre ans, un soir, au retour, il a failli se noyer dans une rivière qui débordait sur la route. Sous la pression de ma mère, il a alors abandonné ce transport.

 

Les touristes sont toujours bienvenus à la maison. Entre autres fait divers, un jour, un touriste qui est médecin soigne une de mes sœurs. Un autre veut adopter une de mes sœurs de 3 ou 4 ans. Il l’a photographiée et a envoyé à ma mère deux photos par la poste.

 

Les membres du club achètent de ma mère des œufs, du pain, du lait et divers petits objets qu’ils ont oublié d’apporter. Pour nous, c’est un plaisir de piocher des vers de terre.

 

Les vers de terre

Les pêcheurs arrivent, deux ou trois, à toute heure du jour et même le dimanche. Ils sont vêtus dans un style relaxant : t-shirts et bermudas. Nous n’avions jamais vu un tel accoutrement. Ma mère n’aime pas leur tenue, mais elle ne dit mot. Un jour, en parlant d’un homme vêtu de la sorte que nous avions appelé Monsieur, elle avait dit : « Ce n’est pas un vrai monsieur. »

 

Une commande de 50 à 100 vers de terre étant donnée, nous nous empressons de l’honorer. Le tarif est d’un sou par ver. Les ventes peuvent atteindre plus d’une vingtaine de dollars annuellement.

 

En plus d’avoir pioché des vers pour ces touristes, j’ai passé des centaines de fois devant la barrière du club et pourtant je n’ai jamais pu y entrer. Cette barrière bloquait l’accès à toute personne, sauf aux membres, à leurs invités et aux travailleurs forestiers.

 

31 mai 1949. Ma confirmation                                         

C’est en lisant un compte-rendu d’une cérémonie de confirmation dans une édition du Progrès du Golfe que je me suis souvenu de quelques détails de ma propre confirmation. Dans son journal, ma mère avait écrit que j’avais été confirmé le 31 mai 1949. Or, le Progrès du Golfe parlait justement d’une cérémonie le 31 mai à Saint-Mathieu-de-Rioux.

 

Je choisis comme parrain de confirmation l’oncle Maurice Théberge, le frère de ma mère. Avant la cérémonie, l’abbé Fortunat Blanchet qui est temporairement assistant du curé Louis-Joseph Lavoie réunit les jeunes des rangs à la salle paroissiale pour leur expliquer le déroulement de la cérémonie. Il en profite pour nous rappeler qu’il faut toujours se tenir droit et de ne pas se laisser distraire même si nos parents ne sont pas à côté de nous.

 

À l’heure convenue, nous sommes 144 jeunes de 6 à 10 ans qui entrent en rangs dans l’église, les garçons d’un côté, les filles de l’autre. C’est impressionnant parce que l’église est déjà bondée et qu’il y a un grand nombre de prêtres dans le chœur.

 

Dès l’entrée dans l’église, les garçons se placent du côté sud. Pour éloigner mon stress, je me mets à compter le nombre de prêtres. Le temps venu, je m’avance timidement vers l’évêque dont les habits royaux m’impressionnent au plus haut point. Ce dernier me dit quelque chose que je ne comprends pas. Je réponds Amen, comme l’assistant nous l’avait recommandé. L’évêque me donne un petit soufflet sur la joue, en disant : « Que la paix soit avec vous ».

 

Je m’ennuie pendant cette cérémonie. Je continue à être stressé. C’est comme si soudainement j’étais seul au monde. Habituellement, une photo-souvenir est prise après la cérémonie. Ce n’est pas mon cas parce que j’ai soudainement des problèmes de digestion.

 

Juin 1949. Un four

Depuis longtemps, ma mère rêve d’avoir un four à pain à l’extérieur suffisamment grand pour cuire au moins 8 à 10 pains à la fois. Mon père construit la base en bois et fait une provision de terre glaise. Pour construire l'âtre ou la plate-forme de glaise, ma mère fait appel à son père pour qui elle a beaucoup d’affection.

 

C’est la première fois que je vois grand-père Théberge au rang 5. Nous les plus jeunes le suivons pas à pas, mais cela ne le dérange pas. Il découpe la glaise en pièces détachées et les accole délicatement pour former une coupole.

 

Quelques jours plus tard, ma mère fait un premier essai. Malheureusement, de la fumée s’échappe par de petits interstices dans la coupole. Je ne sais pas pourquoi mais personne n’essaie de la réparer. La structure reste là deux ou trois ans, puis elle est détruite.

 

Décès de grand-mère Lévesque

Au début de juin, Philomène Lévesque, la mère adoptive de mon père tombe malade. Bientôt, elle refuse de manger et elle demeure alitée. Dimanche, le 19 juin, au retour de la messe, ma mère demande à mon frère aîné, qui conduit la voiture à cheval, d’arrêter chez grand-mère. Je veux accompagner ma mère, mais celle-ci refuse prétextant que ce n’est pas un spectacle pour les enfants. Je dois donc attendre dans le boghei.

 

Philomène Lévesque décède quelques jours plus tard à l’âge de 82 ans. Elle est exposée dans sa propre demeure. Son service a lieu le 27 juin. Je me souviens d’une seule visite que cette dame a faite chez mes parents au rang 5 quelques mois plus tôt. Après son départ, ma mère nous avait dit : « C’est bien la dernière fois qu’on la voit ici. »

 

Juillet 1949. Les fraises

Depuis que j’ai six ans, pendant le mois de juillet, je vais aux fraises avec mes sœurs. Les premières journées, c’est magnifique. Le soleil, les vastes espaces entourés d’arbres, la senteur des plantes, la compétition dans la cueillette, tout me fascine et me fait vivre des moments inoubliables comme si j’étais dans un monde irréel. Mais, avec la succession des jours à accomplir la même tâche, cela devient beaucoup moins grisant.

 

Il y a les fraises, mais il y a aussi les maringouins. Heureusement, je suis exempté de ce dernier fléau. Incroyable, les maringouins ne me piquent que très rarement. On dirait que je suis immunisé contre eux. Toutefois, il y a les petites mouches noires qui s’en donnent à cœur joie et qui parfois partent avec des bribes minuscules de chair.

 

C’est au moment de la cueillette que je me rends compte que je suis daltonien. Je vois bien les fraisiers, mais je ne vois pas les fraises rouges. Le vert de la plante m’empêche de voir le rouge du fruit. Je l’apprends rapidement quand mes frères et mes sœurs m’accusent de marcher sur les fraises.

 

Pour identifier un rond de fraises, je dois me mettre à genoux et dégager les feuilles du fraisier avec mes mains. Là, je vois les fraises. Généralement, mes frères et sœurs sont plus rapides que moi. Mais, je fais des efforts pour me débrouiller. Par exemple, je vois Pierre qui reste très peu de temps dans un rond de fraises. Alors quand il part, je vais ramasser les fraises non cueillies et il en reste ordinairement beaucoup. C’est que Pierre a la bougeotte. Il ne reste pas tellement longtemps à la même place.

 

Ma mère vend les fraises au village. Une chaudière de cinq livres remplie de fraises se détaille un dollar. Dans une même journée, à quatre ou cinq, on peut ramasser des fraises pour six ou sept dollars. C’est une fortune alors qu’un journalier gagne un dollar de l’heure. Pendant une partie du mois de juillet, tous les jours non pluvieux, nous allons aux fraises. Je suis tellement heureux quand il pleut et surtout quand la saison des fraises est terminée.

 

Cet été-là, avec ma mère, nous sommes allés cueillir des fraises sur le lot de l’oncle Timile. Ce lot est situé entre la dernière ferme du rang 5 et la première terre de Saint-Eugène. Il y a là ce qu’on pourrait appeler un chalet. Intrigué par cette bâtisse, j’en fais part à ma mère. Elle me raconte que c’est le père de l’oncle Timile qui l’a érigée pendant la deuxième guerre mondiale. Le chalet servait alors de cachette pour ses trois fils qui, comme de nombreux jeunes adultes québécois, ne voulaient pas aller à la guerre. Lorsque des rumeurs que la Police montée était dans les parages, les trois frères allaient s’y cacher.

 

Un miracle

Un beau jour, je me cogne le petit orteil du pied gauche contre un meuble. Maman examine le petit orteil et met un peu d’alcool à friction sans plus. La nuit suivante, je me réveille en sursaut. J’ai une douleur atroce au petit orteil. Je le tâte légèrement. Il semble être cassé. Alors, je sors de mon lit, je m’agenouille et je fais une prière à Dieu l’implorant de guérir mon orteil. Je sens un bang dans l’orteil ; la douleur disparaît instantanément. Je me couche et je m’endors.

 

Par la suite, je n’ai jamais ressenti de douleur à cet orteil. Comme c’était la coutume à l’époque soit de parler le moins possible, je n’ai jamais raconté cet incident. Sans croire naïvement à l’intercession de la Providence, j’étais quand même été bouleversé par ce qui était arrivé.

 

Une double visite

Dans le passé, j’avais souvent eu l’occasion de rencontrer mon parrain et sa famille chez grand-père Théberge au village après la messe du dimanche. Pendant la période des campagnes électorales, l’oncle Édouard, un libéral convaincu, s’abstenait pendant ce temps pour éviter toute confrontation. On est d’ailleurs à l’époque où l’Union nationale de Maurice Duplessis, avec ses promesses rurales, gagne toutes les élections du Québec. Il n’y a que deux partis et l’adhésion politique se fait de père en fils. La femme qui épouse un homme d’un parti opposé doit voter comme lui et ne pas le contredire. Voilà pourquoi, en bonne partie, quand les femmes sont seules, elles ne parlent jamais de politique.

 

Édouard Ouellet, mon parrain, est un cultivateur prospère qui demeure au troisième rang est. Il a au moins une douzaine de vaches laitières et il a construit une porcherie où il engraisse au moins une quarantaine de porcs et de porcelets.

 

Depuis quelques temps, ma marraine, tante Lucienne, veut que j’y aille prendre un repas. Quand elle apprend que mes parents projettent d’aller souper et veiller chez Thomas Thibault leur voisin de l’ouest, un dimanche, elle obtient de ma mère la permission de m’amener chez elle pour le dîner. Après le repas, un de mes cousins me fait visiter la ferme et surtout sa mécanisation. Mon parrain possède des instruments aratoires plus modernes que ceux de mon père. Par ailleurs, je suis surpris de voir que ses filles cadettes jouent dans ses cheveux au cours de l’après-midi. Mon père n’aurait jamais permis ça.

                                                                                                                                  

Le soir, mes parents viennent souper chez Thomas Thibault. Ce dernier avait épousé la sœur de mon père, Candide Jean, en 1935 et avait hérité de la ferme paternelle. En fin d’après-midi, je me rends à pied chez l’oncle Thomas. Je fais la connaissance, probablement pour la première fois, de ma tante Candide Jean qui est malheureusement décédée 6 ou 7 ans plus tard. J’ai le plaisir de connaître Pierre Thibault, le père de Thomas, qui a autour de 70 ans et qui est veuf de Joséphine Lepage. Il parle longuement de son petit-fils Rémi, mon futur confrère de classe au Séminaire. Ce dernier qui n’est pas là prépare des veaux pour l’exposition agricole de Rimouski.

 

La journée passée chez mon parrain et qui se termine chez l’oncle Thomas est pour moi mémorable.

 

Chapitre 4. Ma 3e et 4e année à l’école du rang

 

6 septembre 1949. Rentrée scolaire

J’entre en 3e année. Je suis toujours seul dans ma classe. Une nouvelle institutrice nous reçoit. Son nom est Bibiane Jean qui est la fille d’Albert Jean et d’Elmire Rioux. Elle a 19 ans. Tout comme Jeanne Ouellet, elle s’avère une excellente maîtresse d’école.

 

Le congrès eucharistique

L’année 1949-1950 est une année d’effervescence religieuse. En effet, le pape Pie XII a décrété 1950 une année sainte. Dans ce contexte, Mgr Georges Courchesne, archevêque de Rimouski, décide d’orga­niser un Congrès Eucharistique à Rimouski en août 1950. Ce sera un rassemblement de prières qui devra accueillir toute la population du diocèse de Rimouski pendant deux ou trois jours et ainsi célébrer de façon solennelle la sainte Eucharistie.

 

Le supplément du Centre St-Germain, appelé le Petit Centre, propose des activités de prières à l’école et toute sorte d’activités à incidence religieuse : comme faire des dessins, écrire de courts textes sur des sujets religieux. La maîtresse nous guide à travers ces activités qui sont fortement encouragés par le nouveau curé, Alfred Bérubé.

 

Pour assurer le succès du congrès, à la suggestion de l’institutrice, j’offre des bouquets spirituels. Il s’agit d’une liste d’actes religieux qu’on s’engage à offrir comme x chapelets, x sacrifices, x messes, x prières individuelles le matin ou le soir, etc. Il est probable que Dieu n’a pas écouté mes prières parce que le congrès a été annulé à cause du feu de Rimouski le 6 mai 1950.

 

Départ de Carmen

Quand Carmen a voulu abandonner l’école en sixième année, ma mère a accepté. Elle a alors promis à sa fille de l’inscrire plus tard à l’École ménagère de Rimouski qui est administrée par les sœurs du Saint-Rosaire. Après avoir préparé son trousseau, Carmen est fière de se rendre à cette école où elle apprend les rudiments de la tenue de maison : couture, cuisine, rôle de la femme au foyer.

 

Pour notre part, cela dérange la routine de la maison. Les tâches que l’aînée accomplissait sont alors relayées à d’autres. C’est l’apprentissage de l’adaptation aux changements qui nous est imposé.

 

Novembre 1949. Les indulgences

Le 2 novembre, jour des morts, je suis avec ma mère en voiture à cheval et nous passons devant l’église. Je vois ma tante Candide qui sort de l’église et y entre aussitôt. J’interroge ma mère sur ce comportement. Celle-ci me dit : « Chaque fois qu’une personne visite une église en ce jour, elle gagne une indulgence de cinq ans. » Tante Candide était en train de gagner des indulgences.

 

Comme je ne sais pas ce que cela veut dire, ma mère m’explique que même si le péché est effacé par la confession, cela n’enlève pas la peine temporelle due à la faute, qui se traduit par un séjour au purgatoire. En gagnant une indulgence plénière, tante Candide pouvait penser qu’elle éviterait le purgatoire après sa mort ou du moins y raccourcirait son séjour.

 

Selon la doctrine de l’époque, tous sauf les prêtres et peut-être les religieuses doivent passer par le purgatoire après leur mort. Ceux qui ont cette destinée subissent de terribles souffrances afin d’être purifiés. Mais le gain d’indulgences plénières ou partielles peut permettre de délivrer l’âme d’un défunt ou empêcher que soi-même demeure trop longtemps dans le purgatoire.

 

Finances de la famille

En septembre 1949, trois dépôts importants sont notés dans le carnet de caisse de mon père : 130 $ le 7 septembre, 300 $ le 13 septembre et 134 $ le 28 septembre, pour un total de 564 $.

 

5 novembre 1949

C’est l’anniversaire de naissance de Raynald. Il a 5 ans. La veille, il a neigé. Le voisin, Mathieu Plourde, est allé chercher ses « taurailles » dans un enclos boisé au nord. Ses bêtes étaient devenues sauvages et ne voulaient pas revenir à l’étable. Il fait appel à mon père et à Gilbert qui réussissent finalement à ramener les bêtes au bercail.

 

Pour la fête de Raynald, ma mère lui a confectionné un gâteau. Comme les autres, j’ai hâte que mon père et mon frère reviennent pour assister à une petite fête. Vers 16 heures, comme ils ne sont pas encore arrivés, nous insistons pour fêter. Ma mère va chercher le gâteau muni de cinq chandelles. Elle allume les chandelles. Comme cadeau, Raynald reçoit un crayon de mine, son premier crayon à lui tout seul, lui qui ne va pas encore à l’école.

 

Nous dégustons notre morceau de gâteau tout en soulignant au jubilaire que c’est son année chanceuse, 5 ans le 5 de son mois de naissance.

 

Décembre 1949. Finances de la famille

En 1949, les paies de beurrerie rapportent 494,73 $. À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 939,99 $. Les finances s’améliorent.

 

Janvier 1950

Je suis impressionné par le changement de dizaines de l’année. Jusqu’à ce jour, je n’avais connu que la dizaine 4. Ça me fait prendre conscience que le temps avance et je me sens un peu plus vieux.

 

Gardiennage

Mes parents sont invités à souper chez l’oncle Timile le 6 janvier. Comme d’habitude, mon père qui est casanier refuse de s’y rendre en raison de ses prétendus problèmes de surdité. Toujours est-il que ma mère décide que je l’accompagne. Il y a une raison. C’est qu’une de mes sœurs fait du gardiennage chez le voisin de l’est. Alors, je soupe chez l’oncle Timile. Après le repas, je vais rejoindre ma sœur. Le couple de la maison est allé passer trois jours chez des parents à Saint-Jean-de-Dieu et ce, en voiture à cheval.

 

Le gardiennage se passe bien sauf que ma sœur décide qu’elle n’aime pas les conserves de la dame. Alors, nos repas consistent principalement en oranges et en pommes que le couple a laissé dans un tiroir de bureau à l’intention des enfants. Par un bel après-midi d’hiver ensoleillé, il me semble encore voir revenir le couple dans un traîneau tiré par un cheval en bonne forme malgré la distance parcourue.

 

Finances de la famille

Le 19 janvier 1950, mon père retire 139 $ en partie pour payer son terme de terre. Il lui reste 800,99 $.

 

Février 1950. Un accident

Habituellement, pour aller à l’école, il faut parcourir le trajet d’environ 750 mètres à pied matin, midi et soir autant l’été que l’hiver et ce pendant plus de 200 jours. Il n’y a pas de journée pédagogique à cette époque. Lors de tempêtes hivernales, mon père attèle le cheval sur un traîneau et nous conduit le matin et vient nous chercher le soir. Emmitouflés jusqu’aux oreilles, on s’agglutine dans le fond du traîneau et mon père nous recouvre d’une peau de carriole.

 

Un matin de tempête et de froid, ma mère demande à mon père d’aller nous reconduire à l’école. Nous sommes quatre enfants de la famille. Devant la grange d’After Bérubé, poussé par le vent entre les bâtisses, un immense banc de neige s’est formé de biais dans le chemin. Le cheval réussit à passer mais le traîneau est soulevé et se renverse. Le cheval est emporté par la voiture et tombe. Tête première, nous sommes catapultés dans la neige. Nous avons peur. Heureusement, point de mal pour personne, même pas pour le cheval.

 

Nous entrons chez Monsieur After pour nous réchauffer. Nous sommes un peu craintifs d’entrer dans cette maison car on entend dire que c’est un lieu de débauche. En effet, il est bien connu qu’on y danse très souvent, période du carême ou pas, alors que ce loisir est formellement interdit par l’archevêque de Rimouski.

 

Mon père, avec l’aide de Monsieur After, remet le traîneau en place. La voiture et l’attelage du cheval sont en bon état. Nous retournons chez nous. Comme c’est parfois l’habitude à l’époque, nous devons aller à l’école le samedi suivant pour compenser la perte de cette journée. L’institutrice fait ce travail supplémentaire tout à fait gratuitement.

 

Par la suite, mes parents sont plus prudents lors de grosses tempêtes de neige. Ils nous gardent à la maison.

 

Lorsque le froid est trop intense ou le vent trop violent pendant l’hiver, nous dînons à l’école. Le poêle à bois de l’école qui sert au chauffage nous est accessible pour faire réchauffer le plat de pâtes alimentaires préparées par ma mère. Autrement le menu est constitué de sandwiches.

 

En hiver, le trajet à pied est très difficile surtout après une tempête de neige. À l’époque, chaque cultivateur est responsable de l’entretien de la route qui traverse sa terre. Personne ne ramasse la neige. Il n’y a pas de véhicule motorisé pour faire ce travail. La neige est soit tapée par un rouleau, soit mise de côté en infime partie par une gratte. Il faut marcher sur les roulières que les voitures à lisses ou à patins ont durcies. Entre les deux roulières, on peut s’enfoncer car seul le cheval y était passé.

 

Quand le facteur transporte le courrier en snowmobile, le trajet est plus facile. Nous n’avons qu’à marcher sur les traces des chenilles qui ont durci et gelé la neige.

 

Mais le plus pénible, c’est le froid. Marcher de reculons dans ces chemins pour contrer le vent n’est pas de tout repos. Sans compter l’habillement qui n’est pas toujours adéquat et ce, surtout pour les filles qui n’ont pas le droit de porter des pantalons. Arrivés à l’école, il n’est pas rare d’avoir des engelures aux pieds mais aussi aux cuisses. Après quelques minutes à se réchauffer auprès du poêle à bois, le tout revient dans l’ordre et on oublie.

 

Pendant l’hiver, nous portons des robeurs qu’on appelle parfois gobeurs (probablement de la marque de commerce gober). Ce sont des bottes en caoutchouc noir assez épais et dur, de la forme de bottes de construction. Elles sont achetées au magasin général. Elles n’ont pas de semelle. Même avec deux ou trois paires de bas, nous avons les pieds gelés car la botte s’imprègne rapidement du froid et devient rigide comme si le caoutchouc allait casser. Comme nos pieds grandissent rapidement, il faut diminuer le nombre de paires de bas. Ayant toujours été fragile des pieds, je suis souvent malade.

 

Travaux sur la ferme

Pour certains, selon l’âge et les saisons, s’ajoutent avant et après l’école des tâches routinières comme aller chercher et reconduire les vaches, les traire, faire l’entretien de l’étable, rentrer le bois de chauffage, faire des commissions chez les voisins, etc.

 

J’ai beaucoup participé aux travaux des champs. Par contre, j’ai peu exécuté de tâches dans l’étable. Je n’ai jamais tiré (trait) une vache. J’ai soigné à l’occasion les porcs, les vaches et les chevaux mais rarement. Par ailleurs, le travail dans la maison n’était pas exigé des garçons. C’étaient les filles qui occupaient ces rôles.

 

Construction de chambres

En 1950, mon père décide de diviser la grande pièce du haut du corps principal en quatre chambres. Il défait l’escalier qui conduit au grenier à partir de la cuisine. Il construit un nouvel escalier qui part du salon et qui, de ce fait, réduit la taille du salon. Cela n’a pas de conséquence, car le salon est très peu utilisé. Il sert principalement à recevoir la visite du curé et antérieurement à recevoir des visiteurs importants.

 

Ma chambre

Avec Pierre et le cousin Gilles, je partage une chambre. Chacun a son lit simple sur lequel ma mère a installé une paillasse. Celle-ci est formée d’un grand sac fait de tissus de poches de farine ou de sucre dans lequel est enfouie de la paille soyeuse prise sur le fenil et qui fait office de matelas. L’oreiller est fait de plumes provenant des poules.

 

Avec le temps, la paille s’effrite et se foule. Deux ou trois fois par année, il est donc nécessaire de vider le sac et de l’emplir à nouveau. Il peut arriver qu’une petite souris par inadvertance soit enfermée dans la paillasse et grouille pendant la nuit. Le choix de la paille est important. Les fétus les plus larges et les plus consistants doivent être retenus. Lors de cette opération, nous en profitons pour monter sur le tas de paille et pour y glisser. Cela procure des sensations très agréables.

 

Comme à la longue, la paille a tendance à rejoindre les bords du sac, en faisant le lit, on doit s’assurer de répartir à nouveau son contenu. Pendant un bout de temps, la senteur est agréable. Mais si, par malheur, il nous arrive de faire pipi au lit, ce qui est assez fréquent surtout l’hiver à cause du froid, la paille dégage une senteur spéciale. Ce qui est moins agréable, c’est lorsque pendant la nuit, des brins de paille se faufilent hors de la paillasse et nous piquent.

 

Dans la chambre, il y a un bureau à trois tiroirs. Chaque tiroir est à peu près vide : 2 ou 3 paires de bas tricotées par ma mère, 2 ou 3 camisoles de laine également tricotées par ma mère, 2 ou 3 chemises. On peut y déposer de menus objets personnels. Je me souviens d’y avoir déposé des pommes que j’allais ramasser par terre dans le jardin en septembre lors des nuits de grand vent. C’est l’endroit approprié pour déposer sa médaille scapulaire qu’on reprend les dimanches et les jours de fête.

 

Au mur, il y a un crucifix et un bénitier. Ma mère nous recommande de faire une courte prière devant le crucifix avant de se coucher. Celle-ci consiste à remercier Dieu pour la journée que nous venons de vivre. Elle nous suggère de terminer par un signe de croix après avoir trempé nos doigts dans l’eau bénite. En réalité, nous ne le faisons que très rarement sauf si nous avons une faveur à demander au Seigneur.

 

Comme l’électricité n’est pas encore installée, il n’y a pas de prise au mur ni d’ampoule. On se couche généralement avant que la noirceur tombe. Sinon, on se rend à la chambre dans l’obscurité sans aucun éclairage.

 

Je n’ai jamais pensé aller lire dans cette chambre. Quand je lisais, je m’assoyais dans une chaise berçante de la cuisine à travers le brouhaha des autres membres de ma famille. J’entendais parfois des remarques comme celle-ci provenant de Pierre : « Il est encore en train de lire. »

 

La chambre ne sert pas de refuge. Elle est uniquement un endroit pour dormir. Nous n’avons aucun coin d’intimité ; mais cela ne nous préoccupe pas.

 

À la même époque, est installée une fournaise à bois dans la cave avec une grille qui laisse passer la chaleur dans la salle à manger et, par ricochet, dans les chambres.

 

Nouvelles fonctions du grenier

Désormais, le grenier sert comme espace de rangement : meubles amochés, boîtes de vieux linges, poches de farine et de sucre blanc de 100 livres, agrès divers, séchage du linge et même séchage de peaux de petits gibiers. Il y a parfois plus d’une poche de sucre blanc dans cette pièce. Cela arrive quand des rumeurs circulent à l’effet que le prix du sucre va augmenter. Comme la substance est soumise aux fluctuations boursières, les clients comme mes parents se bousculent alors pour en faire des provisions : ce qui amène la rareté de cette substance et fait, on l’aura deviné, augmenter son prix.

 

L’électricité

Il n’y a pas encore d’électricité dans le rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux. Peut-on imaginer comment on peut vivre sans cette énergie ? Pas de toilette dans la maison. Les pots de chambre font l’affaire. L’été, nous fréquentons une bécosse à l’extérieur de la maison. Pas de bain ni de douche. Pas d’eau courante, une pompe à bras pour faire couler l’eau nécessaire à l’alimentation et à l’hygiène, une radio dont la batterie est épuisée, pas de fournaise, un poêle à bois pour faire cuire les aliments, réchauffer l’eau et chauffer la maison. Pas de lampes électriques, à la place une lampe à l’huile et des chandelles pour s’éclairer et faire ses devoirs après le souper. Un fanal portatif pour l’étable. Pas d’appareils électriques comme un grille-pain. Les rôtis se font sur le poêle à bois. Bref, c’est une vie au ralenti qui est soumise aux aléas de la clarté du jour.

 

Ma mère n’est plus capable de supporter la situation. Un bon dimanche, après la messe, elle va voir le maire de Saint-Mathieu, Onésime Dionne, qui est en même temps le préfet du comté de Rimouski. Elle lui signifie que, si l’électricité n’est pas installée dans le rang, elle songe à quitter la terre du cinquième et que d’autres pourraient faire de même. Le maire qui a beaucoup d’égards envers ma mère fait des démarches auprès de la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent qui appartient à Jules-A. Brillant, un industriel très prospère à Rimouski.

 

Plus tard dans la saison, un employé de la compagnie visite toutes les maisons du rang en leur faisant une proposition. Chaque cultivateur doit accepter de laisser passer gratuitement la ligne électrique sur sa terre. Il doit verser 100 $ pour les frais de construction de la nouvelle ligne. En plus, il doit creuser lui-même les trous pour planter les poteaux en bois sur sa terre.

 

Tous acceptent et les travaux commencent. À l’automne, je me souviens d’avoir vu mon père creuser deux trous aux emplacements qu’on lui avait indiqués. Un poteau muni d’un transformateur est planté dans le jardin familial et l’autre au milieu d’un champ où mon père semait les patates. Il n’était pas question de s’opposer à l’utilisation de fils d’acier qui servent d’ancrages pour solidifier les poteaux et qui prennent un espace embarrassant.

 

19 mars 1950. Accident évité

Dans ces années-là, le 19 mars est un jour religieux férié. C’est la fête de saint Joseph, l’époux de Marie, qui est reconnu comme le patron des travailleurs manuels. Il est aussi le patron de plusieurs pays dont le Canada.

 

Les deux premiers des sept commandements de l’Église énoncent : « Les fêtes tu sanctifieras, qui te sont de commandement » et « Les dimanches, messes entendras et fêtes pareillement ». Dans la pratique, le 19 mars est un jour qui comporte les mêmes obligations que le dimanche : assister à la messe et s’abstenir des œuvres serviles c’est-à-dire certains travaux auxquels le corps a plus de part que l’esprit. Ne pas satisfaire ces obligations sans raison sérieuse est un péché mortel.

 

Le 19 mars de cette année-là, mes parents sont allés à la messe avec deux ou trois enfants. Je ne suis pas du voyage. À leur retour, en montant la dernière côte, celle appelée côte à Joseph, mon père marche derrière le traîneau tiré par un cheval. Soudain, en haut de la côte surgit un engin sur chenilles. C’est la voiture utilisée par le facteur Jos Jean pour distribuer le courrier aux maisons. Cette voiture fonctionne comme un snowmobile mais n’a pas de toit.

 

Le véhicule motorisé manque de frein, se met à zigzaguer et prend de plus en plus de vitesse. Heureusement, l’homme aux commandes réussit à éviter le traîneau de mes parents. Je n’ose pas imaginer ce qui serait arrivé si l’engin avait frappé le cheval de plein fouet.

 

Arrivée à la maison, ma mère nous raconte l’événement en tremblotant. Pendant quelques années, ce souvenir revient à tous les 19 mars.

 

La sécurité

Il est étonnant que personne de notre famille ne fût blessé de façon importante lors des travaux de l’étable et des champs. Il y aurait eu 1000 occasions de vivre ces malheurs. Que ce soit la fourche qui emplissait le voyage de foin et qui aurait pu malencontreusement atteint un bras ou même la figure. Que ce soient les vaches qui, lors de la traite, auraient pu ruer de façon énergique. Que ce soient les chevaux quand on les faisait boire et qu’il fallait entrer dans leur crèche.

 

Que ce soit, lors des voyages à l’église, où les chevaux devaient cohabiter avec les automobiles et les camions. Que ce soient les ours quand nous allions aux fraises ou que nous allions porter le dîner de mon père en passant dans la forêt. Que ce soient les glissades en toboggan ou en traîneau. Que ce soit le bœuf qu’on devait écarter pour ne pas qu’il vienne à l’étable pour la traite des vaches. Que ce soient les jeunes veaux à qui on apportait des chaudières de lait et qui avaient tendance à foncer sur nous, plutôt par jeu. C’étaient autant d’occasions où le danger était réel.

 

Le courrier

C’est toujours un plaisir de voir passer le postillon en avant-midi du lundi au vendredi. Chaque propriétaire de ferme a soin de se fabriquer ou de se procurer une boîte à malle qui peut résister aux intempéries. Il place cette boîte sur un poteau d’environ quatre pieds devant la maison. Il inscrit son nom sur un côté de la boîte qui est pivotante. Quand le postillon passe, il y dépose le courrier, mais aussi il prend le courrier d’envoi.

 

En repos et sans courrier, la boîte est parallèle au chemin. Quand une personne y dépose une lettre, par exemple, elle tourne la boîte perpendiculaire au chemin. Si le postillon n’a pas de courrier pour cette personne, il prend l’envoi et tourne la boîte parallèle au chemin. Au contraire, si cette personne a du courrier, le postillon le dépose et laisse la boîte dans sa position.

 

Quand ma mère désire acheter des timbres, elle met de l’argent dans une enveloppe en indiquant le nombre désiré de timbres. Ceux-ci arrivent le jour suivant. Quand ma mère veut poster un colis, elle le place dans la boîte. Le lendemain, la facture des timbres arrive. Ma mère met le montant dans une enveloppe qui est retournée au bureau de poste.

 

Cirage de chaussures

Ce matin-là, je suis réveillé comme d’habitude par ma mère. Avant de partir pour l’étable, elle me dit : « Tu vas cirer tes souliers de cuir. Ils sont vraiment éraflés. » Même si je n’ai jamais vu comment on fait, je m’en doute. « C’est simple, me dis-je, il faut étendre la cire sur ses souliers. C’est exagéré de dire que j’en ai mis un pouce, mais j’ai étendu une bonne couche. J’en étais fier.

 

Quand je montre mes souliers à ma mère, elle n’est vraiment pas contente. Elle me dit : « C’est du vrai gaspil. Tu vas prendre un couteau et tu vas enlever cette couche et la remettre dans le contenant. Puis, tu vas prendre un linge et polir tes souliers. » J’ai ainsi appris à la dure comment cirer des chaussures.

 

12 avril 1950. Une triste nouvelle                                                                               

Je demeure à la maison parce que j’ai la grippe. D’ailleurs, je suis très souvent malade. Les froids d’hiver finissent par me mettre au lit. De plus, j’attrape tous les microbes qui circulent à la maison et à l’école. Je suis convaincu, même si je vois le contraire, que nous sommes malades la moitié du temps. Mon état de santé peut se résumer à cette phrase que j’avais dit à ma mère quelques années auparavant : « Moi, je suis toujours malade. »

 

Vers dix heures de l’avant-midi, je suis assis dans la cuisine. J’entends au loin le moteur du snowmobile qui sert à distribuer le courrier dans les rangs. Je me lève pour le voir passer. Surprise, le véhicule s’arrête, mais pas pour le courrier. L’oncle Georges Théberge en descend. Nous sommes nerveux de le voir arriver. Il doit sûrement avoir une raison importante pour qu’il se déplace. Il faut dire que le téléphone n’existe pas au rang 5.

 

L’oncle Georges se met à parler de choses et d’autres. À un moment donné, ma mère l’interroge sur la raison de sa visite. Après bien des détours, il finit par annoncer que tante Adrienne Théberge, l’épouse d’Antonio, frère de ma mère, est décédée en accouchant. Ma mère est désolée. Le couple a neuf enfants : huit filles et un garçon. La plus vieille n’a pas encore 11 ans. Il manque trois semaines à la petite dernière pour avoir un an. Quand le snow revient du bout du rang, mon oncle Georges retourne au village.

 

Quelques jours plus tard, ma mère prend charge de Gilles, le seul garçon du couple. Il est le filleul de mes parents et comme le veut la tradition, le parrain et la marraine ont une certaine responsabilité sur l’éducation et le bien-être de ces enfants. Il a alors cinq ans et neuf mois. Il demeure sept ans avec nous autres. Comme j’ai près de neuf ans lors de sa prise en charge, je le côtoie moins. Mais, nous nous chicanons assez souvent. De son côté, il se sent protéger par ma mère. Elle lui laisse passer des frasques qu’elle ne tolère pas pour nous. Cela nous met en rogne et nous incite à l’escalade pour que finalement ma mère se rende compte qu’elle n’applique pas la même justice.

 

Je reproche souvent à ma mère d’héberger Gilles en lui disant qu’il gâche notre enfance. Un soir, par exemple, nous nous couchons vers 19 heures. Je m’endors rapidement. Gilles qui a son lit dans la même chambre que moi se lève, prend le bénitier fixé au mur de la chambre et me vide le contenu dans une oreille. Je suis en furie, sans compter que son acte aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour mon oreille.

 

Gilles nous dit souvent que plus tard, lui, il vivra en ville et que nous, nous sommes condamnés à la campagne. Cela me choque parce que, personnellement, mon choix est fait depuis longtemps : je vivrai en ville plus tard. Quand il se sent en mauvaise position, il répète tout ce qu’on dit et ceci, sans arrêt. Là-dessus, on ne peut jamais gagner. Il est d’un tel entêtement qu’il ne cède jamais. Si on court après lui, c’est la même chose. Il peut parcourir des kilomètres sans jamais s’arrêter. D’ailleurs, il est très rapide.

 

C’est surtout Pierre et Raynald qui doivent vivre avec lui quotidiennement puisqu’en termes d’âge, il est entre les deux. De temps en temps, mon oncle Antonio, son père et gérant du magasin coopératif, vient le voir. Parfois, il apporte un gallon de crème glacée.

 

6 mai 1950. Feu de Rimouski

C’est un samedi après-midi très venteux. Après le souper, Madame Élisa, la deuxième voisine à l’ouest, vient visiter ma mère. Je marche avec elles sur le chemin non asphalté devant la grange quand je reçois un grain de sable dans un œil : tout un mauvais présage. Le ciel est couvert. Le vent souffle à plus de 90 kilomètres à l’heure.

 

Du cinquième rang de Saint-Mathieu, vers l’est, on voit des nuages grisâtres ressemblant à de la fumée. Il se passe sûrement quelque chose d’anormal. Comme les nuages grisâtres prennent de plus en plus d’ampleur, ma mère et sa voisine pensent qu’un feu s’est déclaré à Bic ou à Rimouski. Même à bonne distance, on ressent une atmosphère d’apocalypse. Maman est inquiète parce que sa fille Carmen étudie à l’École ménagère de Rimouski.

 

À ce moment, la télévision n’existe pas encore au Québec, l’électricité et le téléphone ne sont pas encore arrivés dans le rang. Comme moyen de communication, il y a bien la radio, mais la batterie de l’appareil est épuisée depuis longtemps. Nous avons hâte à la messe du dimanche pour savoir ce qui se passe du côté de l’est.

 

Arrivés chez mon oncle Georges au village, celui-ci nous informe qu’une partie de la ville de Rimouski a été incendiée. Il nous raconte que, vers 18 h, le vent soufflant à 100 kilomètres à l’heure a fait tomber un poteau qui supporte une ligne électrique près du pont. Le feu a pris dans des cages de bois de sciage entassées dans la cour de la compagnie Price, tout près du moulin de cette compagnie.

 

Pas longtemps après, le feu a traversé la rivière Rimouski et a brûlé de nombreuses maisons. Même la structure de bois du seul pont traversant la rivière Rimouski a été consumée si bien qu’il n’est plus possible d’entrer à Rimouski par la route habituelle. De Saint-Mathieu, la seule possibilité est de passer par Trois-Pistoles et par Lac-des-Aigles, ce qui constitue un détour considérable.

 

Le feu s’est arrêté à la Cathédrale. Le Séminaire a brûlé en partie : ce qui m’inquiète parce que je rêve d’aller étudier là un jour. La moitié de la ville de Rimouski a brûlé ; mais l’école de Carmen a été épargnée. Ils ont accueilli de nombreux sinistrés. Pour nous, ayant appris que le Congrès Eucharistique est annulé, l’année de prières se termine.

 

En juin, ma mère demande à un chauffeur de taxi de Saint-Mathieu d’aller chercher Carmen à Rimouski. Arrivé à l’École ménagère, l’homme va voir la Supérieure et lui dit : « Madame Jean veut que sa fille revienne à la maison. Je suis venu la chercher. »

 

La supérieure est surprise. Carmen doit abandonner son cours pour venir aider ma mère qui n’en peut plus : de neuf ans et moins, nous sommes sept enfants, si on compte Gilles et sa sœur Simone. Alors, ça brasse un peu !

 

Dans les semaines qui ont suivi le grand feu, quelques camions remplis de prélart, de tapis et d’appareils électriques passent dans le rang en vue de la vente. La rumeur est à l’effet qu’il s’agit de marchandises acquises par vol ou par recel. Autrement, peut-être s’agit-il simplement de biens qui ont été épargnés par le feu et qui sont considérés invendables par les assurances ? Ma mère se fiant à la bonne foi des vendeurs en profite pour acheter du prélart à bon prix en vue de recouvrir le plancher de quatre chambres nouvellement aménagées au deuxième étage de la maison familiale.

 

Visite de l’inspecteur

Annuellement, deux personnages importants nous visitent à l’école. Le premier est le curé de la paroisse. Sa présence n’intimide pas l’institutrice et on le sent. Il vérifie nos connaissances religieuses et repart sans faire de rapport à qui que ce soit.

 

Le deuxième visiteur impressionne grandement l’institutrice. Il vérifie la propreté de l’école, le mobilier, les progrès des élèves, les livres de classe et le journal de classe de l’institutrice qui doit être rempli à chaque jour d’école. Le journal de classe indique le temps consacré à chaque matière et les notions enseignées, de même que des remarques relatives aux élèves comme l’assiduité et la bonne conduite. Les résultats de cette visite font partie d’un rapport qui sera présenté aux commissaires d’écoles lesquels procèderont ou non à son réengagement.

 

L’institutrice nous prévient des semaines à l’avance de cette visite. Elle nous indique qu’il faut s’habiller plus proprement que d’habitude. Elle nous montre à dire : « Oui, monsieur l’inspecteur » ou « Non, monsieur l’inspecteur ». Elle nous fait revoir les notions les plus élémentaires sur lesquels l’inspecteur avait déjà questionné lors de ses visites précédentes dans son école ou ailleurs. Quand le jour mémorable arrive, elle est très nerveuse craignant qu’un de ses élèves lui fasse honte ou qu’elle-même ne puisse pas répondre aux questions de l’inspecteur.

 

Cette année-là, je reçois un livre de l’inspecteur. Il est intitulé À la poursuite d’un chapeau. Il a été publié en 1932 et son auteure est Adèle Bourgeois qui écrit sous le nom de plume Mme A. B. Lacerte. C’est un livre de contes. J’ai relu dernièrement le premier conte, celui qui a donné le titre au livre, et j’ai ressenti en un moment les mêmes émotions que j’avais eu quand, gamin, je l’avais lu.

 

Voici ce qu’on peut lire dans le premier paragraphe :

« Dans la catholique province de Québec, jadis, quand un prêtre passait dans les rues d’une ville, portant sur lui le Saint Viatique, un enfant l’accompagnait, en sonnant une clochette. Au son argentin de cette clochette, chacun, chez soi, se disait : « C’est le bon Dieu qui passe ! » On cessait de travailler et on se mettait à genoux pour réciter une courte prière, afin de recevoir la bénédiction du bon Dieu. Ceux qui étaient dans les rues s’arrêtaient un moment, eux aussi ; les femmes inclinaient la tête et joignaient les mains, les hommes enlevaient leurs chapeaux et les enfants cessaient de jouer pour s’agenouiller et faire le signe de la croix. Quiconque eût omis de reconnaître, par quelque signe extérieur, le passage du Saint Viatique, eût été sûrement montré du doigt. »

 

Dans les années suivantes, à chaque visite de l’inspecteur, j’ai reçu au moins un livre. Voici les titres dont je me souviens : Voyage au centre de la terre de Jules Vernes, Charmants voisins, de Claude Mélançon, Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville. Ce dernier livre est composé de textes remaniés d’environ 45 mots qui apparaissent sous une illustration.

 

À la maison, il y a peu de livres. À part ceux donnés par l’inspecteur, il y a des missels dominicaux, le journal l’Action catholique, La Terre de Chez-Nous, le Centre St-Germain et de temps à autre des documents préparés à l’intention des cultivateurs. Un peu plus tard, les cahiers de la Bonne chanson de Charles-Émile Gadbois vont venir nous ravir.

 

Une nouvelle pancarte

De temps à autre, mon tour arrive d’aller à la grand-messe le dimanche. Ce jour-là, j’ai une surprise. À l’entrée du village du côté est, trône une nouvelle pancarte sur laquelle on a écrit « Saint-Mathieu ».

 

Je suis profondément frustré. Je me dis : « Et nous du cinquième rang, nous ne faisons pas partie de Saint-Mathieu ». C’est une critique qui me vient rapidement à l’esprit. C’est probablement la première fois que j’ose porter un jugement par moi-même dans une situation inédite. Je n’en parle pas à mes parents parce que je ne suis pas certain si j’ai le droit de critiquer une décision prise par des adultes. Pourtant, j’estime que la frontière de la paroisse n’est pas à l’entrée du village et qu’on aurait dû écrire « Village de Saint-Mathieu ».

 

Juin 1950. Mon père sème

Après avoir lu les bandes dessinées du journal l’Action catholique, je m’approche de la fenêtre du nord. Je vois mon père en train de semer de l’avoine dans le clos face à la maison.

 

Je suis surpris de voir que mon père répand les grains à la main. Je me dis : « Il me semble qu’il devrait y avoir des instruments pour effectuer cette tâche. » En même temps, je me rappelle le texte du semeur de l’évangile que nous avions appris à l’école où Jésus disait : « []Un semeur sortit pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux, étant venus, ont tout mangé. Mais, d'autres sont tombés sur de la bonne terre et ils ont donné du fruit au centième. »

 

J’espère alors que la récolte soit centuplée. En même temps, je me demande comment mon père fait pour répartir les grains de blé d’une façon convenable. Quand mon père se rapproche de la maison, je constate qu’il ne sème pas avec ses mains, mais qu’il a une curieuse poche en bandoulière sur une épaule.

 

La poche de ce semoir est de couleur blanche tirant sur le gris et elle est de toile assez épaisse. Sur le haut, une fermeture éclair boucle la poche. Sur le bas, il y a une bande de métal qui fait la largeur de la poche. Sur cette bande est attachée une manivelle. Il s’agit pour mon père de tourner la manivelle, tout en se déplaçant de façon ordonnée pour couvrir l’ensemble du sol.

 

Juillet 1950. Mon petit camion

Deux ans plus tôt, ma marraine m’avait donné un petit camion vert fabriqué en un matériau qui ressemble à du plastique. C’est le premier jouet de ma vie que je recevais. Ma mère me conseille alors de le garder propre, selon son expression, et donc de ne pas jouer avec lui. Je le mets dans une armoire au mur qu’on appelle pharmacie et qui est placée face à la porte de la cave. Il est donc flambant neuf.

 

Cet été-là, je découvre que mon camion n’est plus dans la pharmacie. Je parle de cette disparition à ma mère. Elle m’avoue qu’elle l’a donné à un de ses filleuls comme cadeau d’anniversaire. Je suis très frustré et j’ai beaucoup de peine. Je pleure abondamment. Je reproche à ma mère d’avoir pris, sans m’en parler, ce jouet qui a une si grande valeur pour moi. C’est le seul et dernier jouet que j’ai eu en cadeau.

 

Août 1950. Visite à St-Fabien

Depuis un bout de temps, tante Arthémise Jean invite mes parents à venir prendre un repas. Cette tante est la sœur de mon père. Elle est mariée à Vital Roy et elle demeure à Saint-Fabien à l’extrémité est du village. Mon oncle Vital y cultive une terre. En août 1950, mes parents décident d’accepter l’invitation et m’amènent avec eux.

 

Après le dîner, je sors dans la cour devant la maison. Je suis estomaqué de constater à quelle vitesse circulent les automobiles sur cette route asphaltée. En réalité, elles ne roulent pas à une vitesse excessive. C’est que je suis habitué à la route du rang 5 qui est non asphaltée et qui est très peu fréquentée étant donné que personne de ce rang à l’est ne possède encore un véhicule motorisé.

 

Avant de quitter, ma mère en profite pour s’informer si tante Arthémise a des nouvelles de son frère Antoine.

 

Qui est l’oncle Antoine Jean ?

Il naît à Saint-Mathieu-de-Rioux le 8 octobre 1903, soit un an et demi avant mon père. Sa mère a 35 ans et son père 58 ans. Sa mère décède quand il a six ans. Elle laisse 11 orphelins : huit filles et trois garçons. Adélia, la plus vieille, a 16 ans. Elle prend la relève avec un père qui a alors 65 ans.

 

À l’âge de 14 ans, son père, étant septuagénaire, Antoine devient le soutien de famille. Il est engagé au moulin d’Antoine Dionne en bas de la paroisse. Ma mère qui demeure au village le voit passer à pied dans le village avec sa boîte à lunch. Quand son père décède, il a 19 ans.

 

Il se réfugie à Montréal probablement en pensant y trouver une vie meilleure. La lune de miel ne dure pas longtemps. Il travaille quelques années, puis devient itinérant, clochard comme on dit à l’époque.

 

Il a un frère et deux sœurs à Montréal. Pourtant, il ne veut pas les fréquenter. Un jour, il écrit à mon père pour avoir de l’argent. Ma mère lui en envoie. Quelques mois plus tard, il fait une nouvelle demande. Ma mère va voir le curé pour demander conseil. Ce dernier lui dit de refuser. Ce qu’elle fait. Le lien ténu est coupé. Jamais il ne reviendra à Saint-Mathieu. Pourtant, il aurait été très bien reçu, probablement comme l’enfant prodigue.

 

Je n’ai jamais vu cet oncle. Je désirais tellement le voir. J’ai souvent rêvé à lui. Je le voyais arriver par inadvertance chez mes parents au cinquième. Selon son frère Léo, il a toujours déclaré qu’il n’avait pas de famille. Au moment où il est décédé en 1975, à l’âge de 72 ans, il vivait dans un foyer d’accueil à Saint-Barthélemy, dans le comté de Berthier. Personne de sa famille ne fut informé de son décès. C’est quelques années plus tard que mes parents reçurent une copie de son acte de sépulture. On peut y lire : « Sont présents à la sépulture quelques paroissiens, dont les soussignés avec nous : Madame Roger Dupont et Madame Jean Fecteau. » Ces deux noms sont inconnus pour notre famille.

 

Au début des années 1980, une de mes sœurs a déniché une photo datée de 1922 où on voit les trois frères Léo, Antoine et mon père dans l’ordre accompagnés de Vital Roy en avant (voir ci-contre). C’était lors du mariage de ce dernier avec Arthémise Jean, leur sœur. Enfin, je voyais mon oncle Antoine pour la première fois.

 

5 septembre 1950. Rentrée scolaire

J’entre en quatrième année avec à nouveau Bibiane Jean, comme institutrice. Je suis toujours seul dans mon degré. Je continue à économiser des sous que j’apporte à l’école et qui sont enregistrés dans mon carnet de la Caisse Populaire de Saint-Mathieu. L’institutrice porte les sous à la Caisse Populaire où Gérard Ouellet, le cousin germain de ma mère, est le gérant.

 

Les petits chinois

Nous continuons aussi à acheter des petits chinois. À mon école de rang, il en coûte 13 cents pour en adopter un ou deux pour 25 cents. On nous remet alors une image sur laquelle on peut inscrire le prénom de baptême de l’enfant qu’on veut faire entrer dans l’Église catholique. Évidemment, on lui donne un prénom français. C’est une expérience unique. À 8 ou 9 ans, réussir à acheter son propre enfant et lui assurer le salut éternel me donnent des frissons. En même temps, nous devenons parrain ou marraine de cet enfant. Quelle responsabilité !

 

L’institutrice nous disait alors que la Chine était située vis-à-vis de nous et que si, on creusait un immense trou dans la terre, on aboutirait dans ce pays. On faisait des gorges chaudes : « Pourquoi ne pas leur faire passer les sous par ce trou ? »

 

D’où me viennent les sous ? Je ne me souviens pas que, dans mon enfance, j’aie acheté des friandises. Nous avons chacun une tirelire et chaque sou gagné à gauche ou à droite y est entreposé. Si le montant requis n’est pas atteint pour acheter un petit Chinois, on demande à nos parents de combler le tout. Si nous n’avons pas les 13 sous, nous pouvons placer quelques sous dans une petite boîte en carton sur le bureau de l’institutrice.

 

On ne sait pas vraiment ce qui est fait avec l’argent. L’institutrice nous dit qu’il est remis à des missionnaires qui veulent sauver les petits chinois de la géhenne du feu et les faire entrer dans la belle religion catholique, la seule religion qui va permettre d’aller au ciel. Cette réponse me déçoit parce que, dans ma tête d’enfant, le petit Chinois acheté m’appartient et c’est pour son aisance matérielle que j’accepte de donner.

 

Comment gagner le ciel

De notre côté, pour gagner le ciel, il y a des tas de choses à faire comme la prière, le don de soi, la privation, le respect du bien commun, l’observation des commandements de Dieu et de l’Église. Il y a des tas de choses à ne pas faire, comme les sept péchés capitaux : l’avarice, l’impureté, l’envie, l’orgueil, la gourmandise, la colère, la paresse. On n’a pas droit aux péchés mortels. Seuls les véniels sont acceptables et encore.

 

25 décembre 1950. Messe de minuit

Enfin, je vais à la messe de Minuit. C’est une messe qui est célébrée dans l’église avec beaucoup d’éclat et qui commence à minuit dans la nuit du 24 au 25 décembre.

 

Un peu avant 11 heures le 24 décembre, mon père attelle un cheval sur la sleigh à patins, une voiture réservée aux dimanches et dont les brancards sont munis de clochettes. Nous partons aussitôt. Habillés proprement et bien emmitouflés sous une peau d’ours, le cœur est à la fête. Le trajet d’aller au village dure 30 ou 35 minutes. Le temps est calme et froid, pas de vent et un ciel rempli d’étoiles. Avec les clochettes qui ne cessent de résonner, le crissement des patins sur la neige, les arbres tapis dans l’ombre qui semblent nous saluer et les étoiles qui voltigent dans le ciel, c’est féerique.

 

Le temple paroissial est rempli à pleine capacité. Il y a non seulement les habitants de la paroisse mais des anciens qui viennent fêter avec leur famille. On doit assister à deux messes. La première est chantée comme celle du dimanche et dure pas loin d’une heure. La seconde est une messe basse et, probablement ressentant l’anxiété des participants, le curé Alfred Bérubé augmente le rythme. Pourquoi deux messes ? En ce temps-là, tout prêtre devait célébrer trois messes à Noël, la troisième étant en matinée.

 

Après la messe, ma mère me donne un sou pour me récompenser d’avoir été sage et m’amène devant la crèche de Noël. Comme les autres, je dépose mon sou dans le Jésus mécanique. Ce dernier penche la tête pour me remercier. J’en suis ravi. Pour moi, c’est le premier geste d’interactivité que j’observe.

 

Le retour à la maison prend autour d’une heure à cause des côtes qui sont principalement montantes. Due à la fatigue, la féerie s’est estompée. Toutefois, le trajet me paraît court parce que je dors tout le temps.

 

À la maison, c’est le réveillon. Habituellement, ma mère prépare un six-pâtes, des pâtés à la viande, des croquignoles, des tartes, des gâteaux au chocolat, etc. En vue des Fêtes, mon père avait tué un bœuf et un porc. C’est enivrant de voir toutes ces victuailles s’accumuler dans le tambour.

 

Quand le goûter est terminé, c’est la distribution des cadeaux. Chacun a droit à un seul cadeau et, la plupart du temps, il s’agit de bas de laine, de tuques, de mitaines et différents autres vêtements, le tout confectionné par ma mère avec grand cœur.

 

Cette nuit de Noël a été probablement la nuit la plus courte et la plus intense en émotions de toute cette année.

 

31 Décembre 1950. Finances de la famille

En 1950, les paies de beurrerie rapportent 377,53 $. L’année 1950 n’est pas très bonne pour les finances de la famille. Le 9 décembre 1950, un retrait de 239,70 $ est effectué et le 20 décembre, un autre de 330 $. Au 31 décembre, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 275,35 $. L’année se termine avec une baisse importante du surplus par rapport aux années antérieures. Cette année-là, la famille est constituée de 9 enfants dont 4 vont à l’école. L’aînée étudie à l’École ménagère de Rimouski. L’aîné travaille sur la ferme.

 

En 1950, le prix du porc a chuté dramatiquement, si bien qu’après avoir retiré 125 $ le 15 janvier 1951 de son compte de Caisse pour payer le terme de la terre, il ne reste à mon père que 150,35 $.

 

Janvier 1951. L’électricité

Suite aux démarches du maire, l’infrastructure pour acheminer l’électricité au rang 5 est en place. Des techniciens visitent chaque ferme pour installer le filage pour la lumière et en même temps quelques prises de courant. Pour la maison et la grange, cette installation coûtent 239,70 $ alors qu’un paquet de tabac se vend 20 sous. Mon père en profite pour planter un poteau en face de la grange pour y placer une ampoule de 100 watts.

 

Tout est prêt sur la ferme, mais nous ne sommes pas encore reliés à la centrale électrique. Un bon jour, notre voisin, Monsieur Ernest, vient à la maison et demande à ma mère si elle a l’électricité. Celle-ci répond dans la négative. Alors, il lui dit : « Levez le commutateur sur le mur. » La lumière était arrivée ; même celle du poteau s’allumait à partir de la maison. D’ailleurs, ma mère a longtemps parlé de la lumière au lieu de l’électricité.

 

Au début, l’énergie électrique ne sert qu’à éclairer à la maison et à la grange. Avec la venue d’un appareil radio électrique, la vie vient de changer. Des voix extérieures et de la musique se font entendre dans la maison. Le premier achat est celui d’une radio qui coûte 45,90 $. Le compte d’électricité de juin 1951 est de 2,55 $ et celui de décembre de 3,37 $. Mes parents vont apprendre peu à peu gérer les mensualités qui vont sans cesse se diversifier.

 

En février de l’année suivante, une « crise » de verglas frappe la région. Plusieurs poteaux tombent. Nous sommes peinés de ne plus pouvoir écouter temporairement la radio. Pour le reste, la vieille lampe à l’huile et les chandelles reprennent du service. Comme nous n’avons pas encore d’autres appareils électriques, les conséquences sont réduites. L’électricité est rétablie au bout de trois ou quatre semaines.

 

Les biscuits cachés

Cet hiver-là, ma mère accepte d’héberger deux pensionnaires : Louis-Jacques Beaulieu et Omer Ouellet. Ces deux hommes ont obtenu un contrat de bûchage sur les lots boisés du Lac-Boisbouscache. Ils arrivent le lundi matin avec des victuailles pour la semaine. Il y a toujours une grosse boîte de biscuits.

 

Les deux bûcherons se lèvent tôt le matin et déjeunent. Pour le midi, ma mère leur prépare un lunch. Ils reviennent pour le souper. Ma mère puise à même leurs provisions pour préparer le souper. Mais, ils ne trouvent aucune trace des biscuits dans le menu.

 

Ma mère cachait la boîte de biscuits sous son lit. Nous finissons par la découvrir. Alors, à la dérobée, nous subtilisons des biscuits que nous dégustons avec plaisir. On pense que ma mère s’en rend compte, mais elle ne dit mot. Nous considérons donc ce silence comme une forme d’approbation si bien que la culpabilité disparaît peu à peu.

 

Quelques semaines plus tard, ma mère demande aux deux pensionnaires s’ils trouvent curieux de ne jamais voir les biscuits. Ils répondent par l’indifférence. Ils se rendent compte que, pour dessert, ma mère leur prépare des gâteaux et des tartes et, à l’occasion, leur sert des fruits comme des fraises en conserve. Elle leur avoue alors : « Ce sont mes enfants qui mangent les biscuits. » Cela nous surprend parce qu’elle ne nous en avait jamais parlé.

 

De toute évidence, les deux pensionnaires préfèrent les desserts de ma mère à leurs biscuits. Ils ont toujours continué à en apporter. L’année suivante, Louis-Jacques Beaulieu est revenu avec son fils Amédée.

 

Mars 1951. Le bûchage du bois

Le 12 mars, mon père vend 500 billots à Désiré Dionne pour un montant de 425 $ : ce qui équivaut à 4577 $ en 2022. À titre de comparaison, en 1951, un journalier gagne autour de 5 $ par jour.

 

Chaque année, mon père bûche un lot sur ses terres en choisissant les arbres les plus gros. Il n’a aucun instrument mécanique pour abattre les arbres et pour les découper en billots ou en billes. Avec une hache, il fait une entaille du côté où l’arbre penche même légèrement, tout en tenant compte des arbres des alentours. Il vise à le faire tomber dans une clairière, si peu large soit-elle. Pour les petits troncs, un godin (scie à archet) est suffisant. Il est alors manié par une seule personne. Pour les plus gros troncs, il faut utiliser un godendart qui est une scie à large lame avec une poignée à chaque extrémité. Deux personnes sont alors nécessaires.

 

Il faut être très prudent quand l’arbre tombe. On ne peut pas prévoir de façon certaine sa trajectoire car la trace de scie plus ou moins horizontale dans le tronc peut faire dévier le mastodonte. Il est de mise aussi de ne pas scier complètement le tronc. Autrement, le bas de l’arbre peut être projeté vers l’arrière où d’ordinaire les bûcherons se réfugient. Par contre, il faut que la trace de scie soit suffisamment complète pour qu’une partie ne demeure pas sur la souche et fendille le tronc en l’éclissant : ce qui peut faire rater un beau billot.

 

Quand l’arbre est abattu, il est ébranché à la hache et est transformé en billots qui doivent mesurer chacun 12 pieds. Les billots sont enchainés et, à l’aide d’un ou de deux chevaux, sont traînés dans un endroit où un gros camion peut les récupérer. Ils sont vendus ou encore acheminés à un moulin à scie pour en faire des planches ou des madriers. C’est ainsi que pour la construction de sa grange en 1946, mon père a pu utiliser le bois de sa terre.

 

Chicane de sites

Les habitants du rang 5 sont en liesse. Ils viennent d’apprendre que le gouvernement du Québec a décidé de construire dans le rang une nouvelle école pour remplacer celle qui est plutôt défraîchie. Aussitôt cette annonce faite, une pomme de discorde apparaît dans le paysage. Où va-t-on construire cette nouvelle école ?

 

Les gens de l’ouest où nous vivons favorisent le même emplacement que l’ancienne école. Les gens de l’est veulent que le site soit situé à environ six arpents plus à l’est, arguant que la nouvelle école serait alors plus au centre du rang par rapport aux maisons. D’ailleurs, la majorité des enfants se trouvent maintenant dans le secteur est.

 

Ma mère a une sœur qui vit à l’est de l’école. Pendant le temps de la controverse, les deux sœurs cessent complètement de se voir, voulant éviter des affrontements inutiles. Quand le dimanche, les deux sœurs et leur famille se rencontrent chez grand-père Théberge au village, il n’est jamais question de ce problème. Pour aller au village, les habitants de l’est doivent passer devant notre maison. Certains détournent la tête en passant.

 

Finalement, le Gouvernement décide que la nouvelle école sera construite à quelques pas à l’est de l’ancienne.

 

Mai 1951. Participation aux clôtures

Un beau samedi, j’accompagne mon père et mon grand frère pour réparer une clôture qui sépare deux champs au nord de la maison et au pied de la petite côte. Certains piquets sont pourris, d’autres sont chancelants ou se sont effondrés sous le poids de la neige, combiné au gel et au dégel.

 

Je suis content de participer à ces travaux parce que j’adore ces clôtures toutes de bois. Elles embellissent le paysage agricole et sont comme des icônes de la vie campagnarde. Sous leur aspect pratique, elles délimitent les frontières avec les voisins et empêchent les animaux d’aller où ils le veulent.

 

Pour y arriver, deux piquets adjacents sont plantés. On introduit entre eux des pieux assis sur des broches qui réunissent les piquets, donnant à la clôture une solidité certaine. Mon rôle est plutôt limité en fonction de mes forces : tenir les pieux lorsque la masse les frappe, transporter les piquets et aider à aligner les pieux.

 

Un nouveau camion

Mon oncle Timile achète une camionnette. C’est le premier véhicule automobile du rang, à part Monsieur Ernest qui possède un « Jeep » de marque Willis, après avoir eu une automobile. Mon oncle nous offre de nous transporter à la grand-messe le dimanche moyennant un dollar pour la famille. Ma mère accepte. Mon oncle fabrique trois bancs qu’il place dans la boîte arrière : l’un près de la cabine et les deux autres, transversalement. Nous sommes entassés dans la boîte arrière de ce véhicule avec d’autres familles du rang.

 

Les temps changent. C’en est maintenant fini d’aller à la messe en voiture à cheval. Mon père remise son boghei.

 

Juin 1951. Perdre le nord

C’est un dimanche matin ensoleillé du début de juin. Ma mère me demande d’aller chercher les vaches. Elles sont dans le clos de pacage du sud à environ 200 mètres de la maison. Quand j’arrive à la barrière, je suis surpris de constater que les vaches ne sont pas là. Ordinairement, elles attendent patiemment à cet endroit.

 

Je me dirige vers le sud. Je traverse un petit ruisseau. Je ne vois pas les vaches. Mais où sont-elles ? Je continue toujours vers le sud. Elles sont de l’autre côté de la petite rivière où nous allons parfois pêcher. Quand elles me voient, elles comprennent que c’est le temps de la traite. Sauf deux ou trois, elles se mettent en marche vers la barrière que j’avais laissée ouverte.

 

De peine et de misère, car la rivière déborde encore depuis le printemps, je réussis à traverser le cours d’eau sinueux qui à un moment donné tourne à près de 90 degrés. Les deux ou trois vaches qui sont là partent. Dans mes nombreux va-et-vient pour trouver un endroit convenable pour traverser les méandres de la rivière vers la maison, je perds mon orientation. Je suis écarté (égaré). Le coteau que je vois devant moi est maintenant versant nord alors qu’en réalité il est versant sud.

 

J’ai donc perdu totalement le nord. Rationnellement, je sais quelle direction je dois prendre, soit vers le nord, car je n’ai qu’à suivre le trajet emprunté par les dernières vaches. Dans mon esprit troublé, je n’ose pas traverser de nouveau la rivière craignant de me diriger vers le sud où il y a au moins une dizaine de kilomètres de forêt. Je suis figé et je n’ose plus bouger.

 

Quand les vaches arrivent à l’étable, il n’y a personne derrière elles. Ma mère est très inquiète. Sur-le-champ, elle demande à une de mes sœurs d’aller voir ce qui se passe. Quand j’entends, à l’entrée du clos, ma sœur crier, je reprends mes esprits et conséquemment mon énergie. Je traverse la rivière et reviens sain et sauf à la maison, et sans aucune égratignure.

 

Je comprends en ce moment dans quel état on peut être quand on perd le nord.

 

Un pique-nique

L’institutrice Bibiane Jean invite ses 11 élèves à un pique-nique au lac du Cinquième. Ma mère nous prépare un lunch pour le dîner. Le goûter comprend des sandwiches et exceptionnellement de la liqueur Orangeade. Nous sommes les seuls du rang à avoir de la liqueur. Nous sommes gênés de voir la frustration des autres et finalement nous décidons de partager notre liqueur. Tout le monde est content et nous aussi.

 

Mon oncle Timile vient manger son lunch avec nous. La veille, un feu avait brûlé quelques arbres. Mon oncle a le visage plein de suie. À son arrivée, il nous a fait peur.

 

21 juin 1951. Surprise de taille

C’est l’avant-dernier jour d’école. Vers 16 heures, je vois Bibiane Jean qui se dirige vers chez-nous. Je me demande bien si elle vient chez mes parents et si oui, ce qu’elle vient faire. J’aime beaucoup cette institutrice car elle maîtrise sa classe avec calme et douceur.

 

Elle entre et dit à ma mère qu’elle veut parler de moi. Je suis étonné. Je pense être un enfant sans problème et d’habitude quand la maîtresse se déplace, c’est pour parler des mauvais coups des élèves ou du manque d’intérêt à l’école. Je suis légèrement stressé et j’ai hâte de connaître la suite. Elle commence à dire à ma mère que je réussis très bien à l’école et que parfois je perds du temps à cause de ma facilité à apprendre. Alors, elle propose à ma mère ceci : « Que diriez-vous si je faisais graduer Charles-Édouard en 6e année au lieu de 5e pour septembre prochain ? »

 

La proposition m’assomme. Il me manque deux semaines pour avoir 10 ans. J’ai alors 9 ans. Je me dis : 9 ans et avoir la perspective de monter en 6e année. J’ai peur, mais je ne parle pas. Les enfants à l’époque ne parlent jamais à un visiteur à moins qu’une question ne leur soit adressée personnellement et encore... Ma mère ne me consulte pas et elle acquiesce toute heureuse.

 

Au préalable, la décision de ma mère de m’inscrire en première année à l’école, même si je n’avais pas l’âge légal, avait été bonne. Autrement, j’aurais commencé l’école à sept ans. Celle de me faire sauter une année est moins bonne parce que, quand je suis entré au Séminaire, je n’avais pas la maturité intellectuelle et psychologique suffisante. Toutefois, elle a fait pour le mieux et c’est cela qui compte.

 

Pendant toutes les vacances, je pense à cette proposition acceptée. Quand j’apprends que Bibiane ne revient pas enseigner au 5e rang, dans ma tête, je suis certain que je serai en 5e année en septembre. Je suis alors déçu. Je passe des vacances dans l’inquiétude.

 

Juillet 1951. Dans la forêt

Chaque année ou presque, l’oncle Léo Jean qui est célibataire et qui demeure à Montréal vient passer quelques jours chez nous. Il en profite pour aider son frère dans quelques travaux. Ainsi, un jour, il nous accompagne au sixième rang où mon père fait de la pulpe.

 

Mon père choisit les sapins ou les épinettes de taille plus petite ou encore dont la croissance en longueur s’est arrêtée. Il les abat. L’oncle Léo aide mon père en ébranchant et en découpant l’arbre en billes de quatre pieds que nous appelons pitounes. Pour ce faire, il utilise un godin (scie à archet). Notre tâche est d’enlever l’écorce. Nous commençons par faire une saignée dans l’écorce avec une palette de fer recourbée en une extrémité légèrement coupante. Cet outil avait probablement était fabriqué par le forgeron du village.

 

Par la suite, nous tirons sur l’écorce pour que des lanières se forment. La première lanière est la plus difficile à extirper. Les autres suivent en soulevant l’écorce toujours avec la palette. Cette opération d’épluchage est appelée pleumer de la pitoune.

 

J’aime beaucoup accomplir cette tâche. Nous sommes en pleine forêt dont la senteur est idyllique. Il y a toutefois deux inconvénients : la gomme de sapin ou d’épinette et les mouches noires ou les maringouins. Les mains brunissent rapidement au contact de cette gomme sur laquelle s’agglutinent les poussières d’écorce. Il est alors plus difficile de chasser les insectes ravageurs.

 

Le 27 juillet 1951, mon père a vendu ce bois de pulpe pour 350 $. C’est donc dire qu’on en a pleumé des pitounes cet été-là et qu’on s’est fait piquer par les mouches à profusion.

 

Chez Dupuis

Je vois le postillon qui s’arrête et dépose un colis dans la boîte à malle. Je cours vite chercher le colis. C’est le catalogue de Chez Dupuis. Ma mère est, en effet, une cliente de ce commerce dont les valeurs sont la religion, la famille et le service en français. Elle fait trois ou quatre commandes par année qui peuvent s’élever jusqu’à un maximum d’environ 10 $.

 

Je remets le colis à ma mère et rapidement elle va le porter dans sa chambre. Pourtant, j’avais hâte de parcourir ses pages. Pour moi, ce peut être un livre de lecture.

 

J’ai appris plus tard que ma mère cachait le catalogue car il y avait des pages qui montraient des sous-vêtements féminins. Les filles, elles, les chanceuses, savaient où se cachait le catalogue et avaient le droit de le consulter. Elles le faisaient parfois devant nos yeux envieux. On se demandait bien pourquoi les filles avaient le droit de voir les sous-vêtements masculins.

 

Devant notre demande soutenue de voir le document, ma mère finissait par accepter de le mettre à notre disposition, mais les feuilles « obscènes » avaient disparu. Une forme de caviardage, quoi ?

 

La moralité

Décidemment, le curé Alfred Bérubé s’en prend à la moralité de ses paroissiens cet été-là. Selon ce qu’il a appris, des jeunes garçons et filles de la paroisse et des environs fréquentent une plage du lac Saint-Mathieu. Tout près, des gens moins prudes changent de vêtements dans les broussailles : ce qui fait que certains auraient vu des fesses à travers le feuillage.

 

Un dimanche, le curé Bérubé fait un long et vigoureux sermon menaçant de l’enfer toute personne qui retournerait se baigner à cet endroit. Il réprouve la nudité, mais aussi la mixité. il s’insurge du fait que des jeunes filles en costume de bain vont se baigner dans le lac, accompagnées de jeunes garçons. Il ne nomme pas l’endroit où ces scènes se passent, mais la plupart des gens savent qu’on l’appelle la Pointe-aux-fesses. Suite à l’intervention du curé, l’affluence augmente.

 

Un autre dimanche, il raconte avoir vu, pendant la semaine, une femme passer devant l’église et le presbytère en bermudas. Il considère ce geste comme de l’inconduite grave, invoquant que l’église est la maison du bon Dieu et que le presbytère est une maison sainte parce qu’elle est occupée par le représentant de Dieu sur terre. Ces gestes sont pour lui des péchés mortels.

 

Août 1951. La tuberculose

À cette époque, la tuberculose, une maladie contagieuse parfois mortelle, est assez répandue. Les personnes atteintes sont hospitalisées dans un sanatorium pour de longues périodes parfois dépassant un an. Pour notre région, le Sanatorium de Mont-Joli remplit cette mission.

 

Ma mère craint beaucoup cette maladie car certaines de ses tantes en sont décédées. Elle nous amène chaque année à un test de dépistage. Le test a lieu dans une roulotte du Sanatorium de Mont-Joli installée sur le terrain de l’église. L’invitation est faite par le curé au prône.

 

Cet été-là, nous allons comme d’habitude à la roulotte. Une semaine ou deux plus tard, ma mère reçoit une lettre du sanatorium précisant qu’une ombre apparaît sur un de mes poumons. Ce n’est pas à cause de ma médaille scapulaire que je porte d’ordinaire sur ma camisole de laine, je l’avais enlevée. La lettre nous donne un rendez-vous à Mont-Joli. Mon oncle Antonio Théberge, le frère de ma mère, accepte de nous y conduire, moi et ma mère. À ce moment, mon père n’a pas de véhicule motorisé. L’examen est exactement le même que dans la roulotte à savoir une photographie des poumons. Un peu plus tard, une autre lettre arrive avec le même résultat : ombre sur un poumon. Un nouveau rendez-vous est fixé.

 

Mon oncle Antonio accepte à nouveau de nous y conduire. Cette fois-ci, l’examen est plus sérieux. On m’introduit des tubes dans les narines. Ce n’est pas particulièrement douloureux, mais c’est désagréable de sentir des tubes s’immiscer dans le corps et de voir des hommes et des femmes en blanc autour de soi à cet âge. Le résultat finit par arriver. Aucun signe de tuberculose n’est décelé. Les poumons sont en parfait état.

 

Ma mère qui pourtant accorde une importance capitale à ce dépistage dit alors : « C’est fini les examens pour la tuberculose. » Plus aucun membre de la famille ne s’est présenté à la roulotte du village par la suite.

 

La médaille du scapulaire

Ma mère croyait que de porter sur soi une médaille scapulaire pouvait nous éviter des accidents lors des sorties à l’extérieur de la maison. Elle la considérait comme une protection, mais aussi comme un passeport vers le ciel. Elle croyait que si jamais il arrivait malheur, au moins nous ne mourrions pas en état de péché mortel.

 

Le scapulaire que ma mère confectionnait est composé d’un morceau d’étoffe brune de forme carrée sur lequel est attachée une médaille du Sacré-Cœur. Un court cordon relié au tissu peut être épinglé à notre camisole. Il est probable que la médaille avait été bénie par un prêtre.

 

Personnellement, je n’ai jamais cru aux bienfaits du scapulaire. Dès mon retour à la maison, il se retrouvait dans un tiroir de mon bureau. Le port du scapulaire dans ma famille n’a pas duré très longtemps, probablement à cause de notre indifférence.

 

Les pluies acides

En août, les foins se terminent sur la terre du sixième rang, plus précisément en un endroit que nous appelons les prairies. Il y a là deux bâtisses : une petite grange qui reçoit le foin en attendant de le ramener à la ferme pendant la saison morte et un petit camp meublé seulement de deux bancs face à face. Comme on ne revient pas à la maison en cours de journée, on apporte notre lunch du midi qu’on mange à l’abri des insectes dans le petit camp.

 

C’est à ce moment que je prends conscience du fait que l’humain abuse de la nature. Devant le petit camp, il y a une source d’eau qui nous permet de nous désaltérer. Cet été-là, ma mère nous défend de boire cette eau. Selon les journaux, certains cours d’eau sont contaminés par des pluies acides qui viennent des usines américaines. Étant donné que l’eau provient d’une source souterraine, il est peu probable qu’elle soit contaminée, mais la précaution est de rigueur.

 

En même temps, il nous est défendu de boire l’eau de la pluie et surtout de manger la neige l’hiver. Cette situation avec la pollution qui provoque des pluies acides jusque sur nos terres québécoises est un choc pour moi. Je me dis qu’il y a des « méchants » qui ne se soucient pas de notre santé en provoquant le déversement de résidus toxiques sur des terres jadis pures. Une seule raison semble exister. « Il est important de faire de l’argent sans se préoccuper de la nature. »

 

Cet événement me sensibilise fortement au respect de la nature et particulièrement aux conséquences de la pollution qui, quelques décennies plus tard, engendrera des changements climatiques importants.

 

 

Chapitre 5. Ma 6e et 7e année à l’école du rang

 

Septembre 1951. Les noisettes

Mauvaise nouvelle. Le commissaire, Romuald Plourde, ne trouve pas de jeune fille pour enseigner à mon école de rang. Les cours ne peuvent donc pas commencer à la date règlementaire. J’ai un pincement au cœur parce que cette situation risque de se prolonger et ainsi je pourrais perdre mon année scolaire. Dans le cas de la réouverture, j’ai peur de ne pas être classé en 6e année comme me l’avait promis l’institutrice précédente, Bibiane Jean.

 

Nous en profitons, Pierre, Gilles, Raynald et moi, pour aller jouer dans la petite côte boisée au nord de la maison. Comme passe-temps supplémentaire, je ramasse des feuilles colorées et je constitue un cahier, mais surtout je vais à la cueillette de noisettes.

 

Je pars avec ma petite chaudière. Je vais sur les tas de roches ou auprès des clôtures non loin de la maison là où il y a des noisetiers. Je comprends vite que la noisette est plus frileuse que moi. Elle est revêtue d’un manteau d’hiver hérissé de piquants. Une double protection. Mes petits doigts même piqués d’épines ne craignent pas de la découvrir.

 

Sous ce manteau, apparaît une coque dure. Une fois éclatée, cette coque laisse entrevoir une noix protégée par une mince pellicule que je dois extraire avec mes petits doigts. La frilosité de la noisette me fait penser aux nuits froides où je dois dormir en pyjama et en bas de laine sous une chaude peau d’ours.

 

Quand j’ai terminé de remplir mon récipient, pour me récompenser, j’épluche une noisette. Je la casse entre deux roches : une grosse roche sur la terre et une petite dans les mains. Je mange l’amande.

 

Parvenu à la maison, pour l’épluchage, je prends une poche vide en jute qui avait servi à entreposer la moulée pour les vaches. J’y place une vingtaine de spécimens. Je vais au fenil et je frappe sur le plancher de toutes mes forces à coups répétés. Cela noircit le plancher et la poche, mais ce n’est pas grave. La noisette est alors dégagée partiellement de son écorce. Je fais le reste à la main. Par la suite, je dépose mes noisettes dans un tiroir de bureau. Elles n’y restent pas très longtemps car, semble-t-il, des écureuils familiaux ont trouvé la cachette.

 

Une fois, j’ai commencé à faire un chapelet avec des coques, mais j’ai abandonné le projet préférant les manger que de leur donner une deuxième vie, fut-elle religieuse.

 

Histoire de pommes

Quand mon père était jeune, l’un des voisins de ses parents adoptifs était Ferdinand Dionne. Dernièrement, ce dernier a eu maille à partir avec le curé et il ne va plus à la messe du dimanche. Quel scandale ! Tout le monde est certain qu’il ira droit en enfer. À l’époque, je crois beaucoup au ciel et à l’enfer. Je veux faire un pape pour être assuré du ciel. Ne dit-on pas sa Sainteté le pape Pie XII ? D’ailleurs, à l’école, je me vante du fait que Pie XII a été élu pape un 2 mars (1939) et que mon père est né un 2 mars. J’appelle Pie XII, mon père spirituel. Revenons à notre sujet.

 

Ce monsieur Ferdinand Dionne, qui a alors une cinquantaine d’années et qui demeure sur la route du cinquième rang en bas de la coulée, revêt son habit de ville le dimanche matin. On dit alors s’endimancher. Il se promène autour de sa maison et nous regarde passer. Ce geste que je considère comme une provocation me stupéfie.

 

Un jour, mon père arrive à la maison avec une boîte de pommes. « C’est Ferdinand Dionne qui m’a donné cela, nous dit-il. » Là, je suis extrêmement surpris. Je n’en crois pas mes yeux. Je commence alors à douter de ce que les gens disent sur lui et sur sa damnation. Dans ma tête d’enfant, je pensais que de ne pas aller à la messe est un geste de méchanceté et là, il vient de faire un geste de bonté. J’ai de la difficulté à concilier ces deux gestes. Mais, cela me fait réfléchir sur la liberté de choix des gens et je cesse alors de juger cet homme.

 

Octobre 1951. Rentrée scolaire

Nous apprenons qu’enfin une institutrice a été engagée. C’est Cécile Boulanger, la fille de Charles Boulanger et de Clairina Parent. Elle a son certificat de 9e année et a 21 ans. Toutefois, elle n’est pas diplômée comme l’exige le Département de l'instruction publique.

 

Quand j’arrive à l’école, elle m’annonce que je suis en 6e année. Je suis très content. J’avais toujours été seul dans mon degré, mais là, nous sommes trois : Lisette qui a fait sa 5e année l’année précédente et Normand qui reprend sa 6e année. Nous sommes les plus vieux de l’école. Pendant que j’ai 10 ans, Lisette en a 11 et Normand 14.

 

L’institutrice n’a pas de connaissances didactiques. Elle n’a aucune expérience d’enseignement. La discipline se relâche dans l’école. Elle se contente de nous donner des travaux et des leçons, donnant principalement son temps aux plus jeunes. Normand abandonne l’école en novembre. Nous restons deux. Mensuellement, je réussis à arriver le premier, sauf un mois où Lisette me dépasse par moins d’un pour-cent.

 

Quand nous dînons à l’école et que l’institutrice est dans son haut-côté, nous en profitons pour épater les plus jeunes. Nous testons le téléphone arabe. Nous organisons de courtes périodes de danse.

 

Novembre 1951. Les liaisons dangereuses

Les liaisons linguistiques sont à la mode. Dans les manuels scolaires dédiés à la lecture apparaissaient parfois entre deux mots ce qu’on appelle un tirant souscrit qui relie la dernière lettre d’un mot et la première lettre du mot suivant. Par exemple, il faut faire une liaison dans l’expression sont attendus. On doit prononcer alors sont t’attendus. Les institutrices, comme on leur avait montré, attachaient une grande importance à cette règle. Aujourd’hui, les liaisons sont de moins en moins appliquées. Dans certains cas, on fait la liaison à partir du son du mot précédent. Ainsi, on prononcera un long n’hiver.

 

Un jour, trois élèves sont en rang pour réciter leur leçon. Il s’agit de déclamer un texte appris par cœur dont le titre est La prière et l’aumône. La première phrase se présente comme suit : Jean et Robert s’en allaient à la messe un dimanche.

 

L’institutrice demande aux élèves de faire la liaison entre allaient et à si bien qu’ils devaient prononcer allaient t’à. Une des élèves n’arrivent pas à faire cette liaison. L’institutrice insiste pour qu’elle recommence. Au troisième essai, l’élève interrogée en a marre. Tout d’un trait, elle dit : Jean t’et Robert s’en n’allaient t’à la messe t’un dimanche. Des éclats de rire envahissent la classe. L’institutrice est humiliée et ne trouve rien d’autre à dire que : « Retournez à vos places. »

 

Départ de Gilbert

Mon frère aîné Gilbert aurait aimé aller étudier à l’École technique de Rimouski. Ma mère, souhaitant en lui l’héritier de la terre, lui a promis qu’il irait plutôt à l’école d’Agriculture. Dans le cadre de préparation de son trousseau, le 22 octobre, ma mère achète une grosse valise au coût de 16,07 $.

 

Le grand jour arrive. Gilbert part pour sa nouvelle école. Cela change quelque peu les habitudes de corvées. C’est alors que j’écope de la corvée de rentrer le bois de chauffage pour le poêle. Cela se fait en arrivant de l’école le soir. En hiver, il faut au moins trois ou quatre brassées de bois. Le bois de chauffage est pris dans une bâtisse derrière la maison dont le toit est en forme de V renversé.

 

Le départ de Gilbert a pour effet de modifier les places à la table. Tous les garçons montent d’un rang.

 

Achat d’un piano

Maman a une belle voix. Elle chante pour endormir les enfants. Elle connaît plusieurs chansons, mais elle ne les chante pas souvent en public. De plus, elle adore les veillées de famille. Elle pense sans doute qu’un instrument de musique comme le piano pourra agrémenter ces veillées.

 

En novembre 1951, elle achète un piano d’une dame de Mont-Joli. Elle le paie 190 $. Carmen est heureuse. Elle pratique très souvent. La maison est envahie de notes qui reviennent constamment. Début, arrêt, recommencement, nouvel arrêt. Au bout de quelques mois, je développe une allergie au piano.

 

Ma mère achète les sept tomes de La Bonne chanson, et plus tard les tomes 8 et 9. L’auteur de ces albums est l’abbé Charles-Émile Gadbois, né en 1906. En 15 ans, il a composé et recueilli plus de 500 chansons. Son leitmotiv est : « Un foyer où l’on chante est un foyer heureux. »

 

Le seul fait de lire les textes de ces albums et de regarder les images propres à chaque chanson constitue pour moi un vrai voyage vers le passé et un peu vers l’avenir. On y trouve des chansons du folklore français, de même que de nombreuses autres dont les paroles et la musique sont de l’abbé Gadbois.

 

En 1938, le Conseil de l'instruction publique avait recommandé à toutes les commissions scolaires d’acheter les albums de La bonne chanson et de les diffuser dans toutes les écoles. Toutefois, je ne me souviens pas d’avoir vu ces recueils à mon école de rang.

 

Chez nous, lors des veillées de familles, les chansons sont puisées dans ces albums qui trônent sur le piano. Quel souvenir merveilleux que de se remémorer ces belles chansons ! L’abbé Gadbois a réussi son pari, lui qui voulait contrer l'influence grandissante de la chanson française et américaine dans les foyers et à la radio.

 

En 1954, n'ayant plus personne à la maison qui joue de cet instrument, maman revendra son piano au prix de 250 $ à un Pelletier de l’Isle-Verte. Elle achètera plus tard l’harmonium de la sacristie lors de la vente à l’encan où elle a demandé à son frère Maurice de miser pour elle.

 

Une blessure à l’école

Un vendredi après-midi, lors de la période de travaux manuels, je suis en train de bricoler une crèche de Noël à même une planchette de bois que je découpe avec une petite scie à chantourner et un canif. Pendant la récréation, l’institutrice m’offre la possibilité de faire ce travail dans sa chambre à coucher. Je m’installe sur le lit et, avec beaucoup d’attention, je suis les lignes tracées.

 

La récréation étant terminée, je continue quand même de m’appliquer à ma tâche. Par deux ou trois fois, l’institutrice me somme de revenir en classe. Absorbé par mon travail, je ne bouge pas. Lors du dernier appel, mon impatience me fait poser un geste brusque et, avec mon couteau, je me coupe à un doigt. Je reviens en classe penaud, étant certain que Dieu m’a puni pour ne pas avoir obéi à la maîtresse d’école.

 

Décembre 1951. Finances de la famille

Au cours de l’année, mon père a vendu trois porcs pour un total de 120,80 $, quatre moutons pour 103,72 $, une vache pour 106,20 $ et un veau pour 35 $. Les allocations familiales ont rapporté 44 $, les paies de beurrerie 574,03 $, 500 billots 425 $ et du bois de pulpe 350 $.

 

Ma mère fait une folle (!) dépense. Elle s’achète un manteau de fourrure qu’elle paie 239,70 $. Elle mérite bien cette petite douceur qu’elle est fière de porter pour aller à la messe et qui la protège du froid dans les déplacements en voiture à cheval.

 

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 950,44 $. Un paquet de tabac Alouette se détaille 20 sous.

 

Janvier 1952. La terre est payée

Le 16 janvier 1952, mon père retire 135 $ de son compte à la Caisse populaire pour payer un versement de sa terre. La balance de son compte est de 815,44 $. Ouf ! ! ! la terre est finie de payer. Mais ma mère veut que mon père achète un camion. Il faut donc amasser des sous car il est important de le payer comptant. Mon père vend des porcs et des veaux pour la boucherie. Le 17 mai, le compte est de 1817,16 $.

 

Février 1952. Une escapade insensée

Le midi, pendant l’hiver, après le dîner à l’école, nous allons parfois jouer dans la grande côte derrière l’école. Nous revenons parfois une dizaine de minutes plus tard que l’heure réglementaire. L’institutrice ne dit mot.

 

Un midi, toutefois, après le dîner constitué de pâtes alimentaires, nous décidons, un groupe de trois ou de quatre élèves, de nous rendre au lac du Cinquième. Le trajet est constitué de deux côtes descendantes assez prononcées.

 

Nous partons vers midi et 15 minutes en franchissant la clôture qui nous permet d’atteindre la terre de Romuald Plourde. Nous espérons que le propriétaire de la terre ne nous voit pas parce qu’il est commissaire d’école. Nous entreprenons la facile descente.

 

La température est froide ; mais, il ne vante pas. En courant par moments et en nous chamaillant en d’autres moments, nous descendons les deux côtes qui nous séparent du lac. Rendus au lac, nous nous reposons brièvement et nous entreprenons la montée.

 

Nous sommes fatigués puisque nous marchons dans une neige assez épaisse et que notre exubérance a grugé nos énergies. Dans notre insouciance, nous n’avons pas pensé que la remontée serait au moins triplement plus ardue que la descente. Dès ce moment, nous réalisons que nous serons en retard et de beaucoup. De peine et de misère, nous gravissons les deux côtes en s’aidant mutuellement et en s’enfonçant dans la neige plus souvent qu’autrement. Les derniers mètres sont pénibles. Nous sommes tellement fatigués que nous n’avançons qu’à genoux.

 

Quand nous arrivons sur le terrain de l’école, nous avons peine à marcher. En même temps, je redoute les réactions de l’institutrice puisque la classe est commencée depuis plus d’une demi-heure. Je me rends compte que nous avons vraiment exagéré.

 

En entrant dans l’école, nous avons la mine basse et le regard en coin. L’institutrice fait une sainte colère. Je crains que celle-ci me montre du doigt comme étant l’instigateur de cette escapade parce que je suis le plus âgé des garçons. Elle nous fait voir l’imprudence que nous avons manifestée et l’absence d’autorisation. Puis, elle continue la classe comme si de rien n’était.

 

Personne n’est puni. Nous sentons tous que nous avons été légèrement stupides d’avoir fait cette randonnée. Je pense en moi-même. « Elle va sûrement avertir mes parents. » Imaginez, nos parents qui nous font dîner à l’école pour notre bien-être et nous nous permettons de franchir des kilomètres dans la neige jusqu’aux genoux. Je crains leurs réactions.

 

L’incident n’a pas de suite. Mais, c’en est fini de nos glissades le midi. Nous nous contentons de courir autour de l’école. Sans que ce soit une justification, il faut dire que nous n’avons aucun article de sport pour passer le temps lors des récréations.

 

La fin du monde

Depuis des mois, la radio annonce la fin du monde comme étant imminente. Quelqu’un quelque part avait eu une apparition. L’ange du Seigneur l’avait averti que la fin du monde arriverait à 11 heures de l’avant-midi tel jour.

 

Quand ce jour arrive, je suis en sixième année. Le temps est très froid. Les vitres de l’école sont recouvertes de glace. Les élèves sont de mauvaise humeur. Ils ont peur. Aucun ne sait toutefois ce que la fin du monde signifie. Peut-être que tout le monde mourra sauf nous. Bien sûr, nos parents nous avaient dit que c’était un canular, mais on ne voulait pas les croire.

 

Après la récréation de l’avant-midi passé à l’intérieur, je dis à l’institutrice : « Mademoiselle, on a froid. Pourquoi continuer à étudier si la fin du monde arrive bientôt ? On devrait se réunir autour du poêle. » À ma grande surprise, l’institutrice accepte.

 

Je suis fier de moi. Toutefois, j’ai conscience que mon comportement ne correspond pas aux valeurs inculquées par ma mère, soit de ne pas affronter l’autorité. En effet, pour moi, c’est un geste qui ne me ressemble pas.

 

Le jeu de barreau

À la maison, nous avons un jeu de barreau. Le tablier de ce jeu est constitué d’une planchette de bois mesurant environ 52 centimètres de longueur, 32 centimètres de largeur et 2 centimètres d’épaisseur. D’un côté, c’est le barreau et de l’autre côté les dames. Cette planchette en bois avait été fabriquée par mon grand-père Émile Théberge au début des années 1900. Ma mère en avait hérité et j’en ai la possession. Elle est encore en bon état.

 

Pendant l’hiver, mon père a beaucoup de temps libres. Lui qui est un grand amateur de jeux m’invite parfois à jouer. Pour ce faire, il se lève de sa chaise, prend le jeu de barreau et me fait un signe sans dire un mot. Je n’aime pas jouer avec lui. Je suis incapable de refuser parce qu’à l’époque c’est inconcevable qu’un fils ne se plie pas aux volontés de son père.

 

Au début, il m’indique sommairement les règles du jeu même s’il n’a pas l’habitude de nous montrer à accomplir les tâches demandées. Je me suis dit : « La seule façon qu’il arrête de m’inviter à jouer, c’est de gagner. » Je me suis appliqué à analyser le jeu et à remarquer comment il jouait. Au bout d’une dizaine de parties, je gagnais tout le temps. Il a alors arrêté de m’inviter.

 

Autres jeux

Avec le temps, ma mère achète aux plus jeunes des jeux de société : Serpents et échelles, Parcheesi, Monopoly et Scrabble, sans compter les jeux de blocs. Le jeu le plus en vogue demeure celui des cartes avec ses nombreuses variantes comme la bataille, le 500, le beu, la politaine, les quatre-sept, la dame de pique.

 

À l’extérieur, les jeux sont rares parce que nous n’avons aucun matériel sauf des boules. Pas de hockey, pas de rondelle, pas de gant de baseball, pas de bâton, pas de balle, pas de ballon, pas de bicyclette. Le jeu le plus populaire est celui de la cachette que nous appelons cinquante car on doit compter jusqu’à 50.

 

Un grand livre

Tous les élèves viennent de terminer leur dîner. Des brusques rafales de vent provenant du nord font trembler l’école. La morosité s’installe d’autant plus qu’il fait froid dans la classe. L’institutrice sort de son appartement privé et nous dit : « J’ai une surprise pour vous. » Elle va chercher sa bourse et en sort une clé vieillie par l’usage. Elle ouvre l’armoire placée devant la classe. Un grand livre se montre à nous. Je n’ai jamais vu un livre de cette taille. Imaginez : 25,9 × 35,7 centimètres, soit 10  × 14 pouces. Son titre est Catéchisme en images.

 

Des images géantes occupent la moitié du livre. On y voit entre autres des représentations de scènes de la vie de Jésus, des représentations des sacrements,  des péchés et des vertus. Bien sûr, les gravures sont en noir et blanc, mais elles sont tellement nettes que je suis éberlué. Nous ne sommes pas habitués à voir des images, car les manuels scolaires en contiennent peu et la télévision n’est pas encore arrivée.

 

Une gravure qui m’interpelle est celle de l’enfer. On peut voir les damnés dans un feu éternel. Les paresseux sont percés par des pointes enflammées et piqués par des scorpions. Les avares portent une bourse suspendue à leur cou. Les impudiques sont frappés cruellement par des démons munis de fourches. Les envieux sont enlacés, piqués, déchirés par de monstrueux reptiles. En plus, au milieu de la gravure se trouve un cadran dont l’aiguille est arrêtée. Pour montrer que les damnés sont là pour l’éternité,  on peut lire sur le cadran « Toujours, jamais ». (Il y a une dizaine d’été, j’ai trouvé une copie de ce livre dans une librairie itinérante. La page-couverture est manquante.)

 

Moi qui a déjà peur de l’enfer, ces scènes me troublent. J’ai la chair de poule et les cheveux me dressent sur la tête. J’ai envie de retourner à la maison. J’ai vécu en enfer pendant plusieurs nuits après cet événement.

 

Mars 1952. Le cercle Lacordaire

Je vais à une assemblée du cercle Lacordaire avec ma mère. Le conférencier est Adrien Ouellet qui n’a pas encore 30 ans et qui est l’époux d’une cousine de ma mère. Après les salutations d’usage, il dit : « Je suis allé voir le curé pour lui demander qui était le conférencier pour cette réunion. Il m’a répondu que c’était moi. Je pense que je me suis mis les pieds dans les plats. »

 

Comme c’est la première fois que j’entends cette expression, je m’imagine ce monsieur sur le perron du presbytère les deux pieds dans un immense plat. Je ne comprends pas encore facilement le second degré.

 

Plus tard, au cours de la soirée, il y a des tirages. Je gagne une douillette … avec l’argent de ma mère. Celle-ci veut la récupérer, mais je veux la conserver pour mon usage futur. Finalement, ma mère cède. Toutefois, je n’ai jamais revu cette douillette et je l’ai complètement oubliée.

 

Lors d’une autre assemblée Lacordaire, Mgr Parent, l’archevêque de Rimouski, est présent. Dans une allocution, il déclare que même s’il est né à Trois-Pistoles, il se déclare un paroissien de Saint-Mathieu, puisque sa famille y a déménagé alors qu’il avait 9 ans et que ses ancêtres Parent sont de la paroisse. Je suis ébahi par la salve d’applaudissements qui déferle dans la pièce.

 

L’apprentissage de l’Angélus

Ordinairement, ma mère nous réveille vers 6 heures 30. Après un brin de toilette qui exclut la douche parce que nous n’avons pas cette commodité, ni de bain d’ailleurs, nous sommes prêts pour une nouvelle journée. Avant de partir pour la traite des vaches, ma mère nous donne ses instructions. Le plus souvent, cela consiste à apprendre nos leçons parce que nous avions fait nos devoirs la veille. Il nous arrive parfois de bâcler nos leçons aussitôt que ma mère est partie.

 

Un matin, je suis assis dans la chaise berçante de mon père près de la radio, mon catéchisme sur les genoux. Je vois ma mère s’habiller pour aller faire le train du matin. Pour elle, cela veut dire : traire 2 ou 3 vaches, écrémer le lait, nettoyer l’écrémeuse et ramener à la maison un pot de lait chaud à la maison. Je me tourne vers elle et lui dit : « Maman, je suis incapable d’apprendre l’Angélus par cœur. » Le visage de ma mère devient vinaigré. Elle me dit : « Tu sais, si tu veux devenir prêtre, il te faudra apprendre le latin. Vaut mieux commencer maintenant. De toute façon, je m’en vais traire les vaches et (d’un ton plus ferme) quand je reviendrai, je veux que tu en aies appris au moins la moitié. »

 

Surpris du ton de ma mère, je fais des efforts. Quand ma mère revient de l’étable, elle me demande de m’exécuter. J’avais réussi à apprendre les trois ou quatre premières lignes. Pour le reste, je bafouille. Devant ma mine déconfite, ma mère n’insiste pas. Je suis vraiment troublé parce que je viens de comprendre qu’il me sera impossible pour moi d’aller au Séminaire et éventuellement de faire un prêtre.

 

Mai 1952. Un catéchisme bruni

Il fait soleil. La température est chaude. Il est autour de midi. Je suis en train d’apprendre par cœur des réponses du catéchisme sur la galerie d’en avant. Un vendeur itinérant de poissons se présente. De temps à autre, ma mère achète du hareng, du poisson fumé ou de l’anguille. La peau de ce dernier poisson un coup séchée sert à faire des lacets et des cordons d’attache.

 

Ce jour-là, ma mère achète du poisson fumé. J’insiste auprès d’elle pour qu’elle m’en donne un. Finalement, elle se rend à mes désirs.

 

Tout en étudiant mon catéchisme, je dévore le poisson. Finalement, je me rends compte que j’ai fait de grosses taches brunes et graisseuses dans ce livre. Je suis fâché contre moi-même car ce livre appartient à l’institutrice. Elle me l’a prêté au début de l’année pour éviter que mes parents aient à payer pour l’achat d’un manuel scolaire. Le catéchisme que j’avais antérieurement, je l’avais donné à un de mes frères. J’ai bien essayé de faire disparaître les taches, mais impossible.

 

Il faut ajouter qu’à l’époque les parents devaient payer pour les manuels scolaires. On se passait les livres d’un enfant à l’autre. De plus, on était bien averti de les conserver en bon état.

 

Achat d’une camionnette

Ma mère décide qu’il est temps que la famille ait accès à un véhicule motorisé. L’année d’avant, elle avait commencé à vendre des fraises de jardins aux dames du village. Une de mes sœurs avait la tâche de livrer les seaux de fraises. Elle hélait le gros camion de transport de bois qui provenait du Lac-Boisbouscache et se rendait ainsi au village. Pendant que le camionneur allait vider son voyage au moulin à scie, elle faisait le tour des clientes et revenait en camion à la maison.

 

Ma mère charge son frère Antonio d’acheter une camionnette aux Trois-Pistoles avec mandat de ne pas dépasser 1800 dollars. Il achète un camion bleu Chevrolet au montant de 1792 dollars. Il reste 25,16 $ dans le compte de mon père à la Caisse.

 

Après une première expérience où mon père a failli prendre le champ, il ne veut plus toucher au volant du camion. De fait, il n’a jamais eu de permis de conduire. C’est Gilbert, l’aîné des garçons, qui devient le conducteur. Un petit problème : il lui manque quatre mois pour atteindre 18 ans qui est l’âge légal pour avoir son permis. Il trafique son acte de naissance et peut ainsi obtenir son droit de conduire.

 

Plus tard, quand Gilbert partira, c’est Lise qui prendra la relève. À cette époque, peu de filles ou de femmes conduisent une voiture. Le fonctionnaire du Gouvernement qui décerne les permis avait dit à mon père : « Vous n’pensez pas que vous gâtez votre fille. »

 

Dans la famille, tous sont heureux d’avoir enfin un véhicule motorisé à la porte de la maison. Pendant l’été, pour la messe du dimanche, il n’est plus nécessaire d’avoir recours à la camionnette de l’oncle Timile. Pendant l’hiver, les déplacements sont maintenant facilités par un snowmobile (autoneige) qui voyagent les gens du rang pour la messe du dimanche moyennant un dollar par famille. Les chemins ne sont pas encore ouverts pendant l’hiver.

 

On sent qu’une ère nouvelle apparaît, une ère de modernité. Pour nous, il semble bien que la vie ne sera plus jamais pareille. C’est un passage que d’autres ont vécu bien avant nous, mais qui changera notre vie pour toujours.

 

Un bon dimanche, nous insistons auprès de ma mère pour qu’on aille manger une crème glacée à Saint-Eugène. On est 5 ou 6 dans la boîte arrière de la camionnette. Que la crème glacée est bonne ! Quel beau voyage ! Impensable d’avoir réalisé un tel exploit avec une voiture à cheval.

 

Plus tard, on va aux bleuets à Saint-Simon. Un fait inusité m’interpelle. Après avoir fait notre provision de bleuets, je vois un jeune garçon d’environ 10 ans qui court après un papillon. Son père s’écrie : « Embarque dans mon camion, mon p’tit maudit, on s’en va. » Ma mère est outrée, moi aussi d’ailleurs. Je ne peux pas concevoir qu’on utilise un tel langage avec un jeune.

 

À la suite de l’achat de la camionnette, les finances de la famille sont en mauvais état malgré l’absence de dettes. Il faudra attendre au 10 octobre 1956, quatre ans plus tard, pour que les économies dépassent 1000 dollars, soit un montant de 1066,90 $.

 

Les roches

Le gouvernement Duplessis offre aux cultivateurs d’épierrer leurs terres. Chaque fermier a droit à un certain nombre d’heures. Ma mère s’inscrit au nom de mon père. Un beau jour, un tracteur à chenilles fait son apparition. Sa tâche est d’arracher les grosses roches dans les champs, de les déménager le long des clôtures ou même d’enfouir certains tas de roches. Il y a dans le potager une grosse roche qu’il faut contourner depuis toujours. En un éclair, le tracteur la fait disparaître. Voilà un autre signe de modernité.

 

Juillet 1952. Mon premier emploi d’été

Depuis l’âge de huit ans, j’aide en faisant de menus travaux comme faire des commissions, sarcler les fraisiers, aller chercher les vaches, corder du bois. Par exemple, avec d’autres membres de ma famille, je vais cueillir des fraises et des framboises lors des jours sans pluie qui sont, à mon avis, beaucoup trop nombreux.

 

 À l’âge de 11 ans, j’obtiens mon premier emploi d’été rémunéré. Je suis engagé pour fouler le foin chez Hormidas Gaudreau, le voisin de l’ouest. Le travail n’est pas très exigeant. Pendant qu’Hormidas remplit la charrette de foin au moyen d’une fourche, j’y tasse le fourrage en marchant dessus et en le déplaçant au besoin avec mes bras. Madame Hélène ramasse les brindilles de foins restantes avec un petit râteau. Lors des journées de travail, je dîne chez le couple.

 

Je n’ai jamais su combien je gagnais. De toute façon, c’est toujours ma mère qui encaissait le pactole.

 

Un enfant de chœur

Un enfant de chœur est un jeune qui suit les offices religieux au chœur et qui intervient comme servant lors de cérémonies. À Saint-Mathieu, à l’époque, ce rôle appartient en exclusivité aux jeunes du village. Ceux-ci sont des garçons du couvent choisis par les religieuses et la proximité de l’église leur permet de participer aux répétitions.

 

Chez nous, le banc familial de quatre places à l’église ne suffit plus parce que notre famille comporte sept enfants en âge d’aller à la messe. Ma mère part à la recherche de places. Elle demande d’installer deux chaises droites et un agenouilloir en avant de la première rangée à droite du banc des marguilliers : ce qui est fait mais ne dure pas longtemps, probablement un été.

 

Ma mère va rencontrer la religieuse du Saint-Rosaire qui est sacristine et lui demande si elle peut m’accueillir comme enfant de chœur. Celle-ci manifeste une certaine réticence. Finalement, elle accepte étant entendu que je ne serai pas invité à servir la messe. On me confie une soutane noire et un surplis blanc brodé de dentelles. Ma mère repasse religieusement l’ensemble.

 

Lors de la grand-messe du dimanche, nous entrons en procession derrière un porteur de croix et nous rejoignons les deux rangées de bancs placés de chaque côté du chœur. À la fin du cortège, le curé marche, précédé de deux servants de messe qui ont revêtu une soutane rouge.

 

C’est un privilège pour moi d’occuper un banc dans le sanctuaire, mais il faut que je me tienne droit. Les religieuses nous surveillent de leur prie-Dieu situé en avant de la nef du côté de la chaire. Gare à celui qui rit sans raison, qui s’assoit nonchalamment ou qui donne des coups de coude. Pour les ruraux comme moi, ce serait la fin du privilège. Pour les villageois, ce serait des remontrances et des punitions de la part des religieuses. Le curé, lui, ne voit rien parce qu’il dit sa messe dos à l’assistance.

 

Les enfants de chœur doivent, en dehors de l’église, être vertueux, avoir une conduite édifiante et irréprochable auprès des paroissiens. Les servants de messe qui vivent plus près du curé doivent être ponctuels, respectueux, sérieux dans l’accomplissement de leurs fonctions et être constamment à l’écoute du prêtre. N’étant pas un « vrai » enfant de chœur, je n’étais pas soumis à cette discipline.

 

La pêche

Toutes les fois où mon père décide qu’il ne veut pas aller à la grand-messe du dimanche, il trouve des raisons que ma mère fait semblant d’accepter. C’est dans ce contexte qu’il a refusé d’être marguiller quand son tour est venu.

 

Un jour, il s’absente de la messe sous prétexte qu’il est fatigué et a mal au dos. Il n’avait pas imaginé l’offre qu’il aurait après le dîner. M. Joseph, le deuxième voisin de l’ouest qui est aussi le cousin germain de grand-mère Théberge, vient lui offrir d’aller pêcher sur un lac du sixième rang. Le lac est à quelques kilomètres et il faut s’y rendre à pied.

 

En entendant cette proposition, le visage de mon père s’illumine. On sent vraiment qu’il n’est plus fatigué et que le mal de dos a foutu le camp. Ma mère le regarde en voulant dire : « Je le savais bien. » Sans hésiter, il accepte fébrilement.

           

2 septembre 1952. Rentrée des classes

L’école commence sans retard. Je suis en 7e année avec Lisette Vaillancourt. L’institutrice est Marie-Rose Boulanger, sœur de Cécile. Elle n’a pas de brevet d’enseignement. Elle a 19 ans et a terminé sa 8e année. Là, je suis très déçu. Comment faire confiance à une institutrice qui a seulement deux ans de scolarité de plus que moi ? Toutefois, Marie-Rose est plus autoritaire que Cécile et ramène un certain calme dans l’école. De plus, elle s’adonne à sa tâche avec une certaine fougue. Il faut ajouter que, pendant mon primaire, le nombre d’élèves dans mon école du rang 5 varie de 7 à 12. Comme on y retrouve les jeunes de la première à la septième année, il y a très peu de jeunes du même âge.

 

Suzanne part pour l’École normale de Mont-Joli. Elle entreprend deux années d’études qui lui permettront d’obtenir un brevet C au-delà desquelles elle pourra enseigner au primaire. Maman est contente. Elle pense que Suzanne pourra aider aux finances de la famille lorsqu’elle obtiendra un poste.

 

Octobre 1952. Une trouvaille

Quand nous revenons de l’école, mes deux frères et moi, nous sommes étonnés de voir sur le poêle de la cuisine quatre chaudrons emplis à pleine capacité de viande rouge. Je questionne maman. Elle me dit que mon père a tué un veau et qu’elle fait des conserves. Elle ajoute : « Il ne faut pas en parler à personne. » Je suis étonné par ces propos, mais je n’insiste pas.

 

J’appris plus tard qu’en allant à la chasse à la perdrix au sixième rang mon père était tombé par hasard sur un chevreuil blessé par balles. Il l’avait saigné, débité et ramené la viande à la maison. Des rumeurs ont circulé que mon père avait volé le chevreuil d’un autre chasseur, mais le tout s’est rapidement éteint.

 

La chasse

Mon père adore la chasse. Il y va généralement seul. Quand l’automne arrive, il prépare sa carabine et ses collets. Dès la première neige, raquette aux pieds et une poche sur le dos, il va étendre ses collets sur sa terre du cinquième et sur celle du sixième. Il sait très bien comment déjouer le flair et la perspicacité des lièvres. Dans ses bonnes tournées, il revient avec une dizaine de lièvres congelés et deux ou trois perdrix.

 

Ma mère apprête les lièvres et les perdrix. Elle les fait bouillir ou en fait un six-pâtes. C’est un régal à chaque fois. Le plus curieux de toute cette histoire c’est que, nous les enfants, nous nous obstinons pour savoir qui mangerait la tête et surtout … la cervelle du lièvre. Pour cela, il faut d’abord ouvrir la mâchoire. On mangeait la langue, les joues et même les yeux. On séparait la tête et on mangeait la cervelle : c’était le bouquet que d’aspirer cette moelle. Je ne suis pas sûr si aujourd’hui je serais prêt à refaire les mêmes gestes.

 

Ce que mon père aime aussi, c’est de rapporter du petit gibier comme des loutres, des visons, des martres, des hermines ou des belettes. Pour les prendre, il pose ses collets près d’un cours d’eau. Ces petites bêtes ont une peau qui est très recherchée pour la confection de manteaux et de chapeaux.

 

Arrivé à la maison, mon père les dépèce soigneusement. Il étend les peaux sur une corde à linge dans le grenier de la maison pour les laisser sécher. Les premiers jours, une senteur douteuse envahit cette pièce.

 

De temps à autre, ma mère fait un paquet contenant des peaux. Elle expédie le tout à un commerçant de Rivière-du-Loup. Quelques jours plus tard, elle reçoit un chèque. Il n’y a pas de négociation. Le commerçant sait bien que si le prix n’est pas raisonnable, il perdra des clients.

 

Décembre 1952. Maladie de ma mère        

Comme d’habitude, mon père fait boucherie. Il tue un porc et un veau. Ma mère seconde mon père dans ces tâches. Dans le froid et l’humidité, elle attrape une pleurésie et prend le lit. Son état devient de plus en plus grave. Elle demande à une de mes sœurs d’aller chercher M. Ernest.

 

Monsieur Ernest est rapidement au rendez-vous. Dès son examen de la malade, il dit à mon père : « Va appeler chez Désiré Dionne et demande au médecin de venir. C’est pressant. » Il s’informe de l’état de notre réserve de pains, parce que d’habitude c’est ma mère qui cuit le pain de la famille. Sans perdre un instant, il s’installe sur le bout du comptoir de la cuisine. Il demande qu’on lui apporte de la farine et pétrit de ses mains une douzaine de pains. Cette scène est inoubliable. Elle est surréaliste pour moi. Un homme qui sait pétrir du pain. L’image de l’homme est menacée.

 

Le médecin vient et, grâce à ses bons soins, ma mère se rétablit. Heureusement, parce que sans notre mère, la vie aurait été tellement différente et incertaine pour nous.

 

31 décembre 1952. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 411,09 $.

 

1er janvier 1953. Rencontre d’un aïeul

À chaque année, contrairement aux autres jours de l’année, mon père est le premier levé. Il appréhende ce jour pensant que c’est son dernier jour de l’an. Avant le départ pour la messe, maman invite mon père à bénir la famille. Il le fait sans conviction en dessinant une croix par geste et en mâchouillant : « Je vous bénis, au nom du père, du fils et du Saint-Esprit ».

 

Arrivé au village, je reçois de mon parrain Édouard Ouellet une pièce d’un dollar en métal. Ces pièces ne circulent pas de façon régulière, mais elles sont accessibles à la Caisse populaire. C’est la première fois que je vois une telle pièce. J’en suis très content.

 

J’accompagne ma mère à la grand-messe. Nous nous dirigeons à pied vers l’église. Je chantonne : « C’est dans le temps du Jour de l’An. » Le trottoir n’est pas déblayé. Quand une voiture à cheval passe, il faut grimper sur le banc de neige. Tout à coup, je vois un vieillard se diriger vers nous. Ma mère se tourne vers moi et dit : « C’est mon grand-oncle Jean-Baptiste Paradis. » Je suis fort surpris. Je n’ai jamais entendu parler de lui. Je connais les oncles et les tantes de ma mère, mais un grand-oncle, pas.

 

J’ai 11 ans et cet homme me paraît un vieillard. Ma mère, toujours aussi charmante, l’interpelle :

– Bonjour, mon oncle Jean-Baptiste.

– Je pense que tu es la fille à Marie-Luce, ma nièce, de reprendre Jean-Baptiste.

– Oui et comment va votre santé, de répondre ma mère ?

– Tu sais, Marie-Laure, j’ai 89 ans. À part quelques troubles d’estomac, ma santé est bonne. Je pense que le bon Dieu ne veut pas de moi au paradis (ricanements).

 

En se tournant vers moi, il poursuit :

– C’est ton gars ?

– Oui, il veut aller au Séminaire en septembre et faire un prêtre.

– C’est bien. Le clergé a besoin de relève. Mais comment va ton père Émile Théberge ?

– Il commence à être en enfance. Certains jours, il fait des fugues. Il veut aller trouver son père. Vous savez que son père est mort depuis une trentaine d’années.

– Pourtant, il n’est pas vieux.

– C’est vrai, il n’a que 70 ans.

 

Je suis étonné. Jean-Baptiste Paradis est le plus vieil homme parmi ceux que j’avais déjà rencontré. Toutefois, j’ai de la difficulté à comprendre que lui, mon arrière grand-oncle, qui est né en 1863, vit encore alors que mon grand-père Jean est décédé depuis 31 ans.

 

Au retour de la messe, ma mère m’explique que son grand-oncle avait épousé une fille d’Étienne Ouellet qui est le grand-père de sa mère. Il n’en fallait pas davantage pour que je le trouve encore plus vieux.

 

Jean-Baptiste Paradis est décédé le 19 janvier 1956 à 92 ans, trois ans après cette rencontre. Je n’ai pas connu son épouse, car elle est décédée en 1944.

 

23 février 1953. Marche au catéchisme

Voilà une période fort mouvementée et originale de ma vie : marcher au catéchisme. Cela veut dire suivre des cours de religion de la part du curé. C’est un peu comme si le prêtre n’avait pas confiance aux enseignements des religieuses et des institutrices. En ce temps-là, la marche au catéchisme s’adresse aux élèves de septième année en vue de ce qu’on appelle la communion solennelle.

 

Le curé Alfred Bérubé décide de donner des cours l’avant-midi seulement et ce, pendant quatre semaines consécutives. Vu la distance trop grande de la maison au village, je ne peux pas aller à l’école les après-midis. Je suis alors en congé. Je demeure chez tante Candide qui garde mon grand-père Émile Théberge. Je couche au deuxième étage chez l’oncle Georges Théberge, le frère de ma mère.

 

Travaux d’école

La marche au catéchisme commence le lundi 23 février 1953. Avant de partir de l’école, le vendredi de la semaine précédente, Marie-Rose Boulanger, mon institutrice, m’a donné des travaux en catéchisme, évangile, grammaire, mathématiques, anglais, histoire du Canada, géographie et comptabilité. Pendant les après-midis, je réalise ces travaux et j’écris les détails dans un cahier en travaillant sur la table de cuisine de grand-père Théberge.

 

Lors d’une semaine, Marie-Rose Boulanger me demande de rédiger une composition sur le carême. J’écris ce texte dont le titre est : « La Pénitence » et dont l’empreinte religieuse est très marquée. Le voici intégralement :

 

« Oh ! que je le mangerais ce chocolat si aujourd’hui était hier. Il est d’un beau brun, il est tendre et bon. Aujourd’hui, c’est le mercredi des Cendres, je me rappelle, le prêtre m’a mit (sic) de la cendre sur la tête en disant : « Souviens-toi ô homme que tu es poussière et que tu reviendras en poussière. » Il est si tendre, si bon ce chocolat, je le met (sic) sur ma lèvre. Hier, en mangeant mes autres, s’il ne saurait (sic) pas cacher (sic), il serait manger (sic). Je vais essayer de faire ce petit sacrifice pour notre Seigneur, lui il a jeûné pendant quarante jours. Il n’a pas bu ni manger (sic). Oh ! que l’on est faible. »

 

J’avais réussi à faire six fautes dans un court texte. Marie-Rose a signalé mes fautes, sauf les trois dernières. Qui a dit que les jeunes de fin du primaire des années 1950 maîtrisaient mieux leur langue que ceux d’aujourd’hui ?

 

Ma comptabilité

J’en profite pour faire ma comptabilité. Le 22 février, j’ai 29 ¢. Avant de partir le 23, ma mère me donne 8 ¢. Le 24, je m’achète un cahier au coût de 3 ¢ à La Familiale. C’est le cahier où j’écris ma planification et certaines réponses à des questions sur les matières scolaires. J’ai toujours conservé ce cahier.

 

J’achète aussi une boîte de mines à crayons pour 5 ¢. Le 25, tante Candide me donne 1 ¢ pour une commission. J’ai alors 30 ¢. Le 2 mars, ma mère me donne 96 ¢. Le 4 mars, je vais à la Caisse Populaire et je dépose dans mon compte tout mon avoir, soit 1,26 $. Le 12 mars, tante Jeanne me donne 5 ¢ pour une commission. Le 16, ma mère me donne 5 ¢. Le lendemain, j’achète un petit catéchisme au coût de 4 ¢.

 

Quand je termine ma marche au catéchisme, j’ai la somme mirobolante de 6 ¢ en poches. Pendant tout ce temps, comme on peut le constater, je n’ai acheté ni friandises, ni liqueur. Pourtant il y a une salle de billard en face de mon foyer d’accueil et on y vend toutes sortes de friandises.

 

Que nous enseigne le curé ?

Nous sommes 64 jeunes à marcher au catéchisme. En première année, 21 garçons et 19 filles ; en deuxième année, 13 garçons et 11 filles. Les enseignements du curé Alfred Bérubé touchent l’ensemble du catéchisme de l’époque et, à certains égards, ressemblent à des cours de droit canonique.

 

J’apprends les critères d’empêchement de mariage, les sortes de péchés : originels et actuels, mortels et véniels, les commandements de Dieu et de l’Église, le catalogue des indulgences. J’apprends que le péché de nos premiers parents a obscurci notre intelligence et a affaibli notre volonté, en nous donnant une inclinaison au mal. Pas très rassurant pour un enfant de 11 ans qui ne réussit pas à identifier les péchés qu’il fait.

 

J’apprends, notamment, comment faire pour ne pas tomber dans l’ivrognerie : « Ne pas aller au cabaret ; ne prendre aucune boisson enivrante entre les repas ; fuir la société de ceux qui aiment à boire ; s’engager dans la société de tempérance et en suivre les règles. » Que comprend un enfant de 11 ans qui ne sait même pas ce qu’est un cabaret et qui n’a jamais goûté à une boisson alcoolisée et qui, plus est, n’a jamais vu personne boire de l’alcool, sauf le curé à la messe ?

 

Les cours se donnent dans la sacristie. Les garçons sont du côté sud et les filles du côté nord. Je remarque que, de façon générale, les jeunes du village sont mieux habillés que ceux de la campagne. D’autant plus, que certains du village nous snobent, nous les jeunes des rangs.

 

Il n’y a pas de pupitre dans la sacristie. Lors des examens, pour répondre aux questions, il faut se trouver un endroit de fortune, comme utiliser les bancs en se mettant à genoux, ou encore s’accoter sur l’un des deux autels qui sert aux prêtres pour se préparer à la messe.

 

J’aime cette expérience d’avoir des cours magistraux aussi longs. Toutefois, j’ai de la difficulté à me concentrer n’ayant jamais à l’école suivi un cours de plus de deux ou trois minutes et n’ayant jamais regardé un film.

 

Grand-père Théberge

Mon grand-père Théberge qui a 70 ans commence à être confus et à perdre la mémoire. Il parle peu et semble toujours préoccupé, se renfermant dans sa bulle. On dit de lui qu’il est en enfance. Certains jours, il est sain d’esprit ; il passe du temps dans son atelier du rez-de-chaussée. Mais, d’autres jours, il parle principalement de son père avec qui il effectue des travaux comme faire les sucres. Je l’écoute avec attention sachant fort bien qu’il n’en est rien. Aujourd’hui, on dirait peut-être qu’il souffrait de la maladie d’Alzheimer ; mais aucun diagnostic n’a été porté.

 

Un après-midi, alors que je fais mes devoirs sur la table de la cuisine, tante Candide se rend compte qu’il n’est plus dans son atelier. Grand-père a disparu. Elle se met à hurler. Comme elle n’a pas le téléphone, en panique, elle passe chez son frère Georges, propriétaire de la maison paternelle. Tout de suite, tante Jeanne fait des téléphones. Grand-père est retrouvé à la sortie ouest du village et est ramené à la maison par un bon samaritain. Il allait trouver son père. Le drame est de courte durée et sans conséquence.

 

La communion solennelle

Le 22 mars, c’est ma communion solennelle. La cérémonie consiste à faire une profession de foi, c’est-à-dire à renouveler les engagements pris au baptême en notre nom par notre parrain et par notre marraine et sans notre consentement. Aujourd’hui, cette profession de foi se fait lors de la confirmation.

 

Après ma communion solennelle le 25 mars 1953, je retourne à l’école du rang 5.

 

Mai 1953. Les poules

En arrivant de l’école, je vais chercher un vêtement dans ma chambre. J’entends piailler dans le grenier. Ce sont des cris légers et envoûtants. Je vais voir ce qui se passe. Dans une boîte de carton dont le fond est recouvert de papier journal, je vois une douzaine de petits poussins. Au bout d’une quinzaine de jours, ayant acquis de l’autonomie, ils seront déménagés au poulailler.

 

De temps à autre, ma mère me demande d’aller ramasser les œufs dans le poulailler. Les poules pondent généralement un œuf par jour pendant la belle saison. Une voisine en achète une douzaine de temps en temps. Les autres sont consommés en omelettes assorties de grillades de lard ou en œufs à la coque et entrent dans la confection de certains mets. Mon père en mange trois pour son déjeuner. De temps à autre, ma mère fait tuer une poule. Les plumes sont recueillies pour emplir les oreillers.

 

Chaque année, une ou deux poules deviennent couveuses sans œufs. La fausse couveuse se couche sur un endroit peu creux dans la cour ou dans un compartiment de ponte. On la reconnaît à sa poitrine dégarnie, à ses légers gloussements, à ses plumes hérissées et à la queue baissée. Si on s’approche d’elle, elle attaque avec son bec. Ma mère n’est pas tendre envers les récalcitrantes. Un jour, ma mère perd patience en voyant une poule qui couve dans la cour et lui décroche un robuste coup de pied. Ce comportement ne correspond pas à ma mère. C’est la seule fois que je l’ai vu dans cet état. Toutefois, la poule a été royalement délogée de son trône.

 

Juin 1953. Certificat de 7e année

C’est le temps du certificat d’études de 7e année. Les jeunes de la campagne comme moi doivent se rendre au couvent des Sœurs du Saint-Rosaire au village pour passer les examens. Le fait d’avoir suivi des cours du curé avec les jeunes du village diminue mon anxiété.

 

La religieuse qui enseigne en 7e année au couvent est la surveillante attitrée. Elle nous donne ses directives au début. Entre autres, pas d’encrier. Un élève contrevient à cette consigne et en pleine période d’examens son encrier tombe par terre et se vide sur le beau plancher de bois. Grimaces de la religieuse qui ne peut quand même pas faire une crise alors que tous suent sang et eau.

 

À chaque examen, je me rends à la cour d’école une dizaine de minutes avant le début. J’écoute les élèves du village se poser des questions de révision. Je suis estomaqué. J’entends plusieurs mots pour la première fois. Il faut dire que Marie-Rose, notre maîtresse, ne nous donnait pas de cours oraux ou très peu. À la place, elle nous donnait des travaux et nous écrivions les réponses.

 

Je suis alors certain de ne pas réussir mon certificat. Moi qui viens d’être admis en Éléments-Latins (Secondaire I) au Séminaire de Rimouski pour la prochaine année. C’est le curé qui m’a recommandé et j’ai été accepté sans subir d’examen d’admission.

 

En anglais, par exemple, sept questions sur 10 sont posées à partir d’un texte donné. Je ne comprends rien au texte puisque mon vocabulaire est très pauvre. Alors, j’utilise une stratégie de reconnaissance. Quand je vois à peu près les mêmes mots dans le texte et dans la question, je transcris le texte mot à mot. Les trois autres questions qui portent sur la grammaire et le vocabulaire ne me donnent aucun point. Quand je remets ma copie, la religieuse surveillante me dit tout de suite en voyant ma copie que mon résultat est de 70 % : ce qui se réalisa. J’étais fort soulagé.

 

Le premier dimanche de juillet, je suis convoqué au couvent après la messe. Je suis pas mal nerveux. La religieuse titulaire de 7e année m’annonce que j’ai réussi mon certificat. Ouf ! je suis content. Elle me regarde dans les yeux d’un air déçu et me dit :

- Vous êtes le premier de la paroisse. Félicitations.

 

Je sens sa frustration et un brin de jalousie. Moi, un rural qui étudie dans une classe à degrés multiples, qui a manqué un mois d’école pour avoir marché au catéchisme et dont l’ins­titutrice est non diplômée et débutante, j’avais pris le premier rang du peloton, alors qu’elle, au village, enseigne à deux seuls degrés et est diplômée.

 

J’obtiens les résultats suivants qui me donnent distinction comme note globale d’appréciation.

 

Religion : 154 sur 200

Français par le texte : 120 sur 200

Dictée : 83 sur 100

Rédaction : 90 sur 100

Arithmétique : 187 sur 200

Langue seconde : 70 sur 100

Histoire du Canada, géographie et divers : 64 sur 100

Total : 768 sur 1000 ou 76,8 %

 

Étais-je rempli de gloire parce que j’étais le premier de la paroisse ? Pas du tout. Je me disais qu’avec mon 76 %, ce sont les autres qui ont été incapables de me dépasser. Si j’avais eu 95 %, par exemple, j’aurais pu m’enorgueillir, mais pas avec 76 %.

 

J’ai rencontré Marie-Rose dix ans plus tard et elle m’exprima alors la satisfaction qu’elle avait eu de ce résultat, d’autant plus qu’elle n’avait qu’une huitième année. Marie-Rose, par la suite, retourna à l’école et devint une institutrice diplômée. Sa carrière était lancée.

 

Juillet 1953. Une peur bleue

Le temps est nuageux. Une légère pluie tombe depuis ce matin. Il n’y a pas de travaux en cours sur la ferme. On passe un après-midi tranquille dans la maison. Ma mère est en train de faire de la couture au moulin à coudre. Elle a besoin d’une pièce de tissu qu’elle me décrit. Elle me demande si je peux aller la chercher au grenier. Je lui réponds que j’irai aussitôt que j’aurais fini de lire le chapitre du livre que j’ai entre les mains.

 

J’entre dans le grenier. Je commence à fouiller dans quelques boîtes. Tout-à-coup, un ours commence à bouger et se lève en criant « bou » et en faisant de larges gestes. Je suis foudroyé. C’est comme si j’avais été frappé par une forte décharge électrique. Les jambes lâchent et je me retrouve à terre le ventre contre le plancher. J’arrête presque de respirer. C’est mon frère Pierre qui s’était faufilé au grenier et qui s’était emmaillotté dans la peau d’ours servant autrefois l’hiver comme couverture pour se réchauffer.

 

Je regarde Pierre. Sa figure marque beaucoup d’inquiétude. Finalement, je me relève. Je lui reproche de ne pas avoir réfléchi avant de me jouer ce tour. « J’aurais pu en mourir, lui dis-je. » Il est repentant. Il ne pensait pas que cela aurait pu tourner presqu’au tragique.

 

Mon deuxième emploi d’été

Pendant l’été, même si je n’ai que 12 ans, j’ai un deuxième emploi rémunéré. Je fais les foins chez Simon Plourde, un cultivateur du rang 5 dont la terre est voisine de l’école à l’est. Je dois fouler autant dans la charrette que dans la grange. En plus, je dois déplacer le foin dans la tasserie avec une fourche pour le refouler le long des murs. J’en tousse un coup dans la chaleur et dans la poussière.

 

Contrairement à chez nous, il n’y a personne pour manier le petit râteau car les brindilles sont ramassées avec un grand râteau. Mon salaire est peut-être de 1 $ par jour au maximum, le dîner en sus.

 

Une scène poignante

Pendant l’été, nous allons pêcher assez souvent dans une petite rivière située au sud de la maison, qui est la décharge du lac des Prairies. Le débit d’eau est insuffisant pour pêcher tout en son long. Nous nous tenons davantage auprès d’une fosse située à la frontière de la terre paternelle et de celle du voisin de l’ouest. Nous revenons heureux, le plus souvent avec une dizaine ou plus de petites truites. Ce jour-là, l’excursion est traumatisante.

 

D’habitude, le matin quand la traite des vaches est terminée, ma mère réunit la famille, sauf mon père, pour faire la prière avant le déjeuner. Ce matin-là, elle en est empêchée étant retenue chez des voisins. La prière est remise après le dîner.

 

Au début de l’après-midi, comme la température est plutôt maussade, mon cousin Gilles, Pierre, Raynald et moi projetons d’aller pêcher à la petite rivière du sud. Nous demandons la permission à ma mère qui nous répond : « Nous allons faire la prière du matin et après vous pourrez y aller. »

 

Nous qui pensons que pour une fois nous avions eu congé de prière, nous sommes déçus. Je dis alors à ma mère : « Je vous promets que, parvenus à la rivière, nous allons faire la prière. » Finalement ma mère accepte. Au fond de moi-même qui est l’aîné du groupe, je n’ai pas du tout l’intention de respecter ma promesse.

 

Après au moins 10 minutes, nous réalisons que la petite truite n’est pas au rendez-vous. Nous prenons des branches qu’on appelle des chicots et nous nous amusons dans l’eau. Mon chicot étant particulièrement vieilli, il casse en trois ou quatre morceaux. Raynald reçoit un éclat de bois en-dessous de l’œil droit. Le sang gicle. Je demande un mouchoir propre que je pose sur la plaie. Je ne sais pas si l’œil est atteint. Je pense tout de suite que Dieu nous punit pour ne pas avoir fait la prière.

 

Nous décidons de retourner à la maison. À mi-chemin, cachés par des broussailles, nous étendons mon jeune frère sur le sol et nous commençons la prière. C’est sans aucun doute la première fois de notre vie que je prie avec autant de ferveur. Je nous vois encore à genoux autour de mon frère implorant le ciel que la blessure ne soit pas trop grave. La prière terminée, nous reprenons notre marche.

 

Je me sens responsable de cet accident. Je crains que les dommages à l’œil de mon frère soient sérieux. J’ai peur d’être puni. J’attends dehors. Finalement, l’infirmière maman conclut que la blessure est légère et que l’œil n’a pas été touché. Je puis retrouver la maison.

 

Malheureusement, nous avons dû abandonner de fréquenter cette rivière car, avec la déforestation en amont, elle s’est peu à peu desséchée.

 

5 août 1953. Mariage de Carmen

Le 5 août 1953, Carmen, ma sœur, épouse Jacques Ouellet. Trois des frères de Jacques sont prêtres : Paul-Émile, Ulric et Mathieu. Le midi, le déjeuner-dîner est chez Émile Ouellet au village. Moi et Pierre avons la permission d’assister au mariage et au repas, mais pas les plus jeunes.

 

Il y a beaucoup d’invités. On nous annonce que moi et Pierre serons de la deuxième tablée. Je suis profondément humilié. Je suis le frère de la mariée et je dois attendre pour manger. Le spectacle n’est pas pour moi et j’ai pourtant 12 ans. À la table, c’est la première fois que je vois des pamplemousses.

 

Le soir, le souper est chez mes parents au cinquième rang. Après le souper, je suis devant la maison et l’abbé Mathieu vient me parler. Il m’invite à l’écart. Il me demande si j’ai hâte d’entrer au Séminaire et ce que j’ai l’intention de faire plus tard. Je lui dis que j’attends ce moment avec impatience et que je veux devenir prêtre. Il me regarde fixement et dit : « De toute façon, il te reste huit ans pour y penser. » Je sens dans son regard qu’il n’est pas certain d’approuver mon choix. Quelques années plus tard, il quittera la prêtrise, se mariera et deviendra pasteur protestant.

 

Cette journée-là, ma mère avait accepté de prêter les services de Gilles pour aider mon oncle Cyprien à faire du foin au sixième rang. D’habitude, le retour se faisait au plus tard vers 18 heures. Mais, cette fois-ci l’oncle Cyprien ne revient que vers 21 heures. Je n’avais pas beaucoup de sympathie pour Gilles ; mais, là je suis choqué qu’on puisse volontairement enlever ce plaisir à un jeune de neuf ans. C’est la première fois que cet oncle revient aussi tard. Il vient de prendre sa revanche en exprimant son mécontentement. Pourquoi ? Son fils Romuald a voulu courtiser Carmen, mais celle-ci a refusé. L’oncle Cyprien n’a jamais accepté la décision de Carmen, parce qu’il avait décidé d’avance pour son fils.

 

Un recruteur

Je me prépare fébrilement à entrer au Séminaire. Je lis et relis les documents envoyés par le directeur du Séminaire. Je compte les jours avant la rentrée. J’ai hâte d’étudier dans une vraie classe avec des élèves du même degré et du même âge. Je veux devenir prêtre et professeur en mathématiques au Séminaire.

 

Un jour du mois d’août, nous allons au sixième rang en camion. En revenant, je me couche dans la boîte arrière. C’est grisant. Le soir, toutefois, j’ai des maux d’oreille très intenses. Quand je tape près de mes oreilles, j’entends un bruit infernal. Le lendemain, souffrant d’une forte fièvre, je suis alité.

 

Le Frère Henri-Bertrand, recruteur pour les Frères du Sacré-Cœur, se présente chez nous. Il veut me voir. Ma mère le conduit à ma chambre. Il veut que je fréquente leur juvénat en septembre. Un aspect attirant : c’est gratuit. Je l’informe que j’ai été accepté au Séminaire. Il me donne quelques dépliants d’information, puis s’esquive.


 

Chapitre 6. Ma première année au Séminaire 

 

8 septembre 1953. Rentrée au Séminaire

C’est un grand jour dans ma vie. Je viens d’avoir 12 ans. J’entre comme pensionnaire en Éléments-Latins au Séminaire de Rimouski. Je dois quitter ma famille pour toujours si je persiste dans mes études. C’est un jour déchirant. Mon cœur palpite. Je n’ai aucune idée dans quoi je m’embarque. La seule chose que je sais. D’autres avant moi ont vécu ce jour et ces années qui m’attendent et ont passé à travers.

 

Quand j’atteins l’allée du Séminaire avec ma mère et que je vois devant moi cette immense bâtisse, mon cœur cesse de battre. Je sens immédiatement qu’une cassure s’invite dans ma vie. C’est comme si j’ai à choisir entre ma mère et cette bâtisse qui m’intimide par tout l’espace qu’elle occupe, cette bâtisse qui a les bras largement ouverts, non pas pour m’accueillir mais pour m’engloutir.

 

La redingote

Dès l’entrée dans cette immense bâtisse, je suis impressionné par la hauteur des plafonds qui sont d’une douzaine de pieds. Moi et ma mère nous nous présentons au bureau du directeur des élèves, l’abbé Gérard Cayouette, qui fut d’ailleurs curé de Saint-Mathieu-de-Rioux une dizaine d’années plus tard. Les frais d’inscription sont de 15 dollars. L’abbé Cayouette jette vers moi un regard interrogateur se demandant, sans doute, si je voulais devenir prêtre et si j’avais la capacité de réussir le cours classique. Il m’indique que mon lit sera au dortoir D. Il précise qu’après être allé à la Procure pour la redingote, je devrai aller déposer ma valise à l’extrémité est de la bâtisse.

 

Le costume officiel des élèves consiste en une redingote de drap bleu marine avec nervures blanches, un ceinturon de laine verte et un pantalon bleu marine. Je porte déjà le pantalon réglementaire. Il faut maintenant acheter la redingote et le ceinturon. À la procure située à l’entrée de l’édifice, j’essaie quelques redingotes et finalement ma mère opte pour l’une d’elles. Il en coûte 30 dollars pour la redingote et le ceinturon.

 

Le bas de la redingote doit dépasser légèrement les genoux. Deux grandes poches se trouvent sur les côtés et des lisérés blancs cachent les principales coutures. À la procure, on m’avertit que je devrai porter cette redingote du matin au soir. On me dit aussi d’en prendre bien soin, de la brosser et de procéder à un nettoyage savonneux à la main de temps à autre. Avec les mois, semble-t-il, les rayures s’éliment, la sueur s’y imprègne, les pellicules recouvrent les épaules, parfois des souvenirs de nourriture s’y agglutinent.

 

Ma valise                                              

Il y a plusieurs dizaines de valises qui attendent d’être dirigées vers un des deux dortoirs attitrés. Ma mère décide de partir. Je suis triste. En même temps, je suis confiant. J’ai l’impression que le mois que j’ai passé chez grand-père Théberge en mars dernier m’a procuré une certaine expérience de la vie loin des miens. Je suis plus incertain quand je pense que je ne pourrai aller dans ma famille que pour les vacances de Noël.

 

Depuis quelques semaines, ma mère avait préparé mon trousseau. Le linge lavable avait été marqué à mon nom par un numéro assigné lors de mon acceptation au Séminaire. On peut voir dans ma valise une paire de souliers de toile, deux ou trois paires de bas de laine, deux ou trois chemises, des chaussettes, deux ou trois camisoles de laine, une paire de bottes en caoutchouc pour mettre par-dessus mes souliers, un paletot d’hiver, une casquette fabriquée par ma mère, un foulard de laine, une robe de nuit, du cirage à chaussures et divers articles de toilette comme savon et brosse.

 

Les religieuses sont responsables du ménage des dortoirs, de la cuisine, du lavage, de la couture, du raccommodage du linge, enfin de tout ce qui constitue les travaux intérieurs et matériels de cette maison. Elles sont aidées par de jeunes filles célibataires.

 

Le dortoir

Quand ma valise est placée sur le monte-charge, je me dirige au dortoir D qui est situé au sixième étage. Quel choc devant l’immensité de la salle ! On y trouve autour de 150 lits. Chaque élève a son lavabo et son armoire. Dans une extrémité, il y a un bain de pieds et des toilettes. Les lits sont placés en rangées tête à tête et de légers passages permettent d’y accéder.

 

Il y a là un maître de salle qui m’indique l’endroit où est mon lit. Je vide ma valise et place les objets dans mon armoire. Je traîne ma valise près de la porte pour qu’un préposé puisse la reconduire au grenier où elle passera toute l’année scolaire. Je suis les autres élèves qui descendent dans le vacarme les nombreux escaliers qui conduisent à la salle de récréation. Personne ne nous a encore dit de ne pas se jeter sur le pavé entre deux escaliers comme si c’était un jouet et d’aborder les marches en y allant mollo.

 

La salle de récréation

Dès mon arrivée au sous-sol, je cherche les toilettes, question de les atteindre promptement en cas de besoin. Il y a deux salles dont l’une avec des urinoirs séparés par de larges panneaux. C’est la première fois que je vois des urinoirs.

 

À la salle de récréation, ils sont là plus d’une centaine de jeunes qui attendent je ne sais quoi. Certains ont la cigarette au bec. Ils ont l’air d’être en pays de connaissance. Ce sont probablement des élèves de Syntaxe-Latine ou de Méthode. Certains sont seuls dans leur coin. Les nouveaux d’une même paroisse se rassemblent autour des anciens pour recevoir des conseils de survivance dans ce lieu qu’on peut comparer en exagérant, du moins pour moi, à une prison.

 

Un maître de salle est placé dans un coin de la salle et indique le numéro de vestiaire à mesure que chaque élève se présente. Vers 17 h 30, un autre maître de salle demande l’attention des nouveaux et annonce qu’il va nous donner les rangs de doyen. Il nous indique que ce rang s’applique pour se rendre à la salle d’études, à la chapelle, à la cafétéria et au dortoir. Je comprends tout de suite que c’est un puissant moyen d’encadrement.

 

Les anciens qui connaissent déjà leur rang se placent en une longue file au sud de la salle. Pendant ce temps, les nouveaux se demandent mutuellement leur date de naissance pour deviner leur position. Le maître de salle commence par nommer les élèves d’Éléments-latins qui ont déjà étudié au Séminaire l’année précédente, soit qu’ils étaient dans une classe préparatoire, soit qu’ils aient doublé leur année. Un à un, chacun des autres est appelé selon leur date de naissance du plus vieux au plus jeune et prend le rang qu’on lui assigne. Je trouve le temps long parce que mon nom ne vient pas vite. En effet, je suis à peu près le 150e sur 158 élèves de ma cohorte.

 

Le souper pourra bientôt commencer. En attendant, on garde nos rangs de doyen. Pas habitué à ce genre de règlement, je m’appuie négligemment sur une table de billard située à proximité. Vu ma grandeur, je n’ai pas à me pencher beaucoup. Le plus jeune des maîtres de salle qui surveille notre rangée se dirige vers moi et me dit d’un ton cavalier : « Debout. La table de billard est capable de se tenir toute seule. » Je me redresse rapidement, mais j’ai de la difficulté à avaler sa remarque.

 

Les anciens commencent à défiler vers la cafétéria en groupes d’une vingtaine d’élèves. C’est un maître de salle qui décide quand le groupe pourra partir. Il nous avertit que, dès que l’on a franchi la porte de la salle à manger, c’est un silence complet pour tout le repas.

 

La cafétéria

Un bénitier nous attend à la porte. Il faut faire son signe de croix à l’entrée après avoir trempé ses doigts dans l’eau bénite. Nous gardons nos rangs le long des murs. Les élèves de la Petite salle prennent la droite de la pièce et ceux de la Grande salle, la gauche. Il y a deux maîtres de salle qui font la surveillance : un pour chaque salle.

 

Tranquillement, nous avançons vers notre point de service. Je regarde attentivement ce que font les élèves qui me précèdent parce que je n’ai jamais mis les pieds dans une cafétéria. Rendu presqu’au comptoir, je prends un cabaret. Il y a là un grand jeune homme - on m’a dit plus tard que c’était un finissant - qui fournit les ustensiles. Des jeunes filles en costume sont derrière des panneaux qui cachent leur figure. Elles nous servent tour à tour les portions de soupe, mets principal et dessert. Nous avons droit à un demiard de lait, gracieuseté des vaches de l’école d’Agriculture qui appartient au Séminaire.

 

Je choisis une table qui est peu occupée et je déguste mon premier repas. Quand j’ai terminé, je prends mon cabaret et me rend à un comptoir en avant. Je dépose mon demiard vide dans une caisse et je glisse mon cabaret vers une préposée : tout cela comme je l’avais noté pendant que je mangeais.

 

La chapelle

Après la récréation où on a passé le temps dans la cour extérieure, c’est la prière à la chapelle. Pour s’y rendre, nous prenons nos rangs dans la salle de récréation. Rendus à la chapelle, on nous attribue une place tout en respectant ces rangs.

 

La chapelle est remplie à pleine capacité. Les finissants et autres élèves de la Grande salle sont à l’ouest et ceux de la Petite salle comme moi à l’est. Pendant que les autres prient, du moins je l’imagine, je réfléchis à mon avenir. J’ai 12 ans et je vois des finissants qui ont 19, 20, 21 et même 22 ans. Je me dis : « Je dois demeurer huit ans dans cette école et je n’ai que 12 ans. Quand j’aurai terminé mon cours classique, j’aurai 20 ans. J’aurai passé près de 50 % de ma vie au Séminaire. J’espère ne pas être malade d’ici ce temps. » Cela m’atterre et je sens une lourde charge sur mes épaules. Je suis angoissé.

 

En même temps, je me dis : « Je veux aller jusqu’au bout. Je veux faire un prêtre. » Pourtant, sur les 159 élèves inscrits en Éléments-Latins en même temps que moi, seulement 60 termineront leur cours classique.

 

Je constate que la chapelle sert à nourrir son âme. Sous la chapelle, se trouve la salle académique pour la nourriture de l’esprit et sous la salle académique la cafétéria qui sert à nourrir le corps. La chapelle sera dans l’avenir presqu’aussi visitée que la cafétéria.

 

La salle d’études

Quand la prière est terminée à la chapelle, c’est la visite de la salle d’études, un local comportant autour de 275 bureaux. Un maître de salle nous attribue une place en alternant, soit un élève dans la partie nord et le suivant dans la partie sud. Chacun a un bureau qui se ferme par un panneau. On nous distribue la liste des manuels scolaires obligatoires et facultatifs, de même qu’une liste du matériel nécessaire pour faire nos travaux.

 

Le matériel didactique

Après le déjeuner le lendemain matin, tous les élèves d’Éléments-Latins dont je suis s’installent à leur bureau à la salle d’études. Des dizaines d’élèves défilent devant nous et nous font des offres de manuels scolaires périmés pour eux. Ce sont surtout des élèves de Syntaxe-Latine, la cohorte antérieure à la nôtre. Il y a même des élèves de Philosophie 1ère année qui veulent vendre leur grammaire latine.

 

Ma mère m’avait donné un peu d’argent pour cette opération car le directeur des élèves, dans la lettre d’acceptation au Séminaire, l’avait mentionnée. Quand je trouve le prix trop élevé, je tente de négocier. Je dois me méfier car certains élèves essaient de me vendre des livres dont j’aurai peu ou pas besoin en m’offrant un fort rabais. À coup de 25, de 50 et de 75 sous, je réussis à faire mes achats. J’ai quand même acheté un livre facultatif : Stylistique française de Legrand. Je l’ai conservé quelques années parce que je l’aimais bien. Puis, j’ai réussi à le refiler.

 

À titre d’illustration, on a pu lire plus tard dans la Vie écolière, journal étudiant :

 

Élève d’Éléments

6 septembre – Cet avant-midi, j’ai acheté mes livres. J’ai fait, je crois de bonnes affaires. Un philosophe m’a vendu deux beaux gros dictionnaires Latin en Poche pour deux piastres seulement. Ils sont réellement très bons ces grands-là et ils savent vous donner d’excellents conseils qui vous réchauffent le cœur.

 

Élève de Philosophie

6 septembre – Aujourd’hui traite des livres. J’en ai vendu pour 25 $. Ça faisait longtemps que je voulais vendre mes deux anthropopithèques de dictionnaires Latin en Poche. Malheureusement, c’est un petit nouveau qui s’est fait attraper. Bah ! Qu’il fasse la même chose que j’ai faite et que l’on m’a faite.

 

Quand la vente de livres usagers est terminée, on peut se rendre à un magasin géré par les finissants. On y trouve des livres neufs et tout le matériel requis pour écrire : crayon, stylos, cahiers, etc.

 

Horaire d’une journée

Il faut apprendre à vivre selon un horaire rigide. Chaque matin, la cloche du lever sonne à 5 heures 45. Nous nous habillons et faisons notre toilette. Puis, nous descendons à la salle d’études pour 6 heures 10. Chaque jour, nous nous rendons à la messe.

 

Les lundi, mardi, jeudi et vendredi nous avons quatre heures de cours. Les mercredi et samedi, comme c’est congé l’après-midi, nous avons trois heures de cours en avant-midi. De 11 heures à midi, sauf s’il y a classe, c’est une période d’études qui doit être consacrée à faire ses devoirs et à étudier ses leçons.

 

À midi, nous retournons à la salle de récréation en attendant le dîner. Par la suite, nous avons droit à une récréation jusqu’à 13 heures 40. Suit une courte période d’études. À 14 heures, c’est le troisième cours, puis à 15 heures, le quatrième et dernier cours de la journée. Vingt minutes de récréation suivent et c’est le retour à la salle d’études.

 

Avant le souper, nous retournons pour la deuxième fois à la chapelle pour réciter le chapelet ou pour les Vêpres le dimanche. Après le souper et la récréation, c’est le troisième rassemblement de la journée à la chapelle pour, cette fois-ci, réciter la prière du soir. À 20 heures, c’est une autre période d’études avec permission de lire des livres autres que les manuels scolaires. Au bout d’une heure, nous descendons à la salle de récréation et une dizaine de minutes plus tard, nous prenons nos rangs de doyen pour nous diriger vers notre dortoir. Le couvre-feu se fait ordinairement vers 21 heures 30.

 

Dans cet horaire, la prière est omniprésente. La messe, les vêpres, le chapelet et diverses prières avant ou après les cours ou les études prennent environ 12 heures dans une semaine, presque deux heures par jour. Les études et les cours vont chercher environ 42 heures. En somme, à part le sommeil, 14 % du temps est consacré à la prière, 47 % aux cours et à l’étude. Il reste 39 % pour les repas, les récréations, les déplacements et l’hygiène du corps.

 

Les maîtres de salle

Il faut apprendre à connaître les maîtres de salle qui vivent 24 heures par jour avec nous. Ils sont dans la cour extérieu­re, à la salle de récréation, à la salle d’études, au dortoir, à la cafétéria et à la chapelle. Les maîtres de salle, appelés officiellement régents, sont de jeunes prêtres qui occupaient antérieurement cette fonction ou qui viennent d’être ordonnés. Ils sont responsables de la discipline en dehors des classes.

 

Cette première année, les maîtres de salle sont en ordre d’ancienneté les abbés Léopold Desrosiers, Roland Beaulieu, Louis-Jacques Morissette, Jean-Luc Thériault et Emmanuel Gagnon.

 

L’un parle fort et a l’air imposant ; un autre est timide, du moins au début ; un autre aime communiquer avec nous ; un autre a des yeux perçants qui semblent tout voir ; un autre se demande bien ce qu’il fait là. Ils ont chacun leur façon de faire et leur tempérament propre. Pour un jeune de 12 ans comme moi qui n’a jamais connu un encadrement strict à l’école, je n’ai pas l’habitude d’une surveillance constante et c’est très impressionnant.

 

Ce sont les maîtres de salle qui ont comme mission de faire appliquer le règlement. Aussi, il faut aussi apprendre à l’apprivoiser. Voici quelques points du règlement :

 

- Tous les élèves doivent assister aux exercices religieux de la maison.

- Aucun élève ne peut sortir en ville sans être accompagné de son père ou de sa mère.

- La morale est surveillée avec une scrupuleuse attention. Tout élève convaincu d’immoralité ou de mauvais esprit, ou gravement suspect est renvoyé dans sa famille.

- Aucun livre, journal, brochure ne peut être introduit dans le Séminaire sans la permission du Directeur des élèves.

- La correspondance est soumise au contrôle de celui-ci. Toute faute sur ces deux points expose le coupable à une punition et même à l’exclusion.

- Les talons de fer ne sont pas tolérés au Séminaire. 

 

À la salle d’études, un seul régent est responsable. Il occupe un pupitre adossé au mur du sud au centre de la pièce. Il est là pour garantir le silence total, s’assurer que les élèves ne soient pas en train de lire un livre de lecture, sauf pour l’étude du soir, et distribuer les permissions de sorties de la salle principalement pour aller rencontrer son directeur spirituel. En principe, il doit toujours être aux aguets ; mais certains en profitent pour réciter leur bréviaire ou pour corriger des travaux d’élèves.

 

Au dortoir, ils peuvent être deux pour surveiller le bon déroulement, toujours en silence, après le lever et avant le coucher. Pendant la nuit, l’un d’eux dort dans une petite chambrette érigée dans un coin du dortoir. Il arrive parfois qu’un maître de salle quitte sa chambrette après que les élèves se soient endormis. Mais c’est un exercice périlleux en termes de responsabilité parce qu’en sortant il ferme à clé la porte du dortoir et, en principe, aucun élève n’a de clé.

 

À la salle de récréation et dans la cour extérieure, les relations sont différentes parce que c’est le seul endroit où nous pouvons converser. Les maîtres de salle en profitent pour nouer des liens amicaux avec les élèves. De temps à autre, on peut remarquer que certains ont des préférences. Ce sont des amitiés particulières au sens le plus sain du terme. Les élèves concernés sont affublés du nom de chats.

 

De façon générale, les relations entre les élèves et les maîtres de salle sont très cordiales. Je ne me souviens pas que l’un d’eux ait été l’objet d’une réprobation générale ou de plaintes importantes.

 

Il faut aussi apprendre à apprivoiser le règlement même si tout n’est pas communiqué aux élèves. Il n’est pas rare de se voir réprimander alors que personne ne sait qu’il s’agit d’une règle de conduite. Le silence est de rigueur partout, sauf à la salle de récréation et dans la cour. Les rappels à l’ordre sont nombreux et ne sont pas toujours communiqués avec diplomatie.

 

Les classes

Dès les premiers jours, je réalise rapidement qu’il y a deux mondes au Séminaire : le pensionnat et les classes. À ce dernier endroit, les rangs de doyen ne sont pas appliqués. Chacun prend une place au début de l’année dans le local de classe et la conserve jusqu’à la fin. On sent que la fonction première des professeurs n’est pas de faire de la discipline mais bien de nous instruire. D’ailleurs, un professeur dira : « Ce qui se passe en classe reste en classe. » Cette distinction nous amène à considérer qu’aller en classe, c’est comme quitter notre domicile pour aller à une école hors les murs.

 

Un moment que j’avais oublié et qui m’est revenu quand j’ai enseigné à ce même Séminaire 12 ans plus tard est la marque de respect que nous manifestions à nos professeurs. En effet, normalement nous arrivons en classe deux ou trois minutes avant le début de du cours. Nous nous assoyons alors à notre place. Quand le professeur fait son entrée en classe, nous nous levons tous.

 

Dès le début de l’année, je me rends compte que je n’ai pas les prérequis nécessaires en termes de connaissances et d’habiletés. Je n’ai jamais suivi un cours si ce n’est quand j’ai marché au catéchisme. À l’école, comme j’ai presque toujours été seul dans mon degré, je travaillais à mon rythme. J’exécutais dans mon cahier les travaux suggérés par l’institutrice. Là, il y a un professeur en avant de la classe qui peut parler pendant 50 minutes et qui a des connaissances poussées. Je n’arrive pas à me concentrer pendant tout ce temps et je décroche.

 

Il me faut apprendre à connaître mes professeurs d’Éléments-Latins C : les abbés Martin Proulx, en français, arithmétique et histoire qui est aussi titulaire, Léopold Boulanger, en latin, catéchisme et solfège, Réal Lamontagne, en anglais, Louis-Georges Lamontagne, en sciences naturelles. Ce dernier a fondé quelques années plus tôt la colonie de vacances appelée Camp Cap-à-l’Orignal, camp où j’ai été moniteur.

 

Quel contraste avec l’année précédente ! À l’école du rang 5, j’avais une enseignante de 19 ans qui avait huit ans de scolarité. Elle enseignait toutes les matières et me livrait des explications au plus 5 % du temps. Au Séminaire, j’ai quatre professeurs masculins prêtres qui ont plus de 25 ans et au moins 19 ans de scolarité. Ils enseignent un nombre limité de matières et donnent des cours magistraux plus de 95 % du temps. En outre, il y a une nouvelle matière : le latin. C’est une adaptation démesurée que je dois assurer rapidement pour ne pas prendre un retard insurmontable.

 

Par ailleurs, vu mon âge, je n’ai pas encore atteint complètement le stade abstrait. Par exemple, le professeur de français parle abondamment de la Chanson de Roland, un poème du 12e siècle qui raconte les exploits d’un chevalier du nom de Roland s’en allant en guerre. Pour moi, c’est une chanson composée par un monsieur du nom de Roland. À partir de cette prémisse, je suis incapable de comprendre l’analyse du professeur concernant ce texte.

 

Le latin semble rébarbatif. Il faut apprendre par cœur plusieurs notions. Il n’y a pas d’article en latin comme le, la, les en français. Le mot est décliné selon sa fonction dans la phrase. Par exemple, si on dit : la rose est belle, on traduit la rose par rosa. Si on dit : le jardin de la rose, on traduit de la rose par rosae. Si on dit : j’aime la rose, on traduit la rose par rosam. Il y a six cas de déclinaisons : nominatif, vocatif, génitif, datif, ablatif et accusatif.

 

Évidemment, il y a beaucoup de positif. Les cours sont intéressants. Les connaissances pleuvent sans arrêt. Je réussis quand même à tirer mon épingle du jeu. À mesure que l’année avance, je me sens plus en confiance, sauf en anglais.

 

Le directeur spirituel

Quand on entre au Séminaire, les autorités recommandent de choisir un directeur spirituel. C’est un prêtre à qui nous devons faire confiance pour nous conseiller dans des moments difficiles et pour nous aider à traverser les épreuves de notre nouvelle vie, le tout dans une atmosphère amicale. On nous incite à aller voir ce directeur spirituel au moins une fois par mois, ou sinon au besoin. On peut le faire pendant les études.

 

On nous donne une liste de directeurs spirituels qui ont accepté cette fonction. Je choisis l’abbé Hervé Beaulieu qui est le plus jeune du groupe. L’abbé Beaulieu est décédé en 1958 à l’âge de 60 ans. Dans sa courte biographie après sa mort, l’archiviste du diocèse de Rimouski a écrit : « Ce sont surtout les jeunes qui le regrettent parce qu'il était pour eux un ami véritable et un conseiller éclairé. En effet, il avait reçu, comme saint Jean Bosco, le don de s'attirer les adolescents et de savoir leur parler. »

 

Les douches

Une semaine après la rentrée, on nous informe que désormais il sera obligatoire de prendre sa douche de façon hebdomadaire. Plusieurs élèves comme moi sont un peu réticents car ils n’ont jamais pris de douche. À la maison, en particulier chez les cultivateurs, l’eau courante provient d’une fontaine qui ne fournit pas suffisamment d’eau pour installer un bain ou une douche. L’hygiène s’y fait donc au moyen d’une débarbouillette souvent à l’eau froide.

 

Au Séminaire, derrière la salle des vestiaires se trouvent une trentaine de douches. Les maîtres de salle y ont affiché l’horaire de chaque groupe d’élèves. Cela est prévu à une récréation de l’avant-midi ou de l’après-midi. Lorsque notre tour arrive, nous nous présentons dans la cabine qui nous a été désignée. Après s’être dévêtu dans la première partie, nous tirons le rideau et nous aboutissons dans la partie où se trouve la pomme de douche. À cet endroit, il n’y a pas de poignées pour ouvrir ou fermer l’eau.

 

À l’entrée, le maître de salle surveille les présences. Quand il pense que tous les élèves sont prêts, il active les poignées qui contrôlent le débit d’eau de l’extérieur. Inutile de dire qu’il y a souvent des cris en rafales quand ce dernier laisse passer trop d’eau chaude ou encore trop d’eau froide.

 

La nourriture

La nourriture, étant préparée en grande quantité, n’est pas toujours excellente. Le menu du matin est constitué de gruau, de céréales comme du corn flakes, de rôties, du beurre de pinottes et d’un café fait à base de pains légèrement brûlés.

 

Pour le dîner et le souper, on peut compter sur du hachis, de la fricassée, du chiard, du macaroni, des fèves au lard, des oreilles de Christ (un baloney tordu par la cuisson), de la sauce aux effaces (sauce parsemée de boudins), de la sauce aux poignées de portes (sauce blanche avec des œufs), des semelles de bottes (steaks durcis), du ragoût de boulettes, des fèves au lard, des sardines, etc. Pour le dessert, on nous sert des fruits cuits comme des pommes, des fraises ou des raisins, des petits puddings, des grands-pères, de la gibelotte, des brioches, du gâteau, etc. Un deuxième service existe pour le mets principal et il est ouvert à volonté.

 

En plus des élèves du Séminaire, ceux des écoles affiliées prennent leur repas dans la même cafétéria. Les Sœurs de la Sainte-Famille, secondées par des jeunes filles célibataires, servent à peu près 3000 repas par jour. Elles disposent autour de 50 sous par repas par élève, ce qui va chercher environ 1500 $ par jour. On estime qu’il faut, par année, 400 boîtes de beurre, 8700 brioches, 2000 livres de bœuf, 1000 livres de porc, 100 000 quarts de pain et un demi-million de moyennes patates.

 

Une bonne partie de la nourriture parvient de l’École d’Agriculture, notamment les œufs, les légumes, les pommes de terre, le lait et la viande. Lors de ma première année, on voit, en hiver, des traîneaux tirés par des chevaux qui passent dans la cour de récréation. Ces traîneaux transportent des quartiers de bœufs et de porcs de même que des bidons de lait et des œufs.

 

Le souper du dimanche est spécial. Car il faut que les travailleuses se reposent un peu. Certaines années, le mets principal est constitué d’une sauce au chocolat peu sucrée et cuisinée maison. Lors d’une année, le dimanche midi, nous mangeons avec appétit du poulet et des frites. Il est certain que cette année-là la religieuse qui était cuisinière en chef a dépassé son budget, à moins qu’elle ait économisé ailleurs.

 

Toutefois, des rumeurs courent de temps à autre qu’un élève obtient une portion supérieure aux autres parce qu’il connaît la jeune fille qui fait le service. D’ailleurs certains usent de signes convenus comme une bague pour se faire reconnaître.

 

Les nuits au dortoir

On n’a pas à faire nos lits le matin. Des filles triées sur le volet s’occupent d’entretenir les lieux et d’avoir soin de la literie qui est fournie. Pendant les premières nuits, le sommeil est plutôt léger. On entend des bruits bizarres. Les rêves ne sont pas toujours silencieux. Parfois, des odeurs nauséabondes vicient l’air ambiant et persistent à cause d’une aération insuffisante. D’autres fois, une toux prolongée se fait entendre. Heureusement, dans l’insouciance de la jeunesse, cela ne me perturbe pas.

 

Environ une semaine après la rentrée, je suis réveillé en sursaut. Une main joue dans mes cheveux. C’est mon voisin de tête qui s’amuse à mon détriment. Il finit par me tirer les cheveux. Je grogne doucement, puis un peu plus fort. De peur probablement d’être débusqué, il lâche prise. J’ai de la difficulté à me rendormir. « Que dois-je faire, me dis-je, dans une telle situation ? Il n’est pas question de référer aux maîtres de salle et s’il persistait, que ferais-je ? » Il continue son manège pendant les trois ou quatre nuits suivantes, puis il abandonne. Je suis soulagé.

 

Quelques semaines plus tard, une nuit, je pisse au lit. En me levant le matin, je cache prestement le délit en remontant les couvertures. Je ne veux pas qu’un autre élève voit ce désastre liquide. Il ne se passe rien ; mais je suis inquiet. Pas longtemps après, à mon grand désarroi, je récidive. Quand j’arrive le soir à mon lit, une immense toile recouvre le matelas. J’ai dû coucher quelques nuits sur cette alèse. Mais, j’ai eu ma leçon. Cela ne s’est plus jamais reproduit.

 

Plus tard, pendant la saison du hockey, surtout le samedi soir, les nuits sont plus agitées. Quelques élèves ont un radio-cristal et peuvent suivre les parties en cachette. Quand le Canadien compte un but, on peut entendre des cris étouffés. Certains jeunes qui n’ont pas la chance d’être si bien équipés se lèvent et se dirigent vers les bruits pour savoir qui a scoré.

 

Sommeil à l’étude

Les maîtres de salle ont tous leur façon de faire et leur tempérament propre. L’un d’eux surveille l’étude du matin, immédiatement après le lever. Il lui arrive assez souvent de dormir la tête couchée sur son bureau qui est sur une estrade. Un matin, il entend marmonner et se réveille. Il se lève la tête et identifie un élève qui parle. Il s’approche à grands pas de l’élève fautif à qui il décoche une de ces tapes à la figure. Par la suite, notre abbé a pu continuer à dormir quand il le voulait ; ce fut toujours le grand calme dans la salle d’études.

 

Les sorties en ville

Les sorties en ville en solo ne sont pas permises. Seulement dans des cas urgents, le premier maître de salle peut donner cette autorisation. Pour réduire ces possibilités, un élève est nommé commissionnaire. Chaque midi, il va en ville et peut acheter certains articles non vendus au Séminaire comme un canif, du linge, des biscuits, des fruits, du beurre de pinottes, du pain, etc. En tout temps, il doit respecter une liste d’articles qui ont été approuvés par les autorités.

 

Il n’y a jamais de collation au Séminaire. On peut acheter des brioches à un petit magasin géré par les élèves. Ceux dont la faim est insatiable peuvent avoir recours au commissionnaire.

 

Visite du cardinal Léger

À la fin de septembre, le cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal, est reçu en grandes pompes au Séminaire par l’archevêque et tout le clergé. Je suis un peu éberlué par ses habits cardinalices. On le considère comme le Prince de l’Église. C’est le roi des rois. Il règne sur le diocèse de Montréal.

 

Antérieurement, j’avais vu le prêtre à l’église revêtir des ornements sacerdotaux d’une autre époque, mais c’est la première fois que je vois un clerc se présenter en public dans une tenue qui me semble exagérée. Je me demande même si ce cardinal bien-aimé est un humain.

 

Le cardinal Léger donne deux causeries. Ses propos semblent plus modernes que ceux de l’archevêque de Rimouski. Il donne quand même une impression de puissance et de noblesse. C’est l’époque où le clergé se comporte en aristocrate et ne se gêne pas pour s’immiscer dans les pouvoirs temporels. Bref, l’Église contrôle entièrement la vie des gens dans les moindres détails ou presque.

 

Probablement pour ne pas qu’on l’oublie, dans sa dernière intervention, il donne un congé de classe. On ne refuse jamais ce cadeau.

 

La lecture

Quand j’étais à la maison, je lisais et relisais les livres que l’inspecteur d’écoles m’avait donné au cours des années. Derrière mon local de classe d’Éléments latins C, il y a des livres dans des bibliothèques. On peut en prendre comme on veut. Je lis surtout des bouquins qui présentent des contes et légendes de différents pays. Mais, à la longue, je voudrais d’autres genres de livres principalement provenant d’auteurs québécois. À cette époque, les livres québécois sont peu à la mode si bien que je me lasse de lire. Il y a aussi une autre raison. Je suis enseveli par les connaissances qui nous sont versées en classe. Je consacre principalement mes énergies à reprendre le temps perdu.

 

Un exemple : la bicyclette. Quand j’étais plus jeune, j’aurais voulu avoir une bicyclette, mais ce ne fut pas possible. Non seulement je n’ai pas eu de bicyclette, mais je n’en ai jamais touché une. Or, en feuilletant un manuel scolaire, je vois le dessin d’une bicyclette avec tout le vocabulaire pour chacune des pièces. Je suis estomaqué. Je ne connais qu’un très petit nombre de mots comme roue, selle. Pour moi, c’est le symbole que je ne pourrai jamais réussir mon cours classique. Je suis trop en retard dans mes connaissances.

 

Octobre 1953. Un rejet douloureux

Lors de la récréation du soir, en partie dans la noirceur, le sport d’équipes le plus pratiqué est le drapeau. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais participé à un sport organisé. Je me contente d’abord de regarder jouer principalement pour apprendre les règles du jeu. Enfin, je me lance. Ma performance est très médiocre.

 

Le soir suivant, je me présente à nouveau. On compose deux équipes avec les volontaires présents. Je suis le dernier choisi. Je suis humilié et je me sens rejeté. Mon estime de soi est douloureusement atteint. Je dois accepter cette situation parce que je n’ai pas été très performant.

 

Tout en pleurs

Dans la salle de récréation sur le mur ouest, il y a des vestiaires où les maîtres de salle entreposent notamment leurs vêtements de pluie, leurs  bottes et leurs vêtements d’hiver. Non longtemps après la rentrée, nous sommes trois ou quatre élèves à fraterniser avec ces surveillants quand soudain l’un d’eux ferme la porte de son vestiaire. J’avais les doigts non loin et ils ont été coincés. Je me mets à pleurer.

 

Je m’éloigne. D’autres élèves mes suivent sans dire un mot. Je réalise soudain que je suis tout en pleurs et je me demande pourquoi je suis dans cet état. En un éclair, je cesse cette comédie. Je viens de passer de l’enfant à l’adulte.

 

Communication par lettres

À l’entrée de la salle d’études, il y a une boîte où nous devons déposer nos lettres. Le directeur des élèves nous recommande d’écrire au moins une fois par mois à nos parents. L’enveloppe ne doit pas être cachetée. De temps à autre, j’écris à ma mère. Je ne peux pas m’adresser à mon père parce qu’il ne sait pas lire.

 

Dans mes lettres, j’en profite pour décrire quelque peu ce que je vis au Séminaire et pour demander quelques sous. Au retour, ma mère place dans l’enveloppe un billet ordinairement d’un dollar, me disant qu’elle aurait voulu m’en envoyer plus mais qu’elle n’en avait pas les moyens. Il en coûte alors quatre sous pour un timbre.

 

Sur conseil de ma mère, j’écris une lettre à Mgr Charles-Eugène Parent, archevêque de Rimouski, en vue d’obtenir une bourse d’études de 100 dollars dispensée par l’archevêché. Peut-être que ma mère avait déjà communiqué avec lui et qu’il avait exigé que j’en fasse moi-même la demande ? Je serais porté à le croire. D’ailleurs, ma mère connaissait bien Mgr Parent parce qu’elle avait fréquenté la même école que lui à Saint-Mathieu-de-Rioux, soit l’école modèle dans les années 1910.

 

Après quelques brouillons d’un jeune de 12 ans, je me décide à transcrire ma lettre à la plume. Une fois l’écriture terminée, je mets la lettre dans une enveloppe timbrée que je dépose dans la boîte prévue à cet effet. Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, quelques jours plus tard, ma lettre où le directeur des élèves avait corrigé mes fautes et me demandait de la reprendre. En même temps, il m’indiquait qu’il n’était pas nécessaire de mettre un timbre parce que le courrier était livré de main à main à l’archevêché. Je suis surpris de cette intrusion dans mon intimité et même un peu vexé. Je prends mon courage à deux mains. Je réécris la lettre en soignant mon écriture. J’obtiens la bourse de 100 $ qui me sera versée à chacune des huit années d’études dans cette maison d’éducation.

 

Dans toutes ces années au Séminaire, soit de 1953 à 1961, je ne reçois jamais d’appel téléphonique de ma mère. On communique toujours selon la méthode éprouvée, soit par la poste. Quand je suis informé de la date de sortie pour un congé, j’écris à ma mère.

 

Il y a des petits futés qui contournent le règlement en confiant leurs lettres à des externes qui les déposent au bureau de poste : ce que personnellement, je ne fais pas. On comprendra que ce n’est pas alors une lettre à leurs parents. Certains livres ou revues aussi entrent par cette filière, mais c’est une complicité dangereuse car les maîtres de salle ont les yeux à l’affut pour détecter livres ou revues à l’index.

 

La fête du Supérieur

La grisaille automnale est atténuée par la fête annuelle du Supérieur du Séminaire. J’apprends vite qu’il est vu comme un Dieu. Depuis le début d’octobre, des élèves préparent cette fête sous la supervision de prêtres qui ont une affinité certaine avec tout ce qui est culturel.

 

Le 21 octobre, en après-midi, comme les autres, je passe une brosse sur ma redingote. Je me peigne les cheveux. Je vais assister pour la première fois de ma vie à des vêpres pontificales. J’ai hâte de voir le spectacle pour vérifier ce qui différencie celui-ci des vêpres ordinaires. À 16 h 30, à la chapelle, je reconnais Mgr Parent qui préside la cérémonie. Je comprends que ces vêpres sont ainsi appelées à cause de l’archevêque. Encore une fois, les habits sont surréalistes.

 

Au souper, un menu spécial : jambon, gâteaux et bonnes fraises. C’est probablement peu par rapport au menu des prêtres à leur réfectoire.

 

Le soir, il y a un spectacle organisé par les élèves où se côtoient chants, musique et présentations d’hommages. Le Supérieur donne un congé pour le lendemain. Ceux qui le peuvent ont la permission d’aller dans leurs familles, soit de faire l’aller-retour en une seule journée. À défaut, on peut aller faire un tour en ville. Pour ma part, je me contente de rester au Séminaire et de faire mes premiers pas au billard.

 

Novembre 1953. Jour du Souvenir

C’est le mercredi 11 novembre, journée où on souligne la bravoure des soldats canadiens morts au combat lors des deux guerres mondiales. Je ne suis pas au courant du fait que la cérémonie commémorative est boudée par plusieurs Québécois étant donné qu’on associe l’armée canadienne aux anglophones, soit à l’Empire britannique.

 

Lors de la récréation de l’avant-midi vers 10 heures 30, je suis demandé au parloir. Je m’y précipite anxieux de savoir qui vient me visiter. C’est d’ailleurs mon premier appel au parloir depuis le début de l’année et ce sera mon dernier pendant les six premières années d’études au Séminaire.

 

Je suis accueilli par mon oncle Léo Théberge et ma tante Lucie. Ils me disent : « Aimerais-tu venir avec nous à la cérémonie du Jour du Souvenir ? »

 

À la fois surpris et content, j’acquiesce mais j’ajoute que je devrais demander la permission au directeur des élèves. Ils me répondent que cette permission a déjà été accordée.

 

Je me rends donc avec eux et leur fils Clovis devant le monument des Vétérans sur l’avenue de la Cathédrale. Il y a là des hommes d’une soixantaine d’années vêtus d’uniformes. On me dit que ce sont des vétérans de la Première guerre mondiale.

 

La cérémonie commence à 11 heures. Il y a de brefs discours et un dépôt de gerbes de fleurs au pied d’un monument. Comme je ne suis pas très grand, je ne vois pas tout ce qui se passe. Mais je m’interroge sur la signification de cette cérémonie. Je sais seulement que la Première guerre mondiale était terminée depuis 35 ans et la Seconde depuis huit ans.

 

J’ais séché un cours pour la première fois au Séminaire avec la permission du directeur, l’abbé Gérard Cayouette.

 

Une mauvaise expérience

En anglais, je vis une expérience pénible. Le professeur veut vérifier notre connaissance de la prononciation des lettres en anglais. La question posée, il me pointe du doigt le premier. Je commence é, bi, ci, di, ... en une prononciation très approximative. À partir de g, j’émets des sons bizarres et à j, je suis incapable de continuer. Là, un éclat de rires s’abat dans la classe. Le prof, au lieu de réprimer cette avalanche, se met à ricaner lui aussi. C’est un choc terrible pour moi. L’émotion prend le dessus, mes oreilles se ferment et je perds le goût pour l’apprentissage de l’anglais.

 

Mes résultats scolaires

Dans le premier bulletin en novembre, mes résultats scolaires ne sont pas très bons, même très décevants. Je suis au début du troisième tiers. Depuis le début de l’année, je montre plusieurs carences en connaissances de base. Je prends la résolution de mieux faire à l’avenir.

 

Décembre 1953. Un coup de poing

Sous la supervision d’un maître de salle, certains élèves parmi les plus habiles ont aménagé une glissade qui suit une partie du contour de la cour de récréation et de la patinoire. Une tour a été construite d’où se fait le point de départ. Quelques jours avant Noël, comme d’autres, je m’installe le long de la glissade. Un de mes confrères me contourne et se place tranquillement devant moi. J’essaie de reprendre ma position. Il se tourne vers moi et m’assène un de ces coups de poings en plein menton. Ses mitaines de bûcherons en cuir durci et à manchettes frappent fort. Je le prends à bas le corps et nous voilà tous les deux couchés dans la voie où le traîneau doit passer.

 

Du haut de la tour, on nous crie de dégager. Je suis tellement choqué que je ne réagis pas à leurs exhortations. Je tente de le frapper. Je veux me venger. Finalement, des confrères nous séparent. Heureusement, à ma connaissance, les autorités du Séminaire n’ont pas été informées. Toutefois, cet élève n’est pas revenu après les Fêtes.

 

La guignolée

C’est le 20 décembre 1953, le dernier dimanche avant Noël. Mon cœur est en effervescence parce que dans trois jours ce sera le départ vers la maison. Comme j’arrive à la salle de récréation après le dîner, un inconnu bien habillé, accompagné par un maître de salle, m’accoste. Il me demande si je veux bien quêter pour la guignolée. Je dis oui tout en demandant ce que je vais faire. Je ne sais pas ce que c’est la guignolée, mais je suis trop gêné pour le demander. J’ai peur de passer pour un ignorant.

 

L’inconnu me donne un bas rouge. Il me dit : « Tu vas passer par les maisons et tu vas leur demander quelques sous pour les pauvres. » Il regarde ses papiers et continue : « Tu vas aller sur la rue Ste-Marie, celle derrière la meunerie du Séminaire à quelques pas d’ici. Il y a là une dizaine de maisons. Reviens me voir quand tu auras terminé. »

 

Je suis heureux de faire cette expérience, mais je suis très mal à l’aise, n’ayant jamais posé de tels gestes dans le passé. Dès la première maison, voyant sans doute ma redingote sous mon manteau d’hiver et ma taille loin d’être menaçante, les occupants sont très réceptifs et versent quelques pièces de monnaie dans mon bas rouge. Après avoir atteint le bout de la rue, je reviens donner le bas à l’inconnu qui me remercie.

 

Triste décembre

Le mois de décembre se passe à compter les jours avant les vacances des Fêtes. À la chapelle, durant le temps de l’Avent, on chante souvent : Venez, divin messie dont le refrain est :

 

Venez divin messie

Sauvez nos jours infortunés

Venez source de vie

Venez, venez, venez.


Au lieu de prononcer « divin messie », on chante à l’unisson « divines vacances ». Le premier couplet est très significatif pour nous.

 

Ah! descendez, hâtez vos pas

Sauvez les hommes du trépas

Secourez-nous ne tardez pas

Dans une peine extrême

Gémissent nos cœurs affligés

Venez beauté suprême

Venez, venez, venez.

 

La vie est pénible pendant cette période. Nous n’avons pas vu nos parents depuis septembre. Il n’y a pas eu de congé, comme le veut la tradition. Pour moi comme pour la plupart de mes confrères, c’est la plus longue période sans goûter à la chaleur familiale. La morosité augmente de jour en jour. Le jour précédent le départ en vacances, les autorités ont pensé nous  distraire en présentant une soirée d’amateurs ponctuée de chants, de saynètes et de déclamations.

 

Je me vois encore sur ma chaise droite regarder le spectacle en me posant des questions. Pourquoi personne ne m’a informé qu’une telle séance aurait lieu ? Pourquoi personne ne m’a demandé ma participation ? Je remarquai alors que la plupart des participants provenait des villages. « Probablement, me dis-je, que ces confrères ont déjà monté dans leur couvent des spectacles organisés par des religieuses. »

 

Ce qui fut le clou de la soirée, c’est une saynète inspirée de Perrine était servante, une chanson interprétée par les Compagnons de la chanson. Les paroles sont illustrées soit par des gestes soit par des danses. Voici une partie de l’histoire en abrégé : « Perrine était servante chez Monsieur le Curé. Son amant vint la voir un soir après l'dîner. « Perrine, ô ma Perrine, j'voudrais bien t'embrasser. » « Oh! grand nigaud que t'es bête. Ça s'fait sans s'demander. » « V'là M'sieur l'curé qu'arrive. Où j'va t'y bien m'cacher? » « Cache-toi dedans la huche. », etc.

 

Vers la maison

Enfin, le jour tant attendu est arrivé. Je prends le train. En passant dans un wagon, je vois ma sœur Suzanne, étudiante à l’école Normale de Mont-Joli. Elle jase avec ses compagnes de classe. Elle me fait signe de passer outre : ce que je fais avec surprise et une certaine frustration. Je réussis à me tailler une place assise. Heureusement, car plus tard il m’est arrivé d’être obligé de faire le trajet dans le wagon à bagages.

 

Quand j’arrive au foyer paternel, je trouve la maison très petite d’autant plus que je trouve le plafond est très bas. Je me demande comment 10 personnes peuvent vivre parfois des journées entières dans ce réduit.

 

Décembre 1953. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 24,78 $.

 

Janvier 1954. Un scandale

C’est le dîner du jour de l’an chez grand-père Théberge au village. Après le repas, les femmes font la vaisselle, tandis que les hommes fument tranquillement leur pipe ou leur cigarette. Quand le ménage est terminé, les femmes s’en vont dans le haut-côté. Je reste avec les hommes dans la cuisine de l’oncle Georges.

 

Comme je n’ai personne avec qui parler, je m’ennuie. Je m’assois près de la fenêtre et je regarde les gens qui passent. Je vois des jeunes, paire de patins en bandoulière, se diriger vers la patinoire. Je les trouve chanceux et je les envie. Ma mère ne nous aurait jamais permis de quitter la maison en ce jour de fête.

 

À un moment donné, je vois un trio d’adultes. Un homme et une femme marchent bras dessus bras dessous. Un deuxième homme est derrière eux et s’avance la tête baissée. Je ne les connais pas. Mais quelqu’un d’autre les a vus et les a reconnus. Les conversations s’arrêtent. On a devant nos yeux le scandale de la paroisse.

 

La femme qui marche est Georgette (nom fictif). L’homme qui la tient par le bras est le propriétaire de l’hôtel Croteau situé au lac Saint-Mathieu. Il demeure à Trois-Pistoles. Georgette travaille à cet endroit. L’homme qui marche derrière est le mari de Georgette.

 

Une telle scène dans les années 2000 passerait inaperçue, mais à cette époque, alors que le divorce est honteux et répudié par les curés, c’est un scandale. Dans la cuisine, les quolibets fusent de toutes parts. Non seulement Georgette trompe son mari, mais elle s’affiche publiquement. D’ailleurs, à l’instar de l’Église et sans connaître ce qui s’est vraiment passé, tout le monde sait (!) que c’est de sa faute si un nouvel homme est entré dans sa vie. Le curé a dû être scandalisé quand il a vu passer le trio devant son presbytère.

 

Personnellement, je regarde la situation. Je compatis avec le mari, mais j’ai de la difficulté à comprendre la réaction de ces hommes qui parlent de l’enfer, mais pour qui, vous pensez ? Évidemment (!) pour la femme, cet objet de perdition, comme on dit.

 

Retour au Séminaire

Quand le congé des Fêtes est terminé, il faut retourner au Séminaire. Mon père me conduit en voiture à cheval au village. De là, avec d’autres jeunes de la paroisse, nous embarquons dans un snow pour nous rendre à la gare ferroviaire de Saint-Simon. Nous prenons alors le train pour Rimouski.

 

Avant de partir de la maison, ma mère me recommande de passer voir monsieur le curé. L’abbé Alfred Bérubé me reçoit avec gentillesse. La visite ne dure que deux ou trois minutes. Toutefois, avant de partir, il me flanque une de ses tapes sur la joue gauche. J’en suis abasourdi. Je ne comprends pas son geste et j’en suis humilié. Lors de la visite suivante, dans les mêmes circonstances, je suis plus prudent et me tiens le plus loin possible de lui. Il réussit quand même à reproduire son geste. C’est la dernière fois que je suis allé le saluer. Quand ma mère me signifie une prochaine visite chez lui, je lui compte les deux incidents. Elle n’insiste pas.

 

Dès les premiers jours de janvier, on nous signifie que 1954 a été décrétée année mariale. Soit une année dédiée à Marie, la mère du Christ. Une statue de la sainte Vierge se promène dans les classes au Séminaire. Une procession d’élèves qui chantent les litanies accompagne la statue d’une classe à l’autre. Dans la classe visitée, au début de chaque cours, les élèves récitent une dizaine de chapelet et un cantique.

 

Février 1954. De l’intimidation

Un mois après le retour des vacances des Fêtes, l’un de mes confrères me remarque. J’ai 12 ans. Il en a 14. Quand nous entrons dans la salle des vestiaires, il s’agrippe à moi, me jette par terre et me maintient dans une position horizontale en me demandant pour être libéré de dire : « Pardon, mon oncle ». Les confrères passent à côté de nous et personne n’intervient.

 

Je suis loin d’avoir sa force. Quand je lui demande pourquoi il fait ça, il me donne une tape par la tête. Je finis par céder et je lui demande pardon. À la longue, cela m’ostracise. J’éprouve des sentiments de détresse. Je n’ose pas me plaindre aux maîtres de salle car j’ai peur de la réaction de mon intimidateur. Je ne demande à personne de me défendre.

 

Je me contente de le surveiller pour ne pas être en sa présence dans les vestiaires. Il réussit à m’agripper deux ou trois fois par semaine. Je me demande bien ce qu’il recherche, car il ne me touche jamais aux parties génitales. Après deux mois de ce manège, l’intimidation cesse sans que je sache pourquoi.

 

Mars 1954. Visite à un bienfaiteur

Dans sa dernière lettre, maman me demande d’aller faire une visite à l’abbé Élie Beaulieu qui réside à l’archevêché. À ce moment, tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est parent avec ma mère du côté de grand-mère Marie-Luce Ouellet. Je ne sais pas pourquoi ma mère me demande d’aller le voir.

 

Un soir, après le souper, je me rends à l’archevêché sans rendez-vous. Je sonne à la porte. Quelqu’un me reçoit et informe l’abbé Beaulieu de ma visite. Ce dernier vient à ma rencontre et, dans l’entrée de l’archevêché, s’assoit dans une chaise qui est surnommée la chaise des quêteux, comme je l’apprendrai plus tard. Je reste debout. Il me pose différentes questions. Je réponds brièvement. La visite dure au plus une dizaine de minutes.

 

Si au moins j’avais su pourquoi ma mère voulait que j’aille le visiter. J’ai lieu de croire aujourd’hui que ce prêtre était un de mes bienfaiteurs c’est-à-dire qu’il donnait un certain montant pour ma pension au Séminaire. Ma mère n’a jamais voulu me confirmer cette hypothèse.

 

Une remarque blessante

Notre professeur principal qui d’habitude est nuancé dans ses propos fait une remarque désobligeante. Il raconte l’histoire d’un ancien élève qui peu doué s’était mis les pieds dans les plats. Pour conclure, il lance : « On aurait dit qu’il venait du 22e rang de Saint-Marcellin. »

 

Je pense tout de suite à mes origines modestes. Je conclus que, selon lui, les jeunes des campagnes vivent dans des coins reculés, qu’ils ne sont pas très brillants et qu’on devrait les exclure des gens de bonne condition. Je suis choqué et déçu de constater que même un prêtre peut avoir des préjugés sur les habitants de la campagne.

 

2 avril 1954. Une nouvelle bouleversante

Nous sommes en rang dans le corridor à l’entrée de la cafétéria. Je vois sortir Rémi Thibault avec un maître de salle. Il semble bouleversé. Il vient d’apprendre que sa mère est décédée à la suite d’un accouchement. Sa mère, c’est ma tante, la sœur de mon père. Je suis consterné.

 

De temps à autre, dans notre bulle, nous sommes confrontés à des événements semblables qui surviennent à l’extérieur. Chaque fois, cela nous rappelle que la vie continue en dehors de nous.

 

Mai 1954. Bang au billard

C’est un mercredi, un après-midi de congé, je regarde mes confrères jouer au billard. L’un d’eux casse avec toute la vigueur d’un jeune adolescent. Bing, bang, la balle ne se contente pas d’éparpiller les balles. Elle sort de la table et, avec une force incroyable, elle m’atteint en plein front. Le choc m’ébranle à ce point que je tombe par terre. Je me relève. Les confrères sont inquiets pour moi. Ils me conseillent d’aller à l’infirmerie.

 

Je n’ai aucune douleur. Mon équilibre demeure parfait. À l’époque, on ne parle pas de commotion cérébrale. Par précaution, je me rends voir M. Plourde. Celui-ci, subito presto, me renvoie à la salle de récréation.

 

Pèlerinage à Sacré-Cœur

Dans le cadre de l’année mariale, un pèlerinage est organisé vers l’église du Sacré-Cœur pour les congréganistes de la Sainte-Vierge. Le dimanche 2 mai, le déplacement se fait à pied à partir du Séminaire en récitant le chapelet et en chantant des cantiques à la Vierge. Je fais partie des pèlerins.

 

À l’église, je suis placé dans le banc d’en avant du côté sud. C’est le curé Louis-David D’Auteuil qui passe la quête. Quand la tasse s’arrête devant nous, cet homme de 73 ans nous lance : « Vous êtes dans le banc des marguilliers. » Nous avons un moment de recul ne voulant pas être des intrus et ne connaissant pas exactement son intention. Je suis quand même surpris qu’un prêtre fasse la quête et qu’en plus il se permette de parler fort pendant la messe.

 

On sent bien qu’il est chez lui. En effet, il est curé de cette paroisse depuis 25 ans et il le sera encore sept ans.

 

Juin 1954. Conversations défendues

La cour de récréation de la Petite salle est bornée à l’est par un terrain appartenant à la ville de Rimouski sur lequel a été construite la prison. Le gardien, un Monsieur Nelson, demeure avec sa famille dans une maison qui fait partie de l’édifice pénitentiaire. À l’occasion, on peut voir les enfants du gardien jouer dans la cour et aussi des prisonniers qui y travaillent.

 

Un jour, mes regards sont attirés par des jeunes hommes qui sont en train de préparer le jardin de la prison. Avec quelques confrères, je m’approche de cette grille pour voir les prisonniers qui bêchent le jardin. L’un des prisonniers vient nous voir. Il nous exprime la hâte qu’il a d’avoir fini de purger sa peine dans quelques mois. Nous engageons la conversation. Celui-ci nous fait un parallèle entre notre état et le sien. Il nous dit : « Vous êtes prisonniers autant que moi. » Je trouve ça charmant même si je sais bien qu’il y a une différence entre lui et nous. Puis finalement, un maître de salle vient interrompre la conversation. Il est probable que le directeur de la prison a été informé de cet incident parce plus aucun prisonnier ne s’est avancé vers la grille par la suite.

 

Pique-nique

En juin, le pique-nique annuel arrive. C’est le conseil de classe qui organise cet événement. Leur tâche : acheter des chips, de la liqueur, des friandises et ... des cigarettes. Un tel événement ne pourrait pas exister sans cette dernière substance. Chacun a droit à une ou deux cigarettes. D’ailleurs, en tout temps, les cigarettes sont vendues dans un local qui est dans un coin de la salle de récréation : deux cigarettes pour cinq sous.

 

Après le dîner, on se dirige vers le Bois à Pierrot (plus tard le Parc Lepage). L’après-midi est consacré à participer à certains jeux comme le drapeau, à se lancer des balles, à se reposer au soleil ou encore à écouter les musiciens en herbe de la classe qui n’ont pas hésité à apporter leur instrument de musique. Des chants, des histoires constituent aussi le menu de cet après-midi qui passe trop rapidement.

 

Les professeurs viennent nous visiter. Ils s’amusent gaiement à participer aux activités et à nous faire voir leur performance sportive, d’autant plus que la plupart sont dans la vingtaine. Ils sont un élément d’attraction. Comme on leur parle très peu en dehors des classes, ils en profitent pour nous faire voir un côté inconnu en racontant des blagues ou des expériences vécues.

 

Le menu du souper consiste en les traditionnelles fèves au lard. On revient au Séminaire quand la noirceur commence à s’installer.

 

Mes résultats scolaires

Au début de l’année, dans ma cohorte, le Séminaire a accueilli 158 nouveaux élèves. L’écrémage se fait assez rapidement. Environ 50 ont quitté en cours de l’année ou ne reviendront pas en septembre. Les raisons sont variées. Certains n’ont pas la préparation adéquate et sont déboussolés par les cours magistraux. D’autres manquent d’intérêt pour les études. D’autres sont brimés par la formule du pensionnat. Leur désir de liberté est exacerbé par l’impression d’être mis en cage. D’autres ne peuvent pas accepter le règlement, le considérant trop restreignant. D’autres enfin s’en­nuient de leur famille.

 

À la fin de l’année scolaire, je me classe 24e sur 39 élèves en Éléments-Latins C. Je ne suis pas habitué à me classer ainsi. J’avais passé mes quatre premières années du primaire seul dans mon degré. En sixième et en septième année, j’étais presque toujours le premier. De plus, je suis arrivé le premier de la paroisse au certificat de 7e année.

 

Cette première année est très difficile pour moi. J’ai une année de scolarité de moins que la majorité de mes confrères. Comme j’avais étudié pendant six ans dans une classe à degrés multiples, j’avais développé le sens de l’autonomie et de l’organisation, mais je ne suis pas habitué aux cours magistraux dans lesquels on apprend par la voix du professeur. Je manque donc de concentration. En outre, l’apprentissage se fait davantage par mémorisation ; tandis que moi je suis meilleur dans le raisonnement et le fait d’établir des liens entre les connaissances.

 

Dans l’ensemble, cette année-là, je suis heureux au Séminaire et je ne m’ennuie pas de ma famille. Je vis le bonheur d’apprendre et j’apprécie la fin de l’encadrement familial. À la mi-juin, les cours se terminent. En arrivant à la maison, j’apprends que Carmen a mis au monde un garçon, Alain. C’est mon premier neveu.

 

Été 1954. Des passe-temps

Je passe les vacances dans ma famille. Cette année, je n’ai pas d’emploi à l’extérieur. Quand il pleut, je consacre mon temps à lire ou à réaliser des cahiers de découpure. Un jour, je me réfugie dans le grenier. Je produis un petit journal de 8 pages à même une feuille standard pliée en 4. J’écris de courts articles et j’ai même une section de divertissements. Je prépare trois copies : une pour moi, une pour Pierre et une pour Raynald. Mes deux frères n’ont pas apprécié du tout mon initiative. J’ai abandonné.

 

Un autre jour, je décide de monter un spectacle. Je réunis des boîtes sur lesquelles je place une nappe de couleur pâle fabriquée avec des pièces de vieux linge. J’informe mes frères que je dirai une messe à telle heure tel jour. Malheureusement, personne n’est présent. La messe n’a jamais eu lieu.

 

Quelques jours plus tard, une surprise m’attend. Dans le grenier, je trouve un radio cristal. Je n’ai aucune idée d’où vient ce petit appareil, mais pendant la traite des vaches, je me réfugie dans le grenier et j’écoute la radio.

 

L’annuaire

Je reçois par la poste l’annuaire du Séminaire pour l’année scolaire qui vient de finir. C’est une surprise pour moi. Je ne savais pas qu’un tel document était publié chaque année. Je remarque que tous les noms des élèves y apparaissent. C’est la première fois, à ma connaissance, que mon nom apparaît dans un livre. J’en suis très fier. Au cours de l’année, mon nom était apparu dans le Centre St-Germain où on pouvait connaître les résultats scolaires des élèves du Séminaire. Cela me gênait parce que mes notes n’étaient pas très bonnes.

 

Mais là, dans un livre, c’est merveilleux. Petite déception, on a écrit Charles-Edmond au lieu de Charles-Édouard. En continuant ma lecture, une autre surprise m’attend. Mon nom apparaît comme étant un membre aspirant de la fanfare. Plus précisément, je suis en attente de jouer du cornet.

 

Que s’est-il passé ? Vers le mois de mars, j’étais allé rencontrer le directeur de la fanfare, l’abbé Charles Morin. Je lui avais signifié mon intérêt de faire partie de son groupe musical. Il m’avait répondu : « Je vais y penser ». Je ne suis jamais entré dans le local de pratique. J’ai encore moins touché à un cornet.

 

Je ne veux pas que ma mère prenne connaissance de ce fait parce que je n’avais pas demandé la permission . Alors, je cache l’annuaire dans ma chambre.

 

Argent disparu                                                                                                           

Je me présente à la Caisse populaire pour retirer de l’argent de poche. J’avais 22,58 $ dans mon compte. Je demande de retirer deux dollars et je présente mon carnet. Adrien Ouellet me regarde et me dit : « Il n’y a plus un sou dans ton compte. Ta mère a tout retiré, même ta part sociale de cinq dollars. » Je suis très déçu et frustré. J’avais ramassé cet argent sou par sou. Je m’étais privé pour atteindre ce montant. J’y vois une injustice. J’en parle à ma mère. Elle me répond qu’elle avait eu besoin de cet argent pour moi au Séminaire. Rationnellement, je comprends son geste ; mais, au plan émotif, je ne peux pas l’accepter. Surtout qu’elle avait agi sans m’en parler.

 

Travaux de la ferme

J’ai de la difficulté à m’habituer à la vie de famille. Pendant un an, j’ai vécu dans un encadrement à la fois rigide et large. En effet, l’horaire était strict ; mais, nous pouvions faire relativement ce qu’on voulait à l’intérieur de cet encadrement. J’accepte plus difficilement les ordres ponctuels de ma mère. Je suis en pleine crise d’adolescence.

 

Je n’aime pas les travaux de la terre ni le jardinage. J’aime la cueillette des fruits sauvages : fraises, framboises, bleuets, mais pas trop souvent. Quand la saison des petites fraises commence par exemple, mes sœurs, mes frères et moi sommes réquisitionnés par ma mère pour en faire la cueillette tous les jours sans pluie et cela même le dimanche.

 

J’envie les jeunes du village qui n’ont pas à travailler sur une ferme et qui peuvent se la couler douce pendant les vacances. Beaucoup plus tard, je serai fier d’être né à la campagne. C’est vrai, j’y ai travaillé pas mal. Mais, j’y ai respiré un air pur. J’ai fréquenté les forêts avec tous leurs mystères. J’ai connu les mœurs des animaux. J’ai vu les jardins fleurir. J’ai appris à vivre au rythme de la terre. Bien plus, j’ai vécu de nombreuses expériences de travail qui m’ont donné des compétences utiles dans la vie courante. Sans compter les précieuses leçons de la nature.

 

Je voudrais me dispenser des travaux qu’on me demande. Ma mère prend le temps de m’expliquer que tous les enfants doivent collaborer pour assurer la subsistance de la famille. Par ailleurs, devant mes frères et mes sœurs, je ne veux pas passer pour un paresseux. En même temps, quand je vois le travail énorme que ma mère affronte sans jamais rechigner, je ne veux pas lui faire de peine. D’ailleurs certains soirs, ma mère est tellement fatiguée qu’elle se couche à 19 heures. Un jour, je lui avais dit : « Maman, pourquoi vous vous couchez de si bonne heure ? C’est plate quand vous n’êtes pas là. » Je ne savais pas que ce jour-là elle s’était levée à 4 heures du matin pour aller travailler dans son jardin et qu’elle se cachait pour ne pas être vue quand les gros camions passaient.

 

Quand ma mère voit que nous sommes trop fatigués, elle nous donne congé. Mon père, qui est loin d’être pédagogue comme ma mère, ne se soucie pas de cela. Il semble croire que notre résistance au travail est comme la sienne. Il semble croire que nous sommes aussi en forme que lui, étant donné qu’il n’a jamais cessé, depuis son enfance, de travailler de ses bras.

 

Étant en crise d’adolescence, je me confronte aux demandes de ma mère. Celle-ci n’aime pas tellement ça si bien qu’elle commence à me dire : « J’ai hâte que tu t’en ailles au Séminaire. » Cette phrase m’atteint dans ma sensibilité et fait en sorte que je me sens rejeté. Déjà, à cause de mon absence de la maison, j’éprouve de la difficulté à m’intégrer dans la famille.

 

Depuis que je suis jeune, ma mère me dit souvent : « Lui, c’est mon prêtre. » Ceci me confère un statut particulier qui se traduit parfois en permissions spéciales. D’autant plus qu’à l’époque, le prêtre est considéré tout en haut de l’échelle sociale. Être prêtre, c’est avoir le pouvoir sur les gens, c’est diriger leur vie, c’est posséder la vérité, c’est toujours avoir raison, dans un contexte judéo-chrétien, c’est la certitude d’aller au ciel. Par ailleurs, le fait de me placer à ce niveau tend à éloigner mes frères et sœurs de moi et me fait prendre une responsabilité trop grande pour mon âge.

 

Disparition sournoise

Un beau dimanche de juillet, pour me distraire, je me mets à lancer une boule après la maison un peu comme à la balle au mur. Dans un moment de distraction, la boule disparaît dans la rangée des cerisiers qui bordent le jardin au nord. Il y a là, en effet, quatre cerisiers dont la vivacité laisse à désirer.

 

J’entre dans le jardin et, après une dizaine de minutes de recherche, je n’ai rien trouvé. On m’a déjà décrit un truc infaillible pour retrouver un objet perdu. Aux grands maux, les grands remèdes. Je sors mon chapelet de mes poches. Il est là, car on est dimanche. Je me ferme les yeux, j’étends mon bras et je fais deux ou trois tours sur moi-même. Le chapelet part. Double malheur, je ne trouve pas mon chapelet.

 

À la fois gêné et offusqué d’avoir perdu et ma boule et mon chapelet, j’ai dû changer d’idée sur l’infaillibilité de ce truc. Il ne fallait surtout pas que ma mère le sache, elle qui croyait aux vertus surnaturelles du chapelet.

 

Le sarclage des fraisiers

Depuis quelques années, ma mère récolte des fraises de jardin. Dès que la neige disparaît et que le sol se réchauffe, il faut procéder au sarclage des fraisiers manuellement muni d’un petit sarcloir, outil qui ressemble à une fourchette mais dont les branches sont recourbées. C’est une tâche ardue, surtout quand le sol est dur. Tout en faisant attention pour ne pas arracher les plants, il faut détruire le plus possible les mauvaises herbes en extirpant les racines quand c’est possible. Lorsque la cueillette des fraises est terminée, il faut à nouveau procéder au désherbage.

 

Une surprise

C’est un beau samedi de juillet, soit le 31. La température est douce. Le soleil darde ses chauds rayons. Nous sommes quatre ou cinq, y compris ma mère, à sarcler les fraisiers dans le champ en face de la maison là où jadis avait trôné la vieille grange. Le sol est dur, desséché par le soleil, et le chiendent livre un combat féroce. Le travail est difficile.

 

Vers 11 heures 20, une automobile passe. C’est la voiture d’un médecin de Trois-Pistoles qui file vers l’est. Sans plus tarder, ma mère se lève. Elle nous dit de continuer à travailler et de ne pas bouger tant qu’on nous ne le dira pas.

 

Nous avons un instant de contentement parce que nous pensons que c’est l’heure de la pause- dîner, quoique celle-ci survient habituellement vers midi. Je vois encore ma mère, affublée d’une robe ample, marcher péniblement tout en longeant la clôture. Elle se tourne vers nous et nous dit : « Continuez à sarcler, mes enfants. » On sent l’inquiétude dans sa voix. On ne le sait pas, mais le « travail » a déjà commencé.

 

Ma jeune sœur turlute sur le perron. Ma mère lui dit : « Continue à chanter, mon enfant. » Quelques minutes plus tard, les chevaux tirant la faucheuse arrivent au pas de course. Mon père a abandonné son travail et est venu rejoindre la maison sans prendre le temps de dételer les chevaux. Il a l’air bouleversé. Il est nerveux. Il n’est pas comme d’habitude. Même les chevaux sont stressés. C’est la première fois que je les vois dans un tel état.

 

Nous sentons que la situation n’est pas normale. Nous n’avons plus le cœur à l’ouvrage. Nos yeux sont rivés vers la maison. Que se passe-t-il ?

 

Pas longtemps après, une de mes sœurs vient interrompre notre activité pour nous inviter à aller dîner chez Madame Hélène. Nous sommes partis avec les récipients de nourriture qui avaient été préparés pour le repas. Tout en mangeant sans appétit, nous voyons le médecin qui arrête chez nous.

 

Au retour, on nous montre une belle petite fille que nous aimons tout de suite. Toutefois, en mon for intérieur, j’étais offusqué que ma mère m’ait au préalable caché son état. J’avais quand même 13 ans. Les filles de la famille plus âgées le savaient, pas les garçons.

 

Huguette est née vers 11 heures 30. Elle est baptisée le lendemain par le curé Alfred Bérubé. Sa marraine est Carmen, sa sœur, et son parrain est Jacques Ouellet, époux de Carmen. Ma mère avait 47 ans et six mois. C’est le 11e enfant qu’elle met au monde.

 

Août 1954. Une bataille perdue

Ma crise d’adolescence me suit partout. Pour je ne sais trop pour quelle raison, j’ai soudainement un différend avec Pierre qui est plus jeune que moi de deux ans. J’ai 13 ans, il en a 11. Les invectives commencent. Le ton monte. Les coups pleuvent. Le corps à corps s’invite. Je tombe par terre. Pierre réussit à m’immobiliser. J’ai perdu.

 

Ma mère est mise au courant. Elle nous dit que les batailles sont strictement défendues et termine : « Je vais en parler à votre père et c’est lui qui va régler ça. » Que signifie cette menace ? Que va-t-il arriver ? Nous sommes anxieux. Nous savons que notre père n’est pas doué pour le dialogue.

 

Quand mon père arrive des champs, ayant été informé de l’événement, il prend la strappe de cuir qui sert à aiguiser sa lame de rasoir. Il nous amène chacun notre tour dans le tambour de la maison. Il nous fait baisser nos culottes et donne quatre ou cinq coups de strappe sur nos fesses.

 

Je suis fâché et insulté par cette punition. Il est vrai que j’ai contrevenu à la règle de ne pas se battre. Mais c’est la première fois. Si mon père s’était contenté de me montrer des gros yeux et de promettre de ne plus recommencer, cela aurait été suffisant pour que je comprenne. Le pire dans tout ça, c’est que j’avais perdu le combat avec mon frère, même plus jeune que moi. J’ai donc vécu une double humiliation. J’en ai voulu à mon père pendant quelques années. J’ai finalement compris qu’il n’était pas outillé pour agir autrement.

 

L’éducation des enfants

Je fais partie d’une famille de 10 enfants. Comme dans beaucoup de foyers de l’époque, ma mère veille non seulement à accomplir toutes les tâches de la maison, mais encore elle veille à l’éducation des enfants.

 

Ma mère a un principe de base dans ce domaine et n’y déroge que rarement. Elle dit souvent : « Il faut prendre les enfants par la douceur et non par la rigueur. » Elle pense que les affrontements ne peuvent qu’envenimer les situations parfois délicates.

 

Elle a le sens du dialogue et nous permet de nous exprimer. Quand elle s’aperçoit que nos remarques sont justifiées, elle baisse la tête sans dire un mot. Nous savons que notre mère réagit de façon pratique, mais pas par principe, sauf s’il s’agit de la religion. Quand nous voulons quelque chose, nous pouvons argumenter et elle finit souvent par céder.

 

Mais pas toujours comme dans ce cas. Il y avait assez souvent des repas chez les frères et les sœurs de mes parents. Chaque fois, mes parents amenaient l’un de nous d’eux. Un jour où c’était mon tour, ma jeune sœur a manifesté son désir d’y aller. J’ai insisté pour qu’on respecte la tradition. Peine perdue, ma mère a préféré ma sœur.

 

Malgré tout, la patience de ma mère est mémorable. Elle a assuré l’éducation de ses enfants dans le calme et dans le respect. Elle élevait rarement le ton de sa voix.

 

Malheureusement, l’attitude de mes parents était à l’effet plus de montrer à obéir que de montrer à se défendre.

 

Chapitre 7. Syntaxe et Méthode au Séminaire

 

8 septembre 1954. Rentrée scolaire

J’entre au Séminaire pour une deuxième année. Je suis en Syntaxe-Latine (Secondaire II). Nous sommes 111 élèves répartis en trois groupes dont quelques nouveaux confrères, alors que nous étions 158 au début de l’année précédente. Nous ne sommes plus des nouveaux et nous regardons avec une certaine condescendance les 162 élèves d’Éléments-Latins.

 

Les maîtres de salle sont les abbés Jean-Luc Thériault, Emmanuel Gagnon, Louis-Jacques Morissette, Gilles Roy et Nive Voisine.

 

Mes profes­seurs de Syntaxe-Latine B sont les abbés Hervé Beaulieu, en français, latin et histoire, aussi titulaire, André-Albert De Champlain en sciences naturelles, Nive Voisine en grec, Gérard Richard en anglais, Raoul Thibault en catéchisme, Jean-Luc Thériault en mathématiques. Plus tard, en novembre 1965, comme professeur de sciences naturelles, j’aurai l’honneur de remplacer M. De Champlain qui a pris sa retraite après avoir été professeur de sciences pendant 40 ans au Séminaire. En février 1967, comme professeur de mathématiques, je remplacerai M. Thériault qui a été nommé procureur à l’archevêché.

 

Mon comportement rebelle à la maison se continue au Séminaire. Je suis toujours en crise d’adolescence.

 

J’accepte avec plaisir un nouveau directeur des élèves, l’abbé Robert Michaud, qui aborde son rôle avec beaucoup d’ardeur et un peu de candeur, sinon de naïveté. Le règlement est appliqué avec plus d’humanisme. L’abbé Michaud, reconnu pour sa jovialité, n’hésite pas à faire confiance.

 

Conduite et assiduité

Toutefois, j’ai tendance à briser le silence dans les rangs, à la cafétéria et parfois à la salle d’études. Les résultats en classe s’en ressentent. Mes notes de la part des maîtres de salle aussi. Comment fonctionne ce système de notes ?

 

Chaque vendredi ou samedi en avant-midi, les cinq maîtres de salle se réunissent et, pour chaque élève, donne une note sur 10 pour la conduite et une autre note sur 10 pour l’assiduité au travail. Les notes 8 et 9 correspondent à excellent, le 7 à très bon et le 6 à bon. Une note inférieure à 6 veut souligner un manquement important en termes de conduite ou d’assiduité. Cela peut avoir notamment comme conséquence l’annulation de sorties en ville et de certains privilèges. Une accumulation de mauvaises notes peut conduire à l’exclusion du collège. En Éléments-Latins, mes notes étaient généralement 7, quelques fois 6.

 

Chaque samedi en fin d’après-midi, le directeur des élèves se présente à la salle d’études pour décerner aux élèves leurs notes de conduite et d’assiduité. Dans un grand cahier, il a la liste des élèves. Il dit leur nom et la note que les maîtres de salle leur ont attribuée pour la semaine. Les professeurs ne participent jamais à cette opération. Les incartades qui se passent en classe se règlent généralement là.

 

Une anecdote plutôt banale. Le premier samedi, quand le directeur des élèves fait la lecture des notes pour la première fois, il manque à une tradition. Au lieu de dire, par exemple, 7 et 8 comme c’est l’habitude de ses prédécesseurs, il ne prononce pas le « et » si bien qu’il dit 7, suivi immédiatement du 8. Dès le début, les élèves se retiennent pour ne pas rire. Imaginez. Le palmarès comprend autour de 250 noms. Ce sont plusieurs « et » qui ont été économisés. Toutefois, les élèves se contorsionnent. Après la lecture des notes, aussitôt que le directeur fait une remarque qui, en un autre temps, n’aurait pas été comique, c’est l’explosion générale.

 

Dans la Vie écolière, un philosophe expérimenté donne à un nouveau ce conseil : « Souviens-toi qu’un maître qu’on ne voit pas est toujours plus dangereux que celui qu’on voit. »

 

Des patates frites

L’ouver­ture de l’abbé Michaud, qui prône la santé par l’exercice physique, fait en sorte que lors des congés, nous allons souvent au Centre des Loisirs ou au Colisée. À l’automne, lors d’une sortie pour aller voir une partie de hockey au Colisée, je vois des élèves qui, à l’intermission, commande des casseaux de patates frites. C’est la première fois que je vois ça. Alors, je veux connaître le nom de ce mets qu’on arrose de ketchup. Je m’approche près d’un élève plus jeune et lui demande. Il n’en revient pas de mon ignorance. Inutile de dire qu’il répand rapidement ce fait. De mon côté, je suis tellement gêné que je nie, prétextant que ce n’est pas arrivé comme raconté.

 

La petite chorale

Chaque année, en vue de la fête du Supérieur, un prêtre organise une chorale avec les élèves d’Éléments-Latins dont la voix n’a pas encore mué. Je demande la permission de faire partie de ce chœur. Je suis accepté.

 

Lors de la première pratique, tout se déroule bien. Je collabore. Dans les pratiques suivantes, je suis insolent. Je dérange par des interventions inopinées. Je rigole. Je fais le clown. Le responsable de la chorale menace de me congédier. Je continue quand même mon petit manège. La sanction tombe. Je suis mis à la porte. Le directeur des élèves, Robert Michaud, en est informé. Je gagne un 5 de conduite.

 

Une période de constipation

Je ne sais pas si ce qui m’arrive, peut-être le stress dû à ma crise d’adolescence ou des transformations physiques en regard de la puberté. Vers la fin d’octobre, je suis constipé depuis deux jours. Je vais à l’infirmerie. M. Plourde me donne un laxatif qui ne produit aucun effet. J’y retourne le lendemain, pas de changement. Chaque jour, je vais à l’infirmerie, rien ne change. À partir de la sixième journée, je mange peu. Lors de la septième journée, pour le repas du soir, je me cache dans les vestiaires pour ne pas aller à la cafétéria. Je fais de même au déjeuner du lendemain. Heureusement, c’est la journée de départ pour le congé de la Toussaint.

 

Congé de la Toussaint

Pour la première année dans l’histoire du Séminaire, les élèves ont droit à un congé dans leur famille à l’occasion de la Toussaint. Quand j’arrive à la maison, maman me dit : « J’ai des questions à te poser. » Je réponds : « Maman, je n’en peux plus. Ça fait sept jours que je suis constipé. » En un éclair, ma mère prend un contenant dans la pharmacie de la cuisine et verse une poudre dans un verre d’eau. Si je me souviens bien, il s’agit du sel d’Epsom que ma mère avait acheté d’un colporteur. En quelques heures, mon système était complètement nettoyé.

 

Quand maman voit que je vais beaucoup mieux, elle me tend mon premier bulletin. Le directeur avait écrit : « Votre fils se conduit mieux maintenant. » Elle me demande de lui expliquer le sens de cette remarque. Ma réponse est plutôt évasive. Toutefois, suite à cette remarque, je mets fin à ma crise d’adolescence. Elle aura duré presque cinq mois.

 

Les colporteurs

Il y a à cette époque des vendeurs ambulants qui transportent avec eux leurs marchandises de maison en maison. On les appelle des colporteurs. L’un des plus remarquables est Édilbert Morin de Saint-Fabien qui vend les produits Rawleigh et qu’on surnomme Rawleigh. Cet homme très distingué cogne à la porte, entre et dit : « Pour aujourd’hui » en suintant les syllabes. Après une courte conversation, il ouvre sa petite valise. On peut notamment voir des médicaments, des essences, des épices, des articles de toilette, des savons, du parfum, de la poudre, etc. Ma mère regarde attentivement les assortiments et achète toujours quelque chose. Elle lui dit que c’est pour l’encourager. Par-ci par-là, c’est un savon de toilette, un pot d’onguent, du sirop pour la toux. La facture se situe généralement à moins de deux dollars.

 

Un autre commerçant itinérant est Dominique Thériault aussi de Saint-Fabien. Avant de présenter ses produits Watkins, il jase longuement car, dans sa jeunesse, il a été engagé par mon père pour l’aider aux travaux des champs pendant un été. Maintenant, il vend des produits divers qui ressemblent à ceux de Rawleigh. Ma mère l’encourage aussi.

 

Il y a aussi, à l’occasion, des vendeurs de vêtements ou d’articles divers qui viennent de Trois-Pistoles ou d’ailleurs.

 

Un jour, je reviens du Séminaire. Rendu au village, il n’y a personne pour me recevoir. Je décide donc de faire le trajet à pied qui est d’environ trois milles et demi. Quand j’arrive en haut de la première longue côte, une automobile s’arrête. Le conducteur m’offre d’embarquer. Sur-le-coup, je suis content et j’accepte. Rapidement, je me suis souvenu des paroles de ma mère : « N’embarquez jamais avec des étrangers. »

 

Je regarde le conducteur et je me rends compte que je ne le connais pas. Il est trop tard. Après les paroles de politesse, il me demande si ma mère fait parfois des achats auprès des colporteurs. Je dis oui, sans plus. En même temps, je me tourne la tête vers derrière et je vois une petite valise avec des écriteaux. Je suis à demi soulagé. J’en conclus qu’il est colporteur. Je vérifie avec lui : c’est le cas.

 

Il passe tout droit devant les deux premières maisons du rang et s’arrête à la maison de mes parents. Je crains que ma mère soit fâchée de mon geste. En même temps, j’espère qu’elle va acheter une ou deux bricoles. Je me réfugie dans ma chambre. Je ne me souviens pas si ma mère l’a encouragé.

 

Retour au Séminaire

Malgré mes bonnes résolutions, je fais peu d’effort dans mes études. Je réalise seulement le nécessaire. Le reste du temps, je compose des mots croisés. C’est un excellent exercice pour connaître les mots et leur signification, mais cela n’aide guère dans l’apprentissage du latin et du grec. En effet, une nouvelle matière s’est ajoutée cette année : le grec ancien.

 

J’entreprends aussi une recherche bizarre : faire la généalogie des dieux latins et grecs à l’aide d’un dictionnaire. Après quelques semaines, je lâche tout car je frappe des contradictions d’une entrée à l’autre.

 

Novembre 1954. Chapelet à l’archevêché

Il est 18 h 55. Nous sommes quatre ou cinq élèves qui jasent tranquillement dans la cour de la Petite salle. Tout à coup, un surveillant se précipite vers nous tout essoufflé. Se peut-il qu’on ait fait un mauvais coup ? Nous sommes momentanément muets. Le maître de salle nous explique qu’on a besoin de nous à l’archevêché. Pourquoi ? Pour répondre au chapelet.

 

Un groupe qui avait confirmé sa présence s’est désisté à la dernière minute. Quand cette situation se présente, on fait appel à des élèves du Séminaire vu la proximité des lieux ou, à la limite, le secrétaire de l’évêque remplit cette fonction en solo.

 

À la course, nous nous dirigeons vers l’archevêché. Il y a un studio au rez-de-chaussée de la bâtisse entrée ouest. Il est 18 h 58. L’archevêque Mgr Charles-Eugène Parent nous reçoit avec gratitude. Nous sommes invités par le dignitaire à nous mettre à genoux sur le rebord de la tribune. Lui, il s’installe sur son prie-Dieu le dos à nous.

 

À 19 h pile, un animateur de la station CJBR-Rimouski annonce le début du chapelet. Mgr Parent commence normalement le chapelet par le Je crois en Dieu. Nous répondons selon la coutume sans trop de convictions en se faisant parfois des grimaces et en étouffant des rires. Le 15 minutes passe assez rapidement. Après les remerciements, nous retournons dans la cour du Séminaire.

 

Visite d’une église protestante

Un samedi après-midi, un maître de salle, sentant sans doute notre morosité due aux vents sournois d’automne, aborde un petit groupe dont je suis et dit : « Aimeriez-vous visiter une mitaine ? » Les élèves se regardent d’un air incrédule. Il continue en disant : « Il y a à Nazareth, non loin d’ici, une chapelle protestante qu’on appelle mitaine, provenant du mot meeting. Si vous le désirez, je vous amène visiter ce bâtiment. » Tous acquiescèrent mais sans enthousiasme.

 

Pour ma part, comme d’autres du groupe probablement, je me demande pourquoi on irait visiter un temple où se rassemblent les ennemis de notre religion comme on nous l’enseigne. Au long du parcours, je pense à un de nos voisins qui avaient clamé avec force que les protestants étaient des communistes. Je pense au curé lors du catéchisme qui avait dit que les seuls les catholiques peuvent aller au ciel. Pourquoi un prêtre catholique nous amène-t-il dans un temple rival ?

 

Nous entrons dans la chapelle. Le maître de salle nous explique que le gros livre sur un lutrin est une bible. On y voit une croix nue, soit sans personnage, et pas de statue. Le décor est beaucoup plus sobre que celui de l’église de ma paroisse. L’abbé nous demande de prendre place et de nous recueillir pendant qu’il va faire une courte visite de politesse au pasteur.

 

Je me mets en genoux. Je commence mon signe de croix. J’abandonne. « Les protestants, me dis-je, font-ils ce signe ? » Je voudrais réciter silencieusement un Notre Père et un Je vous salue Marie, mais je ne sais pas si j’ai le droit dans ce temple. Bref, je me pose la question : « Ont-ils le même Dieu que nous. » Toutes ces questions ne font pas partie de notre formation. Aussi, je comprends mal l’intention de l’abbé qui nous a fait faire cette visite sans nous situer dans un contexte.

 

Des films

C’est un automne pluvieux. Comme le nouveau directeur trouve important que nous ne soyons pas oisifs, des films sont présentés à la Salle académique lors de certains congés. C’est une joie d’entendre la voix d’un maître de salle qui annonce une telle activité.

 

Personnellement, au début j’y assiste. Toutefois, j’ai un problème de taille. Comme j’ai beaucoup de difficultés à reconnaître les visages, je perds des séquences à me demander si le comédien est le même ayant apparu auparavant. Mes interrogations sont si nombreuses en cours de représentation et mon incompréhension s’accentue si bien que je finis par sombrer dans le sommeil.

 

De tous les films que je vois cet automne-là, j’ai souvenance de n’en avoir vu aucun en entier. Je sors de la salle académique le corps reposé, mais je suis frustré. Si bien que j’abandonne de me consacrer à cette activité masochiste.

 

Ce handicap visuel m’a longtemps apeuré. Je m’imagine être témoin d’un acte criminel et d’être interrogé par la police. Je sais que je ne pourrai pas donner une description convenable des suspects et, bien plus, ne pas pouvoir les reconnaître si on me montre une photo.

 

Décembre 1954. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 202,90 $.

 

Janvier 1955. Des passe-temps

Nous apprenons que les élèves de la Grande salle ont maintenant un téléviseur dans leur salle de lecture. Cet appareil en noir et blanc est un don des prêtres du Séminaire. Nous sommes contents pour eux, mais nous aimerions aussi en avoir un à la Petite salle. Cela nous fait espérer d’être promu à la Grande salle l’an prochain. En même temps, probablement pour apaiser notre frustration, des jeux de hockey sur table sont installés à la salle de récréation.

 

Certains après-midis de congé le mercredi, je vais à la chambre de l’abbé André-Albert Dechamplain. C’est un grand généalogiste. Il a compilé des milliers de cartes de couples mariés dans la région. On y trouve le nom des époux, la date du mariage et le nom des parents. Il possède des recueils généalogiques. Il m’initie à la généalogie et m’aide à retrouver mes ancêtres. À quelques reprises, il me prête sa dactylo. À ce moment, il s’en va à l’extérieur et il me laisse seul.

 

À un moment donné, j’ai l’impression d’abuser de sa bienveillance et j’abandonne mes recherches.

 

Une carte de visite

À ma grande surprise, un élève de Méthode (Secondaire III) vient vers moi et me dit : « J’ai un cadeau pour toi. » Je suis surpris. Je ne lui ai jamais parlé et, en plus, il est externe. Il me donne une douzaine de cartes comportant mon nom. Je suis content. « Je suis important maintenant, me dis-je. J’ai ma carte de visite. »

 

Je lui demande la raison de ce cadeau. Il me dit que son père travaille dans une imprimerie et qu’un jour l’accompagnant, il a fait une expérience. Son explication me semble boiteuse et elle ne me convainc pas. Je sens qu’il y a quelque chose d’irrégulier dans son geste. Je conserve une seule carte dans mon porte-monnaie et je cache les autres dans mon bureau à l’étude.

 

Dans les jours suivants, je m’applique à ne pas le rencontrer. Finalement, il ne m’a jamais reparlé. Je n’ai jamais pu savoir exactement pourquoi il m’avait choisi, même si je m’en doute.

 

Concours à Radio-Canada

Lors d’un après-midi de congé, un maître de salle demande à un groupe d’élèves dont je suis si on veut aller donner un coup de main à des employés de Radio-Canada de Rimouski. Toute diversion par rapport à la vie règlementaire qui nous est proposée est bienvenue. J’accepte.

 

Avec quelques confrères, je me présente au Centre des Loisirs, situé derrière la meunerie du Séminaire sur la rue Ste-Marie. Je me dirige au local convenu. Il y a là cinq ou six grosses boîtes pleines de lettres. « Votre tâche, nous dit un employé de Radio-Canada, est de découper les timbres que nous acheminerons aux missions. Ces lettres nous ont été expédiées dans le cadre de concours. Vous n’avez pas le droit de lire leur contenu. Vous devez garder le secret sur ce que vous pourriez apprendre. Il en va de la réputation de Radio-Canada ».

 

Pendant plus d’une heure, je fais mon travail avec beaucoup d’application. Toutefois, je jette un œil furtif sur le nom des personnes inscrites au dos de l’enveloppe et, même parfois, sur des courts textes écrits par des gens qui ont participé à des concours.

 

17 mars 1955. L’émeute du Forum

Ce jour-là est une date mémorable dans l’histoire du Québec. Une émeute a eu lieu au Forum de Montréal lorsque le Canadien affronte les Red Wings de Détroit. Toutefois, comme je suis pensionnaire, je ne suis pas informé de cet événement.

 

Le lendemain matin dès le premier cours à 8 heures 30, notre professeur de français, l’abbé Hervé Beaulieu, nous en parle. Il commence par nous dire qu’il n’est pas un amateur de hockey. Puis, il nous raconte pourquoi et comment s’était déroulée l’émeute la veille.

 

Quatre jours plus tôt, Maurice Richard, un joueur très talentueux du Canadien de Montréal, avait été suspendu pour le reste des parties régulières et même pour les séries éliminatoires, après avoir frappé un juge de ligne. Cette décision, prise par Clarence Campbell, un anglophone de Montréal, a choqué profondément les Canadiens français. Ils ont voulu manifester leur opposition.

 

L’abbé Beaulieu nous raconte que Maurice Richard devient ainsi un symbole pour les Canadiens français. Ses talents de joueur, son sens de la combativité, sa détermination à ne pas vouloir s’en laisser imposer par les anglophones pourraient devenir, selon lui, une inspiration pour le peuple québécois qui, à l’époque, est largement dominé par la minorité anglaise.

 

Je suis étonné de voir un prêtre si sérieux prendre une dizaine de minutes de son cours pour nous parler de hockey et de ses conséquences. Son intervention me fait comprendre que le Québec vient de tourner une page de son histoire. Finie la tête baissée devant les Anglais.

 

Dans les joueurs suivants, le célèbre joueur de hockey doit intervenir à la radio pour calmer les esprits. Les Canadiens français boycottent la soupe Campbell. Cette marque de commerce n’a pourtant aucune relation avec le président de la ligue nationale de hockey si ce n’est que le nom. Il faut ajouter que dans plusieurs milieux, à cette époque, le hockey est plus populaire que la religion. Même, certains disent que Maurice Richard est plus populaire que le Pape.

 

Par son intervention, l’abbé Beaulieu touche la fibre nationaliste qui sommeille en nous. D’ailleurs, je suis de ceux qui considèrent que cet événement est le début de la Révolution tranquille au Québec parce que c’est le peuple qui, spontanément, se lève et parle.

 

8 avril 1955. Incident en montagne

C’est le vendredi saint, deux jours avant Pâques. Je suis en vacances dans ma famille. Les érables coulent abondamment. Mon père est à la cabane à sucre en train de faire bouillir l’eau d’érable. Ma mère me demande d’aller avec Pierre porter le dîner de mon père. La température s’est réchauffée légèrement la veille et une croûte glacée recouvre la neige.

 

Nous nous rendons sans ambages à la sucrerie située à l’extrémité nord de la terre. Nous faisons le tour d’une centaine d’érables pour en recueillir l’eau qui coule abondamment. Puis, vers 14 h 55, nous quittons la cabane avec les plats vidés de leur contenu.

 

À environ 200 mètres se dresse un mont que nous appelons montagne. Pierre gravit l’escarpement dans le temps de le dire avec ses bottes munies de crampons et s’assoit en haut de la montagne. Il me regarde, avec mes bottes dont les semelles sont plutôt lisses, tenter de suivre les traces faites la veille sur la croûte. J’avance très lentement et lui, il se moque de moi.

 

À un moment donné, par surprise, il bascule et dérive vers le bas. Il me frappe de plein fouet. Je me ramasse dans quatre pieds de neige autour d’un sapin, les plats éparpillés dans la nature. Je regarde ma montre. Il est 15 heures et c’est le vendredi saint, l’heure de la mort du Christ. Par la suite, nous avons bien ri de cet incident et nous nous le sommes rappelé de temps à autre.

 

La fête de Pâques

Les trois jours précédant Pâques sont parsemés de cérémonies religieuses, souvent d’une longueur languissante. Le carême qui, en principe, dure 40 jours se termine à midi le samedi, jour appelé samedi saint. Ce jour-là, nous sommes heureux de dîner après 12 heures parce qu’on a le droit de manger de la viande et que les privations comme une portion moindre de dessert sont tombées.

 

La grand-messe du jour de Pâques revêt un caractère particulier qui n’est pas très religieux. En effet, plusieurs femmes profitent de cette cérémonie pour montrer leur nouvelle toilette et pour étrenner un chapeau qui fait fureur ou est la risée de la paroisse. Il est arrivé qu’une dame imbue de sa personne porte un chapeau dont elle avait oublié d’enlever l’étiquette du prix. Quelle déception !

 

Le dîner pascal sert de prétexte pour des réunions de familles. L’après-midi, c’est souvent la randonnée à la cabane à sucre, une tradition qui ne s’éteint pas.

 

Comme la date de Pâques est variable et s’étale du 22 mars au 25 avril, avant le maintien des chemins roulants pendant tout l’hiver, il arrivait que les chemins soient encore traînants.

 

Les produits de l’érable

Les produits de l’érable sont, pour la famille, un apport important dans le budget familial. On a accès au sucre d’érable, au sirop d’érable et à la tire. La tire est consommée en dehors des repas et a une vie éphémère lors de rencontres à la cabane à sucre.

 

Mon père vend une partie du sirop d’érable à des particuliers. Nous consommons une bonne partie du sucre d’érable. On s’en sert comme dessert. Rien de plus délicieux pour des jeunes papilles gustatives que de manger une tranche de pain imbibé de lait et recouverte d’une bonne couche de sucre d’érable.

 

Quand le sirop d’érable est tout consommé, il est remplacé par la mélasse ou le sirop doré toujours avec des bouchées de pain.

 

Mai 1955. Choix de figurants

Le congrès eucharistique de Rimouski qui est organisé par l’archevêché a été annulé en 1950 à cause du feu de Rimouski. Comme la reconstruction des bâtiments est terminée, l’événement est prévu pour l’été.

 

J’apprends qu’une des principales activités du congrès eucharistique est un grand jeu scénique intitulé Pêcheurs d’hommes et qu’on cherche des figurants. Je veux y participer. Je m’informe et on me dit que l’abbé Georges Beaulieu fera des auditions un peu plus tard.

 

Un certain soir, je me présente à l’école de Marine. Il y a là une centaine d’élèves du Séminaire. Je crains de ne pas être choisi. Je me présente à l’abbé Beaulieu. Il sort son gallon et me mesure. « Désolé, me dit-il, tu n’es pas assez grand pour faire partie du spectacle. »

 

Je sors de l’école de Marine le cœur gros. Je m’assis sur une marche de l’escalier et je pleure. Un vieux monsieur qui passait par là, me voyant dans cet état, vient vers moi et me demande la cause de mon chagrin. Je lui explique que j’ai été refusé comme figurant dans le jeu scénique. Il me dit : « Mon jeune, il y en aura d’autres congrès eucharistiques. » Cette réponse me révolte et je retourne au pensionnat du Séminaire le cœur en lambeaux.

 

Je ne sais pas ce qui s’est passé dans les jours suivants, peut-être le vieux monsieur qui est intervenu, peut-être mon ange gardien, mais l’abbé Georges Beaulieu me fait dire par un maître de salle qu’en fin de compte je suis accepté. Je suis totalement ravi. Je m’empresse d’écrire à ma mère pour lui annoncer la bonne nouvelle. Dans ma tête, je n’avais pas besoin de lui demander la permission.

 

Le toit du Séminaire

Le Séminaire est un bâtiment de six étages. À chaque étage, les plafonds sont très hauts. Je ne sais pas par quel hasard je me retrouve un bel après-midi de congé dans une grande salle située au dernier étage du côté de l’est.

 

Il y a là des vieux meubles qui attendent pour reprendre du service. Il y a là aussi quelques 200 valises qui dorment paisiblement dans la poussière depuis septembre dernier. Nous sommes quatre ou cinq élèves ébahis devant tant d’êtres silencieux quand l’un de nous remarque un escabeau dans un coin. « Montons, dit-il, sur le toit. »

 

À cette simple proposition, mes jambes commencent à flageoler, mais je fais le brave. Rapidement l’escabeau est installé sous la trappe. L’élève qui monte le premier la déverrouille et hop le champ est libre. Je gravis, à mon tour, les marches de l’escabeau. Quand je mets le pied sur le vaste toit, je tente de me mettre debout. Impossible. Je suis tout étourdi. Je marche à quatre pattes. Je ne vais pas loin. J’invoque tous les saints du ciel de me délivrer de ce cauchemar.

 

Quand je vois mes confrères marcher sur le toit tout à leur aise et se rendre jusqu’au bord pour regarder en bas, mes craintes augmentent. Je suis près de perdre connaissance. En même temps, j’ai peur que des marcheurs sur terre informent les autorités de notre présence clandestine à cet endroit et qu’on soit puni pour notre escapade. Je me dépêche à redescendre. Je dis au revoir à ma valise que je reverrai dans un mois.

 

Juin 1955. Machines à boules

J’ai 13 ans. Je viens de passer mon dernier examen de Syntaxe-Latine. C’est la journée de la sortie pour les vacances d’été. En attendant mes parents qui sont censés venir me chercher, j’ai l’idée d’aller faire un tour au restaurant Buffet Éclair sur la rue de la Cathédrale à deux pas du Séminaire. J’avais entendu dire qu’il y a là des machines à boules. Je n’en avais jamais vues. La télévision fait ses premiers pas et les manuels scolaires n’auraient pas osé montrer ces objets de perdition (!). Je vais donc là par curiosité.

 

J’entre dans le restaurant. Il y a un comptoir et quelques tables. Je me dirige vers les machines à boules. Sur l’une d’elles, un jeune d’Éléments-Latins s’en donne à cœur joie. Je suis mystifié par le déplacement rapide des boules et les différents chemins qu’elles prennent. Au bout de quelques minutes, une dame entre. Elle se dirige vers la machine. Elle prend le jeune par le bras et lui dit d’un ton fort et sévère : « Viens-t-en. Tu n’as pas d’affaire ici. ». Le fils est gêné et n’a pas d’autre choix que de suivre sa mère.

 

Cela fait tomber mon plaisir. Je n’ai pas aimé l’attitude de la mère. Je quitte le restaurant. Sur le chemin du retour, je me demande comment mes parents auraient réagi dans une telle situation.

 

Ma mère seule. Elle m’aurait regardé et elle aurait fait un signe de la tête. J’aurais compris que je devais abandonner là mon plaisir. Rendue à l’extérieur, elle m’aurait sermonné en me disant que je ne devais pas fréquenter ces endroits qui ne servent qu’à gaspiller son argent.

 

Mon père seul. Il m’aurait regardé sans faire un geste et sans dire un mot. Il aurait quitté le restaurant. J’aurais compris qu’il fallait que je le suive. J’aurais marché derrière lui. Par la suite, il ne m’aurait rien dit.

 

Résultats scolaires

Je me classe 15e sur 35 élèves en Syntaxe-Latine B. En cette deuxième année au Séminaire, mes résultats se sont améliorés. Mon professeur de français qui est aussi mon directeur spirituel y est pour quelque chose.

 

Une éclipse de soleil

Le 20 juin 1955, je me repose dehors près de la maison familiale. Il est environ 16 heures. Les poules picorent dans leur enclos à l’extérieur. Soudain, toutes les poules quittent pour se réfugier dans le poulailler et atteindre les juchoirs. Je me demande ce qui se passe. Mais, je l’apprends rapidement. L’obscurité se manifeste pendant un peu plus de sept minutes.

 

Je suis impressionné par les réactions des poules qui ont réagi d’avance à l’absence temporaire de lumière. Quand la clarté revient, les poules retournent dehors.

 

Mon premier rôle de figurant

Le 26 juin, je reviens au Séminaire où les figurants du jeu scénique sont logés et nourris gratuitement. Les plus jeunes couchent au dortoir B. Au début, les nuits sont courtes car il n’y a pas de surveillant.

 

Le premier jour, avant la répétition, on nous attribue un costume de couleur blanche ressemblant à une soutane. Certains ont des rôles précis comme représenter les apôtres, les premiers chrétiens, les premiers prêtres, etc. Mon rôle, comme pour la majorité des figurants, consiste à poser des gestes synchronisés et à participer au chant. Il s’agit de suivre au fur et à mesure les consignes du Père Georges St-Aubin qui est assis dans une loge placée à une cinquantaine de pieds de la scène. L’abbé Georges Beaulieu est à ses côtés. Pour ma part, comme je suis un des plus petits, je fais partie de la première rangée.

 

Le mercredi soir 29 juin, c’est l’avant-première devant quelques curieux des alentours. Le jeudi, il n’y a pas de répétition. Les responsables nolisent un autobus et nous allons visiter la Pointe-à-Santerre, à Rivière-Hâtée, où est le chalet des prêtres du Séminaire.

 

La première représentation a lieu vendredi le 1er juillet dans l’après-midi à l’intention des écoliers. Je joue mon rôle avec beaucoup d’enthousiasme et de plaisir. Les deux dirigeants semblent être très satisfaits.

 

En plus d’être figurants, on nous a demandé d’assurer l’ordre sur le terrain. En soirée, muni d’un brassard, j’assume cette responsabilité. Je dirige les visiteurs vers les endroits les moins achalandés. À un moment donné, un couple se présente. La dame porte des pantalons. Or, on nous avait dit de ne pas laisser entrer les dames dans une telle tenue. Je dis à la dame en la regardant : « Les pantalons sont interdits sur le terrain du congrès. » Elle me regarde d’un air hautain et me dit : « Comme ça, mon mari ne peut pas entrer. » Elle prend son mari par le bras et elle passe outre. Je comprends rapidement que je n’ai pas la prestance pour imposer la discipline.

 

Je quitte mon poste. Je rencontre un jeune garçon qui a des lunettes-miroirs. C’est la première fois que je vois ça. Je me réfugie alors à l’entrée de l’école de Commerce, plus tard l’école Normale. Cette salle sert à accueillir les gens qui ont besoin de premiers soins. Il y a là une infirmière. Elle est seule. Je parle avec elle. Bientôt, l’heure d’adoration commence. C’est l’abbé Antoine Gagnon qui fait le sermon. On l’écoute d’une oreille distraite et on fait des commentaires sur ses propos. Je m’étends sur un lit. Je n’en reviens pas d’agir avec autant de laisser-aller alors que j’ai toujours vécu dans un climat de discipline.

 

Un peu plus tard, je participe au jeu scénique. C’est un très grand succès. Comme la majorité des gens n’ont pas encore de téléviseur, ils n’ont jamais vu un spectacle aussi grandiose. Trois autres représentations ont lieu.

 

Le dimanche après-midi, je rencontre par hasard Ernest Vaillancourt qui est notre voisin au rang 5. Je lui demande si je peux retourner avec lui. Il accepte avec plaisir. Quand le jeu scénique est terminé, je prends la direction de Saint-Mathieu avec Monsieur Ernest et Madame Hélène. À l’arrivée chez Monsieur Ernest, je lui dis ce que ma mère nous avait habitué à dire : « Merci beaucoup. Ma mère va arranger cela avec vous. »

 

Tout au long du retour, je n’ai pas l’esprit en paix. Je n’ai pas assumé ma responsabilité jusqu’au bout. L’abbé Beaulieu m’avait donné une chance et je n’avais pas joué franc-jeu. En effet, une autre représentation était prévue en soirée plus précisément à minuit. Je crains d’être accusé d’avoir fait un faux bond. Heureusement, personne ne m’a jamais reproché cette fuite.

 

Je passe mes vacances à travailler sur la ferme : ramasser des roches, pleumer de la pitoune, racler le foin, ramasser des fruits de champs, surtout des fraises et des framboises, sarcler les jardins, etc.

 

Juillet 1955. Partage de biens

Un soir de juillet, ma mère est invitée chez son père au village, comme les autres membres de sa famille, à la demande de l’abbé Ernest Couillard. Ce dernier prendra sa retraite bientôt comme curé. Il a fait un grand ménage et veut distribuer certains biens.

 

Qui est Ernest Couillard ?

Ernest Couillard, fils de Louis Couillard et de Démerise Rousseau, est né à Saint-Simon. Il a d’abord été Frère des Écoles chrétiennes, puis prêtre à 38 ans. Sa mère est la sœur de la grand-mère de ma mère, Rose Rousseau. D’ailleurs, à la mort de son mari, Démerise Rousseau est venue vivre avec sa sœur Rose dans la maison paternelle des Théberge à Saint-Mathieu. Voilà pourquoi, M. Couillard a choisi les Théberge pour la distribution.

                                                                                                           

Personnellement, j’ai hérité d’un livre de messe en latin, d’une malle et d’une brosse à manteaux.

 

Août 1955. Les ours

C’est un dimanche. À la basse messe, le curé annonce qu’il permet aux cultivateurs de ramasser leur foin. Normalement, il est interdit de travailler le dimanche vu que ce jour doit être consacré au Seigneur. Mon père, ayant flairé la bonne affaire pour ne pas aller à la messe, attèle le cheval après le déjeuner et s’en va au sixième, plus précisément dans le lot qu’on appelle les prairies, en vue d’y engranger le foin.

 

Personnellement, je vais à la messe. À notre retour, ma mère prépare le dîner pour les travailleurs du sixième. Ma tâche est d’aller leur porter le repas. La température est magnifique. Le soleil est ardent. Le problème : je suis seul et je dois transporter des mets dont la cuisson vient de se terminer. Ces mets répandent une senteur qui, m’a-t-on dit, est recherchée par les ours.

 

Je dois faire un peu plus d’un kilomètre en plein bois. J’ai peur. Les cheveux me dressent sur la tête. J’ai des palpitations. J’écoute attentivement les sons qui m’entourent. Au moindre pétillement, je sursaute. Je chante. Je lance des cris aigus pour éloigner les ours, au moins pour ne pas les surprendre. À un moment donné, les feuilles craquent dans la forêt. Le sang me monte à la tête. Je risque de m’évanouir. C’est probablement un écureuil. De palpitations en palpitations, je finis par atteindre les prairies sans anicroche. Je suis épuisé. Je me couche par terre.

 

La foudre

Nous sommes partis quatre ou cinq de la famille pour aller cueillir des framboises sur la terre de Romuald Plourde. Arrivés au champ de cueillette, c’est rouge de framboises, comme on disait à l’époque.

 

Avant de partir, ma mère nous avait avertis. « Il fait chaud depuis trois jours. Il est possible que le temps change rapidement. Si le ciel se couvre de nuages noirs, revenez vite. Si jamais la foudre s’invite, ne vous cachez jamais sous un arbre. Si vous n’avez pas le temps de vous rendre à la maison, changez de chemin pour ne pas revenir à travers les arbres. Si vous êtes dans un champ, couchez-vous dans des fossés. Jamais près d’un arbre ou d’une clôture. La foudre ne pourra pas vous atteindre. »

 

Ma mère nous avait souvent raconté comment la petite sœur de notre voisine avait été fauchée par la foudre alors qu’elle revenait des champs. Elles étaient trois qui se tenaient par la main et la foudre avait frappé la jeune sœur.

 

Après une heure de cueillette, le ciel s’assombrit. Une de mes sœurs qui est plus âgée décide qu’on quitte. À la course, nous parcourons à peu près neuf arpents à travers les arbres. À un moment donné, la pluie se déchaîne. D’habitude, la foudre arrive en plus grande force après la pluie. Nous avons donc confiance que celle-ci ne viendra pas.

 

Finalement, nous arrivons trempés comme des canards à la maison. Mais cela n’est pas important. Nous nous assoyons dans la cuisine en nous éloignant le plus possible du poêle à bois car les éclairs commencent à scintiller dans le ciel. Tout à coup, un immense boum se fait entendre. Une boule de feu sort de la boîte électrique située au-dessus de la radio. Mes 10 doigts sont soudainement engourdis. La foudre est tombée dans le transformateur situé près de la maison.

 

Ma petite sœur qui a un an dort derrière une cloison dans la salle à manger. Le bruit l’a réveillée. Elle crie. Nous sommes catastrophés. Ma mère va la chercher. Elle n’a pas été touchée.

 

Balade équestre

Les foins achèvent. Je suis au sixième rang avec mon père et mes frères. Je ne sais pas pour quelle raison, mon père me dit : « Tu vas ramener la Grise à l’étable. » La Grise, c’est un des deux chevaux de la ferme.

 

Il n’y a pas de voiture à tirer. Mon père me dit : « Monte sur la Grise ». J’hésite. Je n’ai jamais vu personne sur son dos. Je ne sais pas comment elle va réagir. Mon père m’aide à monter. Je m’accroche au collier et le départ se fait. C’est un moment magique. J’aurais voulu parcourir des milles et des milles tellement je me sentais bien. Je serais allé jusqu’au bout du monde. La Grise a réagi comme toujours en m’accueillant avec bonheur.

 

Qui est la Grise ?

Comme la très grande majorité des cultivateurs, mon père a deux chevaux. Parfois, ils travaillent en équipes. La plupart du temps, ils sont seuls. L’un des chevaux est une jument qu’on appelle la Grise. Elle est douce et facile à conduire. Elle aime se faire voir et galoper. Lors des déplacements vers le village, elle est pleine d’exubérance.

 

Quand la Grise a 12 ou 13 ans, mon père décide de s’en départir. Il l’échange contre un cheval qui est estampé sur l’épaule comme venant de l’Ouest canadien. On disait que c’était un cheval sauvage qu’on avait capturé. Quand ma mère voit ce cheval qui s’appelle le Black, elle dit à mon père : « Tu as fait une mauvaise affaire. Ce n’est pas un cheval pour toi ». Autant ma mère a le sens des affaires, autant mon père a de la difficulté dans ce domaine.

 

Quelques jours plus tard, mon père va au sixième rang pour charroyer des billots. Croyez-le ou non, le Black s’est dételé et, à la course, s’est enfui vers l’étable. C’est une distance de près de deux milles. La porte de l’étable étant en deux parties et la partie la plus basse étant fermée, il a attendu le cou sur le cadre de la porte. L’intuition de ma mère venait de se confirmer.

 

Qu’est-il advenu de la Grise ? Un après-midi d’août, je vois passer devant la maison un garçon de 13 ou 14 ans qui la tient par la bride et qui l’amène à la ferme de son père, un M. Belzile qui demeure au troisième rang de Trois-Pistoles. Je ne sais pas si l’adolescent était venu à pied. Peut-être son père l’avait-il amené en automobile ? Une chose est sûre, le jeune garçon a dû parcourir une distance de près de 10 milles pour son retour. Probablement qu’il n’a jamais su qu’il était possible de la monter. D’ailleurs, ce jeune je l’avais reconnu. Il était pensionnaire au Séminaire comme moi.

 

7 septembre 1955. Une surprise

C’est une entrée surprise au Séminaire. D’habitude, les élèves de Méthode (Secondaire III) sont répartis en deux groupes d’une trentaine d’élèves : l’un est à la Petite salle et l’autre à la Grande Salle.

 

Nous sommes 89 élèves, alors que nous étions 111 au début de l’année précédente. La direction du Séminaire a formé trois groupes au lieu de deux comme c’était l’habitude et nous sommes tous à la Grande Salle. C’est le bonheur total. Nous ne sommes pas séparés les uns des autres. De plus, le règlement est appliqué de façon plus souple à la Grande Salle. Comme conséquence, les élèves de Philo I et de Philo II doivent passer leur temps d’études dans leur classe. Une décision qui est chaleureusement accueillie par tous les élèves concernés.

 

Nous accueillons un nouveau confrère : Clovis Théberge, le fils de Léo, frère de ma mère. Il a commencé son cours classique un an avant moi. Il a perdu une année parce qu’il a été hospitalisé au Sanatorium de Mont-Joli, souffrant de tuberculose. Nous sommes maintenant quatre de Saint-Mathieu-de-Rioux dans la même cohorte : moi, mes deux cousins germains : Clovis et Rémi Thibault, et un petit cousin : Ghislain Jean, fils de Philippe. Cela facilite les déplacements lors des congés.

 

Comme d’habitude, l’année scolaire commence par une retraite de trois jours. Cette année-là, le thème est savoir accepter.

 

Je suis en Méthode C. Petite déception. Notre local de classe est à la Petite salle ; mais, c’est sans conséquence. De même, je dois occuper le dortoir C avec les élèves de Syntaxe-Latine de la Petite salle. Comme c’est la première année de l’histoire du Séminaire que la Méthode comporte trois groupes et comme les professeurs, à moins de graduer, enseignent toujours au même degré, la plupart de mes professeurs sont nouveaux dans cette classe-là. À l’encontre, mes confrères de Méthode A et B ont des professeurs expérimentés dont deux laïcs comme professeur principal : Lionel Dion et Gérard Bernier.

 

Nos maîtres de salle sont les abbés Emmanuel Gagnon, Gaétan Brillant, Paul Desjardins, Nazaire Hudon et Jean-Yves Leblond. Mes professeurs en Méthode C, les abbés : André-Albert Dechamplain en sciences naturelles, Simon Amiot en anglais, Fernand Beauchemin, titulaire, en français, latin, histoire et géographie, Lionel Pineau en catéchisme, Roland Beaulieu en mathématiques et en sciences, Jean-Guy Nadeau en grec.

 

Jean-Guy Nadeau est un amoureux de la culture grecque et nous transmet cette passion. Roland Beaulieu est aussi excellent en mathématiques. En novembre, j’ai 100 % dans mes travaux et mes examens en mathématiques. Même, certains finissants m’abordent pour me signifier qu’ils sont au courant de cette performance. L’abbé Beaulieu prend alors l’habitude de m’appeler Einstein. J’ai horreur d’être ramené à un sobriquet, même si c’est très flatteur. Un jour après son cours, je vais le voir et lui dis gauchement : « Monsieur Beaulieu, je n’aime pas ça que vous m’appeliez ainsi. Si vous continuez, je peux vous en donner des noms. » Je suis parti sans qu’il ait l’occasion de dire un mot. Jamais, il n’a recommencé. Pour moi, c’est la première fois de ma vie que j’osais confronter directement une autorité.

 

Le titulaire dont la matière la plus importante est le latin n’aime visiblement pas enseigner. Il n’est pas ponctuel, ne respecte pas les programmes d’étude relatifs à ses matières, donne peu de travaux et ne les corrige pas toujours. Un jour, il a besoin d’une note en latin pour le bulletin. Alors, il nous donne une longue liste de proverbes. Il faut associer deux proverbes qui ont à peu près le même sens. Il demande à 5 ou 6 élèves de venir à son bureau pour en faire la correction. Après avoir reçu ma note, je vais le voir et je me plains, parce que je crois vraiment que l’examen n’est pas valide et que la correction a été injuste pour moi. Ça n’a rien changé. J’ai cultivé un sentiment d’indifférence à son égard, si bien que mes résultats scolaires furent pitoyables particulièrement en latin, cette année-là.

 

Simon Amiot est un excellent professeur d’anglais. Je suis nul en dictée anglaise et pas très bon en composition. M. Amiot souligne mes fautes, mais ne les compte pas, ne me mettant jamais en bas de 6 sur 10. Je ne sais pas si cette façon de faire m’a rendu service. À ce moment-là, j’étais satisfait.

 

Un nouveau costume

Un nouveau costume est officialisé, mais il est facultatif pour cette année. Il consiste en un blazer bleu marine avec écusson et un pantalon de flanelle grise. En attendant, nous pouvons porter la redingote, le blazer ou même un veston ou une veste. Pour ma part, je finis d’user ma redingote. À partir de l’année suivante, soit en septembre 1956, le blazer deviendra obligatoire.

 

Dans un prospectus destiné aux élèves, on peut lire : « Le costume réglementaire comporte le blazer bleu marine avec boutons dorés et un écusson distinctif, le pantalon gris, la chemise blanche et la cravate rouge. Il est obligatoire tous les jours, sauf que l'élève sur semaine peut porter une chemise de couleur, la chemise sport et un pantalon de couleur foncée. L'élève doit garder ce costume pour les sorties en ville. Le port des jeans n'est pas toléré. »

 

Fonctionnaire à l’étude

Dès le début de septembre, un maître de salle, l’abbé Gaétan Brillant, me confie la tâche d’ouvrir les fenêtres du haut quand les élèves quittent la salle d’études. L’objectif est d’aérer cette grande salle pour que l’air soit sain au retour. C’est une tâche non traditionnelle qui intrigue mes confrères car elle est taillée sur mesure. Je suis donc promu fonctionnaire. Au Séminaire, un fonctionnaire est un élève qui assume bénévolement certaines tâches comme d’arroser la patinoire l’hiver, d’être responsable de la salle de quilles, de distribuer les ustensiles à la cafétéria, etc.

 

À titre de récompense, un fonctionnaire a des privilèges. L’un d’eux est d’acheter du chocolat à la cantine étudiante. Personnellement, je n’achète jamais de chocolat parce que je n’ai pas les ressources financières. Un jour, un de mes confrères me demande d’aller lui acheter une barre de chocolat à la cantine. Je refuse, mais il insiste. Finalement, j’accepte. Il me donne 10 sous : ce qui est le prix d’une barre de chocolat.

 

Ayant connaissance de ce fait, ultérieurement d’autres confrères me demandent le même service. Je suis pris dans l’engrenage. Je continue même si personne ne me donne une commission. Je respecte la marque de chocolat de chacun. Erreur de ma part. Le commis de la cantine se rend compte que j’achète différentes marques. Il me soupçonne avec raison d’acheter du chocolat pour d’autres élèves. Appuyé par le gérant, il me barre. « Désormais, me dit-il, tu ne peux plus acheter de chocolat. » Je suis content de sa décision. Je ne veux pas perdre ma tâche de fonctionnaire : ce qui me serait arrivé si j’avais insisté pour qu’il m’en vende.

 

Raoul Thibault

De temps à autre, l’abbé Raoul Thibault, un professeur de catéchisme et un fervent disciple de la Vierge Marie, vient rencontrer les élèves à la salle d’études des Grands. L’heure choisie n’est pas la meilleure, soit 6 heures 15 du matin. Nous l’écoutons avec attention même si nous sommes encore endormis. Il nous incite à devenir membre de la Congrégation mariale et à demander la protection de la sainte Vierge en tout temps. Il nous dit souvent que nous sommes et serons l’élite de la société : ce qui m’indispose. Il nous incite à placer nos études et notre carrière future sous la protection de la Vierge Marie. On finit par s’habituer à son défaut de langage qui consiste à prononcer « ait » pour « a ».

 

Dans son livre Horace ou l’art de porter la redingote, Bertrand B. Leblanc qui a connu l’abbé Thibault comme directeur des élèves lui consacre un chapitre. Voici un extrait :

 

« On dira : il ne devait pas être très drôle, le bonhomme. Pas comique non. Ni ricaneur, ni boute-en-train, mais serein comme les rares personnes qui possèdent pleinement la paix intérieure. Et pas triste pour deux sous. Sérieux, certes, mais dans la joie intense de vivre et précautionneux à ne pas gaspiller les dons précieux de la santé, du bien-être et de l’intelligence. Et souverainement discret. Ce qui se passait dans son bureau était aussi bien lié par son secret professionnel que par celui du confessionnal. »

 

Les films

Un des privilèges qui nous est offert à la Grande salle est le fait d’aller voir des films au cinéma Auditorium de la rue Michaud le dimanche après-midi. Deux conditions toutefois : ne pas avoir eu une note de mauvaise conduite et, pour certains films, avoir 16 ans.

 

La projection commence à 13 heures. Il y a présentation de deux films en rafale. De temps à autre, quand j’ai l’âge requis et un 25 sous, je me rends au cinéma. Toutefois, chaque dimanche, un problème se dessine à l’horizon. Nous devons revenir au Séminaire pour 16 heures 10. Évidemment, le deuxième film roule encore. Nous n’avons pas le choix de respecter l’heure du retour, sinon ce privilège nous serait personnellement retiré.

 

À partir de 16 heures, on peut voir les élèves du Séminaire, portant le blazer marine, sortir un à un gênés, frustrés, la tête entre les deux jambes, et courir vers le Séminaire. On ne savait jamais comment s’était terminé le deuxième film.

 

Ma difficulté à comprendre les films à cause de la morphologie s’est amoindrie, surtout quand je connais certains acteurs. Évidemment, j’exclus tout choix de film où on joue sur la ressemblance des figurants comme dans les films d’espionnage.

 

Octobre 1955. Visite d’un bienfaiteur

Dans sa dernière lettre, maman me demande d’aller visiter l’abbé Ernest Couillard qui a pris sa retraite à l’Institut Mgr Courchesne depuis le mois de septembre. Cet institut accueille des enfants nés hors mariage. Plus tard, la bâtisse sera occupée par l’Institut maritime du Québec.

 

Quand j’arrive à l’Institut, on me dit qu’il n’est pas à sa chambre, mais sur le toit de l’édifice. On me conduit jusqu’à lui. C’est une journée d’automne douce et ensoleillée. Je réponds à ses questions. Une dizaine de minutes plus tard, je quitte.

 

Comme pour l’abbé Élie Beaulieu une année plus tôt, je ne connais pas la raison pourquoi ma mère me demande de faire une telle visite. Il est fort probable que l’abbé Couillard est un de mes bienfaiteurs. Je ne le sus jamais.

 

Un peu d’argent de poche

À la salle des Grands, il y a un local spécialement aménagé pour les quilles. Cette salle est ouverte lors des après-midis de congé le mercredi, le samedi et le dimanche. Je voudrais bien jouer aux quilles, mais je n’en ai pas les moyens pécuniaires.

 

Je décide de devenir planteur de quilles. La tâche est simple. Quand les quilles ont été abattues en tout ou en partie, il s’agit de mettre le pied sur une palette de métal. Dix tiges sortent du plancher. Je dois placer, sur une tige, chaque quille trouée en son centre, puis rabattre les tiges. Je ne peux pas me tromper. Pendant que les joueurs lancent leur boule, je m’assois sur le rebord du mur en ayant soin de surveiller la boule et les quilles qui parfois rebondissent de façon inattendue. Pour une partie qui dure environ 30 minutes, je reçois 10 sous. Les joueurs quant à eux paient cinq sous par partie.

 

Je passe des après-midis à exercer ce métier. Je me fais ainsi un peu d’argent de poche pour payer mes effets scolaires. Je me gâte aussi à l’occasion mais rarement en achetant des brioches à la cantine. On peut avoir deux brioches enrobées dans une crème délicieuse pour cinq sous.

 

Je plante les quilles pendant quelques mois. Un jour, je réalise que des confrères ayant à peu près le même âge que moi s’adonnent à ce sport parce qu’ils en ont les moyens. Pour ne pas vivre plus longtemps cette frustration, je décide de ne plus retourner à la salle de quilles. Je donne ma démission au grand dam des responsables qui ont de la difficulté à trouver des volontaires. C’est ainsi que se termine ma carrière comme planteur de quilles.

                              

Décembre 1955. Deux échecs

En décembre, j’échoue deux examens : thème latin et version latine. J’ai droit à une reprise en janvier. Si j’échoue, je suis exclu du Séminaire. Je n’avais jamais raté un examen auparavant. D’ailleurs, ce fut la dernière fois de ma vie que cela arriva.

 

Au retour des vacances des fêtes, je me présente à la reprise et je réussis. C’est une bonne leçon pour moi, mais pendant le deuxième semestre, je ne fais pas d’efforts supplémentaires.

 

Décembre 1955. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 610,00 $.

 

Février 1956. Ouverture de dossiers

Un jour de congé, l’abbé Robert Michaud, le directeur des élèves, me fait venir à son bureau. Je crains d’avoir eu une mauvaise conduite. Mais non. Il m’explique que jusqu’à maintenant les notes de conduite et d’assiduité au travail de même que les résultats scolaires sont inscrits dans des grands livres. Il dit que j’ai une belle écriture. Il me demande si j’accepterais d’ouvrir un dossier pour chacun des 500 élèves du Séminaire. J’acquiesce avec plaisir. Il me donne des chemises vierges. Ma tâche est simplement d’écrire le nom de chaque élève sur chaque chemise. Tous les renseignements sur un élève, au lieu d’être éparpillés, sont maintenant à un même endroit.

 

Pendant quelques jours de congé, je m’attèle à cette tâche. Quand le Séminaire a fermé ses portes en 1968, le classeur contenait encore les mêmes dossiers où j’ai reconnu mon écriture.

 

25 avril 1956. Visite du maire de Montréal

Jean Drapeau est reçu au Séminaire. Il a été élu maire de Montréal l’année précédente en faisant campagne sur la base d'une épuration des mœurs dans la métropole. Il vient nous rencontrer à l’étude pour nous servir un discours enflammé sur la solidarité humaine et la moralité publique. Je le vois encore huché sur la tribune du surveillant dans la salle d’études des grands, gesticulant et parlant abondamment. Il nous explique que tout citoyen même jeune a un rôle social et qu’il doit être de conduite irréprochable. Il le fait par une allégorie en disant en substance : « Nous devons tous être solidaires les uns des autres. Nous sommes comme les rayons d’une roue. Si un rayon vient à faiblir ou à se disloquer, tous les autres auront à subir les contrecoups jusqu’à ce que la roue s’effondre. »

 

Il nous recommande d’être de futurs citoyens honnêtes et exempts de toute faiblesse morale. On sent qu’il vient chercher l’appui du clergé. À part cette raison, je me demande bien pourquoi il a été invité au Séminaire de Rimouski. Ajoutons qu’il sera battu à la mairie en 1957, mais il reviendra en force en 1960 et sera maire de Montréal jusqu’en 1986.

 

Mai 1956. Une injustice

Un mercredi après-midi de mai, les élèves de la Grande Salle obtiennent la permission d’aller voir un film au Cinéma Auditorium. Le hic, il faut avoir 16 ans. Avec désolation, une dizaine de mes confrères et moi devons demeurer au Séminaire : nous n’avons que 15 ans. Nous avons crié à l’injustice ; rien n’y fit. L’après-midi fut long pour nous.

 

Préparation des prix

L’abbé Ludger Rioux, le préfet des études, me demande à son bureau. Il voudrait, avec un autre élève, que je l’aide à préparer des piles de livres pour la distribution des prix à la fin de l’année scolaire. J’accepte avec plaisir.

 

Un bon soir, au lieu d’aller à l’étude, nous nous rendons dans un local en face du bureau du préfet. Il y a là des centaines de livres dans des étagères. Pour certains titres, il peut y avoir des dizaines d’exemplaires. Notre tâche consiste à faire des piles de 2 à 7 livres différents en diversifiant le genre des livres. De plus, nous devons estamper la signature « Préfet des études » dans chaque livre.

 

Comme récompense pour notre travail, l’abbé Rioux nous donne chacun un livre. Mon copain demande s’il peut avoir un livre qu’il a vu sur la vie de Napoléon Bonaparte. M. Rioux accepte. Je n’ose pas faire une telle demande et notre abbé ne m’offre rien de plus. Je suis légèrement frustré. Nous terminons notre travail vers 23 h 00.

 

Le préfet avait prévenu le maître de salle que nous serions en retard si bien qu’à notre arrivée la porte du dortoir n’était pas verrouillée. Quand on est pensionnaire, c’est toujours une grande joie que de vivre des événements en dehors des autres élèves et à l’encontre des règlements.

 

Mes résultats scolaires

À la fin de l’année scolaire, je me classe 22e sur 30 élèves. C’est une régression par rapport à l’année dernière. Il est facile de blâmer les professeurs pour des insuccès. Il est vrai que j’aurais dû travailler plus, mais notre professeur principal m’a détourné de mes études. Je me console en étant fier d’obtenir le premier prix de mathématiques. Cela veut dire que dans tous les examens de l’année y compris dans l’examen final j’ai perdu peu de points.

 

Lors de la distribution des prix à la salle académique, je monte sur la scène le cœur léger et avec une certaine assurance. Je reçois une pile de livres que moi et mon copain avions préparée.

 

Été 1956. Abattages d’animaux

Je passe mes vacances chez mes parents. Au début de l’été, j’écorce des billes de sapin ou d’épinette de quatre pieds. C’est un travail que j’aime bien.

 

Au début de l’été, j’assiste à l’abattage d’un bœuf. Après l’avoir enchaîné et transporté sur le fenil, mon père s’assure que les liens sont bien fixés. Le bœuf étant debout, mon père prend une masse et de toutes ses forces assène un coup sur son front. Le bœuf tombe par terre. Mon père prend un long couteau et le saigne. Quelqu’un s’approche avec une chaudière pour recueillir le sang. Je ne peux pas vous raconter la suite car j’ai déguerpi.

 

Ma mère attend des tantes qui viennent passer quelques jours chez nous pendant les vacances d’été. Elle m’aborde et me dit : « Va tuer une poule, la plus grosse. » Je réponds : « Vous savez bien que je suis incapable de faire ça. Demandez à mon frère. » Sur ces entrefaites, mon frère plus jeune que moi de deux ans, donc ayant 13 ans, entre dans la maison. Il accepte avec plaisir. Il court prendre une hache dans le hangar, va chercher une poule dans le poulailler, choisit un bout de madrier, serre fortement le haut du corps de la poule, met son cou sur le bois et, bang, assène un coup de hache. C’est fait. Cette fois-ci, j’ai été capable d’assister au spectacle.

 

La petite faux

Dans le ramassage du foin, mon père ne veut perdre aucun brin. Il est très exigeant pour cette opération. Les filles l’apprennent rapidement quand, munies d’un petit râteau, elles ratissent les brindilles qui restent sur le sol à mesure que mon père verse le foin dans la charrette avec une fourche.

 

Pour obtenir le plus de foin possible, mon père me demande d’aller faucher la lisière de foin qui entoure le potager. Je vais chercher la petite faux de mon père dans le fenil. En premier lieu, je fais semblant d’aiguiser la faux avec une pierre parce que je ne connais pas vraiment la technique. Je me dirige vers le potager. J’essaie de reproduire les mouvements vus auparavant de mon père. Je mets mes mains sur les deux poignées, l’une en haut du manche et l’autre presqu’au milieu de ce manche. J’arc-boute mon corps et tente de faire une rotation avec la faux. La lame se dirige vers le haut et étête le foin.

 

Mon frère plus jeune qui me voit faire vient à mon secours et m’indique une position précise des pieds et une courbure du corps visant à protéger les reins. Après deux ou trois minutes, je suis capable d’appliquer la technique avec succès. Heureusement comme c’est un travail physiquement très exigeant, je n’ai pas eu souvent l’occasion de récidiver.

 

Le grand râteau

J’obtiens une promotion dans mon travail sur la ferme. Je suis assigné au grand râteau. Quel bonheur ! Assis sur le siège, je guide le cheval. Il s’agit de disposer le foin en andains denses le plus possible. Sur une barre parallèle à l’essieu est attaché un râteau ayant une largeur de 1,5 mètre et muni de longues dents légèrement courbées qui ramassent le foin. Pour laisser le foin en andains, je dois faire basculer le râteau au bon moment. Il y a une pédale à pied mais elle ne fonctionne pas toujours. Aussi, je dois actionner le long manche vers l’avant manuellement : ce qui demande un peu de force physique.

 

Avant de commencer le raclage du foin dans un champ, je dois déterminer dans quel sens l’opération se fera en tenant compte des obstacles naturels et de la grandeur du champ. Il faut aussi décider de la disposition des andains en raison de la densité du foin.

 

Mon plus grand défi toutefois est de guider le cheval. Celui que mon père me confie s’appelle la Nelle et il a 6 ou 7 ans. C’est un cheval peu ou mal dressé. Normalement, quand on tire sur les cordeaux et qu’on crie woh le cheval s’arrête. Ce bronco-là répond au cri woh quand il le veut et si je tire sur les cordeaux, il accélère. Le seul moyen de l’arrêter est de tirer doucement à gauche, puis à droite successivement jusqu’à ce qu’il comprenne. Il me faut donc organiser mon travail pour qu’il n’y ait pas d’arrêt. Le plus stressant est d’entrer ou de sortir le grand râteau du champ puisque les ouvertures n’ont pas été conçues pour un instrument d’une telle largeur. Souvent, il reste à peine un pouce ou deux de chaque côté. Surtout qu’il n’est pas possible d’arrêter le cheval.

 

J’eus peur une seule fois. Un jour, je descends en ligne droite une longue côte le râteau levé. Je veux commencer à râteler par le bas de la côte. Je réalise que le cheval commence à trotter. Inutile de donner des ordres vocaux. Il faut agir vite. Je tire brusquement sur un cordeau et en même temps je baisse le râteau. Le cheval semble surpris et il reprend son pas normal. Je descends la côte en biais me permettant en cours de route de relever le râteau.

 

Avec le temps toutefois, on dirait que ce cheval mal dressé me fait de plus en plus confiance et se conforme au peu d’ordres que je peux lui donner. Évidemment, je ne l’ai jamais frappé. Il est vrai aussi que, la fatigue aidant, il est moins fougueux.

 

Poseur de bardeaux

Quand la température ne permet pas de râcler le foin, je deviens un poseur de bardeaux. Mon père vient de terminer une bâtisse en trois sections derrière la maison : un poulailler à l’ouest, un hangar à bois au centre et un atelier de travail à l’est où on trouve un immense chaudron qui servira à ma mère pour faire du savon rustique.

 

Au début, je suis un peu craintif de monter sur cette bâtisse, mais je m’habitue rapidement. Je prends un vif plaisir à faire ce travail.

 

Un gramophone

Un changement important dans la vie familiale est l’achat d’un gramophone. Placé sur un petit bureau dans la cuisine, cet appareil joue mécaniquement des morceaux de musique et surtout des chants. Avec l’achat de quelques 78 tours, de 33 tours et principalement de 45 tours, la discothèque s’enrichit. Quelle joie d’écouter en famille les chansons de la Bolduc comme « C’est dans l’temps du jour de l’an » ! Plus tard, quelle joie d’écouter la chanson dédiée au Canadien de Montréal « Ils sont en or, ils sont en or nos Canadiens, les tricolores ». Quelle joie d’écouter toutes ces chansons qui décrivent le bon vieux temps.

 

Chapitre 8. Versification et Belles-Lettres au Séminaire

 

5 septembre 1956. Rentrée scolaire

C’est l’entrée en Versification (Secondaire IV) au Séminaire. Nous sommes 73 alors que nous étions 89 au début de l’année précédente. Comme d’habitude, nous sommes invités à une retraite de trois jours, soit du 9 au 12 septembre.

 

Les maîtres de salle sont les abbés Emmanuel Gagnon, Gaétan Brillant, Paul Desjardins, Jean-Yves Leblond, Euclide Ouellet. Les professeurs en Versification B sont les abbés Georges-Étienne Talbot en histoire et géographie, Simon Amiot en anglais, Louis-Georges Lamontagne en grec et catéchisme, Roland Beaulieu en mathématiques, Bernard Lebel, titulaire, en français et latin. C’est l’abbé Robert Michaud qui est toujours directeur des élèves.

 

Nos professeurs sont de plus en plus compétents. Je suis content de retrouver Roland Beaulieu et Simon Amiot. M. Talbot nous récite un cours qu’il sait par cœur. Un jour dans un cours, il nous a longuement parlé d’un personnage du Moyen-Âge. Le cours suivant, il a commencé en disant que ce qu’il a dit au dernier cours valait pour un autre personnage.

 

Il connaît une liste de blagues qu’il lance toujours à un moment précis. À l’époque, nous achetions les livres des élèves du degré supérieur. Un de mes confrères avait acheté un livre qui contenait plusieurs blagues de cet homme. C’était encore plus drôle quand on connaissait d’avance les blagues.

 

L’abbé Louis-Georges Lamontagne est un personnage bien spécial. Ses cours sont ponctués d’anecdotes qui ne sont pas toujours en relation avec la matière. J’ai appris à le connaître plus tard au Camp Cap-à-l’Orignal.

 

Décembre 1956. Surdité de mon père

Chaque année, ma mère talonne mon père pour qu’il fasse une provision de bois de chauffage. Malheureusement, il est arrivé quelques fois qu’en plein hiver les rondins suintaient l’humidité.

 

On est entre Noël et le jour de l’An. Le soleil est radieux. Le sol est blanc. Pas de vent. Un froid sec mais supportable. Ma mère qui se plaint parfois que le bois de poêle n’est pas suffisamment sec dit à mon père que ce serait le temps idéal pour aller bûcher du bois de chauffage. Celui-ci se résigne.

 

Mon frère Pierre et moi accompagnons notre père à la montagne au nord pour y couper et débiter les spécimens qui sont voués à la disparition à plus ou moins longs termes. Ce sont des bouleaux, des érables, des sapins et des épinettes, tous plutôt chétifs.

 

Presque rendus à la montagne, nous marchons derrière notre père. Je dis à Pierre d’un ton feutré : « Crois-tu vraiment que papa est sourd ? » Pierre me répond d’un ton encore plus bas. « Je n’en suis pas certain. » Au même moment, mon père se tourne la tête et lance : « De quoi vous parlez ? » Une vraie douche froide. Nous avons presque perdu la langue pour le reste de l’avant-midi.

 

Qu’en est-il vraiment ? Mon père joue à l’ermite. Il participe peu aux réunions de la parenté et pas du tout aux réunions d’association. Ma mère le couvre en disant qu’il est sourd et que le bruit dégagé par trop de monde le fatigue. Nous avons alors l’impression qu’il nous entend quand il le veut bien et que son degré de surdité est variable.

 

Une chose est certaine. Il y a du bien-fondé dans les propos de ma mère. Parvenu à la soixantaine, mon père s’est fait opérer dans les deux oreilles.

 

Décembre 1956. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 822,67 $.

 

Février 1957. Démonstration inusitée

Après les cours de l’après-midi au Séminaire, quelle surprise de voir un homme en habit et cravate dans la salle de récréation des Grands. Devant lui sur une table, trône une machine. Nous faisons cercle autour de l’homme. Il nous dit qu’il fait une démonstration. Je connaissais les démonstrations en mathématiques, mais une démonstration commerciale est une nouveauté pour moi, ce qui est d’ailleurs inusité à l’époque.

 

L’homme met des poignées de blé dans la machine et il en ressort des filaments, ce qu’on appelle en anglais shredded wheat. Je ne me souviens pas pour quelle compagnie l’homme faisait ces représentations. Était-ce Quaker, Kellogg’s, Post ou une autre ? Les deux premières compagnies existaient depuis une cinquantaine d’années. La troisième Post, une compagnie ontarienne, était en opération depuis près de 20 ans.

 

À mesure que le produit fini sort de la machine, l’homme nous invite à une dégustation. Ces paillassons sont encore aujourd’hui sur le marché et sont conçus pour le déjeuner. L’homme prend soin de nous rappeler la haute teneur en fibres de cet aliment et surtout le fait qu’il est constitué de blé pur.

 

En mon for intérieur, je me demande ce qui a poussé la compagnie à faire une telle démonstration et pourquoi les autorités du Séminaire ont accepté un pacte avec le diable parce que cela va totalement à l’encontre des valeurs de l’institution. À l’époque, je pensais que la consommation de biens ou d’aliments ne devrait pas être dictée par ceux qui font des profits.

 

Mon premier réflexe est alors de penser que le Séminaire a obtenu un rabais sur les achats faits à cette compagnie parce que cet aliment nous est servi de temps à autre lors de déjeuners. Puis, je me suis interrogé sur les avantages pour cette compagnie de procéder à une telle opération devant des jeunes qui n’ont aucun pouvoir d’achat. J’ai finalement pensé qu’il s’agit d’une publicité à long terme.

 

Sur ce point, la compagnie a gagné son pari parce que l’opération m’a suffisamment marqué pour que j’en aie gardé le souvenir.

 

Campagne de moralité

Au début de l’hiver, des rumeurs circulent à l’effet que certains élèves ont des relations douteuses. Une vaste campagne de moralité s’amorce. Une enquête est instituée. Pendant la retraite, deux ou trois de mes confrères sont mis à la porte du Séminaire sans qu’on connaisse véritablement les raisons.

 

Mars 1957. La composition française

Chaque fin de semaine, je dois m’échiner à faire une composition française. Parfois le sujet est fort intéressant, d’autres fois moins. Ce travail est noté sur 30. Une note 24 souligne un travail exceptionnel. Quand cette note dépasse 24, c’est considéré presque comme un chef d’œuvre. Personnellement, ma note se situe autour de 21.

 

Un vendredi, le professeur propose d’écrire un texte en s’inspirant d’un conte d’Alphonse Daudet tiré des Lettres de mon moulin. Quand je reçois ma copie corrigée, le professeur m’indique que je suis passé à côté du sujet. Il m’attribue une note de 12 sur 30. Je suis catastrophé et même choqué.

 

Le vendredi suivant, l’abbé Lebel nous montre une image d’un jeune en larmes qui a perdu un doigt et qui regarde son violon avec amertume. Je me mets émotivement au travail. Je concocte une histoire pour expliquer la situation du jeune. Me souvenant de ma dernière note, j’écris d’un trait et sans effort. Il est clair que l’émotion ressort tout au long du récit. Mon texte a été cité en exemple. J’ai été gratifié d’une note de 24.

 

Une autre semaine, nous devons composer un poème sur le printemps. J’écris le meilleur poème. Le voici :

 

Le vent glacial du nord a cessé de souffler.

Lassés d’un long hiver, les arbres essoufflés

de leur pesant fardeau ont relevé la tête.

 

Depuis peu, l’hirondelle est venue à la fête

annonçant la première un beau printemps vermeil.

Elle a vu la nature oublier son sommeil

et bercer bien au loin une brise d’amour

comme un peu égarée en son nouvel atour.

 

Enfin, toute égayée d’arôme printanier

la nature réjouie commença à chanter.

 

Un peu plus tard, je fais un discours sur Honoré Mercier. Au début, un peu nerveux, je dis tout d’un trait : « Honoré Mercier, Monsieur le professeur, chers confrères. » Les élèves se mettent à rire et font semblant de chercher Honoré Mercier dans la classe. Le professeur se lève et, en faisant de grands gestes, invite les élèves au calme. J’obtiens quand même 80 %, l’une des meilleures notes.

 

Réfectoire des prêtres

À quelques occasions, je suis demandé pour assurer le service aux tables au réfectoire des prêtres. Il y a là trois longues tables disposées en U. La seule table transversale reçoit le Supérieur et les prêtres plus âgés. Dans les deux autres tables, les prêtres sont placés par ordre d’ancienneté d’ordination. J’étais toujours impressionné de voir toutes ces personnes dont les uns étaient parmi mes professeurs anciens ou actuels.

 

Un jour, un prêtre me demande d’aller fermer un store horizontal parce que le soleil lui arrive dans les yeux. J’ai un mouvement de panique. C’est la première fois que je vois de tels stores. En m’approchant de la fenêtre, je vois une poignée. Je me dis : « C’est peut-être la clé. » Doucement, je tourne la poignée. Le mécanisme fonctionne. Le store est obstrué. Je peux maintenant respirer.

 

Mai 1957. Fête de l’archevêque

Le Séminaire fête l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent. Après un banquet au réfectoire, l’archevêque donne une allocution à la salle académique. Le thème choisi est la jeunesse et ses dérives.

 

Généralement, Mgr Parent profite de cette circonstance pour louer le passé et stigmatiser les nouveautés quand même rares. Comme on est généralement à trois semaines des vacances, il en profite pour nous mettre en garde contre les dangers de la promiscuité. Ces interventions sont toujours en regard de la moralité, tout comme l’année où il nous a mis en garde contre les lectures dangereuses.

 

Comme les autres, je l’écoute poliment mais je considère que ses propos sont d’un autre âge, pas ceux de la jeunesse des années 1950.

 

Cette année-là, l’archevêque décide de recevoir les prêtres des paroisses de façon solennelle au Séminaire. Je suis avec quelques confrères et j’observe la scène. Monseigneur est debout dans l’entrée du Séminaire. Tour à tour, les curés se présentent à lui, se penchent et baisent sa bague. Je suis scandalisé. « Au nom de quoi, me dis-je, cet homme a-t-il le droit d’humilier ses prêtres qui, par ailleurs, ne semblent pas offusqués. Probablement, pour faire passer un message d’obéissance. »

 

À un moment donné, je vois surgir le curé de ma paroisse presqu’en trottant. Il met un genou à terre et baise la bague. Je suis profondément bouleversé et gêné. Heureusement, aucun de mes confrères ne me demande si je connais cet homme. Il est probable que j’aurais nié.

 

À la raconter, cette scène me bouleverse encore. La subordination a quand même ses limites entre adultes.

 

Une visite à l’hôpital

Rémi Thibault, mon cousin germain du côté des Jean, me demande si je veux aller avec lui à l’hôpital de Rimouski pour visiter Johnny Jean qui est notre grand-oncle. Il est l’époux d’Elmire Boucher, la sœur d’Élise, notre grand-mère mutuelle. J’accepte avec plaisir. Avant de partir, à notre grande surprise, quelqu’un avait averti Rémi : « Ne parlez pas de sa femme. Ne lui dites pas qu’elle est décédée en février. Il ne le sait pas. »

 

Cet homme de 82 ans est sur un lit d’hôpital depuis environ quatre mois. Il s’est cassé une jambe. Il est couché sur le dos, la jambe en l’air retenue par un palan fixé au plafond. Il est très heureux de nous recevoir et s’informe de notre parenté avec lui. Il nous parle de sa souffrance de rester ainsi cloué au lit. Puis, il nous demande si on a des nouvelles de sa femme. Bien sûr, qu’on en n’a pas. Il nous dit qu’il a hâte de retourner dans son petit logis attenant à la maison de sa fille Cécile (Albert Dionne) et de vivre avec sa femme qui est trop malade pour venir le voir.

 

La visite est courte parce que nous manquons de sujets de conversation. Notre grand-oncle mourut trois mois plus tard, soit le 8 août 1957, sans savoir que son épouse était décédée et que son logement avait été vidé. Ses proches étaient alors certains qu’il finirait ses jours au centre hospitalier.

 

Juin 1957. L’allée du Séminaire

L’allée du Séminaire était une voie qui permettait d’atteindre le Séminaire à partir de la rue de l’Évêché. D’un côté, c’était la cour de récréation des Grands et de l’autre, un magnifique parc. J’ai traversé cette allée de temps en temps, mais surtout je l’ai beaucoup regardée. Elle fut, pour moi, un symbole de réclusion et de liberté. Réclusion, quand j’y entrais ou que je la voyais. Liberté, quand j’y sortais.

 

Il y avait d’autres issues pour aller en ville ou quitter pour un congé, mais cette allée demeurait dans mon esprit comme étant la seule voie royale. Sûrement que depuis ses débuts, elle avait vu de jeunes garçons entrer en habit de ville et, un peu plus tard, passer par là en redingote ou en blazer. Elle a dû éprouver une certaine jouissance dans ces moments puisqu’elle avait réussi à transformer ces garçons.

 

Je me souviens qu’après le souper les prêtres du Séminaire arpentaient cette allée dans un sens et dans l’autre. Rendus à la rue de l’Évêché, ils rebroussaient chemin comme si, eux aussi, ne pouvaient pas fouler le sol extérieur. Cela m’impressionne encore quand je fais rouler ces pensées dans ma tête.

 

Un beau dimanche après-midi de juin 1957, je vois les Finissants marcher au pas militaire dans cette allée. « Que se passe-t-il, me dis-je ? » Ils tapent tellement fort sur le sol qu’on pourrait croire qu’ils veulent anéantir le macadam. Ces élèves d’au début de la vingtaine sont en colère et pas à peu près. Un des leurs vient d’être mis à la porte pour avoir passé une nuit en ville sans permission. Cet élève est mon cousin germain, Jean-Guy Théberge, le fils de Léo. Il a dû subir ses examens universitaires au collège de Sainte-Anne de la Pocatière.

 

Le fait que ces élèves aient choisi de faire leur manifestation dans cette allée montre bien l’ambiguïté et la force de sa présence. Elle appartient à la fois au Séminaire et à l’extérieur. Et une telle manifestation à l’époque, c’est de l’insubordination pure et dure.

 

Résultats scolaires

Pendant ce temps, nous de la Versification nous nous préparons aux examens de l’université Laval. Je suis stressé car c’est la première fois que je subis ce genre d’examen. J’obtiens comme moyenne un peu plus de 70 %. En mathématiques, je fais une seule faute. Ma note est de 19,5 sur 20. C’est dans une démonstration en géométrie plane que je perds 0,5. Quant aux résultats de l’année, ils se sont améliorés. Je me classe au 14e rang sur 37 élèves.

 

Été 1957. Installation du téléphone

Quand j’arrive chez mes parents pour les vacances estivales, sur un mur de la cuisine, je vois un appareil téléphonique. Je ne suis pas surpris parce que ma mère me l’avait annoncé par lettre. Le téléphone a été installé dans le rang depuis environ deux mois.

 

On s’est servi des poteaux d’électricité pour installer les fils de téléphone. Sur les 14 cultivateurs du rang, 10 paient un abonnement. Il y a deux lignes, soit cinq familles par ligne. Sur chaque ligne, pour chaque client, un appel est signalé par un code sonore, par exemple, un grand coup, deux petits coups.

 

Il faut faire attention pour ne pas tenir des propos personnels parce que théoriquement quatre autres personnes peuvent écouter la conversation. Sans compter qu’il faut être le plus bref possible parce que d’autres clients peuvent vouloir faire un appel parfois urgent. Il peut arriver que la conversation soit interrompue par une voix qui dit : « Avez-vous terminé ? » Mais, sauf exceptions, les gens n’abusent pas du téléphone.

 

Pendant longtemps, l’appareil de téléphone devait être fixé au mur. On n’avait pas le droit d’acheter son propre appareil. Il était donc loué de la compagnie de téléphonie, en l’occurrence de Québec-Téléphone pour la grande région de Rimouski. Les appareils installés étaient de couleur noire et il fallait payer un dollar de plus par mois pour avoir un téléphone de couleur.

 

Expérience d’arpentage

Je passe mes vacances d’été chez mes parents à travailler sur la ferme. Quelques jours après la fin des classes, un propriétaire de scierie de la paroisse se présente à la maison. Il dit à ma mère qu’il vient d’acheter une terre à bois à Saint-Valérien, qu’il a engagé un arpenteur-géomètre pour préciser les limites de son lot et qu’il a besoin d’un aide pour marquer les arbres. Ma mère se tourne vers moi et me demande si je veux y aller. Je souscris avec plaisir à cause de l’expérience que cela m’apportera.

 

Je pars avec cet homme. Il s’arrête à Saint-Eugène pour faire le plein d’essence. En revenant vers sa voiture, il clame haut et fort avec une indignation surprenante : « Mathieu Ouellet, il va brûler en enfer pour longtemps. » Je ne comprends pas pourquoi il est si hargneux envers cet homme et pourquoi il sent le besoin de l’exprimer à ce moment-là. Rappelons au lectorat que Mathieu Ouellet avait été ordonné prêtre et qu’il a quitté pour devenir pasteur protestant.

 

Nous atteignons le lot à Saint-Valérien un peu avant 10 h qui est le temps fixé pour le rendez-vous. Point d’arpenteur. À midi, je me rassasie avec les sandwiches de cet homme. Vers 13 heures, l’arpenteur arrive. On me donne une hache. À mesure qu’on avance dans la forêt, l’arpenteur indique où se trouve la ligne. Mon patron d’un jour m’indique de quel côté de l’arbre je dois faire une entaille. Je me rends rapidement compte qu’il exagère légèrement dans le choix du côté de l’arbre. Je dois obéir.

 

Au début, la hache est légère. Peu à peu, elle devient plus pesante. Cela fait 10 mois que je n’ai pas travaillé manuellement. Nous devions revenir pour le souper. Malheureusement, le travail exige plus de temps que prévu. Un bref arrêt pour manger les restes peu abondants du midi et on continue. À la fin, j’ai de la difficulté à soulever la hache. Il faut que je me reprenne trois ou quatre fois et même plus pour faire une entaille convenable. En même temps, la noirceur s’installe : c’est la délivrance.

 

Environ une semaine plus tard, mon patron d’un jour vient chez nous pour la paie. Il demande à ma mère son tarif. Elle dit 5 $. Il la regarde dans les yeux et dit : « Mais il n’était pas habitué. » et il a sorti de sa poche un billet de 5 $. D’habitude quand il achète les billots de mon père, c’est lui qui fixe les tarifs. Là, c’est ma mère qui a l’avantage et, en femme d’affaires qu’elle est, elle n’aurait pas reculé.

 

Léo Jean de Montréal, un frère de mon père, est en vacances chez nous. Il voit la scène et est profondément fâché de la réaction du monsieur. Cela lui rappelle avec amertume des souvenirs pénibles. À 14 et 15 ans, il était obligé de travailler à peu près sans salaire pour le cousin de cet homme qui avait lui aussi un moulin à scie.

 

Visite au couvent

Un bon dimanche, je vais faire une commission au couvent du village. Comme il se doit, j’entre par la porte principale en avant de l’édifice. Une religieuse vient me répondre. Je suis rapidement distrait par un tableau qui est accroché au mur à ma gauche.

 

En fait, ce tableau est une mosaïque des prêtres natifs de la paroisse autour de Mgr Charles-Eugène Parent, archevêque de Rimouski, lui-même reconnu comme un fils de Saint-Mathieu-de-Rioux. La photo de Mathieu Ouellet a disparu. On l’avait découpée avec un outil qui laissait des traces irrégulières.

 

Que signifie un trou sur une mosaïque ? Une façon de dire qu’on rejette cet individu ? Comme la photo avait été mal découpée, cela laissait deviner la rage de la personne qui avait procédé. Le fait qu’on avait quand même laissé le cadre à cet endroit laissait entendre qu’on exprimait cette rage de façon publique. J’étais profondément peiné devant ce « sacrilège ».

 

Situation crève-cœur

Ce jour-là, pendant la traite des vaches du soir, je suis seul dans la maison. Je fouille dans un bureau récemment installé dans la cuisine. J’y trouve une lettre adressée à ma mère qui provient d’un dénommé Jean-Baptiste Gauvin, prêtre. Je me souviens avoir déjà entendu ce nom. « En effet, me dis-je, c’est le frère de l’abbé Joseph Gauvin, un ancien curé de la paroisse. Pendant ses études, il résidait au presbytère de son frère. En plus, il a baptisé une de mes sœurs. »

 

Un peu à reculons quand même, j’ouvre la lettre et la lit. Je suis estomaqué. Cet abbé parle de moi et dit que je suis un ingrat, c’est le mot que j’ai retenu. Il n’explique pas ce que j’ai fait pour m’attirer ses foudres. Je réfléchis un bon moment. Je finis par me dire : « C’est probablement un de mes bienfaiteurs au Séminaire. Il a donné un certain montant pour ma pension et je ne l’ai jamais remercié. »

 

Que dois-je faire ? Ma mère ne répond jamais clairement à mes questions quand je lui parle de bienfaiteur. Alors, je prends une décision que je considère encore aujourd’hui comme une erreur. Je lui écris, à l’insu de ma mère, en faisant semblant que je le savais et que je le remerciais.

 

Quelques mois plus tard, il y a une grande fête au Séminaire. Plusieurs prêtres sont invités. Il y a un banquet au réfectoire. Je suis demandé pour effectuer le service aux tables. Après le souper, l’abbé Gauvin se présente à moi. Il me pose quelques questions sans aborder le sujet litigieux. Je réponds à ces questions, mais pas plus, car je ne sais vraiment pas par où commencer. Je ne veux pas lui avoué que j’ai menti et je ne veux pas mettre ma mère dans l’embarras.

 

Il y a un détail qui encore aujourd’hui m’intrigue. En 1993, j’ai eu un appel téléphonique du secrétaire-trésorier de la corporation du Séminaire de Rimouski m’informant qu’en 1956 un montant de 391 $ avait été déposé à la Procure à mon intention et à celle d’un de mes confrères. Ce montant était inscrit aux livres, mais il n’avait jamais été utilisé pour payer une partie de nos études. Était-ce lui qui avait déposé ce montant ? Ma mère était-elle au courant ? Je n’ai jamais reparlé des bienfaiteurs avec elle.

 

Achat d’un appareil de télévision

À l’époque, une nouveauté technologique prend des années à s’implanter. Dans le rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux, seul Ernest Vaillancourt, notre voisin, avait acheté un téléviseur dès l’implantation d’une station de Radio-Canada à Rimouski en 1954. Quelques fois, nous sommes allés voir la lutte à la télévision. C’était tout un spectacle, surtout que madame Hélène était très expressive et avait ses lutteurs préférés.

 

Un jour en juillet, un vendeur d’appareils électroniques de Trois-Pistoles entre à la maison transportant un téléviseur. Ma mère s’empresse de lui dire : « Nous n’avons rien commandé. » Le vendeur rétorque : « Ma chère madame, je vous installe l’appareil et je reviens dans une semaine. Si vous ne l’achetez pas, je le reprends et cela sans aucuns frais de votre part. »

 

Le prix demandé était de 400 $, une fortune à l’époque. Pour ce montant, un élève pensionnaire au collège était nourri, logé et instruit pendant 10 mois. Par ailleurs, ce montant de 400 $ en 1957 équivaudra à 3845 $ en 2021. Ma mère a demandé une contribution à deux aînés de la famille qui gagnaient un peu d’argent. Ceux-ci ont accepté de donner chacun 100 $.

 

C’est à contrecœur que ma mère accepte d’acheter l’appareil parce qu’elle sait qu’elle n’aimerait pas s’asseoir devant la télévision. Elle est aussi consciente du fait que la disposition des chaises dans la cuisine se ferait désormais autour de cet appareil qui en devient le centre d’attraction.

 

La diffusion se fait en noir et blanc. L’image n’est pas à son meilleur. Il neige souvent, même en plein été. Personne ne s’en offusque. Pour nous les enfants, c’est le bonheur après une dure journée aux champs de s’asseoir devant le téléviseur. Nous parlons souvent des programmes passés ou à venir.

 

Nous n’avons pas le droit d’ouvrir le téléviseur sans la permission des parents. Mon père prend goût à la télévision. Alors, quand il est là, l’appareil est en marche. Cet été-là, nous avons pu regarder avec délectation la Famille Plouffe de Roger Lemelin, les Belles Histoires des pays d’en haut de Claude-Henri Grignon et Radisson réalisé par Pierre Gauvreau. Ces programmes sont diffusés en direct et roulent hebdomadairement sans interruption peu importe la saison. De plus, à 13 h 30, chaque jour, il y a un film découpé en 15 minutes. Qui aujourd’hui regarderait un film réparti sur plus d’une semaine ?

 

Un quêteux

De temps à autre, pendant l’été, des hommes d’un certain âge passent par les maisons et demandent des sous et parfois l’hospitalité d’une nuit. On les appelle des quêteux. À certains endroits, le nécessiteux est invité à coucher dans la grange. Chez nous, ma mère prépare un lit dans la cuisine en étendant des draps et des couvertures par terre. Pour éviter la transmission de parasites, elle lave le tout après le départ du quêteux.

 

Ce jour-là, un quêteux se présente un peu avant le souper. Ma mère accepte de l’héberger. Il enchaîne en disant : « Puis-je aller ramasser des pissenlits autour de la maison. » « Mais pourquoi, demande ma mère ? » Il répond qu’il voudrait en faire une salade. Au repas, le quêteux, assis à la place de ma mère, savoure son bol de salade aux pissenlits. Nous le regardons avec étonnement. Nous ne savons pas que le pissenlit peut être comestible. D’autant plus que c’est, pour nous, une plante nuisible.

 

En le voyant si à l’aise, cela me fait penser à un autre quêteux qui lui – il faut le faire – était arrivé avec une voiture tirée par deux chevaux. Mon père avait refusé de donner de l’avoine aux quadrupèdes et les avait envoyés au pacage pour la nuit.

 

Visite à Saint-Médard

Un samedi soir, ma mère me dit : « Je vais te couper les cheveux. Je vais te laver la tête. Par la suite, fais un effort pour bien te laver. Demain, nous allons dîner au presbytère de Saint-Médard. »

 

Le lendemain, après la messe paroissiale, nous partons en camionnette mon frère, ma mère et moi. Je suis très intimidé de rentrer dans ce presbytère et d’être reçu dans un salon où l’archevêque de Rimouski a déjà été accueilli. J’étais allé quelque fois au presbytère de Saint-Mathieu, mais je n’avais vu que le bureau du curé.

 

L’abbé Paul-Émile, le curé de la paroisse, est heureux de revoir sa cousine de sept ans son aînée. Il nous fait visiter le presbytère. Au dîner, bien sûr, une demoiselle est là pour faire le service.

 

Pour maman, c’est une visite de courtoisie, mais c’est aussi un moyen de trouver un nouveau bienfaiteur pour payer une partie de mes études au Séminaire. Je ne pense pas que cela a fonctionné. En effet, il est de rumeur que l’abbé Paul-Émile n’a jamais été très riche étant donné la pauvreté des paroisses où il s’est dévoué.

 

Une blessure

Nous sommes au sixième rang. Mon père a décidé de bûcher un petit boisé. Le travail va bon train. Mon père abat les arbres avec sa hache et son godin, pas de godendard car les troncs sont petits. Après avoir ébranché une épinette, je la coupe en billes de quatre pieds. Alors que j’ai presque terminé de scier une première bille, ma scie se coince. Avec mon pied, je donne un bon coup de talon sur une partie de l’arbre pour faire tomber la bille. Malheureusement, sur le tronc se trouve un bout de branche séché et durci d’environ deux centimètres. Subito presto, le bout traverse ma botte et entre dans mon talon. Je hurle de douleur. Mon frère rit de moi et semble être content de ma mésaventure.

 

Par malheur, nous sommes sans moyen de transport. Je dois donc parcourir presque deux kilomètres clopin-clopant sur le bout du pied droit. La route est longue et la douleur est vive. Je ne connais pas l’état de ma blessure car je n’ai pas encore enlevé ma botte. Rendu à la maison, maman me donne les premiers soins. Heureusement, la lésion n’était pas trop profonde.

 

18 août 1957. Un anniversaire de mariage

Depuis quelques mois, les filles aînées préparent une fête pour souligner le 25e anniversaire de mariage de mes parents à leur insu. Pas de problème avec les Théberge, ils vivent tous à Saint-Mathieu. La plupart des Jean vivent à Montréal et à New York. Les invitations sont faites.

 

Il faut recevoir tous ces invités à dîner un dimanche. Le scénario prévu est que mes parents vont à la grand’messe et que les derniers préparatifs se font pendant ce temps. En temps normal, nous rencontrons chez grand-père Théberge les familles Édouard Ouellet et Paul-Émile Bérubé. Ce dimanche-là, personne n’est au rendez-vous. Après la messe, au village, ma mère, comme d’habitude, va voir ses amies et jasent longuement. Mon père, qui est fin limier, commence à trouver qu’il se passe quelque chose. Quand ma mère arrive de sa trotte, il lui dit : « Tu ne vois donc rien. » Il avait mis bout à bout tous les détails inhabituels et avait conclu qu’on les fêtait.

 

À leur arrivée du village, mes parents sont accueillis par les invités qui sont tous déjà sur place. Après le dîner, une adresse est lue par mon frère Raynald et une bourse leur est présentée par ma sœur Lucille. L’émotion est grande chez l’heureux couple jubilaire. Ma mère trouve néanmoins les mots appropriés pour exprimer sa gratitude aux responsables de cette fête.

 

Au cours de l’après-midi, tante Lucie D’Auteuil, épouse de Léo Théberge, me suggère d’écrire un texte pour les journaux rimouskois. Elle se charge de le transmettre. J’accepte avec plaisir. J’ai 16 ans et un rêve de ma vie est d’écrire pour publication. L’article a été publié dans le Progrès du Golfe et dans l’Écho du Bas-St-Laurent.

 

Voici ce que ma mère a écrit dans son journal personnel :

 

« Oui, ils ont fêté nos noces d’argent le 18 août 1957 au milieu de toutes les familles. Ils nous ont présenté une bourse de 100 dollars en 25 cents neufs, du chocolat et un beau gâteau. Une belle fête de famille. »

 

Dans le cadre du 25e anniversaire de mariage, arrêtons-nous pour énumérer les tâches de mon père et de ma mère.

 

Tâches de mon père

Comme cultivateur, mon père doit avoir plusieurs métiers et, comme beaucoup de fermiers, il le fait bien.

 

Il est pourvoyeur. C’est à lui que revient la tâche de procurer à la famille les biens matériels qui assurent sa subsistance. Il besogne dur car les outils sont rudimentaires.

 

Il est producteur de lait. En somme, les plus importants revenus de la famille proviennent de la vente de crème à la beurrerie du village.

 

Il est menuisier. Il construit les dépendances de la ferme : grange, hangars, poulailler. Il fabrique un traîneau à cheval et une gratte pour les chemins pendant l’hiver. Il fabrique des meubles pour la maison et pour l’étable. Il fait toutes les réparations appropriées.

 

Il est mécanicien. Chaque été, avant la période des foins, il démonte la faucheuse et la remonte en ayant bien soin de verser des quantités parfois exagérées d’huile pour lubrifier les pièces.

 

Il est cordonnier. Il répare les chaussures de cuir et les attelages de chevaux.

 

Il est acériculteur. Au printemps, il produit du sirop, de la tire et du sucre légèrement brunâtre en cornets ou en briques.

 

Il est travailleur forestier. Chaque année, il bûche une centaine de billots de sapin et d’épinette et quelques cordes de bois de pulpe. Il choisit seulement les plus gros arbres et il fait une rotation d’une année à l’autre.

 

Il est défricheur. Il agrandit sa terre en déboisant certaines parcelles. Il récupère le bois de chauffage et vend les billots. Par la suite, il fait des tas de branches et les brûle sous la supervision du garde-feu. Puis, il sème à travers les souches qui seront éliminées plus tard quand elles seront plus fragiles.

 

Il est chasseur. Il s’en tient seulement aux petits gibiers comme les perdrix et les lièvres.

 

Il est trappeur. Il piège des petits animaux à fourrure comme la loutre, la martre, le vison, etc.

 

Certaines de ces besognes exigent de posséder une force assez importante dont il est doué. Dans ses mémoires, Tante Marie-Ange Jean le confirme :

 

« Un bon dimanche, j'eus la visite de mon frère Edmond, il était accompagné d’Elzéar Lagacé. Tout allait bien quand Elzéar voulut taquiner mon cousin Paul Jean. Il en résultat qu’Elzéar, qui avait pris un coup tomba par terre. Edmond l'a ramassé par l'abdomen et d'une main l'adossa à la cloison, donna un coup de poing près de lui et lui dit : « Grouille de là … ». Ma sœur Adélia eut peur et Elzéar aussi. Après, quand il prenait un coup, sa femme n'avait qu'à dire : « Je vais aller chercher Edmond. » Il se calmait aussitôt. Mon frère était très fort, il avait hérité ça de son père. »

 

Bref, mon père est heureux quand il peut subvenir aux besoins de la famille. Il laisse peu voir son bonheur, mais il transpire dans son calme et sa résilience.

 

Tâches de ma mère

Comme femme de cultivateur, ma mère doit avoir plusieurs métiers et, comme beaucoup de fermières, elle le fait bien.

 

Elle est éducatrice. Elle est responsable de l’éducation des enfants. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’autorité de mon père.

 

Elle est gestionnaire. Elle planifie les travaux des champs. Elle gère les finances de la ferme et de la maison. Elle tient la comptabilité de la famille.

 

Elle est femme au foyer. Ma mère s’occupe de toutes les tâches inhérentes à l’entretien de la maison comme nourrir la famille et entretenir la maison.

 

Elle est laitière. Elle va à l’étable pour traire les vaches à la main et pour écrémer le lait.

 

Elle est couturière. Elle sait tailler dans des vêtements usagés. Elle fait des vêtements avec de la laine qu’elle a filée.

 

Elle est avicultrice. Elle fait l’élevage d’une vingtaine de poules qui servent aux besoins de la maison et du voisin de l’ouest.

 

Elle est horticultrice. Pendant plusieurs années, elle se voue à la culture de fraises de jardins : c’est sa petite entreprise.

 

Elle est maraichère. Elle cultive un potager pour la subsistance de la famille et vend le surplus.    

 

Elle est archiviste. Elle conserve précieusement les carnets de la Caisse Populaire de mon père. Elle produit des cahiers de découpures de journaux et de feuillets paroissiaux. Elle note certains événements de sa vie, de ses enfants et de la paroisse, même parfois elle indique la température. Elle collige des recettes de cuisine. Ses archives ont été utiles pour écrire ce document.

 

Elle est sage-femme. Après la naissance de son dernier enfant, elle est demandée auprès de femmes qui accouchent dans le rang 5.

 

Elle est lectrice. Elle dévore les journaux comme La terre de chez nous et l’Action Catholique de même que des magazines religieux. Elle n’aime pas la télévision. Alors elle en profite pour effectuer de menus travaux et pour lire quand elle le peut.

 

Elle est animatrice de pastorale. Elle fait prier la famille sur une base régulière : prière avant chaque repas, prière du matin, Angelus du dimanche midi, chapelet du soir.

 

Elle est infirmière. Avec l’aide de médicaments principalement obtenus de colporteurs, aucun petit bobo ne lui échappe.

 

Bref, ma mère est une femme aux multiples métiers tout en étant douce et aimante. Elle s’occupe de ses enfants comme une maman oiseau. Elle les protège et les accompagne sur le chemin de la vie. Elle fait tout à la maison et, malgré ses occupations, elle participe aux travaux de la ferme. Elle est heureuse quand ses enfants croissent en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes. Elle leur transmet son bonheur.

 

6 septembre 1957. Rentrée scolaire

Une autre rentrée scolaire. Belles-Lettres (Secondaire V), c’est l’année des lettres et de la lecture. Nous sommes 68 élèves. Je lis, au cours de l’année, au moins 75 livres dont 12 tragédies de Racine et quelques tragédies de Corneille. Ces tragédies sont écrites en vers et font allusion à certains événements anciens qui me sont inconnus. Je ne comprends pas tout, mais je persévère.

 

Un nouveau directeur des élèves vient nous rencontrer à la salle d’études : l’abbé Pascal Parent. Il n’a rien de la bonhomie de l’abbé Robert Mi­chaud. Il a l’air sévère. Il parle sèchement ; mais, semble avoir une bonne culture. Il enseigne la métaphysique en Philosophie. Le Préfet des études est toujours le même, depuis mon entrée au Séminaire : l’abbé Ludger Rioux.

 

Le chanoine Antoine Gagnon est le nouveau supérieur du Séminaire. Il succède à Mgr Louis Martin qui occupait cette fonction depuis neuf ans.

 

Les maîtres de salle sont les abbés Gaétan Brillant, Paul Desjardins, Euclide Ouellet, Paul-Émile Paré, Eugène Ruest. Mes professeurs de Belles-Lettres A sont les abbés Georges-Étienne Talbot en histoire et géographie, Armand Lamontagne en instruction religieuse, latin et grec, Simon Amiot en anglais, Marc-Henri Lebel en mathématiques, Émilien Gagnon en français.

 

Octobre 1957. La grippe asiatique
Dès le mois de septembre, des cas de grippe sont signalés au Québec. On l’appelle grippe asiatique. Elle est de type A (H2N2). Les symptômes sont : forte fièvre, maux de tête, maux de gorge, douleurs musculaires. Il n’y a pas de vaccin et surtout pas de remède. On recommande les traitements à domicile avec des médicaments d’usage courant. Les jeunes sont plus vulnérables à la grippe ; les filles sont plus touchées que les garçons. Cette grippe tourne en pandémie.

 

J’ai 16 ans et je suis pensionnaire au Séminaire. Vers la fin d’octobre, je ressens les premiers symptômes. Je me dirige à l’infirmerie. L’infirmier me passe la moppe et me renvoie à mes occupations. Peu à peu, en moi, les effets de la maladie s’accentuent. Je retourne à l’infirmerie. Nouveau refus.

 

J’avais souvent entendu raconter les horreurs de la grippe espagnole. J’ai peur ; mais, en même temps, l’insouciance de la jeunesse m’évite de penser au pire.

 

Je suis en si mauvaise forme que, pendant les récréations, je passe mon temps couché sur un divan dans la salle de lecture située en face de la cafétéria. Mes confrères me disent : « Va à l’infirmerie. Tu ne peux pas continuer de même. Tu risques de nous contaminer. » Fort de cet appui, j’y retourne. J’insiste et l’abbé Plourde accepte de m’admettre.

 

Dès mon arrivée, j’apprends qu’un de mes confrères, ayant passé par l’infirmerie pour cette maladie, a été transféré à l’hôpital de Rimouski pour que l’infirmier sache quels soins donner. Je crains d’être admis à l’hôpital à cause des frais financiers qu’auraient dû supporter mes parents puisque l’assurance-maladie n’existe pas encore. À l’infirmerie, il en coûte un dollar par jour.

 

Dès mon admission, l’abbé Plourde me donne une piqûre dans une fesse. Il lance l’aiguille avec un tel élan et une telle force que je crains, pendant un instant, que la vilaine me transperce le corps. On n’a jamais su si l’abbé Plourde avait les compétences pour poser ce geste médical. Maladresse de sa part ou manque de confiance en lui de ma part, la piqûre me fait extrêmement mal. Je me dis que c’en vaut quand même la peine.

 

Puis, l’infirmier me donne des comprimés aux trois heures. Je passe une nuit extraordinaire à voyager dans mon cerveau et à dormir sans dormir comme si je n’ai plus de corps. Sans aucun doute, on m’a administré une drogue très puissante que mon organisme n’avait jamais fréquentée. Le lendemain, je me sens quelque peu libéré. Toutefois, je dors un autre 24 heures en pleine euphorie, toujours avec les médicaments.

 

Pendant ce temps, comme le personnel est aussi atteint, des élèves volontaires aident à la préparation et au service des repas. Au plaisir de certains élèves, le Séminaire ferme ses portes le 25 octobre. Je suis déçu de voir mes confrères quitter le Séminaire ; mais je me console en me disant que j’ai les soins appropriés. Avec le temps, ma santé s’améliore et, même un peu faible, je suis libéré de l’infirmerie. Je m’en vais chez mes parents dans l’automobile de Philippe Jean dont le fils Ghislain a aussi été atteint. Je n’ai eu aucune séquelle de cette maladie. Le retour au Séminaire se fait le 10 novembre.

 

Décembre 1957. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 1346,73 $.

 

Janvier 1958

À part le hockey, un des sports préférés des élèves au Séminaire est le soccer. Dans notre cohorte, nous avons deux équipes qui participent au tournoi annuel. Toutes les autres cohortes n’ont qu’une seule équipe. Depuis la Méthode, nous avons remporté le championnat chaque année.

 

Au retour des vacances de Noël, quelques élèves de notre cohorte décident de recruter des joueurs parmi ceux qui ne jouent pas dans les deux équipes officielles. J’accepte d’en faire partie. Le calibre n’est pas très fort, mais on s’amuse beaucoup. On le fait pour le plaisir. Chaque jour, après le dîner, deux équipes sont formées avec les élèves présents. Je me débrouille assez bien. C’est sans aucun doute la période où j’ai fait le plus de sport pendant les huit années de mon cours classique.

 

Février 1958. Une chaîne de lettres

Chaque samedi à 17 heures, l’abbé Pascal Parent, directeur des élèves, vient nous rencontrer à la salle d’études pour nous donner nos notes de la semaine en conduite et en assiduité. Je remarque qu’un élève d’une autre cohorte qui est un de mes amis a obtenu un 4 de conduite sur 10. Pourtant d’habitude, cet élève fait preuve d’un comportement exemplaire. Quand vient mon tour, on me gratifie d’un 5. Je me demande bien les raisons de cette note, mais je m’en doute.

 

Après la lecture des notes, dans ses remarques, l’abbé Parent dénonce un comportement interdit au Séminaire : participer à une chaîne de lettres. Je suis surpris car ce sujet n’a jamais été abordé auparavant dans les règlements. Je suis inquiet car je ne sais pas si d’autres sanctions pourront s’appliquer. Je soupçonnais que c’était interdit, mais j’avais quand même pris une chance. Il est probable que le directeur avait remarqué un envoi inusité de lettres parce que je n’étais pas le seul. J’étais toutefois le deuxième dans la hiérarchie de la chaîne. Cette note n’a entrainé aucune sanction.

 

Une anecdote : Un de mes confrères qui était extrêmement studieux et qui était d’un comportement exemplaire avait toujours 9 de conduite et 9 d’assiduité. Un jour, il a eu 8 et 9. Quand la note fut annoncée, ce fut un rire général. On se demandait : Qu’avait-il pu faire pour avoir cette « minable » note ?

 

Faire du théâtre

Dans notre cours de français, un projet nait : présenter un extrait de la tragédie de Jean Racine intitulée Andromaque. Cette œuvre du 17e siècle est écrite en vers. Je suis choisi pour jouer le rôle d’Hermione. Celle-ci est une jeune fille qui est fiancée à un fils du roi.

 

Chacun apprend ses textes. Je réussis à dénicher parmi les costumes appartenant à la salle des spectacles une longue tunique affublée d’un capuchon qui cache la tête. Je dois aller chercher une petite voix au fond de moi. Dans ce rôle, je me sens tout-à-fait confortable. Je n’ai pas peur de l’échec.

 

Le court spectacle est présenté devant notre classe d’une trentaine d’élèves. Nous sommes applaudis à tout rompre. Bien sûr que le fait de voir une femme dans un Séminaire bourré de garçons a une influence sur la réaction des spectateurs. De bouche à oreille, le succès s’est répandu chez les élèves de Belles-Lettres de l’autre classe. Nous avons été invités à présenter notre court spectacle devant eux : un autre succès.

 

Une dactylo

Depuis longtemps, je voulais écrire à la dactylo. Je demande une permission d’aller en ville. Je sais que, sur la rue de la Cathédrale, un imprimeur loue des dactylos. Je demande un appareil pour une semaine. Il m’en coûte un dollar. Je l’apporte au Séminaire en la cachant dans mes vêtements. Je vais la porter dans le bas d’une bibliothèque de ma salle de cours en espérant que personne ne la trouve puisque la case n’est pas fermée à clé. Chaque jour, pendant les récréations du midi et du soir, je me rends dans ma classe en cachette parce que je ne sais pas si j’ai le droit de faire cela. La dactylo est toujours là. Je copie des textes que j’ai composés et des bribes de généalogie. La semaine terminée, je vais la rapporter.

 

Une scène surréaliste

De chaque côté de la chapelle, il y a des autels permettant une messe collective ou des messes individuelles. Cette année-là, pendant la messe de la communauté, de temps à autre, je tourne la tête vers l’autel central du côté est. Le prêtre qui y dit la messe est l’abbé Gérard Plourde, l’infirmier du Séminaire. Je n’en crois pas mes yeux. Quand il lève les mains en l’air, j’ai l’impression qu’il lévite. C’est comme s’il flottait. C’est l’extase complet. Je n’en parle pas à mes confrères de peur qu’il me traite de fêlé.

 

L’abbé Plourde avait une très grande dévotion envers la Vierge Marie. Quand je faisais des séjours à l’infirmerie, il nous en parlait souvent. Il récitait le chapelet les bras en croix.

 

Une quinzaine d’années plus tard, je suis dans un restaurant de Rimouski vers 21 heures quand je vois arriver l’abbé Plourde avec un groupe de charismatiques. Il est revêtu de sa soutane et porte le signe distinctif de ce mouvement. Pourtant depuis quelques temps, la robe avait été abolie.

 

Mars 1958. Tests d’intelligence

L’abbé Fernand Gagnon qui est directeur du Centre d’orientation nous fait passer une série de tests. Selon lui, ces tests visent à aider les élèves à choisir la profession qui leur convient, mais il y a plus car on nous donne notre quotient intellectuel découlant de ces tests.

 

Quelques semaines plus tard, l’abbé Gagnon nous reçoit individuellement. Il me demande quel est mon choix de carrière. Je réponds : « Le sacerdoce ». Il me pose une question qui me surprend : « Te vois-tu dans un presbytère ? » Je n’avais jamais songé à cette éventualité et je réponds : « Je veux être professeur de mathématiques au Séminaire. » L’abbé Gagnon en profite pour me dire que ce n’est pas moi qui décidera dans le cas où je deviendrai prêtre.

 

Consternation chez les élèves

Lors de son cours du mercredi 11 heures, le professeur de français commence en disant : « Quels sont ceux qui ont apporté leur Polyeucte ? » Seulement, la moitié des élèves lèvent la main. L’abbé est furieux. Il nous dit : « Depuis ces derniers mois, le cours du mercredi est consacré à l’étude de Polyeucte. » Il continue pendant au moins cinq minutes, le visage rouge, les mains en l’air, à vociférer contre les oublieux.

 

Personnellement, je me sens mal, parce que je n’ai pas apporté le précieux livre qui est une tragédie de Corneille. Pourtant, il m’arrive rarement de ne pas être attentif aux demandes des professeurs. Je ne comprends pas comment j’ai pu oublier cette directive. Je ne me rappelle pas avoir déjà entendu l’abbé faire cette demande.

 

Le lendemain, l’abbé Ludger Rioux, le préfet des études, vient nous informer que notre professeur de français a fait une crise cardiaque pendant la nuit. Consternation chez les élèves de la classe et surtout chez ceux qui, comme moi, avaient oublié leur Polyeucte. Nous nous sentons coupables.

 

Pour terminer l’année scolaire, il est remplacé par Guy Lapointe, un laïc et ancien professeur de Belles-Lettres. M. Lapointe nous avertit, dès le départ, qu’il faut garder le secret sur sa charge de cours, car il est agent d’assurance. Il nous enseigne la littérature. Mgr Georges Dionne, âgé d’environ 70 ans, enseigne Polyeucte. L’abbé Ludger Rioux s’occupe de la composition française. Il a un cours par semaine et se présente très peu souvent. En lieu et place, nous écoutons de la musique classique.

 

Un jour où l’abbé Rioux est absent, des responsables de la classe font jouer des pièces de musique classique. Sur une musique dont j’ai oublié le titre, les élèves de la classe ont chanté amicalement en chœur : « Charles-Édouard, prends la porte, puis sors dehors. »

 

Avril 1958. Un pavillon de philosophie

Nous attendons, dans la salle de récréation, notre tour d’aller souper, quand l’abbé Gaétan Brillant nous apprend que la corporation du Séminaire a décidé de construire une annexe à l’ouest de la bâtisse actuelle à l’intention des élèves de Philosophie I et II. Cette bâtisse devrait contenir une centaine de chambres, trois classes, une bibliothèque, deux laboratoires et un gymnase, le tout au coût de 600 000 $. La bâtisse devrait être prête pour septembre 1959. Les services de l’architecte Albert Leclerc sont retenus moyennant des honoraires de 40 000 $ pour toute la durée des travaux.

 

Nous sommes ravis. Nous allons être les premiers étudiants à entrer dans ce pavillon avec, en prime, une chambre individuelle. Nous savons aussi que le règlement sera adapté à notre statut de philosophes.

 

Les travaux débutent quelques semaines seulement après l’annonce. Nous devons subir les bruits des foreuses et des marteaux. Nous l’acceptons, parce que nous pensons que c’est le prix à payer pour être admis dans une résidence qu’on présume de luxe.

 

Juin 1958. Résultats scolaires

Je me classe 16e sur 34 élèves en Belles-Lettres A. Je suis comblé par le premier prix de mathématiques et le deuxième accessit de littérature française. Pour l’accessit, cela signifie que j’étais le quatrième de la classe dans cette matière.

 

Juillet 1958. Une construction peu utile

De retour à la maison pour les vacances, je découvre dans une revue un plan pour construire une boîte destinée à l’élevage des vers de terre. Je soumets ce plan à mon père qui se montre très sceptique. Toutefois, avec les encouragements de ma mère, il accepte de tenter l’expérience. Je nous revois encore à l’est de la grange creuser un large trou rectangulaire, confectionner la boîte avec des planches, la remplir de terre méticuleusement bêchée et ajouter des feuilles mortes. Les gens du rang qui passent semblent étonner et se demandent ce qui se trame là.

 

Pour commencer l’élevage, nous ramassons au moins une centaine de vers. Nous les enfouissons dans la boîte. Au bout de deux ou trois jours, je vais vérifier l’état des lieux. Surprise et déception ! Il n’y a plus aucun ver. Ils sont tous partis. C’est ainsi que commence et se termine l’élevage des vers de terre sur la ferme de mon père.

 

Août 1958. Avec un tracteur

L’oncle Timile réquisitionne des bras pour ramasser son foin. Après le souper, avec un de mes frères, je fais le voyage à pied. L’oncle Timile nous transporte vers sa deuxième terre située près de Saint-Eugène, sur la terre où j’étais allé une fois aux fraises. Le travail consiste à prendre des balles de foin rectangulaires et à les placer en ordre sur la plateforme d’un tracteur. C’est très dur pour les mains.

 

Tout en faisant ce travail qui exige une certaine force, je compare la situation de mon père avec celle de l’oncle. Chez ce dernier, le tracteur a remplacé le cheval. La moissonneuse-lieuse a remplacé le râteau et la fourche … et ceci, à environ un kilomètre de la maison paternelle.

Chapitre 9. Mes années collégiales au Séminaire

 

5 septembre 1958. Rentrée scolaire

C’est la dernière année du cours de lettres. Je suis en Rhétorique A (Collégial I), là où les professeurs vétérans du Séminaire enseignent : le chanoine Alphonse Fortin en histoire et géographie, qui en est à sa 50e année d’enseignement, les abbés Gustave St-Pierre en littérature française, Charles Morin en anglais, Georges Beaulieu en latin, grec et initiation aux beaux-arts, Marc-Henri Lebel en mathématiques. Les maîtres de salle sont les abbés Gaétan Brillant, Paul Desjardins, Paul-Émile Paré, Gabriel Bérubé et Marius Lepage.

 

Lors de son premier jour de classe, l’abbé Beaulieu nous souhaite d’abord la bienvenue. Il se tourne vers moi et me dit : « Tu es assis à la place de Gilles Vigneault. » Le fait est qu’une dizaine d’années auparavant Gilles Vigneault, notre poète national, avait passé l’année à ce même bureau. Par la suite, l’abbé Beaulieu aura toujours beaucoup d’égard à mon sujet. Il m’appelait Ti-Jean. Peut-être, quand il me regardait, voyait-il Gilles Vigneault ?

 

Les cours du chanoine Fortin quoique très savants sont plutôt monotones. Il n’y a aucune interaction entre lui et les élèves. Il arrive en classe, baguette à la main, et il débite son cours comme s’il le savait par cœur. Alors, j’en profite pour composer des poèmes. Même parfois, je pique un petit « somme ».

 

L’examen universitaire de mathématiques a lieu avant Noël. J’obtiens une note de 9,2 sur 10. J’avais oublié d’écrire la racine négative d’une variable élevée au carré.

 

Décembre 1958. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 1419,28 $, une augmentation de 72,55 $ par rapport à l’année précédente.

 

Peur de l’enfer

Je suis en vacances des Fêtes chez mes parents. Quelques jours avant la fin de l’année, je suis envahi par des pulsions dont je n’arrive pas à me défaire. Finalement, je passe à l’action. J’aurais dû y penser avant. Je dois affronter un problème fondamental dans la vie régulée par la religion. Je viens de faire un péché mortel qui risque une peine éternelle c’est-à-dire l’enfer pour l’éternité.

 

Mais, ça ne s’arrête pas là. Le jour de l’An, je dois aller à la messe avec mes parents. Je dois communier car, depuis quelques années, la communion est donnée pendant les grands-messes. Si je reste dans le banc pendant que tout le monde se présente à la sainte table, ma mère va me demander pourquoi. Que vais-je lui répondre ? Je n’ai pas le choix. Il faut y aller même si je vais commettre un autre péché mortel encore plus grave, un sacrilège. Au dîner du jour de l’an, je suis pensif. Je crains de mourir et d’aller en enfer avec le feu, les démons et leurs fourches … éternellement.

 

Je retourne au Séminaire le 7 janvier toujours en proie à des troubles intérieurs et à des craintes démesurées. Je continue d’aller communier chaque matin. Le samedi vers 17 heures, je me rends à la chapelle pour l’heure des confessions. Dès le début de l’année, j’avais choisi comme confesseur un de mes professeurs qui était un homme très rigide. Sans trop savoir pourquoi, je me sentais à l’aise avec lui.

 

Dans ma tête, je me prépare à lui expliquer toute la situation. Toutefois, en entrant dans le confessionnal, je suis saisi de peur. Je suis incapable d’avouer mes péchés mortels successifs, un autre sacrilège. Mon dossier est maintenant pas mal noir. Je ne sais plus comment je pourrai m’en sortir. Une autre semaine d’enfer se passe.

 

Le samedi suivant, je me présente à nouveau au même confesseur. Je ne prends pas le temps de réciter les prières préliminaires. Je lui dis : « Mon père, je suis troublé depuis deux semaines et j’ai peur de l’enfer. » Je lui raconte tout ce que je viens de vivre. Il m’écoute attentivement. Quand j’ai terminé, il me dit : « Mon fils, allez en paix. Dieu vous pardonne. Vous direz un chapelet comme pénitence. »

 

Je quitte le confessionnal le cœur soulagé. Je sors mon chapelet de mes poches et je le récite tout d’un trait, heureux d’être enfin libéré des conséquences de ce plaisir solitaire d’un jour.

 

6 janvier 1959. Décès d’Alfred Bérubé

En après-midi, j’aide au battage du grain qui se fait sur le fenil de la grange. D’habitude, je m’occupais de ramasser l’avoine qui provient de deux dalots. Aujourd’hui, je fournis à la fourche les tiges d’avoine pour que mon père engrène c’est-à-dire qu’il pousse le grain dans la batteuse. Les conditions de salubrité sont exécrables. La poussière accumulée dans les tiges finit par me faire tousser et m’étouffer. Le mouchoir devient rapidement noir. À la fin, je suis épuisé pas à peu près.

 

Il est clair que j’ai outrepassé mes forces. Je n’étais pas suffisamment en forme pour faire ce travail. À 19 heures, je suis couché dans mon lit. J’ai des palpitations. Je suis très inquiet. Je dois partir pour le Séminaire le lendemain. J’entends le téléphone sonner dans la cuisine. Quelqu’un dit : « Alfred Bérubé est décédé aujourd’hui à l’âge de 68 ans. » C’est le père de l’oncle Timile. J’en suis profondément peiné. Au bout de deux ou trois heures, mes palpitations cessent. Je me sens mieux.

 

Deux épidémies

Le 22 février, une épidémie de diarrhée frappe les élèves du Séminaire. Inutile de dire comment se comportent les planchers qui sont récipiendaires de substances nauséabondes. Je ne suis pas touché par cette épidémie.

 

En avril, une seconde épidémie s’invite chez les élèves. Cette fois-ci, c’est une épidémie de grippe. Les dortoirs restent ouverts le jour pour accueillir les malades. Certains élèves remplacent le personnel féminin à la cuisine. Après trois jours, la vie reprend son rythme normal. Encore une fois, je n’attrape rien.

 

Mai 1959. Dans mon lit

Je me réveille vers 4 heures du matin. Je ne suis plus seul dans mon lit. Je reconnais mon voisin. Je le réveille et il s’empresse de rejoindre son lit. Je crains que cet acte m’apporte des représailles de la part des autorités. Même s’il ne s’est rien passé, quel est le degré de ma responsabilité ? Le reste de la nuit se passe dans la brume et les ressacs.

 

Le lendemain matin, je m’empresse de raconter cet incident à mes confrères pensant ainsi le ramener à un fait divers. La nouvelle fait le tour des confrères et s’éteint. Je pense avoir adopté la meilleure stratégie. Il est probable que les autorités n’ont jamais été informées. Il n’y eut aucune suite. D’ailleurs, j’ai toujours cru que le confrère en question était de bonne foi.

 

Fou rire à la salle d’études

Je participe à un encart pour le journal étudiant, la Vie écolière. Le titre est Les visages de nos confrères. On y trouve la photo et des particularités sur chacun des rhétoriciens. Je suggère quelques méchancetés amicales. Dans mon cas, on a écrit :

 

Type : Einstein

Manie : Faire sourire M. Brillant.

Profession : Fonctionnaire à l’étude.

Idole : Charlie Chaplin

 

Les confrères, trois ans plus tard, n’avaient pas oublié qu’un jour j’avais eu une fonction taillée sur mesure. Un soir, au début de l’étude, l’encart est sur nos bureaux. M. Brillant qui était encore maître de salle, d’ailleurs très apprécié, est justement le surveillant de l’étude. Il est assis au bureau central. Les 250 élèves lisent calmement l’encart tout en ayant un œil sur M. Brillant. Tout à coup, sans prévenir, celui-ci se tourne vers moi et me fait un beau sourire. Cela provoque un rire général dans la salle. C’est une des rares fois que cette salle si sérieuse d’habitude se livre à une escalade de rire.

 

Un bordel

Du côté sud de la cour des Grands, une construction commence sur la rue de l’Évêché. Tout en me promenant avec un de mes confrères dans la cour pendant les courtes récréations, nous suivons l’évolution des travaux. Quand la construction est terminée, on peut voir un bloc de six appartements. Je pense bien que c’est le premier immeuble à appartements de Rimouski. Dans ce temps-là, il y a deux possibilités de résidence : la maison familiale ou la maison de chambres.

 

Nous avons tendance à penser que cet immeuble est occupé par des gens de mœurs légères. D’ailleurs, un confrère l’a baptisé d’un nom que j’ai oublié mais qui sonne comme bordel.

 

Il est certain que nous avons porté un jugement hâtif sur ces gens qui vivent là. En revanche, en nous voyant jouer ou prendre une marche dans la cour quatre ou cinq fois par jour, ces gens devaient se dire : « Que font ces jeunes de 17, 18 ans à flâner ou à jouer ? Ils devraient plutôt travailler comme nous. »

 

Juin 1959. Résultats scolaires

Je me classe 16e sur 32 pour l’année en Rhétoriques A, avec en prime le deuxième prix de mathématiques. Aux examens de l’université Laval, j’obtiens une moyenne d’un peu plus de 70% : ce qui est quand même un bon score pour moi compte tenu de mes débuts difficiles.

 

Juillet 1959. Achat d’un réfrigérateur

Jusqu’à ce jour, il n’y a pas d’appareil à la maison qui permet de réfrigérer les aliments. L’un des outils les plus performants est la mise en conserve. Bon an mal an, ma mère remplit des pots de légumes, de fruits, de viande et les fait stériliser. Les aliments s’y trouvant se conservent au moins une année.

 

Le 4 juillet 1959, ma mère achète son premier réfrigérateur, un Viscount, payé 405 $. La vie devient plus facile. C’en est presque fini de la mise en conserve.

 

L’été de mes 18 ans

Je passe mes vacances d’été sur la ferme de mes parents. Cet été-là, mon père est en déprime. Il travaille l’avant-midi. Il se contente de faucher le foin toujours avec deux chevaux. L’après-midi, il se couche. Moi et Pierre, qui a alors 16 ans, prenons la relève. Nous travaillons à notre rythme et selon nos capacités. Il n’y a personne pour nous chiâler.

 

Il faut dire que mon frère se plait à assumer les tâches les plus astreignantes parce qu’il est beaucoup plus en forme physiquement que moi. Nous nous entendons très bien. Même si je suis l’aîné, je le laisse diriger les opérations.

 

L’été passe assez rapidement, mais je me dis que c’est la dernière année où je fais les foins.

 

4 septembre 1959. Rentrée scolaire

Enfin, le Pavillon de Philosophie. Nous entrons dans un pavillon moderne qui finalement a coûté 1,2 million de dollars. Nous sommes 65 élèves en Philosophie I (Collégial II). Mon premier geste est de visiter la chambre qui m’est assignée au deuxième étage : un lit, un bureau, un vestiaire, un lavabo, une toilette et ... une chaise berçante. Des douches sur chaque étage. Quel luxe !

 

Ensuite, je découvre la salle de repos, appelée salon, contenant des chaises, des petites tables et un téléviseur. Puis ce sont les vestiaires au sous-sol, un grand gymnase, trois classes, une bibliothèque et des laboratoires. Quant à la chapelle, je préfère attendre pour la voir lors de la messe du lendemain.

 

L’abbé Pascal Parent est le maître des lieux : directeur des élèves et préfet des études. Avec une certaine souplesse, il fait régner la loi et l’ordre. Il se vante d’ailleurs souvent d’être capable d’assurer la discipline sans l’aide de maître de salle. Chaque semaine, le samedi, il nous rencontre pour donner ses directives. Il n’y a pas de règlement écrit très précis, vu que c’est la première année.

 

Dès le début de l’année, il est assez facile de s’adapter à cette nouvelle vie. Au lieu de se lever à 5 heures 45, la cloche sonne à 6 heures 30. En milieu d’année, pour favoriser l’exercice physique, un tintement plus court, se fait entendre à 6 heures 15 pour inviter les élèves au gymnase. Si on ne s’y rend pas, il reste 15 minutes à dormir.

 

À 6 heures 45, c’est la messe qui est dite par le directeur. La messe terminée, soit vers 7 heures et demie, on se rend à la cafétéria du Séminaire. Nous allons manger quand ça nous tente en respectant les heures d’ouverture de la cafétéria. Il n’est pas requis de prendre les rangs de doyen pour y aller. Là, on doit observer le silence, comme les autres élèves de la Petite salle et de la Grande salle. De façon générale, les surveillants sont tolérants et n’interviennent pas à moins d’abus ou de propos trop forts. Après tout, nous sommes des philosophes !

 

Après une courte récréation pour aérer ses poumons, deux heures de classe suivent et une troisième heure les mercredis et les samedis. Puis, c’est le dîner.

 

La récréation du midi se passe à faire du sport ou à participer à des activités socioculturelles. Dans le salon, on peut lire le journal, regarder la télévision, jouer aux cartes … ou simplement jaser. En principe, il n’est pas permis d’aller en ville pendant ce temps. Deux heures de cours suivent en après-midi, puis une longue étude avant le souper.

 

À 19 heures 45, les élèves se retrouvent à la chapelle pour la récitation du chapelet ou pour toute autre cérémonie. À 22 heures, c’est le couvre-feu.

 

Les mercredis, samedis et dimanches dans l’après-midi, il est permis d’aller en ville sans demander de permission. Toutefois, il faut absolument rentrer à 17 heures pour l’étude ou pour les vêpres le dimanche. La vie est belle.

 

Pour maintenir une certaine discipline, l’abbé Pascal Parent abandonne la pratique de notes de conduite et d’assiduité chaque semaine. Il institue une liste noire qu’on dénomme Black List et qui, au besoin, apparaît sur un babillard. Si on s’y retrouve plus de trois fois, c’est l’exclusion. On s’imagine bien que, pendant ces deux dernières années, personne ne veut prendre le risque d’être exclu.

 

Mes professeurs de Philosophie 1ère année sont les abbés André-Albert Dechamplain en sciences naturelles et biologie, Grégoire Bélanger en mathématiques, André-Albert Gauvin, en littérature contemporaine, Fernand Gagnon en apologétique, Yves-Marie Dionne en chimie, Marcel Morin en logique et philosophie naturelle.

 

Cercle missionnaire

Notre vie au pavillon comme pensionnaire est bien différente de celle de la Grande salle. Nous vivons à part. Tous les privilèges qui étaient traditionnellement acquis pour les philosophes sont entre les mains des rhétoriciens. Pour ma part, comme deux autres philosophes, ayant senti le besoin de connecter avec les autres élèves du Séminaire, je m’inscris au Cercle missionnaire dont l’aumônier est l’abbé Robert Michaud.

 

Mariage de mon frère

Le 26 septembre, le mariage de Gilbert et de Martine Ouellet est prévu à St-Mathieu. Je vais visiter mon frère Raynald au juvénat des Frères du Sacré-Cœur. Nous convenons que chacun de notre côté nous demanderons l’autorisation d’aller au mariage. Les Frères autorisent mon frère à la condition que j’aie la permission.

 

Antérieurement, aucun pensionnaire du Séminaire n’était autorisé à se rendre au mariage d’un membre de sa famille. En réalité, je suis le premier à demander cette autorisation au Pavillon de Philosophie que nous habitons depuis moins d’un mois. L’abbé Pascal Parent refuse de m’accorder cette permission. Résultat : aucun de nous deux ne peut assister au mariage. Ceux qui, par la suite, ont demandé cette faveur l’ont obtenue. Je fus donc le seul dans l’histoire du Pavillon de Philosophie à avoir essuyé un refus sur ce sujet.

 

Octobre 1959. Inauguration du Pavillon

Le 3 octobre, un événement majeur se déroule au Séminaire. C’est la bénédiction du Pavillon de philosophie qui est célébrée en grande pompe. L’Harmonie Sainte-Cécile interprète le God Save the Queen, suivi de l’O Canada. Mgr Charles-Eugène Parent bénit le nouveau bâtiment. On m’a demandé de servir d’acolyte de l’archevêque lors de la cérémonie : ce que j’ai accepté avec plaisir.

 

Cela me permet de prendre l’ascenseur seul avec Mgr Parent qui va bénir l’autel de la chapelle. Je porte le bénitier. En prime, une photo où j’apparais est publiée dans le quotidien de Québec, l’Action catholique.

 

Les invités de marque sont le premier ministre Paul Sauvé, nouvellement élu, et le lieutenant-gouverneur Onésime Gagnon. Le premier ministre promet d’accorder un octroi additionnel de 200 000 $ pour aider à défrayer le coût du Pavillon.

 

Novembre 1959. Proche d’une sanction

Au début de l’année, le directeur nous avait averti qu’il était interdit d’aller dans la chambre d’un confrère. Il avait spécifié que, le cas échéant, l’élève qui reçoit serait passible de sanctions graves.

 

Un soir de novembre, un de mes confrères cogne à la porte. Je n’ai pas le temps de lui dire que les visites sont interdites. Il entre et s’assoit par terre dos à la porte. À voix basse, il me demande de lui expliquer comment résoudre un problème de mathématiques.

 

Au bout d’environ une minute, un professeur dont la chambre n’est pas loin de la mienne passe par hasard et constate le délit. Il demande à mon confrère de retourner à sa chambre. « Que va-t-il se passer, me dis-je ? » Je suis anxieux et je tarde à m’endormir. Je me demande quelle punition me sera infligée. Je souhaite qu’au mieux mon nom soit inscrit sur la liste noire sans autre conséquence. En même temps, je me prépare à argumenter que la règle est injuste. Le lendemain matin, je crains d’être demandé chez le directeur. Il n’en est rien.

 

C’est le visiteur qui doit maintenant payer. Mon confrère reçoit comme punition de séjourner une semaine à la Grande salle, sauf qu’il peut venir suivre ses cours normalement au Pavillon de Philosophie mais sans avoir accès à sa chambre. Je l’ai échappé belle.

 

La Ste-Catherine

Enfin, c’est notre tour de fêter la Ste-Catherine le 25 novembre. Bien astiqués, nous nous présentons à la chapelle du Séminaire. Certains confrères exécutent un programme de chants dodécaphoniques.

 

Vers 8 heures, c’est l’entrée triomphale à la cafétéria aux acclamations hystériques d’une jeune foule en délire, accompagnées de la traditionnelle danse des cuillers sur les cabarets.

 

La journée se passe à recevoir nos invités au salon des philosophes et à leur fournir des « amuse-gueules » dont des cigares et … notre amitié. Tour à tour, on voit défiler nos professeurs anciens et actuels, les finissants et même les étudiants du Grand Séminaire.

 

Pour le dîner, on a droit à un banquet à la dinde. Une soirée récréative réservée à notre classe clôt la fête.

                                                                                                              

Décembre 1959. Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 2326,84 $, une augmentation de 907,56 $ par rapport à l’année précédente.

 

Janvier 1960. Retraite de vocations

Dimanche le 17 janvier, nous entrons en retraite pour une semaine totalement en silence. À l’intérieur de la bâtisse, ce n’est pas un problème. En dehors des prédications, nous gagnons notre chambre. Mais, à l’extérieur, il peut se passer des situations saugrenues comme ce confrère qui rencontre sa cousine dans l’allée du Séminaire et qui s’enfuit pour ne pas lui adresser la parole.

 

Ce temps d’arrêt est appelé retraite des vocations car il est presque temps de choisir la profession qui nous conviendra. Il nous reste, en effet, seulement un peu plus d’un an pour prendre la décision de notre vie.

 

Les rencontres se font à l’amphithéâtre du pavillon et sont animées par un Jésuite, le Père Hudon. Le bon père parle abondamment de la mort et de l’enfer. Son raisonnement est simple. La vie est un voyage. La destination doit être le ciel. Le sacerdoce est un billet pour le ciel. La mort peut nous surprendre de façon inopinée. Ceux qui recevront le sacerdoce seront assurés d’être sauvés. « Si vous voulez vraiment aller au ciel, faites-vous prêtre ou religieux », proclame-t-il haut et fort. Plusieurs réflexions du prédicateur provoquent de l’angoisse chez la plupart des élèves, surtout chez ceux qui veulent servir la société dans l’état civil.

 

Le message est bien entendu car, à la suite de cette retraite, au moins la moitié des élèves sur 65 décident de se diriger vers le sacerdoce. L’année suivante, après une autre retraite, 17 philosophes font ce choix et depuis ce temps quatre seulement ont été prêtres pour la vie.

 

Une anecdote. Une rumeur a circulé que le bon père Hudon avait été foudroyé par la mort comme il était en train d’acheter un billet d’autobus.

 

Voyage à Rivière-Blanche

La semaine de la retraite étant terminée, en ce beau dimanche, un de mes confrères avec qui je prends souvent des marches dans la cour de récréation m’invite à aller visiter un de ses oncles à Saint-Ulric de la Rivière-Blanche, une municipalité située à 80 kilomètres de Rimouski. J’acquiesce avec plaisir. Moyen de transport prévu : le pouce.

 

Après le dîner, nous nous dirigeons vers la rue Saint-Germain. Nous levons le pouce : c’est ma première expérience. Un automobiliste nous fait embarquer en nous disant que nous n’avons pas le droit de faire du pouce dans les limites de la ville de Rimouski. Il nous offre de nous amener à l’extrémité de la ville.

 

Pour attirer l’attention des automobilistes, nous ouvrons nos manteaux laissant voir nos blazers. Un bon samaritain nous amène à destination. Rendu à Saint-Ulric, une surprise nous attend. Il n’y a personne à la maison. Au cas où, nous attendons une quinzaine de minutes assis sur les chaises de la galerie.

 

À notre retour, toujours sur le pouce, un pépin s’impose. Un pneu éclate. Je regarde ma montre. Les vêpres sont à 17 heures. Je crains que nous n’arriverions pas à temps au Séminaire pour assister à cette cérémonie obligatoire. Pendant que la roue de secours s’installe, je fais les cent pas en songeant aux conséquences de notre retard. Finalement, nous arrivons au pavillon de Philosophie vers 17 heures 30. Au lieu de nous rendre à la chapelle, nous nous engouffrons dans nos chambres en espérant que le directeur qui préside lui-même la cérémonie ne remarquera pas notre absence. Nous n’avons subi aucune conséquence.

 

Un peu plus tard, un dimanche, je suis allé à Trois-Pistoles avec mon cousin Rémi Thibault. Nous allions visiter tante Marie-Ange et oncle Alphonse. Notre voyage sur le pouce s’est bien déroulé.

 

7 mars 1960. La Saint-Thomas d’Aquin

Nous sommes des jeunes philosophes, du moins en considérant le nom de notre cours. Lors de la journée dédiée à Saint-Thomas D’Aquin, nous sommes invités à profiter d’un congé d’études pour approfondir la doctrine de ce grand homme. Des exposés préparés d’avance sous la supervision de l’abbé Pascal Parent, directeur des élèves et éminent professeur de métaphysique, sont présentés. La discussion suit.

 

Un cahier assez volumineux est publié à cette occasion. Je l’ai acheté, puis je suis allé voir l’abbé Parent pour le faire autographier. Il a été surpris de ma demande et a écrit : « À un élève brillant et moqueur » tout en signant son nom. Je n’ai jamais compris le sens de ces remarques.

 

Avril 1960 : Visite à l’abbé Lamontagne

Suite à la lecture d’un article dans la Vie écolière, je décide que je veux être moniteur au Camp Cap-à-l’Orignal situé dans une baie à la limite de Saint-Fabien et de Bic. Je vais rencontrer le directeur du camp, l’abbé Louis-Georges Lamontagne, un de mes anciens professeurs. Quand j’arrive à son petit logement - on appelle cela alors une chambre - dans la résidence des prêtres du Séminaire, il me demande de plier le sac de couchage qui est étendu par terre dans son bureau. Je me dis : « Il veut me tester ». Il me raconte alors des tas d’histoire. Je ne parviens pas à dire un mot. Au bout de 15 minutes environ, j’annonce que je pars. Il ne me demande pas l’objet de ma visite. Je retourne, très déçu, au Pavillon de Philosophie.

 

Deux semaines plus tard, je retourne voir l’abbé avec la ferme intention de ne pas le laisser parler. Il acquiesce à mon projet d’être moniteur au camp qu’il a fondé en 1948. Je lui demande ce qu’il attend de moi. Il me répond qu’il n’avait pas encore distribué les tâches. Il m’offre un salaire de 100 $ pour six semaines, logé et nourri en sus. Je suis très content. Finis les travaux de la terre et surtout, un petit pécule comme argent de poche. Il me demande si j’ai l’intention d’y travailler plus d’une saison. Je réponds oui. Il m’offre la possibilité de m’inscrire au Camp-École Trois-Saumons pour une semaine de formation de moniteurs à la fin de juin.

 

Mai 1960. Vers la présidence

Les activités du Cercle missionnaire prennent fin. En tant que vice-président, je suis fier du travail accompli qui touche à quatre volets : la récupération de remèdes pour envoyer aux missions, la production de chapelets, la cueillette de timbres et l’information aux autres élèves sur les activités missionnaires.

 

De nombreux chapelets ont été fabriqués manuellement par les jeunes membres. Ces chapelets qui ont été bénis par l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent, en janvier ont été expédiés à différents missionnaires en même temps que des remèdes et des timbres recueillis. Je me souviens d’être allé cogner à la porte de la maison de Jules-A. Brillant, en compagnie de Pierre-Paul Parent, pour recueillir de l’argent en vue d’achat de matériel : grains de chapelets, croix, broche et pinces. Madame Brillant nous avait reçus aimablement et nous avait donné 5 dollars : une fortune pour nous.

 

En mai, une réunion plénière est convoquée. Nous sommes deux philosophes à nous présenter à la présidence pour la prochaine année. Le vote est pris. Mon confrère est élu président avec une voix de majorité. Je suis déçu. Je voulais vraiment obtenir ce poste. Après la réunion, quelques membres qui m’étaient favorables sont venus me dire qu’ils ont voté pour mon adversaire car ils étaient certains qu’il ne serait pas élu.

 

Quelques jours plus tard, je prends une marche avec le vainqueur. Ce dernier me fait part qu’il ne se sent pas tout-à-fait prêt à assumer la présidence. Je ne prononce aucune parole directe qui aurait pour effet de l’encourager à conserver ce poste. Au contraire, mon attitude contribue plutôt à le décourager. Finalement, il décide de démissionner. En septembre, je serai le président du Cercle missionnaire.

 

La descente du drapeau

Quatre de mes confrères nationalistes mijotent un coup qu’on n’est pas habitué à voir dans ces années-là. Sur le toit du bureau de poste de Rimouski, trône le Red Ensign britannique. Ce drapeau qui n’a jamais été officiellement adopté par le Parlement du Canada montre l’Union Jack et les armoiries du Canada. Il flotte sur les édifices gouvernementaux du Canada depuis 1945.

 

Le coup consiste à aller décrocher le drapeau pour montrer l’émergence du Québec dans le Canada et le souci d’être libéré des symboles canadiens. Un mercredi après-midi, les confrères concernés montent sur le toit du bureau de poste sur la rue de la Cathédrale, prennent le drapeau et l’apportent au Séminaire en toute discrétion.

 

Je me souviens d’avoir été informé de « ce coup d’état » et de m’être précipité au bureau de poste. Malheureusement, tout était terminé.

 

Le risque est grand, car tous se rappellent qu’en juin 1957 un finissant avait été congédié pour avoir découché. La GRC fait enquête. Ils retrouvent le drapeau et le confisquent ; mais ils ne portent aucune accusation. Il est probable que les dirigeants du Séminaire ont informé la GRC qu’ils règleraient eux-mêmes le problème. Le cas de ces élèves s’est sûrement rendu jusqu’au Supérieur. Peut-on penser que le chanoine Alphonse Fortin, un éminent nationaliste et un disciple du chanoine Lionel Groulx, ait eu son mot à dire ? Il était alors assistant-supérieur.

 

Toujours est-il que les élèves concernés n’ont pas été punis, pas même une réprimande. C’était là une façon tacite de montrer l’accord des autorités avec le but poursuivi.

 

Juin 1960. Résultats scolaires

Le 15 mai, les cours se terminent. Nous avons à peu près trois semaines pour nous préparer aux examens du baccalauréat de l’université Laval. À part les récréations et les repas, je passe tout le temps dans ma chambre à réviser mes notes et à apprendre par cœur des notions que je crois susceptibles de faire partie des examens.

 

Pour l’année, je me classe 4e sur 34 élèves. J’obtiens le deuxième accessit d’excel­lence et de mathématiques. Aux examens universitaires, mes résultats sont :

Apologétique : 16,6 sur 20

Logique et philosophie naturelle : 10,7 sur 15

Chimie : 14,2 sur 20

Grand total : 41,5 sur 55, soit 75 %

 

L’homme à la valise

Le 20 juin, je prends le train pour me rendre au Camp-école Trois-Saumons pour un stage d’une semaine de formation de moniteurs. Comme bagage principal, j’ai ma grosse valise que je n’ai pas défait au retour des classes. Lorsque je débarque du train à Saint-Jean-Port-Joli, les employés du chemin de fer qui s’occupent des bagages me rappellent que Québec est en période électorale. En effet, tout en travaillant, ils crient à tue-tête : « Il faut que ça change », le slogan du parti libéral.

 

Je téléphone au camp pour avoir une voiture. J’ai une surprise parce que c’est le directeur du camp lui-même, l’abbé Raoul Cloutier, qui vient me chercher. Quand il voit ma valise, il me demande si j’avais prévu un long séjour au camp. Je sens son ironie. Je réalise trop tard que je viens de faire une gaffe.

 

Normalement, en arrivant au camp, j’aurais pu me rendre à pied à pied dans le campement qui m’était assigné. Il a fallu que l’abbé Cloutier vienne m’y reconduire en voiture. Il n’était pas très content.

 

Notre camp qui fait office de dortoir accueille une douzaine de futurs moniteurs. Je place ma valise au pied de mon lit. Quand un nouvel arrivé entre, il regarde ma valise. Il m’est arrivé d’entendre chuchoter mes compagnons de nuit en me désignant comme l’homme à la valise.

 

Cela assombrit quelque peu mon séjour d’une semaine au camp. Mais, le tout revient à la normale après un jour ou deux. Mon plus gros problème c’est que je n’ai aucune idée de ce qu’est le camp Cap-à-l’Orignal. Je regrette de ne pas avoir, au moins, relu l’article de la Vie écolière. Quand on me questionne sur les bâtisses, les activités du camp et le nombre de campeurs, je ne peux que répondre évasivement.

 

Changement de régime

Pendant ce temps, à Saint-Mathieu-de-Rioux, des journaliers s’affairent à élargir la route du rang 5. Ce faisant, les cerisiers du nord dans le jardin familial sont éradiqués. Les travaux sous la direction de l’oncle Georges Théberge, un bleu, vont bon train.

 

Toutefois, Jean Lesage est élu. Changement de gouvernement oblige, l’oncle Georges est congédié et remplacé par un rouge.

 

Juillet 1960. Au Camp Cap-à-l’Orignal

Le 3 juillet 1960 en après-midi, le taxi Paul Lafontaine vient me reconduire au camp Cap-à-l’Orignal pour un contrat de six semaines. Je me dirige vraiment vers l’inconnu. L’abbé Lamontagne, le directeur du camp, me reçoit avec beaucoup d’égards. Je fais connaissance avec la vingtaine de moniteurs seniors et la dizaine de moniteurs juniors. Ces derniers sont des scouts du Séminaire dont l’âge varie de 13 à 16 ans. Parmi ce groupe, il y a un neveu de l’abbé Lamontagne qui tutoie son oncle. Cela me fait bizarre, alors qu’on est à l’époque du vouvoiement gros comme le bras.

 

Les moniteurs juniors font principalement des tâches d’entretien. Toutefois, quand une responsabilité de supervision leur est confiée, certains agissent comme étant investis d’une mission supérieure et entrent en conflit avec les campeurs surtout les plus âgés. Comme moniteur senior, il nous incombe de prévenir et de régler ces conflits.

 

Au souper, dans la cafétéria, je fais connaissance avec les campeurs dont l’âge varie de 8 à 15 ans. Ils sont près de 120, une bonne partie pour six semaines, une autre partie pour quatre semaines et une dernière partie pour deux semaines. Dès le premier jour, l’abbé Lamontagne est capable de nommer tous les campeurs par leur petit nom. Il faut dire que certains jeunes sont des anciens. Pour les autres, le directeur a lui-même fait les admissions ou connaît très bien les parents.

 

Les premiers jours sont difficiles pour moi parce que je n’ai pas de tâche précise. Je me donne donc comme mission d’assurer la surveillance et la sécurité des campeurs, surtout les nouveaux, partout sur le terrain.

 

Chaque soir, vers 21 h 30, les moniteurs sont invités à fraterniser à la cafétéria où on nous offre de la « picerine », un jus-maison, et des biscuits.

 

Mon rôle d’infirmier

Après quelques jours, le directeur du camp me confie entre autres la tâche d’assistant-infirmier. Je n’ai aucune connaissance spéciale et aucune expérience dans ce domaine. À ce titre, je suis amené à passer la moppe. Il s’agit de placer une palette sur la langue et de gargariser la gorge au moyen d’une tige d’ouate empreinte d’un sirop rosâtre. J’avais été, à plusieurs occasions, bénéficiaire de cette intervention au Séminaire de Rimouski de la part de l’infirmier, l’abbé Gérard Plourde.

 

Le hic de l’affaire à la colonie de vacances, c’est que l’infirmier en chef, Robert Rioux, est aussi commissionnaire. Il est donc sur la route du lundi au vendredi pendant le jour. Je dois donc être disponible pendant ces périodes. Un après-midi, je suis demandé à l’infirmerie. Un campeur est là avec une coupure sérieuse dans les cheveux en avant de la tête. Il a été frappé par une planche à la piscine. Évidemment, il saigne abondamment. Or, je suis incapable de voir du sang : cela peut même me mener à une perte de connaissance.

 

Je n’ai pas le choix. Je dois agir. Dans le feu de l’action, la vue du sang me laisse indifférent. Je nettoie la plaie avec beaucoup d’attention et en prenant mon temps. Ayant été mis au courant de ce fait, le directeur du camp fait venir le soir même une infirmière de Rimouski qui est officiellement la responsable de la santé des campeurs. Elle examine la plaie et conclut que le travail a été bien fait. Je suis soulagé.

 

Un autre cas lourd m’arrive un peu plus tard. Il s’agit d’un campeur qui fait une crise ressemblant à de l’épilepsie. Évidemment, je n’ai pas les connaissances et les outils pour intervenir. Je me contente de l’accompagner. Je m’assoie avec lui sur un lit de l’infirmerie et je lui parle longuement. Au bout d’une trentaine de minutes, il regarde sa montre et me dit : « Il me reste encore 15 minutes ». Je me mets à douter de l’authenticité de sa crise ; mais j’agis comme si elle était réelle. Après un questionnement serré, il m’avoue être victime d’une telle crise de temps à autre. Je comprends alors que ce n’est pas un caprice. À un moment donné, il me dit : « Il me reste encore cinq minutes ». Ce qui s’avère. Le tout se termine bien, mais les parents sont avertis de venir chercher leur fils.

 

Jeux de nuit

D’habitude, les campeurs se couchent vers 9 heures 30. De temps à autre, quand la température le permet, le coucher est retardé pour faire place à un jeu de nuit.

 

Le jeu de nuit le plus populaire est celui des bootleggers. C’est un terme américain pour désigner les contrebandiers qui faisaient le commerce illicite d’alcool sur le territoire québécois pendant la prohibition aux États-Unis.

 

Pour faire revivre l’époque de la prohibition, on divise les campeurs en deux groupes. Les plus jeunes sont les contrebandiers et les plus vieux les gendarmes. À la tombée de la nuit, on réunit tous les campeurs dans le terrain en bas de la côte. On donne à chaque contrebandier une bouteille de liqueur. Au signal donné, ceux-ci vont se cacher en haut de la côte ou ailleurs. Certains, parmi les plus jeunes des contrebandiers ne comprennent pas très bien le sens du jeu. Il faut non seulement leur expliquer abondamment, mais les accompagner dans leur cachette.

 

À un autre signal, quand les contrebandiers ont eu amplement le temps de se cacher, les plus vieux doivent partir à leur recherche. Tous les moniteurs sont présents pour éviter les tricheries et les intimidations. Quand un gendarme découvre un contrebandier, il a le droit de confisquer sa bouteille. Il faut parfois consoler les plus jeunes pour avoir perdu leur liqueur lorsque les larmes coulent abondamment.

 

Les gendarmes qui réussissent à s’emparer d’une bouteille doivent cesser l’activité ; mais ils sont fiers de leur trophée. Les contrebandiers qui ont réussi à déjouer les gardiens de la paix peuvent boire leur précieux liquide à la santé des moniteurs et de leurs pourchasseurs. Ils sont surtout heureux d’avoir déjoué les plus grands.

 

Combats de moulée

Quand j’étais jeune, mon père, étant cultivateur, achetait de la moulée pour les vaches. Au Camp Cap-à-l’Orignal, la première fois que je vois arriver le commissionnaire avec des poches de moulée, je demande au directeur qui était à vérifier les biens achetés pourquoi il avait commandé cette marchandise. Il me répond en riant : « C’est pour nourrir les campeurs. » Sur le coup, je suis froissé. Il me donne rapidement la raison. « C’est pour des combats de moulée. »

 

Lorsqu’un tel combat est prévu, nous remplissons des petits sacs en papier d’une poignée de moulée. Comme les combats sont souvent précédés d’une course au trésor, nous allons dans un boisé situé sur la terre d’Arsène Michaud au sud de la chapelle. Nous cachons des papiers contenant des questions de sciences naturelles. Celui qui trouve le papier doit répondre à la question.

 

Le combat de moulée est le point culminant de l’activité. Nous formons deux équipes de campeurs. Nous distribuons à chacun cinq ou six sacs de moulée. Les campeurs doivent s’éloigner temporairement du centre de distribution. Quand le signal est donné, ils lancent un à un les sacs sur leurs adversaires. Quand un joueur est touché, il est éliminé et doit donner le reste de ses sacs à un équipier. Un campeur a le droit de ramasser les sacs par terre et ceux-ci peuvent être utilisés s’ils contiennent suffisamment de moulée pour atteindre une cible.

 

À cette occasion, nous sommes trois ou quatre moniteurs pour surveiller. Car, même si c’est catégoriquement interdit, des campeurs ont parfois la tentation de mettre une petite roche ou un bout de bois dans le sac et de le lancer. Si cela arrive, le fautif est exclu du jeu.

 

Il y a aussi des combats de moulée sur l’eau. Les jeunes embarquent dans deux chaloupes conduites par des moniteurs. Les embarcations s’éloignent du rivage à une distance où l’eau est encore peu profonde. Au signal, le lancement s’effectue. Il arrive alors que des jeunes tombent à l’eau. Dans cette version marine, les campeurs ont le droit de tremper le sac dans l’eau : ce qui permet d’atteindre la cible avec plus justesse et de puissance.

 

Les campeurs adorent ces activités et ils en redemandent. À ma connaissance, il n’y eut jamais d’accidents graves si ce n’est de la moulée dans les yeux.

 

Excursion à l’Île-aux-Amours

Quand la température est favorable, l’abbé Lamontagne annonce des excursions. Pour prendre en charge un groupe de randonneurs, il s’agit de se porter volontaire. Chaque excursion est sous la supervision d’un moniteur senior et d’un junior.

 

Un jour, avec l’accord de l’abbé Lamontagne, j’indique mon intérêt pour une excursion à l’Île-aux-Amours qui fait aujourd’hui partie du Parc du Bic. C’est une charmante petite île située à environ 200 mètres du rivage dans l’Anse à Doucet. À partir du camp, il faut parcourir autour de deux kilomètres. Une douzaine de campeurs de 8 et 9 ans accepte de participer à la randonnée.

 

Aussitôt le déjeuner terminé, c’est la confection des sandwiches. Puis, assisté d’un moniteur junior, je pars avec les jeunes. Nous suivons un sentier qui avait été tracé pour les véhicules de ferme. En route, j’en profite pour indiquer aux campeurs le nom des plantes et des arbres que nous rencontrons.

 

Nous traversons facilement sur l’île parce que la marée est basse. Après une séance d’animation, nous dînons. Puis c’est une autre séance d’animation et une sieste pour les campeurs.

 

Vers 13 heures 30, la marée commence à monter. Nous rejoignons la terre ferme. Normalement, nous sommes censés revenir au camp par le même versant que pour l’aller. Le moniteur junior me propose d’emprunter le rivage du fleuve Saint-Laurent : ce que j’accepte d’emblée. Mon manque de connaissance des marées me joue un vilain tour.

 

Tout en prenant notre temps, nous contournons une immense anse. L’expédition avance lentement car les jeunes trouvent sur le rivage des coquilles ou des roches qu’ils mettent dans leurs poches en vue de les collectionner. Ils trouvent aussi des oursins de mer qui les mystifient.

 

Quand nous aboutissons sur le rivage du fleuve, la marée est devenue suffisamment haute pour recouvrir la partie sablonneuse. Il faut avancer en marchant sur les nombreux rochers. Parfois, aucun campeur de cet âge n’est capable de passer d’un rocher à l’autre, soit que la pente est trop prononcée, soit que la distance entre deux rochers est trop grande pour eux. Dans d’autres cas, les plus petits ou les moins habiles sont incapables seuls de sauter d’un rocher à l’autre.

 

Au début, le moniteur junior qui est en tête attend la cohorte. De temps à autre, on s’arrête pour le comptage. Mais, à un moment donné, la fatigue aidant et oubliant son rôle de responsable, le junior cesse de nous attendre et continue son chemin avec les jeunes les plus robustes. Pendant ce temps, je dois m’occuper des trois ou quatre retardataires. L’un d’eux est tellement épuisé que je dois le porter dans mes bras. Normalement, nous devions être de retour vers 15 heures 30. Quand nous atteignons la rive sablonneuse à environ 300 mètres du camp, je suis seul avec les retardataires. Je ne sais pas combien sont rendus au camp. J’ai peur d’en avoir perdu. Au camp, le haut-parleur nous interpelle, mais il n’existe aucun moyen de communication. L’abbé Lamontagne est vraiment inquiet.

 

Finalement, j’arrive avec les derniers campeurs vers 17 heures. Je suis épuisé. Mais ce qui m’angoisse au plus haut point, c’est que je n’avais pas été assez vigilant pour conserver la cohésion du groupe. Dans une excursion de ce genre, une règle d’or, c’est de s’arrêter de temps à autre pour un comptage, et ce jusqu’à la destination finale. Dans la dernière partie du trajet, j’avais été dans l’impossibilité de respecter cette règle. Cela aurait pu provoquer des conséquences fâcheuses. Une autre leçon que je tire de cette expérience, c’est que je n’ai plus jamais accepté, les yeux fermés, les propositions d’un moniteur junior. J’ai vieilli de plusieurs mois à cause de cette expérience.

 

C’est la première excursion de ma vie que je dirige. Mais ce n’est pas ma dernière. Au contraire, j’ai appris de mes erreurs.

 

Cachette des contrebandiers

Une semaine plus tard, j’explore un nouveau territoire. Avec une dizaine de campeurs et un moniteur junior, je pars en excursion pour faire le tour du mont Cap-à-l’Orignal où on peut voir une cachette des contrebandiers.

 

Après avoir traversé la ferme ancestrale Rioux, on peut atteindre le versant nord du cap. Le clou de l’excursion est de faire visiter aux campeurs le caveau qui a été érigé entre 1919 et 1933. C’était alors la période de la prohibition de la vente des boissons alcoolisées aux États-Unis. On raconte alors aux campeurs, d’après ce qui circulait à l’époque, que l’alcool était fabriqué aux Îles Saint-Pierre-et-Miquelon et que des bateaux transportaient les caisses d’alcool de contrebande jusqu’à ce caveau situé, à travers les arbres, à environ 100 pieds de la rive sur le versant sud du massif rocheux.

 

Comme la circulation sur le fleuve Saint-Laurent était contrôlée, d’autres bateaux conduits par des pilotes ayant leur permis d’y naviguer venaient chercher les cargaisons d’alcool et les transportaient vers le port de Montréal, et de là à New York.

 

Le caveau lui-même n’a rien d’extraordinaire. Son entrée est presque invisible. Il y a un large trou dans la terre recouvert d’une structure de bois formant une voûte à peu près au ras du sol. Mais ce qui est intéressant, c’est de raconter aux campeurs un pan d’histoire qui, au début des années 1960, est relativement récente. Bien sûr, les campeurs en profitent pour poser des questions sur ce qu’était la prohibition. J’insiste peu sur le fait que l’application de cette loi avait été un échec et qu’elle avait réussi à enrichir des criminels comme Al Capone.

 

Retour à la maison

Après six semaines de travail, sauf un congé de trois jours, quand le camp ferme ses portes, je suis épuisé. À mon arrivée à la maison, j’informe ma mère que je ne pourrai pas participer aux travaux de la ferme. Je fais une visite à un médecin de Trois-Pistoles qui me prescrit du repos.

 

7 septembre 1960. Rentrée scolaire

C’est ma 14e rentrée scolaire. Deuxième année dans le Pavillon de philosophie. Enfin, nous sommes finissants. Après sept longues années de labeur, de succès ou d’insuccès, nous voici à la dernière étape de notre cours classique. Nous savons qu’en septembre prochain, nous serons tous ailleurs.

 

Être finissant signifie être le sujet de regards tendres de la part des 400 à 500 élèves qui attendent leur tour. C’est se faire traiter de chanceux. C’est jouir d’un prestige sans pareil. C’est n’avoir pas de défauts, que des qualités. C’est être capable de faire trembler les colonnes de la salle de la cafétéria. Bref, c’est appartenir à une caste particulière.

 

Jusqu’à l’ouverture du pavillon de philosophie, les membres de cette caste exerçaient des fonctions variées : servir les messes des prêtres, donner les ustensiles à la cafétéria, servir au réfectoire des prêtres, gérer la cantine, distribuer les articles de sport, être présidents d’associations ou d’organisme internes, et pour leur doyen sonner les cloches tout au long de la journée. En retour des services, les autorités leur concédaient des privilèges.

 

Les finissants actuels, ayant peu de contacts avec les élèves de la Grande salle, n’exercent plus ou si peu de fonctions auprès de la communauté. Personne ne dit mot car le fait d’avoir une chambre individuelle et un règlement fort assoupli comble amplement pour cette perte.

 

Nous sommes 61 élèves. Les professeurs de Philosophie 2e année (Collégial III) sont les abbés : Grégoire Bélanger en mathématiques, Pascal Parent en métaphysique et histoire de la philosophie, Gilles Beauchemin en physique, Jean-Paul Bérubé en religion et morale.

 

La fatigue que j’avais accumulée au camp tarde à disparaître. À chaque jour du mois de septembre, je prends une sieste avant le souper au lieu d’étudier. Au début d’octobre, je reviens à ma forme normale, mais je ne peux pas rattraper complètement mon retard.

 

Novembre 1960. Décès de grand-père Théberge

En arrivant chez mes parents pour le congé de la Toussaint, ma mère m’apprend que son père a été hospitalisé au Sanatorium de Mont-Joli. Depuis sept ou huit ans, il est confus par périodes.

 

À l’âge de 78 ans, grand-père Théberge décède. Il est inhumé dans le cimetière de Saint-Mathieu le 3 novembre. Six petits-fils dont je suis portent son cercueil. Voici ce que ma mère a écrit dans son journal personnel :

 

« Mon père est décédé le 31 octobre 1960 au Sanatorium de Mont-Joli. Comme il avait perdu la mémoire, nous les enfants avons décidé de le faire soigner. Après quelques jours d’hospitalisation, il est tombé dans le coma. Nous étions tous au chevet de son lit le 25 octobre, mais il dormait et il ne s’est pas aperçu de nous. Nous l’aimions bien notre cher Papa. C’est un grand vide dans sa maison. Il nous accueillait toujours les bras ouverts. Mes enfants, c’est votre mère qui a écrit cela en 1964. »

 

Décembre 1960. Un deuil éprouvant

J’apprends avec stupeur que l’abbé Simon Amiot, un de mes professeurs d’anglais pendant trois ans, est décédé subitement d’une crise cardiaque le 13 décembre. C’est la consternation générale au Séminaire autant chez les prêtres que chez les élèves. Cet homme aimé de tous et qui n’a que 44 ans s’est affaissé dans sa chambre sous les yeux d’un de mes confrères qui a alerté immédiatement les autorités. On lui a administré l’extrême-onction, mais à l’arrivée du médecin, il avait déjà quitté ce monde.

 

Étant incapable de me concentrer pendant un cours, j’écris alors un court poème dont le titre est Marteau. Le voici :

 

La vie frappe comme marteau.

Décès, cimetières, deuils forgent trame.

L’enclume si solide finit par choir sous pression.

 

Elle éclate en mille miettes.

Elle emplit les yeux des geignards.

Elle entoure affectueusement le cadavre traqué.

Elle vole de ses ailes de plomb vers des tranchées plus cadavéreuses.

 

L’enclume est si pesante qu’elle s’écrase au centre du quartier alerté.

Le marteau frappe.

Naïvement la vie jette un coup d’œil et s’éteint.

 

Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 2045,68.

 

Janvier 1961. Retraite des vocations

Une autre retraite de sept jours en silence, une retraite dite de vocations, commence. Celle-ci s’avère plus comme une distraction. Le bon Père prêcheur ne cesse de faire des blagues et aborde les sujets sérieux avec une certaine insouciance. On rit et on rit, mais le problème reste entier. Il faut que je me décide si je veux vraiment m’inscrire au Grand Séminaire pour l’an prochain.

 

Nous sommes le vendredi. Depuis dimanche, la retraite est commencée et je ne suis pas encore décidé. J’invoque les saints du ciel de me souffler la réponse pour que je puisse vivre en paix.

 

Ce vendredi, vers 15 heures, je suis assis dans la chaise berçante de ma chambre. Je m’endors en méditant. Soudain, une lumière apparaît. Suit un homme en robe blanche. Je le reconnais, c’est Jésus. Il me regarde avec affection. Il me dit : « M’aimes-tu ? ». Je réponds oui avec enthousiasme. Il continue : « Si tu m’aimes, viens et suis-moi. » Je me réveille sans avoir le temps de répondre. Ma décision est prise. Je serai prêtre un jour. Je prendrai le ruban blanc, celui du sacerdoce.

 

Je me dirige à la chapelle pour officialiser ma décision. Je vois là en prière un de mes professeurs qui semblent être dans un état de remise en question. Je me dis que c’est peut-être une intervention du démon pour me faire changer d’idée. Je ne bronche pas.

 

Mars 1961. Ma seule partie de hockey jouée

Il y a une tradition au Séminaire. À la fin de chaque hiver, les finissants (autour de 20 ans) doivent jouer une partie de hockey contre une équipe d’Éléments-Latins (autour de 13 ans), soit les plus jeunes. Évidemment, les finissants doivent présenter une équipe comportant les moins habiles. Je fus un des premiers choisis pour faire partie de cette équipe, peut-être un juste retour du balancier pour les fois où j’avais été choisi le dernier.

 

Un de mes confrères, un expert dans ce sport, m’approche pour m’offrir tout son attirail. C’est avec une sensation hors de l’ordinaire que, avec l’aide de ce confrère, je pose les épaulettes et tous les autres objets de protection. Il me semble que ce confrère m’aide à me transformer en joueur de hockey.

 

Ayant peu patiné dans le passé, mon problème consiste à me déplacer sur la glace. Je suis assigné à la défense. Je fais de mon mieux, mais je ne peux pas arrêter les jeunes joueurs qui me contournent sans trop d’efforts. Nous perdons la partie, mais c’est une expérience spéciale que je suis loin d’avoir oubliée.

 

Les jeunes étaient fiers de nous avoir battus. À cause de notre piètre performance, mes confrères avaient pu rigoler et se moquer gentiment de nous. Ce qui était le plus rigolo, c’est que nous n’avions pas fait exprès pour perdre la partie.

 

Un événement gênant

Il y a parfois des coïncidences qui donnent un sens particulier à un événement, parfois pour le mieux, parfois pour le pire. Dans ce cas-ci, c’est l’abbé Pascal Parent qui est en cause et c’est pour le pire. Je suis malheureusement un acteur de ce pseudo-drame.

 

La cloche sonne pour le deuxième cours de l’avant-midi. L’abbé Pascal Parent entre en même temps que les élèves. Je suis derrière lui. Il y a des poils blancs au dos de sa soutane. J’extirpe doucement un de ces poils. Les autres élèves qui me suivent rigolent non pas ouvertement mais de façon à atténuer le rire. Si ce n’était que cela, il n’y aurait pas d’événement.

 

Il y avait sur le bureau du professeur, un document d’environ 8 pages qui avait été produit par Richard Joly, conseiller en orientation de l’université de Sherbrooke. À la une, on pouvait lire : « Es-tu un monstre ? » Le professeur précédent avait fait des expériences en électricité. Il avait utilisé ce document et l’avait laissé là sans arrière-pensée.

 

En prenant sa place derrière le bureau, l’abbé Parent a lu la une et a fait le lien avec les rires en sourdine. Le visage rougi par la colère, il s’est mis les deux mains sur le bureau et a dit en substance : « Il vient de m’arriver un événement hors de l’ordinaire depuis que j’enseigne. Je ne peux pas croire que des élèves aient pu agir de cette façon. Je reviendrai en classe quand j’aurai eu des excuses. »

 

Tout le monde est abasourdi et moi, en plus, je me sens coupable. J’ai peur des conséquences de mon acte. J’attends d’être demandé au bureau de l’abbé Parent qui est aussi le directeur des élèves. Mais cela ne se produit pas. Finalement, voyant que le professeur ne revient pas en classe, le président de notre cohorte va le rencontrer. L’abbé Parent comprend vite qu’il n’y a eu aucune intention malveillante des acteurs de ce drame. Il revient en classe au bout de trois jours.

 

Sauvé par la cloche

J’avais déjà entendu maintes fois l’expression « sauvé par la cloche », soit dans le sens où un événement externe imprévu nous permet de nous sortir d’une situation problématique. Lors d’un cours de mathématiques, j’ai entendu l’expression au sens propre.

 

On est presqu’à la fin du cours. Je fais une remarque assez forte pour que mon voisin d’en arrière l’entende. Il se met alors à rigoler. Le professeur n’apprécie pas son attitude et l’interpelle, lui demandant de venir terminer le problème qu’il est en train de résoudre au tableau noir.

 

Mon confrère pose sa craie sur le tableau, mais il a perdu le fil de la solution et hésite avant d’écrire quoi que ce soit. Au même instant, la cloche sonne. Et le professeur, sourire en coin, de dire : « Sauvé par la cloche. »

 

Avril 1961. Un film honni

Cette année-là, je fais partie d’un organisme récemment créé dont les membres sont les présidents des différentes associations culturelles et sportives de la maison. Lors d’une réunion, il est proposé que chaque association organise une activité spéciale pour tous les élèves. Étant président du cercle missionnaire, j’énonce le projet de présenter un film payant à la salle académique. En même temps, je veux amasser un petit pécule pour donner à la société des Missions-Étrangères. Le projet est accepté avec enthousiasme.

 

Je vais consulter l’aumônier du cercle au sujet de mon projet. Il se dit totalement en désaccord. Je décide quand même de le réaliser.

 

Je vais voir l’abbé qui est responsable de l’audio-visuel. Je lui demande de me suggérer un film à saveur missionnaire. Il sort son gros catalogue et pointe le titre d’un film dont j’ai oublié le titre. Il me dit : « Je m’occupe de tout. Ce film sera présenté à tous les élèves à la salle académique un samedi après-midi. » Évidemment, je dois absorber le coût de la location. Je fais de rapides calculs. Le prix d’entrée serait de 15 sous pour les élèves de la Petite salle et de 25 sous pour les élèves de la Grande salle et du Pavillon de philosophie. Je pense avoir une recette d’au moins 40 dollars.

 

Mes confrères du Pavillon de philosophie ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’aller voir un film missionnaire alors qu’ils peuvent sortir en ville à volonté. Je compte sur les élèves de la Grande salle et surtout sur ceux de la Petite salle.

 

Une demi-heure avant que la projection du long métrage, j’entends dire que le film est interdit aux élèves de la Petite salle parce que jugé non conforme aux bonnes mœurs. Comme l’action se déroule sur une île habitée par des autochtones, il y avait des scènes où on voit des torses nus.

 

Je suis abasourdi. Je suis certain de faire un déficit car, à la Petite salle, il y avait environ 200 pensionnaires. Certains confrères du Pavillon devant cette situation changent leur plan et se présentent en plus grand nombre que prévu à la représentation. Avant la projection, le responsable de l’audio-visuel monte sur scène et fait de nombreuses mises en garde. Je suis assis sur mon siège et ne cesse d’être étonné de la tournure des événements, étant donné que ce n’est pas moi qui avait choisi le film mais bien lui. Je me pince pour être bien certain de ce que j’entends.

 

Quand la caisse est comptée, le profit s’élève à huit dollars et quelques sous. J’ai alors un double problème. D’abord, je trouve que le montant est insuffisant pour faire un don aux Missions-Étrangères. De plus, je me souviens avoir été à l’encontre de l’avis de l’aumônier.

 

Je me rends au bureau du chanoine Raoul Thibault que je considère toujours comme mon directeur spirituel même si je ne vais presque jamais le voir. Je lui demande conseil. Il me dit : « Cher élève, prends l’argent ; mets-le dans la caisse de ton cercle missionnaire. Ainsi, vous pourrez continuer à fabriquer des chapelets pour les missions. » C’est ce que je fis. J’étais soulagé.

 

La messe

Comme on se place toujours au même endroit lors des cérémonies à la chapelle, je m’aperçois que quelques-uns de mes confrères s’absentent de la messe hebdomadaire de temps à autre. Sans doute que le directeur n’a pas encore remarqué ce qui se passe, car il est occupé à dire la messe. Un bon matin où je fais la grasse matinée, vers 7 h 15 quelqu’un cogne à ma porte. Des sueurs froides me parcourent le corps. Je le sais. Il est interdit d’entrer dans la chambre d’un confrère.

 

Je me lève. Je m’avance vers le carreau. J’y vois la figure du directeur qui me regarde et ne dit aucun mot. Aussitôt qu’il est parti, je crains une punition quoique cette étrange apparition en est déjà une. Il n’y a pas eu de conséquence, mais je ne me suis plus absenté de la messe par la suite.

 

La cabane à sucre

La dernière année d’études au Séminaire tire à sa fin. Il faut bien se distraire un peu. On va là où il y a de la tire. C’est ainsi que les 61 élèves de ma classe se rendent à une cabane à sucre à Saint-Fabien le 19 avril.

 

On s’y rend en autobus. Un traîneau à cheval nous attend près de la route 132. Ce sont nos professeurs qui y montent. Nous parcourons à peu près un kilomètre dans une neige moulante.

 

La journée se passe trop rapidement à se lancer des ballons, à manger les mets québécois typiquement d’une cabane à sucre et surtout à déguster la tire sur neige.

 

Ruban blanc

Au début d’avril, j’écris à mes parents pour leur « chuchoter à l’oreille le choix de mon futur état de vie ». Voici un extrait de cette lettre :

 

« Puisque vous avez été les premiers à me guider, à me conseiller, à m’orienter, vous méritez d’être les premiers à connaître cette décision qui m’est si chère. J’ai donc opté en toute confiance pour la vie sacerdotale. Prêtre, j’ai choisi d’être ; prêtre, je serai plus tard. Si je me suis lancé dans cette voie sans crainte, c’est que je suis toujours assuré de vos prières ferventes et de votre constante générosité. Pour ma part, je ne mérite pas d’être appelé à servir Dieu en gravissant les marches de son autel, mais vous l’avez mérité pour moi. »

 

Le 23 avril, ma mère et certains membres de ma fratrie assistent à la prise de rubans à la salle académique du Séminaire. Je me présente sur la scène avec un ruban blanc. Ma mère est très fière. Mon père est absent.

 

Mai 1961. Jeux olympiques

Chaque année, la Grande salle organise des jeux olympiques. Ceux-ci ont lieu lors d’un après-midi d’un congé spécial. La présidence des jeux est attribuée aux finissants. Comme ma réputation de fort en mathématiques est établie, on me demande d’agir à titre de statisticien. J’accepte avec bonheur. Je passe l’après-midi juché sur le toit du préau à enregistrer les résultats et, parfois micro en main, à annoncer des résultats d’épreuves sportives de même que des records lorsque cela se produit.

 

Cercle missionnaire

Pour terminer les activités du cercle missionnaire en beauté, j’organise un petit spectacle pour tous les membres. Entre autres, un chœur interprète une chanson que j’ai composée sur l’air de L’eau vive de Guy Béart. Le refrain est :

 

« Dévouons-nous pour les missions

avec beaucoup de zèle.

À son immense moisson,

c’est Dieu qui nous appelle. »

 

De plus, trois jeunes acteurs présentent une saynète que j’ai composée et dans laquelle il est précisé pourquoi on doit adhérer au cercle missionnaire. L’aumônier est très fier de ce spectacle.

 

Examens universitaires

Comme pour l’année précédente, les cours se terminent vers le 15 mai. Je prends très au sérieux cette période de préparation aux examens universitaires. Non seulement je veux obtenir mon baccalauréat, la raison de tous mes efforts depuis huit ans, mais je veux avoir les meilleures notes qu’il est possible. « Pourquoi pas 80 %, me dis-je ? »

 

Comme ma réputation en mathématiques est faite, de temps à autre, des confrères viennent cogner à ma porte pour qu’on aille dans la classe voisine et que je leur explique comment résoudre un problème. C’est une tâche que j’aime bien. Le temps nécessaire aux explications est variable. Un jour, un des premiers de classe demande mon aide. Je dis une phrase. Il rétorque : « J’ai compris. » J’étais légèrement frustré.

 

Toutefois, le temps file rapidement et j’ai l’impression que je ne pourrai pas accomplir toutes les tâches que j’avais planifiées. À regret, je mets cette note dans la vitre de ma porte : « Prière de ne pas déranger ». Malgré tout, quelques confrères insistent.

 

Juin 1961. Fin de la fin

Dernière journée comme étudiant au Séminaire de Rimouski. C’est le déchirement final, la transition vers une autre vie. Après le déjeuner, nous nous donnons la main et nous nous souhaitons, la voix enrouée, de nous revoir le plus tôt possible. C’est l’examen de mathématiques qui nous attend, examen redoutable pour plusieurs.

 

L’examen comporte six problèmes qu’il faut résoudre. Nous avons trois heures pour le faire. Ce sont donc des problèmes assez costauds qui exigent des connaissances acquises au cours des deux dernières années. Dans la première heure, je réussis quatre problèmes. Je rédige les solutions avec le plus de clarté possible. Je les vérifie. Je suis certain que mes solutions sont bonnes.

 

Il me reste deux problèmes que, dès le départ, j’avais mis de côté car ils me semblaient coriaces. Cela me prend environ 45 minutes pour résoudre le cinquième problème et une heure pour le sixième. Je quitte le local d’examens tout heureux. Je suis certain d’avoir 20 sur 20 et ce fut le cas.

 

Je passe par le salon des étudiants. Il n’y a plus personne. Je suis vraiment éberlué et déçu. Dans ma tête, je m’étais imaginé à tort que certains confrères attendraient pour un dernier adieu.

 

Résultats scolaires

Pour l’année, je me suis classé 22e sur 61 étudiants. Voici mes notes des examens universitaires de fin d’année y compris celles de l’année précédente :

 

Apologétique : 16,6 sur 20

Logique et philosophie : 10,7 sur 15

Chimie : 14,2 sur 20

Dissertation : 14 sur 20

Morale et métaphysique : 22,3 sur 25

Physique : 14,3 sur 20

Mathématiques : 20 sur 20

Total : 112,1 sur 140, soit 80 %

 

En Rhétorique, j’ai obtenu un peu plus de 70 %. Cela me donne la mention « magna cum laude » ou avec grande distinction. Si j’avais eu quelques points de moins dans un examen, j’aurais plutôt eu la mention « cum laude ».

 

Session de formation

À la fin du mois, je retourne parfaire ma formation au Camp-école Trois-Saumons … sans ma valise. Je peux alors répondre à toutes les questions sur le Cap-à-l’Orignal. J’obtiens mon diplôme de moniteur que j’ai conservé précieusement. On peut y lire que j’ai « complété, selon les exigences requises, les deux sessions de perfectionnement pour moniteurs. » C’était signé Raoul Cloutier, prêtre, directeur.

 

Juillet 1961. Emploi d’été

Je retourne au camp Cap-à-l’Orignal pour six semaines. En plus d’être encore infirmier remplaçant, je suis assistant aux sciences naturelles et sacristain. Des parents demandent au directeur du camp, l’abbé Lamontagne, s’il avait déjà songé à organiser des cours d’été en mathématiques pendant le camp. Dans ces cas, l’abbé me les réfère disant que j’ai la bosse des mathématiques. En particulier, je suis engagé par un juge de Rimouski pour donner quelques heures de formation à son fils dans cette matière. Je le fais pendant la sieste des campeurs au début de l’après-midi.

 

Quelques jours après le début du camp, un dimanche, je suis demandé à la réception. À ma grande surprise, j’ai de la visite : trois de mes tantes Jean avec ma mère. Les tantes sont Rosanne de Montréal, Antoinette et Marguerite de New-York. Je leur fais visiter le camp dans tous ses détails. Elles adorent. En comparaison de la vie en ville, c’est la vie en plein air.

 

La chapelle du camp a été bâtie en forme de tente. Je les invite à y entrer. Une des tantes de New-York dit : « Mais je ne peux pas entrer, je n’ai rien sur la tête. » Elle prend un papier-mouchoir dans sa bourse et le place sur ses cheveux. Je n’en revenais pas de voir qu’en 1961 la religion continuait à dicter la conduite de personnes qui, par ailleurs, semblaient autonomes depuis longtemps.

 

Dommage que les tantes ne soient pas venues pour assister à la grand-messe du dimanche, elles auraient vu un vrai fou diriger le chant d’une main molle et sans aucun sens de la mesure. Cet énergumène, c’est moi qui agit à titre de sacristain. Curieusement, personne ne me fait des remarques sur mon style.

 

Ce qui est le plus curieux dans cette situation, c’est que ce jour-là les gens qui habitaient la quinzaine de chalets à l’entrée du camp venaient entendre cette messe et sûrement qu’il y avait parmi eux des connaisseurs en chant et en musique.

 

Visite à Rimouski

Un jour, une dame de Rimouski m’approche et me dit que son fils qui est moniteur au camp comme moi a échoué son examen universitaire de mathématiques. Elle me demande si j’accepterais de l’aider à se préparer en vue d’un examen de reprise. Sachant que j’avais eu 100 % à mon examen, je préparais déjà les points sur lesquels je pourrais apprécier ses forces et ses faiblesses.

 

Quelques jours plus tard, elle s’amène au camp en après-midi. Elle vient nous chercher. L’examen de reprise a lieu le lendemain. Je suis un peu intimidé parce que la dame est infirmière et que son mari est médecin.

 

Quand j’entre dans leur somptueuse demeure, je suis ébloui. Je n’avais jamais vu une maison aussi grande et aussi richement meublée. Au souper, nous sommes quatre autour de la table. Une cinquième personne nous sert. Je la vois manger seule dans la cuisine. C’est une situation tout-à-fait surprenante pour moi. Ils sont deux à la maison et ils ont une servante.

 

Après le souper, la dame qui est en contrôle sur son gars de 20 ans nous invite à rejoindre sa chambre pour revoir les notions de mathématiques susceptibles de faire partie de l’examen. Évidemment, il doit laisser sa porte ouverte. Dès l’entrée, il me dit : « Non, je ne veux pas faire quoi que ce soit en mathématiques. » Je me demande alors pourquoi il a laissé sa mère faire tout cela s’il ne veut rien savoir.

 

Nous parlons alors doucement. De temps à autre, on entend une voix venant d’en bas : « Comment ça va les gars. » Vers 21 heures, mon confrère demande à sa mère s’il peut aller prendre une marche. Elle accepte. Je l’accompagne. Le lendemain avant-midi, le fils se présente à son examen. Dans l’après-midi, la dame vient nous reconduire au camp.

 

Quelques semaines plus tard, la dame revient au camp. Elle tient à me remercier pour le beau travail que j’ai fait car son fils a réussi son examen. Je suis resté bouche bée.

 

Séance d’hypnose

Lorsque la température le permet, il y a de temps à autre des soirées autour d’un feu de camp où les moniteurs font l’animation. Un soir, un de mes confrères présente aux campeurs une séance d’hypnotisme. Les campeurs en redemandent.

 

Le lendemain, en faisant ma ronde sur le terrain, je vois un jeune de 10 ou 11 ans qui semble s’ennuyer. Je lui propose de l’endormir. Il accepte avec empressement. J’utilise les mots de mon confrère qui sont à peu près comme ceci : « Tu t’endors. Tes paupières sont lourdes. Tes yeux se ferment. Tu vas dormir. Tes paupières sont lourdes, etc. » En quelques secondes, le jeune campeur tombe par terre. Je suis abasourdi. Je suis démuni. Je ne sais pas quoi faire. Je lui donne des tapes douces dans la figure. Il finit par se relever.

 

De deux choses l’une : ou le campeur était facilement influençable ou j’avais un don pour ce genre d’action. Je ne le saurai jamais. À la suite de cette expérience, j’ai pris la ferme résolution de ne plus jamais toucher à l’hypnotisme.

 

Ascension du Pic Champlain

Au déjeuner, l’abbé Lamontagne annonce une excursion qui s’adresse seulement aux campeurs de 13 et de 14 ans : c’est l’escalade du Pic Champlain, une montagne haute de 346 mètres à Saint-Fabien qui est la plus haute de la région. Je me porte volontaire. Le groupe comprend huit garçons.

 

Nous prévoyons une trousse de secours et une grosse corde comme celle qui sert au souque à la corde. Nous partons du camp vers 10 heures de l’avant-midi. Nous nous dirigeons vers l’ouest en passant dans le champ d’Arsène Michaud. Nous marchons au moins deux kilomètres jusqu’à atteindre des chalets de Saint-Fabien-sur-mer.

 

Nous choisissons la partie la moins escarpée de la face nord dans une zone peuplée d’arbres. Le moniteur junior qui m’assiste, un scout d’environ 15 ans, montre aux campeurs comment faire un nœud en toute sécurité.

 

Dans les zones où il est impossible d’avancer sans l’aide de la corde, un campeur plus robuste monte le premier et attache la corde à un arbre idéalement entouré d’un plateau même minuscule permettant aux campeurs de s’arrêter pour une pause. Je suis derrière. Je vois et j’entends les roches dégringoler. J’ai peur d’autant plus que je n’ai aucune formation dans ce genre de randonnée et que je ne peux pas prodiguer des conseils comme un expert l’aurait fait.

 

D’un plateau à l’autre, nous gravissons la montagne. Parfois, la face est très abrupte et la montée est ardue surtout pour certains jeunes. C’est un ouf général quand nous atteignons le sommet. Aucune blessure, aucune égratignure. On a alors une vue imprenable sur le fleuve Saint-Laurent et les alentours. À cet endroit se trouvent des antennes de communication notamment pour la télévision.

 

Il faut maintenant surveiller les campeurs pour qu’ils ne s’approchent pas trop du bord de la falaise parce qu’il n’y avait pas de belvédère à l’époque. Après un repas aux sandwiches, certains campeurs font provision de feuilles et de plantes pour leur collection. En tant que moniteur de sciences naturelles, j’en profite pour leur indiquer le nom des plantes et des arbres.

 

Nous sommes revenus par la route, une marche d’environ trois kilomètres. Ce fut ma première escalade du Pic Champlain et ma dernière. J’y retournai une autre fois avec des plus jeunes, mais par la route.

Chapitre 10. Mon séjour au Grand Séminaire

 

Septembre 1961. Entrée au Grand Séminaire

C’est le jour que j’attends depuis longtemps. J’entreprends ma première année au Grand Séminaire, rue Saint-Jean-Baptiste. Cet édifice accueille des futurs prêtres depuis près de 20 ans. Nous sommes là pour y étudier pendant quatre ans. Nous sommes tous pensionnaires même ceux dont les parents demeurent à Rimouski.

 

Je me rends dans un local où on vend des vêtements ecclésiastiques. J’achète une soutane noire, un col romain et un chapeau de paille noir. Il faut s’habituer à monter les escaliers sans s’enfarger dans le bas de la soutane car c’est un vêtement qui s’arrête aux pieds.

 

On m’attribue une chambre dans la section sud avec vue sur la cour intérieure. Comme je suis le plus jeune, il est probable que ma chambre est la moins bien située.

 

La première cérémonie est celle de la prise de soutane. C’est l’abandon de la vie civile pour revêtir l’habit ecclésiastique qui devient un signe distinctif du don à Dieu. Les parents sont invités à cette cérémonie, mais les miens ne viennent pas puisqu’ils n’ont personne pour conduire la camionnette.

 

Certains cours sont donnés seulement aux étudiants de première année. Pour les autres cours, l’organisation est cyclique c’est-à-dire que les étudiants des quatre années sont regroupés dans une grande salle et que le cours revient à tous les quatre ans.

 

Les cours dispensés sont : théologie dogmatique, théologie morale, écriture sainte, droit canonique, patrologie, histoire de l’Église, théologie ascétique et mystique, pédagogie catéchistique. Le directeur est l’abbé Lionel Hudon, le préfet des études l’abbé Robert Lebel et le procureur l’abbé Paul-Émile Michaud.

 

Au réfectoire, les plats sont mis sur les tables et nous nous servons. Nous sommes quatre par table et nous changeons de partenaires à chaque semaine. À tour de rôle, nous faisons une lecture pendant le repas. Le reste du temps, nous pouvons parler, sauf dans des circonstances spéciales où nous devons manger en silence. De façon générale, la nourriture est bonne et très diversifiée. Les directeurs et les professeurs mangent dans la même salle que nous sur une grande table en avant du réfectoire.

 

Nouvelles de la famille

Quelques jours après mon entrée au Grand Séminaire, je sens le besoin d’écrire à mes parents. Voici un extrait de cette lettre :

 

« Depuis déjà une semaine ce soir, je porte la soutane. Tranquillement, on s’y habitue. La vie ici est différente de celle que nous menions au Petit Séminaire de telle sorte que je suis enthousiasmé par notre mode de vie actuel. Nous sommes en tout 58 séminaristes dont 21 en première année. J’espère que le tout va aussi bien chez nous. »

 

Je reçois une lettre de ma mère datée du 25 septembre. Un peu plus tard, je lui réponds :

 

« Ma santé est bonne, même excellente car nous avons la chance de faire beaucoup de sport : ce qui favorise le travail et la prière. Ici au Grand Séminaire, je suis le plus jeune et conséquemment c’est moi qui sonne la cloche tout le long du jour. Je vois que chez nous la vie continue toujours comme avant. Lise partie, Pierre aussi. Et Raynald et Urbain ont-ils eu de bons résultats en septembre, sans oublier Lucille et Huguette ?

 

J’ai appris à relier des livres. Il en coûte environ 50 sous par volume. Si vous venez me voir, vous amènerez un livre de messe, je pourrais l’arranger. »

 

Pour la reliure, un atelier existe au sous-sol du Grand Séminaire. Il est équipé de machines modernes. Je prends rapidement goût à cette activité. Cela me permet de dissiper l’ennui qui s’installe rapidement dû au fait que je suis pensionnaire et que les sorties en ville sont permises au seul cas de stricte nécessité. Autant, j’étais heureux comme pensionnaire au Pavillon de philosophie autant cet état de vie s’appesantit sur moi à cet endroit.

 

Je travaille très fort à relier des livres. Je commence par une série de revues missionnaires qui m’appartiennent et je les réunis en un seul volume. L’opération la plus délicate consiste à inscrire le titre et le nom de l’auteur sur le dos du livre à l’aide d’un composteur et de minces lamelles d’or. Je pense que mes résultats sont bons car l’archevêque de Rimouski, Mgr Charles-Eugène Parent, me fait relier deux de ses livres. Par la suite, on m’appelle l’archi-relieur.

 

Novembre 1961. Apprentissage de la dactylo

Le directeur du Grand Séminaire nous informe que six dactylos sont placés derrière la grande salle de cours. Il nous enjoint d’apprendre la technique de frappe au clavier appelée la méthode La Salle. Il nous nomme un tuteur qui doit superviser l’évolution de notre apprentissage. Il semble bien que mon tuteur soit peu intéressé à visualiser mes progrès. Il se présente seulement pour la première leçon. Je suis la méthode le mieux possible. Quand j’arrive à la rangée des nombres, j’abandonne.

 

Décembre 1961. Vacances en famille

Je reviens chez mes parents pour les vacances de Noël. Mes frères et mes sœurs sont éberlués de me voir en soutane. Ma mère est contente. Mon père ne manifeste rien de spécial. J’enlève rapidement ce costume.

 

Pour les cérémonies religieuses à l’église de Saint-Mathieu, on m’a préparé un prie-Dieu dans le chœur près de l’autel. Dans la procession d’ouverture, j’entre derrière les enfants de chœur et en avant du curé. Je sais que tout le monde me regarde et j’en suis mal à l’aise.

                                     

Finances de la famille

À la fin de l’année, le montant d’épargne de mon père à la Caisse populaire est de 3219,26 $, une augmentation de 1173,58 $ par rapport à l’année précédente.

 

En 1961, ma mère a utilisé un document intitulé Le livre de comptes du cultivateur, gracieuseté de John Deer, un fabricant de machineries agricoles. Voici quelques données qui s’y trouvent :

 

Au cours de l’année, mon père a vendu un veau pour 28,90 $, un bœuf pour 90 $, des vers de terre pour 23,35 $, du sucre et du sirop d’érable pour 237,03 $. Les allocations familiales ont rapporté 264 $ et les paies de beurrerie étalées sur les 12 mois : 1156,30 $.

 

Parmi les dépenses, on peut noter deux commandes chez Dupuis : l’une de 2,29 $ en janvier l’autre de 10,61 $ en avril, l’épicerie pour 4 personnes : 7 $ à 12 $ par semaine, le snowmobile pour aller à la messe en hiver : 1 $ par dimanche.

 

Maman inscrit aussi les revenus de Lise et de Pierre. Lise gagne 5 $ par semaine comme servante. Pierre travaille dans le bois et a gagné 500 $ pendant l’été. Cet argent est remis directement à ma mère et elle le conserve. Sa philosophie est que, tant qu’un enfant demeure à la maison, l’argent gagné appartient au patrimoine familial. Elle dit alors à l’enfant pourvoyeur de lui indiquer ses besoins. Par exemple, cette même année, ma mère donne 200 $ à Pierre pour qu’il s’achète une scie mécanique. Elle lui paie un habit au montant de 48 $, une retraite pour 15 $ et son permis de conduire pour 5,50 $.

 

Les échecs

Au Grand Séminaire, il faut vaincre la monotonie de l’hiver. Un comité organise un tournoi d’échecs. Même si je suis bien occupé par mon travail de reliure, je m’inscris. Je connais les règles pour avoir joué quelquefois. Je me retrouve rapidement en demi-finale. Je dois affronter un séminariste qui est arrivé premier aux examens de l’université Laval de fin d’année. Il est très fort aux échecs. Je suis certain d’être battu. Heureusement, la chance est de mon côté. Je sors vainqueur. Je déclare forfait en finale devant un joueur que j’aurais pu battre si je n’avais pas été influencé par le syndrome de l’imposteur suite à mon gain lors de la demi-finale.

 

Mars 1962. Anniversaire de mariage

Le 30 mars, je fais parvenir à mes parents une lettre signée par deux de mes frères et par moi-même. Voici ce texte :

 

« Vos trois fils, Charles-Édouard, abbé de Rimouski, Raynald d’Amqui, Urbain de Sully vous prient d’agréer en ce 30 mars à l’occasion de votre 30e anniversaire de mariage l’honneur de leurs faveurs spirituelles. Ils ont offert ou offriront pour vous 30 messes, 30 communions, 30 chapelets, 30 invocations : Jésus, Marie, Joseph bénissez papa et maman. Nous vous embrassons bien gentiment et espérons avoir agi selon nos moyens. »

 

Cours de peinture

L’abbé Léonard Parent, Basque de son nom de peintre, offre aux étudiants du Grand Séminaire des cours d’initiation pratique à la peinture. J’assiste à deux ou trois séances. Même si je pense avoir quelque facilité avec cet art, je me rends compte que je ne peux pas l’apprendre d’une autre personne.

 

Opération au talon                                                

Quand j’étais en Rhétorique au Séminaire, j’avais une seule paire de souliers. Ils étaient de cuir et peu à peu, la tête d’un clou a émergé vis-à-vis le talon. Tranquillement, une corne s’est formée. Je n’ai pas porté attention.

 

Trois ans plus tard, la corne est toujours là. Je commence à sentir des douleurs. Je vais voir le médecin. Il me donne un rendez-vous pour l’opération. Au jour fixé, je me présente. Il m’installe confortablement. À froid, il découpe la corne. J’endure le plus possible.

 

Je retourne au Grand Séminaire clopin-clopant. Le directeur m’assigne une chambre temporaire sur l’étage de l’entrée. On vient me porter mes repas. Je ne vais pas à mes cours. J’en profite pour lire un livre Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne de Pierre Daco, un ouvrage de 512 pages. Je le confesse : je suis un peu loin de mes cours de droit canonique et de théologie.

 

Par ailleurs, je ne sais pas pourquoi l’on ne m’a pas offert des béquilles et pourquoi j’ai séché mes cours alors que la salle des cours n’était pas très loin.

 

Voyage à Québec

Je suis élu président du cercle missionnaire du Grand Séminaire. À ce titre, l’abbé Robert Michaud me propose de participer à une journée de formation en mai à Québec. J’accepte, mais je n’ai pas d’argent. Alors, il me donne le montant correspondant aux frais de transport par train et quelques sous additionnels. Cet argent est puisé dans la caisse diocésaine de la Propagation de la foi dont il est le responsable.

 

J’écris à un confrère qui étudie au Séminaire des Missions étrangères à Québec pour lui demander si son institution peut m’héberger pour une nuit. Il me répond par lettre que les autorités sont d’accord. J’ai hâte de le rencontrer.

 

Quand on voyage, il est recommandé de ne pas porter la soutane mais de la remplacer par un veston foncé et d’une chemise fermée par un col romain : c’est ce qu’on appellait un clergyman. J’emprunte donc un habit noir d’un autre séminariste.

 

Un vendredi après-midi vers 16 h 30, j’arrive au Séminaire des Missions étrangères. Un portier me reçoit aimablement et me conduit vers une chambrette où il y a un lit et un bureau. Vers 17 h 30, mon confrère vient me chercher et m’amène au réfectoire. Les séminaristes prennent place autour de longues tables qui accueillent 10 à 12 personnes.

 

Le tout commence par une lecture. Puis, des séminaristes apportent les plats du menu sur la table. Je réalise rapidement que la quantité de nourriture est très minime pour autant de personnes. En même temps, je regarde ces jeunes hommes qui m’entourent et je constate que leur masse corporelle est plutôt mince. Quand c’est mon tour de me servir, j’en prends très peu, prétextant que le voyage m’a fatigué et que je n’ai pas faim.

 

Après le souper, mon confrère vient me reconduire à ma chambrette comme on lui a recommandé et retourne à ses engagements. Je suis déçu. Je suis seul. J’ai faim et je suis prisonnier dans ce réduit. Le lendemain matin, je me lève tôt. Je quitte pour ne pas aller déjeuner au réfectoire de l’institution.

 

À ma sortie, je remercie le portier pour le « bon » accueil. Je lui demande d’informer mon confrère de mon départ hâtif. Je n’ose pas aller déjeuner dans un restaurant avec mon accoutrement. D’ailleurs, j’ai très peu d’argent de poche sur moi. J’ai faim tout l’avant-midi.

 

Après ma journée de formation, je reprends le train pour Rimouski. Je conserve un souvenir pénible de ce voyage.

 

Mai 1962. Gilles Vigneault

J’apprends que Gilles Vigneault va donner un spectacle à l’Auditorium du Séminaire de Rimouski, aujourd’hui Salle Georges-Beaulieu du cégep. Je me souviens qu’en rhétorique l’abbé Beaulieu nous avait parlé de temps à autre de ce poète avec qui il correspondait et à qui il avait déjà enseigné. Un jour, il nous avait lu un de ses poèmes. À la salle de lecture des Grands, il nous avait fait écouter ses premières chansons comme interprète. J’ai donc acheté un billet.

 

En me rendant au spectacle, dans l’allée du Séminaire je fus rapidement rejoint par quatre ou cinq jeunes de la Grande salle pour qui j’étais un héros. Nous avons discuté quelques instants. Qu’avais-je fait de spécial ? Rien. Pour les élèves qui étaient dans les classes après nous, le seul fait d’avoir terminé ce cours de huit ans était considéré comme un acte d’héroïsme.

 

Lors du spectacle, Gilles Vigneault s’est dit ému de fouler la scène sur laquelle il était monté une dizaine d’années auparavant sous la supervision de Georges Beaulieu duquel il disait conserver un souvenir impérissable. Il a rodé avec nous le refrain « Qu’il est difficile d’aimer » de sa chanson intitulée Doux chagrin.

 

Juin 1962. Un ordre mineur

 À la fin de l’année scolaire, les étudiants de première année dont je suis reçoivent la tonsure. On nous coupe quelques mèches de cheveux sur le derrière de la tête pour souligner notre entrée dans l’état clérical. Certains prêtres vont conserver ce symbole en se faisant raser un rond de cheveux au sommet du crâne.

 

Juillet 1962. Un emploi d’été

Pour le troisième été, je travaille pendant six semaines au Camp Cap-à-l’Orignal. Aussitôt arrivé au camp, j’enlève ma soutane. J’agis comme le directeur du camp qui est un prêtre. Je mets ma soutane seulement pour aller à la messe le matin.

 

Je suis sacristain et responsable aux sciences naturelles. J’ai un local à l’extrémité de la salle de récréation où je peux recevoir les campeurs qui veulent en apprendre davantage dans ce domaine. Avec l’aide du directeur du camp, nous organisons une tribu : la tribu de l’Orignal. Pour y entrer, il faut passer des épreuves qui, une fois réussies, permettent aux jeunes d’obtenir des grades.

 

Le toit de la bâtisse où je travaille et où je couche est recouvert seulement de tôle autour et sur le dessus, si bien que lors de fortes pluies le bruit est infernal.

 

Mon lit est situé le long du mur sur le côté du fleuve. Une nuit, je suis réveillé en sursaut par un bruit extérieur. Je vois un début de corne à travers la tôle du revêtement et cela, à quelques centimètres de ma tête. C’est une vache du cultivateur voisin qui encorne le mur.

 

Visite d’une caverne

Je dirige encore certaines excursions. Cette fois-ci, c’est la visite d’une caverne située dans l’actuel Parc du Bic. Je ne me souviens pas précisément où était la caverne, mais on peut y avoir accès en passant sur le terrain de la ferme Rioux et en faisant le tour du massif montagneux appelé Cap-à-l’Orignal.

 

Pour pouvoir retrouver l’entrée de la caverne, il faut être attentif à une corde posée entre deux roches sur la rive. Par la suite, il s’agit de suivre la corde. Il faut être mince pour pouvoir ramper à travers les obstacles rocheux. On doit parcourir une vingtaine de mètres le plus souvent à plat ventre. À un moment donné, on doit passer entre deux grosses roches qui laissent peu d’espace. Les campeurs qui refusent d’y entrer ou qui rebroussent chemin sont sous la surveillance d’un moniteur junior à l’extérieur.

 

Arrivés dans la caverne, on voit dans un coin un filet de clarté provenant du ciel. C’est impressionnant. On peut être une dizaine de personnes debout. Il y a là encore quelques stalactites et quelques stalagmites que nous prenons plaisir à récupérer.

 

Comme moniteur de sciences naturelles, j’aurais dû savoir que ce n’était pas une bonne idée que de spolier la caverne de ses sédiments. Personnellement, j’en recueillais pour les exposer dans mon local de sciences naturelles. Mais, c’était quand même une agression contre la nature qui avait secrété ces substances depuis des millénaires.

 

Je suis certain que si l’abbé Lamontagne, un naturaliste chevronné, nous avait mis en garde contre cette spoliation, nous aurions respecté ses directives. Mais, la conservation de la nature n’était pas à la mode à cette époque.

 

J’imagine que cette caverne existe encore ; mais je ne sais pas si elle fait encore l’objet de visite.

 

Rencontre de l’archevêque

Je suis revenu à Saint-Mathieu pour la fin des vacances. Mgr Charles-Eugène Parent a été invité par le curé à présider une cérémonie spéciale. J’appréhende de le rencontrer parce qu’il est reconnu comme étant un personnage sévère. Revêtu de mon habit ecclésiastique, je me présente à la sacristie. Dès qu’il me voit, il me demande si je viens à la messe tous les matins. Je lui explique qu’au Cap-à-l’Orignal j’y vais toutes les fois que l’abbé Lamontagne la dit, mais qu’à Saint-Mathieu je n’y assiste pas étant donné l’éloignement de l’église. Mgr ne dit rien, mais je sens une moue intérieure.

 

Septembre 1962. La rentrée scolaire

J’entre au Grand Séminaire pour la deuxième année. Ma chambre est située face à la rue Saint-Jean-Baptiste. Je vois le Séminaire. Je suis de moins en moins certain de mon choix de vie. Je continue à faire de la reliure.

 

Octobre 1962. Inquiétudes quant à ma vocation

Au début d’octobre, je me sens mélancolique et anxieux. J’attribue cet état d’âme à la saison d’automne qui commence. Mais cette sensation prend de l’ampleur. Je réalise que je me dirige à petits pas vers une dépression. Je m’isole dans mon travail de relieur. Je cesse de parler à la table.

 

Je finis par comprendre qu’un problème me chicote : « Ai-je vraiment la vocation ? » Je vais voir le médecin de l’institution. Il en a vu bien d’autres avant moi. Il me pose des questions pertinentes relativement à mon choix de vie. Je lui indique que de plus en plus je me sens prisonnier comme pensionnaire et que je ne suis plus sûr d’être dans la bonne voie. Il m’invite à réfléchir et à en parler avec mon directeur spirituel.

 

Lecture de la Bible

Un professeur organise un cercle de lecture de la Bible. Je ne suis pas invité officiellement, mais on me dit que je peux y aller quand même. Après deux ou trois séances, je me présente. Le déroulement va bon train. Toutefois, le tout se passe comme si je n’étais pas là. Je ne suis pas invité à lire. J’en sors meurtri. Cela s’ajoute aux tourments qui me rongent. Je m’en plains auprès d’un de mes confrères. Le cercle de lecture est immédiatement dissous.

 

Un rêve

Les relations entre les États-Unis et l’URSS sont tendues. Les journaux nous apprennent que des missiles nucléaires soviétiques sont pointés en direction des États-Unis à partir de Cuba. On parle de la possibilité d’une troisième guerre mondiale. Je crains vraiment que la situation dégénère. Je suis troublé. Cela s’ajoute à l’anxiété causée par la question qui me hante concernant ma vocation. Un après-midi de congé, je vais prier à la chapelle. Cela me libère du stress, mais si peu.

 

Une des nuits suivantes, je fais un rêve. Je suis assis dans ma chaise berçante. Jésus m’apparaît. Il me dit : « Serais-tu prêt à mourir pour moi ? » Sans réfléchir et d’une voix ferme, je dis non. Je suis estomaqué par ma réponse. Je me réveille. C’est bien un rêve, mais c’est plus qu’un rêve, c’est une prémonition. Je saisis l’ampleur de ma réaction. Même si rationnellement je ne crois pas à l’apparition, je considère que le message est clair.

 

Décembre 1962. Une décision importante

Après mûres réflexions, je vais voir mon directeur spirituel. Je lui indique mon intention de quitter le Grand Séminaire. Il m’interroge sur mon état de spiritualité et sur le sens de ma vocation. Finalement, il se range de mon côté. Je prépare alors mon départ. J’écris à mes parents :

 

« C’est le cœur gros que je vous écris aujourd’hui. Depuis le début de l’année, j’ai travaillé et prié afin de savoir si je suis réellement dans le chemin que Dieu m’a tracé. Après mûres réflexions et conseil de mon directeur spirituel, j’ai décidé de quitter le Grand Séminaire. C’est peut-être une très grande épreuve pour vous, chers parents, mais c’en est une encore plus grande pour moi.

 

Veuillez croire que je n’ai pas pris cette décision à l’aveuglette et que j’y ai réfléchi longuement. Cela ne m’empêche pas d’oublier tous les sacrifices que vous vous êtes imposés pour moi. Tout cela n’est pas perdu. Les mérites vont retomber sur vos enfants pour que Dieu les place là où il veut. »

 

Il y a une tradition qui veut qu’un partant n’informe aucun autre séminariste de son départ. La seule exception est pour celui qui est nommé « exécuteur testamentaire ». Le terme ici est trop fort mais il désigne la personne à qui l’on confie ses biens matériels, livres et vêtements ecclésiastiques, en vue de les vendre.

 

Achat d’un habit

Il me faut des vêtements civils pour quitter le Grand Séminaire, mais je n’ai pas d’argent. Je vais voir le procureur de l’institution et lui demande conseil. Il me dit : « Mon frère a justement une mercerie pas loin d’ici. Je vais l’appeler et il va te vendre à crédit. » Le lendemain, je me présente à cette boutique. J’achète un habit, une chemise blanche et un chapeau de feutre. Je ne trouve pas de cravate et de chaussures à mon goût. Alors, le commis me dit : « Je vais appeler à une autre mercerie et ils vont te vendre à crédit. »

 

Le matin de mon départ, je vais à la messe comme d’habitude. Je déjeune normalement. Pendant que mes confrères suivent leur cours de droit canonique, j’enlève mes vêtements ecclésiastiques. Je revêts la tenue civile. Je quitte l’institution en catimini et je me rends à la station du chemin de fer où il est entendu qu’un de mes beaux-frères vient me chercher. J’ai le vague à l’âme et la larme à l’œil. Ma sœur comprend ce qui se passe quand elle me voit dans mon nouvel habillement.

 

Arrivé à la maison, je salue mes parents qui sont en train de plumer des poules pour les repas de Noël et du jour de l’An et je me réfugie dans ma chambre. J’ai laissé ma valise au Grand Séminaire qui me sera livrée plus tard.

 

Mon père semble indifférent comme d’habitude à toute cette situation. Ma mère est catastrophée. Son rêve de toute une vie vient de s’écrouler. Toutefois, jamais elle ne s’en ouvre à moi. Mais je sens sa douleur profonde. Voici ce qu’elle a écrit un peu moins de deux ans plus tard.

 

« Notre Charles-Édouard qui avait choisi le ruban blanc a porté la soutane un an et demi. Il est sorti le 18 décembre 1962. Il faut y avoir passé pour savoir le glaive qui traverse le cœur. Mais avec le secours du Bon Dieu, il a fallu se consoler et surtout pas trop faire voir la peine que nous ressentions. Mais comme les épreuves sont pour ceux qui sont sur cette terre, on a accepté cette épreuve comme venant de la main du Bon Dieu. Après avoir bien prié, fait des neuvaines, petit à petit, nous nous sommes encouragés. C’est sur cette terre d’épreuves de toute sorte que nous nous ramassons des trésors pour le ciel. Cette année, il étudie à l’école Normale de Québec pour faire sa carrière dans l’enseignement. »(Archives de maman, 25 septembre 1964)

FIN

Annexe 1. Mes principales réalisations

À titre de compléments, voici les principales réalisations de ma vie, autres que familiales :

 

1.      Avoir fait mon primaire en 6 ans au lieu de 7, passant de la 4e à la 6e année.

 

2.      Être arrivé premier de Saint-Mathieu-de-Rioux pour les résultats du certificat de septième année en 1953.

 

3.      Avoir publié, à l’âge de 16 ans, un premier article dans un hebdomadaire en août 1957, article qui relatait la fête du 25e anniversaire de mariage de mes parents.

 

4.      Avoir obtenu une note parfaite, 20 sur 20, et ainsi m’être classé premier au Québec - probablement avec d’autres - à l’examen universitaire de mathématiques de Philosophie II en juin 1961.

 

5.      Avoir obtenu le baccalauréat-ès-art de l’université Laval en 1961 avec la mention « magna cum laude » (grande distinction)

 

6.      Avoir été moniteur au Camp Cap-à-l’Orignal pendant sept ans et avoir été directeur-adjoint au cours de l’été 1965 et 1966.

 

7.      Avoir, en 1963-1964, enseigné toutes les matières dans une classe à degrés multiples : 9e et 10e année à Saint-Fabien.

 

8.      Avoir obtenu un deuxième baccalauréat en 1965 : le baccalauréat en pédagogie de l’université Laval, jumelé au Brevet A qui constituait le permis d’enseignement.

 

9.      Avoir enseigné les mathématiques et les sciences naturelles au Séminaire de Rimouski de septembre 1965 à juin 1967.

 

10.  Avoir, en juin 1966, présenté une exposition montrant les meilleurs travaux de mes élèves en sciences naturelles, exposition qui a eu un vif succès.

 

11.  Avoir été l’auteur de l’album-souvenir de la paroisse de Saint-Mathieu-de-Rioux en 1966.

 

12.  Avoir été directeur adjoint au Séminaire de Rimouski de septembre 1967 à juin 1968. Le Séminaire a fermé ses portes en juin 1968.

 

13.  Avoir conçu et réalisé l’annuaire 1967-1968 du Séminaire de Rimouski, le dernier et 87e annuaire de l’histoire du Séminaire.

 

14.  Avoir été directeur adjoint d’une école temporaire de la commission scolaire du Bas-Saint-Laurent de septembre 1968 à juin 1969.

 

15.  Avoir été membre et secrétaire de la Corporation du Camp Cap-à-l’Orignal de 1966 à 1974.

 

16.  Avoir été membre et vice-président de la Corporation du Séminaire de Rimouski de 1967 à 1979.

 

17.  Avoir été membre et vice-président du comité de retraite des prêtres du diocèse de Rimouski de 1969 à 1979.

 

18.  Avoir été, en 1968, l’un des signataires du contrat de vente du Séminaire de Rimouski et de ses écoles au cégep de Rimouski pour un montant d’environ quatre millions et demi de dollars.

 

19.  Avoir signé, en 1969, un éditorial dans le dernier numéro dans la revue Le Centre St-Germain, après y avoir écrit quatre articles.

 

20.  Avoir enseigné les mathématiques en Secondaire IV et V pendant 10 ans (1969-1979) à l’école polyvalente Paul-Hubert de Rimouski.

 

21.  Avoir été chef de groupe en mathématiques à l’école Paul-Hubert pendant neuf ans (1970-1979).

 

22.  Avoir fait l’homélie, un dimanche d’octobre 1970, à l’église Saint-Pie X dans le cadre du synode du diocèse de Rimouski.

 

23.  Avoir été, en 1970, nommément mentionné dans une loi du gouvernement du Québec, la loi privée 178 sur le Séminaire de Rimouski.

 

24.  Avoir été membre-fondateur du GRMS (Groupe des responsables des mathématiques au secondaire) en 1971 et avoir plus tard écrit une partie de son historique.

 

25.  Avoir fait, en 1971, une entrevue de sept minutes à l’émission 5D de Radio-Canada à Montréal au sujet du rapport de la commission de la Jeunesse dont j’avais été l’auteur dans le cadre du synode du diocèse de Rimouski.

 

26.  Avoir conçu et expérimenté, avec plusieurs enseignants, une méthode d’apprentissage des mathématiques au secondaire à l’école Paul-Hubert. Ce modèle appelé L’apprentissage par phases a été expérimenté dans plusieurs écoles du Québec et a fait l’objet d’une étude de recherche universitaire en 1979-1980.

 

27.  Avoir donné 12 ateliers portant sur les mathématiques récréatives et en particulier sur l’apprentissage par phases à l’AMQ (Association mathématique du Québec), au GRMS et dans différentes commissions scolaires.

 

28.  Avoir composé en 1974 quatre chansons qui ont été interprétées par Gabriel April.

 

29.  Avoir été, à l’université du Québec à Rimouski en 1975, co-auteur du cours Théorie des nombres. Ce cours s’adressait aux adultes qui étaient inscrits au baccalauréat en mathématiques et se donnait par correspondance.

 

30.  Avoir obtenu un troisième baccalauréat en 1976 : baccalauréat en mathématiques de l’université du Québec à Rimouski.

 

31.  Avoir publié un article dans la revue Protégez-vous de septembre 1977 intitulé Formation à la consommation par les mathématiques.

 

32.  Avoir créé un cours optionnel de Mathématiques du consommateur en 1977 et avoir organisé une semaine du consommateur à l’école Paul-Hubert.

 

33.  Être le premier à Rimouski en 1978 à avoir été propriétaire d’un ordinateur domestique. Cela a fait l’objet de la une du journal Le progrès du Golfe.

 

34.  Avoir été chargé de cours en résolution de problèmes à l’UQAR aux sessions d’hiver 1978 et 1979.

 

35.  Avoir tenu une chronique trimestrielle dans la revue du GRMS pendant 10 ans (1978-1988). 

 

36.  Avoir vu Distractions mathématiques référencer par l’américain William L. Schaaf (1898-1992) dans un supplément de A Bibliography of Recreational Mathematics. Il a écrit : « A charming, unsophisticated collection of numerical, geometrical and logical puzzles ; with answers; short bibliography. »

 

37.  Avoir été responsable national de l’implantation des nouveaux programmes de mathématiques du secondaire pendant deux ans (1979-1981). 

 

38.  Avoir donné une conférence sur l’implantation des programmes de mathématiques au premier cycle à un congrès du GRMS en 1980.

 

39.  Avoir à pied levé remplacé le ministre de l’Éducation, Camille Laurin, pour une allocution sur le régime pédagogique à l’école Manikoutai de Sept-Îles en mai 1980.

 

40.  Avoir été directeur des services éducatifs au ministère de l’Éducation et membre de l’Association des cadres supérieurs du Gouvernement en 1982-1984.

 

41.  Avoir été directeur des services éducatifs et directeur général adjoint dans deux commissions scolaires : Bas-St-Laurent et Neigette, et membre de l’Association des cadres supérieurs des commissions scolaires en 1984-1988.

 

42.  Avoir été responsable des communications au salon du Livre de Rimouski et président pendant deux ans (1985-1987).

 

43.  Avoir été président de la table de concertation des directeurs des services éducatifs de la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie pendant deux ans (1986-1988).

 

44.  Avoir enseigné à l’UQAR pendant sept ans de 1990 à 1996 comme chargé de cours en didactique des mathématiques.

 

45.  Avoir été l’auteur des textes d’un spectacle historique et avoir animé la soirée lors du 125e anniversaire de Saint-Mathieu-de-Rioux en 1991.

 

46.  Avoir tenu une chronique dans le magazine Les Débrouillards pendant six ans dans laquelle des récréations mathématiques étaient présentées.

 

47.  Avoir été conseiller pédagogique en mathématiques à la commission scolaire La Neigette de 1993 à 1997.

 

48.  Avoir collaboré avec Roger V. Jean, un professeur de l’UQAR, pour son cours Outils mathématiques en composant près de 100 problèmes récréatifs en 1995.

 

49.  Avoir tenu une chronique de jeux mathématiques et littéraires dans le quotidien de Rimouski, le Fleuve, en 1996.

 

50.  Avoir reçu un trophée en 1997 pour avoir publié le meilleur article annuel de la revue du GRMS, article intitulé Portrait des futurs enseignants et enseignantes en mathématique au secondaire.

 

51.  Avoir composé sept articles sur des sujets mathématiques dans la revue de l’AMQ et dans celle du GRMS.

 

52.  Avoir traduit du latin au français un recueil de 53 problèmes récréatifs écrit par Albinus Flaccus Alcuin (735 -804).

 

53.  Avoir créé et alimenté le site web Récréomath à partir de l’an 2000, site qui aura reçu plus de 10 millions de visiteurs qui proviennent de plus de 90 pays.

 

54.  Avoir été gratifié, le 3 janvier 2001, pour mon site Récréomath, d’un coup de cœur par la Toile du Québec, un moteur de recherche disparu, soit le premier coup de cœur du nouveau siècle et millénaire.

 

55.  Avoir été gratifié de centaines de références provenant de plusieurs pays pour mon site Récréomath.

 

56.  Avoir composé un lexique de mathématiques intitulé Aide-mémoire dans lequel on retrouve les principaux termes de mathématiques au secondaire et qui est publié dans Récréomath.

 

57.  Avoir composé un Lexique de résolution de problèmes, unique dans le monde francophone, et qui est publié dans Récréomath.

 

58.  Avoir composé un Dictionnaire de mathématiques récréatives, unique dans le monde francophone, et qui est publié dans Récréomath.

 

59.  Avoir composé plus de 30 articles d’une dizaine de pages chacun sur des sujets mathématiques dans Récréomath.

 

60.  Avoir été cité par la prestigieuse revue française Science et vie qui a recommandé Récréomath dans son édition d’août 2008.

 

61.  Avoir créé et alimenté le blogue Les Charleries à partir de septembre 2013 dans lequel j’ai notamment publié les mémoires de tante Marie-Ange Jean.

 

62.  Avoir publié un roman Fred-Éric et une cinquantaine de contes dans le blogue Les Charleries.

 

63.  Avoir été le sujet d’un article dans le magazine Le lien express, bulletin électronique des diplômés de l’UQAR, en mai 2016.

 

64.  Avoir été l’auteur de la monographie Saint-Mathieu-de-Rioux intitulé Saint-Mathieu-de-Rioux se raconte, un livre de 366 pages, dans le cadre du 150e anniversaire de la paroisse en 2016, soit 50 ans après avoir écrit l’album-souvenir du centenaire en 1966.

 

65.  Avoir publié plus d’une quarantaine de livres à partir de 1966 à nos jours : livres publiés sur papier ou en ligne.

 

66.  Avoir monté, au cours des ans, une bibliothèque de plus de 1250 livres de jeux, mathématiques générales et récréatives.

 

67.  Avoir monté une bibliothèque de plus de 600 livres de lecture qui contient principalement des romans et des nouvelles.

 

68.  Avoir accordé en 2017 à Bibliothèque et Archives nationales du Québec une licence pour archiver Récréomath et Les Charleries.

Annexe 2. Courte biographie

Cette biographie reprend certains éléments qui ont été mentionnés dans l’annexe 1. Elle s’intéresse surtout à ma carrière qui s’est déroulée de façon plutôt désordonnée.

 

* * * * * * *

 

Charles-Édouard Jean naît le 6 juillet 1941 à Saint-Mathieu-de-Rioux. Son père est cultivateur. Sa mère est une femme au foyer comme la majorité des femmes de l’époque. Il fait ses études primaires à l’école du rang 5. À l’âge de 12 ans, il quitte la maison familiale pour faire des études classiques au Séminaire de Rimouski. En 1961, il obtient un baccalauréat-ès-arts de l’Université Laval. Il poursuit des études théologiques au Grand Séminaire de Rimouski qu’il délaisse en 1962.

 

En 1963-1964, il est professeur titulaire à l’école Saint-Stanislas de Saint-Fabien où il enseigne toutes les matières à 28 élèves de 9e et 10e année, regroupés dans un même local. L’année suivante, il s’inscrit à l’École Normale Laval où il obtient un baccalauréat en pédagogie.

 

En septembre 1965, il enseigne les mathématiques et les sciences naturelles au Séminaire de Rimouski. Deux ans plus tard, il est nommé directeur-adjoint à cette institution. En juin 1968, le Séminaire cesse ses activités. Il demeure directeur-adjoint d’une école temporaire de la commission scolaire du Bas-Saint-Laurent qui est installée dans les locaux du Séminaire et qui reçoit 800 élèves.

 

À partir de septembre 1969 jusqu’en juin 1979, il enseigne les mathématiques à l’école polyvalente Paul-Hubert. Il est chef de groupe en mathématiques pendant neuf ans. En 1973, il conçoit un modèle d’enseignement en mathématiques à l’intention des élèves du secondaire. Ce modèle appelé L’apprentissage par phases est expérimenté dans plusieurs écoles du Québec et fait l’objet d’une étude universitaire.

 

En même temps, il s’inscrit à l’Université du Québec à Rimouski et fait partie de la première cohorte d’étudiants adultes en mathématiques. Il obtient un baccalauréat en mathématiques-administration en 1977. En 1978 et en 1979, il est chargé d’un cours à l’université du Québec à Rimouski. Le cours est Résolution de problèmes.

 

En juillet 1979, il est engagé par la Direction régionale du ministère de l’Éducation de la Côte-Nord à titre de responsable de l’enseignement secondaire, avec résidence à Sept-Îles. Il assume notamment la responsabilité de l’implantation des nouveaux programmes de mathématiques du secondaire au plan national. Après deux ans, il est nommé directeur des services éducatifs au même endroit.

 

En 1984, il revient à Rimouski pour être directeur des services éducatifs et directeur général adjoint à la Commission scolaire du Bas-Saint-Laurent. Après deux ans, dans le cadre de l’intégration des commissions scolaires, il conserve ces deux postes à la Commission scolaire La Neigette. Pendant ce temps, il est choisi comme président de la table de concertation des directeurs et directrices des services éducatifs de la région Bas Saint-Laurent et Gaspésie. Il est notamment responsable des communications au Salon du livre de Rimouski pendant un an, puis président pendant deux ans. Il collabore à des journaux et à des revues. À titre d’exemple, il tient une chronique pendant 10 ans dans la revue du GRMS (Groupe des responsables de mathématiques au secondaire).

 

En 1988, il prend un congé sabbatique où il se consacre à des recherches en mathématiques. Il devient, en 1990, chargé de cours en didactique des mathématiques à l’Université du Québec à Rimouski, poste qu’il occupera pendant sept ans. En même temps, il est conseiller pédagogique à temps partiel en mathématiques à la Commission scolaire La Neigette et remplit des contrats de production de problèmes pour des éditeurs de manuels scolaires. Il prend sa retraite en juin 1997. Cette année-là, il reçoit un trophée du GRMS pour avoir écrit le meilleur article dans la revue de l’association.

 

En 2000, il met en ligne un site web destiné aux mathématiques récréatives dont le titre est Récréomath. Dans le site, ses œuvres les plus importantes sont un Dictionnaire de mathématiques récréatives, un Lexique de résolution de problèmes et un Aide-mémoire mathématique. En outre, on y retrouve plus de 7500 problèmes, énigmes et jeux, de même que plus de 30 articles sur des sujets mathématiques. Bon an mal an, le site reçoit en moyenne 2000 visiteurs par jour provenant d’environ 90 pays dont les quatre plus présents sont la France, le Canada, la Belgique et la Suisse. Depuis ses débuts, le site a reçu plus de 10 millions de visiteurs, se classant ainsi dans le 1 % des sites les plus fréquentés sur le web.

 

En 2013, il met en ligne un blogue dont le titre est Les Charleries. On y trouve notamment des contes, un roman, des souvenirs et des articles sur Saint-Mathieu-de-Rioux. Une section consacrée aux mathématiques y est intégrée.

 

Charles-Édouard Jean a écrit une quarantaine de livres consacrés principalement aux mathématiques et à la logique dont deux sur l’histoire de sa paroisse natale, Saint-Mathieu-de-Rioux.

 

Annexe 3. Mes livres publiés par ordre de parution (56)

1. Album-souvenir du centenaire de Saint-Mathieu, 1966, 75 p.

Cet album, écrit en collaboration, contient un bref historique de cette paroisse et rappelle des souvenirs si chers à ce terroir. L’album a été produit dans le cadre du premier centenaire de l'arrivée du premier curé résident.

 

2. Des activités mathématiques pour une classe, Éditions du Losange, 1973, 52 p.

Ce recueil contient une trentaine de problèmes et de jeux pour les classes du secondaire. Ces activités touchent aux nombres, aux carrés magiques, au déplacement du cavalier et à des parcours variés de jetons.

 

3. Mini-jeux magiques, Éditions du Losange, 1974. Huit numéros, 192 p.

Les huit numéros contiennent chacun une vingtaine de problèmes récréatifs conçus pour le grand public. Les problèmes sont pour la plupart simples et requièrent une connaissance du calcul élémentaire et des principales opérations mathématiques.

 

4. Distractions mathématiques, Éditions de l'Homme, 1977, 181 p.

Ce livre est composé de 150 problèmes mathématiques amusants, suivis de leurs solutions détaillées. Les distractions touchent à des domaines divers.

 

(L’américain William L. Schaaf (1898-1992) a retenu Distractions mathématiques dans un supplément de A Bibliography of Recreational Mathematics. Il a écrit : “A charming, unsophisticated collection of numerical, geometrical and logical puzzles; with answers; short bibliography.”)

 

5. Initiation aux carrés magiques. Ministère de l'Éducation du Québec, 1981, 73 p.

Ce document a été conçu pour les élèves du premier cycle du secondaire à titre de sujet d'enrichissement. Il contient des méthodes de constructions de carrés magiques d'ordres 3, 4 et 5, de même que de nombreux problèmes sur les carrés magiques.

 

Deuxième édition : Initiation aux carrés magiques, Éditions Récréomath, 2012.


6. Évasions calculées, Modulo Éditeur, 1982, 96 p.

Les 80 problèmes amusants de ce livre abordent les domaines les plus populaires des récréations mathématiques. Ils touchent à des situations diverses comme le calendrier, le hasard, les dés, l'argent, les dominos, les cartes et le cube de Rubik. Le tout est enrobé dans des chiffres, des nombres, des grilles ou des symboles.

 

 Deuxième édition : Évasions calculées, Éditions Récréomath, 2012.

 

7. Enjeux de mots, ÉDITEQ, 1986, 120 p.

Ce livre contient plus de 200 jeux de lettres et de mots qui permettent des défis fascinants. Ces jeux utilisent les combinaisons de lettres de multiples façons.

 

8. Au jeu !, GRMS, 1988, 175 p. (7)

Ce recueil contient environ 150 problèmes récréatifs et une vingtaine de textes sur des sujets de recherche mathématique récréative. Il est conçu pour les élèves du secondaire à titre d'enrichissement. Les récréations et textes proviennent de chroniques publiées dans la revue du GRMS de mars 1978 à juin 1988.

 

Deuxième édition. Au jeu !, GRMS, 1995.

Troisième édition. Au jeu !, 170 problèmes, Éditions Récréomath, 2012.

 

9. Au royaume des chiffres, Éditeq, 1989, 99 p.

Ce livre contient 75 petits problèmes amusants pour les jeunes de 8 à 12 ans. La résolution exige des connaissances mathématiques adaptées aux enfants de cet âge. Chaque petit problème est illustré par un dessin qui supporte le texte ou le complète.

 

10. Remue-méninges. Éditions de la Paix, 1994, 120 p.

L'auteur propose 140 énigmes suivies de 10 problèmes qui étaient proposés aux élèves au début du 20e siècle. Les énigmes font intervenir des personnages divers dans des situations variées.

 

11. Jouons avec Beppo 3, en collaboration avec Les Débrouillards, Héritage, 1996, 32 p.

Les problèmes proposés dans ce recueil ont déjà été publiés dans la revue Les Débrouillards. Ils font appel aux nombres, aux figures géométriques et à la logique. Ils sont accessibles aux personnes de tous les âges. Peu de connaissances mathématiques sont requises.

 

12. Drôles d’énigmes, Éditions de la Paix, 1996, 120 p.

L'auteur propose 140 énigmes. Les énigmes font intervenir des personnages divers dans des situations variées.

 

13. Jouons avec Beppo 4, en collaboration avec Les Débrouillards, Héritage, 1997, 32 p.

Les problèmes proposés dans ce recueil ont déjà été publiés dans la revue Les Débrouillards. Ils font appel aux nombres, aux figures géométriques et à la logique. Ils sont accessibles aux personnes de tous les âges. Peu de connaissances mathématiques sont requises.

 

14. Question de rire. Éditions de la Paix, 2000, 96 p.

L'auteur propose 140 énigmes dont certaines sont visuelles. Les énigmes font intervenir des personnages divers dans des situations variées. Dans le Devoir du 28 janvier 2001, Gisèle Desroches écrit : « (un livre) aussi divertissant et inattendu que possible. »

 

15. Amusements mathématiques. Éditions Récréomath, 2009.

Ce livre contient 200 problèmes. C’est une édition revue et enrichie de Distractions mathématiques, livre publié aux Éditions de l'Homme en 1977. En ligne seulement.

 

16. Mathémots. Éditions Récréomath, 2009.

On y trouve 200 problèmes de chiffres et de mots. La plupart des problèmes ont été publiés dans le quotidien le Fleuve (1995-1996). En ligne seulement.

 
17. Mathematical Amusements. Éditions Récréomath, 2009.

Les 200 problèmes de ce livre sont une traduction d’Amusements mathématiques publié par les éditions Récréomath. En ligne seulement.


18. Débrouilleries. Éditions Récréomath, 2010.

Ce livre contient 150 récréations touchant aux mathématiques et à la logique. La plupart des problèmes ont été publiés dans le magazine Les Débrouillards (1990-1996). En ligne seulement.

 

19. 365 énigmes et devinettes, vol 2. Éditions Goélette, 2010, 261 p.

C’est un recueil de 365 problèmes récréatifs. On y joue avec les chiffres, les lettres et différents objets ludiques. Voilà des énigmes, des devinettes, des charades pour chaque jour avec congé mobile pour une année bissextile.

 

20. 1001 énigmes et devinettes. Éditions Coup d'œil, 2010, 536 p.

C’est un recueil de 1001 problèmes comportant des énigmes mathématiques, des acrobaties logiques et magiques, des charades et des récréations teintées de réalisme.

 

21. Secrets des carrés magiques d'ordre 3. Éditions Récréomath, 2011.

C'est une étude relative aux carrés magiques constitués de neuf cases. On fait l'analyse des relations qui existent entre les neuf éléments. On y révèle la richesse des principales propriétés de ces carrés magiques. En ligne seulement.

 

22. Récréations orphelines. Éditions Récréomath, 2012.

Ce recueil présente 150 récréations de classes et de difficultés variées. Certaines récréations peuvent avoir plusieurs solutions ; d'autres une seule. Les solutions ne sont pas données. En ligne seulement.

 

23. Panoplie de formules, Éditions Récréomath, 2012.

Ce recueil contient 120 récréations pour lesquelles il faut établir une formule. Une solution détaillée est suggérée seulement pour les problèmes de rang impair. En ligne seulement.

 

24. 500 énigmes et devinettes, vol. 1, Éditions Coup d'œil, 2012, 254 p.

Ce livre contient des énigmes logiques, des énigmes mathématiques, des anagrammes, des devinettes, des charades, quelques pièges et quelques fausses pistes : le tout pour le plaisir.

 

25. Algorithmes en tête, Éditions Récréomath, 2013.

Ce recueil contient 100 récréations pour lesquelles il faut établir un algorithme. Les solutions sont données. En ligne seulement.

 

26. Preuves à l'appui, Éditions Récréomath, 2013.

Ce recueil contient 100 récréations pour lesquelles il faut faire une démonstration. Une solution détaillée est donnée pour chaque problème. Les solutions s’appuient, en grande partie, sur les propriétés des nombres et des réseaux. En ligne seulement.

 

27. Galaxie de mots, Éditions Charleries, 2013.
Ce recueil contient des mots croisés, des mots masqués, des mots brouillés, des mots jumelés, des mots en croix, des mots payants, des anagrammes et des ludocrostiches. En ligne seulement.

 

28. 500 problèmes anciens, Éditions Récréomath, 2014.
L’auteur a recueilli dans les manuels scolaires anciens des problèmes arithmétiques qui touchent à différentes facettes de la vie d’alors. En ligne seulement.

 

29. 1001 nombres charmants, Éditions Récréomath, 2014.
Chaque nombre entier de 0 à 1000 est présenté en énonçant ses principales propriétés et en le situant dans l’ensemble des entiers.
En ligne seulement.

 

30. Fred-Éric, Éditions Charleries, 2014.
Roman qui raconte la jeunesse de Fred-Éric qui a quitté la maison familiale après son Secondaire V.
En ligne seulement.

 

31. 500 énigmes et devinettes, vol. 2, Éditions Coup d’œil, 2015, 254 p.

Recueil de 500 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.

 

32. Saint-Mathieu-de-Rioux raconte son histoire, en collaboration, Édité par la municipalité, 2016, 366 p.

Dans le cadre du 150e anniversaire de l’arrivée du premier curé résident, présentation des principaux événements et personnalités qui ont marqué Saint-Mathieu-de-Rioux.

 

33. Énigmes et devinettes du jeudi, Éditions Goélette, 2016.

Recueil de 110 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.

 

34. Petits problèmes plaisants, Éditions Charleries, 2016.
Ce recueil contient 150 problèmes courts qui font appel à des connaissances mathématiques et logiques élémentaires.
En ligne seulement.

 

Deuxième édition. Petits problèmes plaisants, Éditions Récréomath, 2019

 

35. Jeux de grilles, Éditions Charleries, 2016.
Ce recueil contient 150 problèmes comportant au moins une grille. Les problèmes font appel à des connaissances élémentaires d’arithmétique et de logique.
En ligne seulement.

 

Deuxième édition. Jeux de grilles, Éditions Récréomath, 2019.

 

36. Testez vos connaissances en mathématiques, Éditions Charleries, 2017.
Ce recueil touche aux nombres, à l’algèbre, à la géométrie, aux probabilités et aux statistiques. Il comprend 400 items dont certains contiennent des questions multiples. On trouve donc plus de 1000 questions. En ligne seulement.

 

Deuxième édition. Testez vos connaissances en mathématiques, Éditions Récréomath, 2019

 

37. 675 énigmes, Éditions Goélette, 2017.

Recueil de 675 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.

 

38. 100 récréations mathématiques sur 100, Éditions Charleries, 2017.
Recueil de 100 problèmes récréatifs où une des données est 100. Certains problèmes sont de véritables défis.
En ligne seulement.

 

Deuxième édition. 100 récréations mathématiques sur 100, Éditions Récréomath, 2019

 

39. Énigmes et devinettes du jeudi, vol. 2, Éditions Goélette, 2017.

Recueil de 110 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.

 

40. 500 énigmes et défis, Éditions Coup d’œil, 2018, 270 p.

Recueil de 500 énigmes de lettres, de mots, de chiffres et de logique.

 

41. 2000 questions-quiz mathématiques, Éditions Récréomath, 2019-2023.
Recueil de 400 séries comportant cinq questions chacune sur différents aspects des mathématiques.
En ligne seulement.

 

42. 1100 trucs mathématiques, Éditions Récréomath, 2019-2023.
Recueil de 1100 trucs concernant les opérations de base sur les nombres, les figures géométriques et des situations récréatives.
En ligne seulement.

 

43. 150 énigmes, Éditions Récréomath, 2019.
Recueil de 150 énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de chiffres, et des situations logiques.
En ligne seulement.

 

44. 120 passe-temps cryptarithmiques, Éditions Récréomath, 2019.
Recueil de 120 problèmes sur certaines relations entre les lettres et les chiffres.
En ligne seulement.

 

45. 240 passe-temps combinatoires, Éditions Récréomath, 2019-2023.
Recueil de 240 problèmes faisant appel à des combinaisons principalement de nombres.
En ligne seulement.

 

46. 120 passe-temps logiques, Éditions Récréomath, 2019.
Recueil de 120 problèmes comportant des situations de raisonnement et de régularité.
En ligne seulement.

 

47. 240 passe-temps arithmétiques, Éditions Récréomath, 2019-2023.
Recueil de 240 problèmes touchant aux chiffres, aux nombres et à leurs propriétés.
En ligne seulement.

 

48. 120 passe-temps géométriques, Éditions Récréomath, 2020.
Recueil de 120 problèmes touchant aux figures géométriques et à leurs propriétés.
En ligne seulement.

 

49. 140 énigmes, Éditions Charleries, 2020.

Recueil de 140 énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de chiffres, et des situations logiques. En ligne seulement.

 

50. Défis logiques, Éditions Goélette, 2020.
On y trouve 115 situations originales et stimulantes qui font appel à l’esprit logique et au sens de la déduction.

 

51. Énigmes, 450 défis, Éditions Goélette, 2022.

Recueil de 450 énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de chiffres, et des situations logiques.

 

52. 500 énigmes et casse-têtes, Éditions Goélette, 2022.

Recueil de 500 énigmes de lettres, de chiffres et de logique.

 

53. 500 énigmes et jeux d’esprit, Éditions Goélette, 2022.

Recueil de 500 énigmes de lettres, de chiffres et de logique.

 

54. Défis logiques, 120 casse-têtes, Éditions Goélette, 2023.

On y trouve 120 situations originales et stimulantes qui font appel à l’esprit logique et au sens de la déduction.

 

55. Banque de problèmes résolus, Éditions Récréomath, 2024.

Une diversité de problèmes accompagnés de démarches variées dans le cadre de la résolution de problèmes. En ligne seulement.

 

56. Énigmes, 110 défis, Éditions Goélette, 2024.

Recueil de 110 énigmes comportant des charades, des devinettes, des jeux de mots et de chiffres, et des situations logiques.

 

********** FIN **********