(Dessin réalisé au primaire)

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Les charleries

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Ce blogue contient des souvenirs, des anecdotes, des opinions, de la fiction, des bribes d’histoire, des récréations et des documents d’archives.

Charles-É. Jean

Souvenirs

# 1400             25 décembre 2014

Les Noëls d’Antoine

Comment mon oncle Antoine passait-il ses Noëls ? A-t-il été heureux dans sa vie ? Trop tard pour le dire. En ce jour de Noël, je pense à lui. Je ne l’ai jamais vu. Pourtant, j’ai souvent rêvé à lui quand j’étais jeune.

 

Qui était cet homme mystérieux ? C’était le frère de mon père. Il est né à Saint-Mathieu-de-Rioux en 1903, un an et demi avant mon père. Sa mère est décédée quand il avait six ans. Elle laissait 11 orphelins : huit filles et trois garçons. La plus vieille avait 16 ans. Elle prit la relève avec un père qui avait alors 65 ans. Le plus vieux des garçons avait sept ans. C’était Antoine.

 

À l’âge de 14 ou 15 ans, son père, étant septuagénaire, Antoine devint le soutien de famille. Il fut engagé au moulin d’Antoine Dionne en bas de la paroisse. Ma mère nous a raconté qu’elle le voyait passer à pied dans le village avec sa boîte à lunch. Quand son père décéda, il avait 19 ans.

 

Plus tard, il s’est réfugié à Montréal probablement en pensant y trouver une vie meilleure. La lune de miel n’a pas duré longtemps. Il a travaillé quelques années, puis est devenu itinérant, clochard comme on disait à l’époque.

 

Il avait un frère et deux sœurs à Montréal. Pourtant, il ne voulait pas les fréquenter. Un jour, il a écrit à mon père pour avoir de l’argent. Ma mère lui en a envoyé. Quelques mois plus tard, il a fait une nouvelle demande. Ma mère est allée voir le curé pour demander conseil. Ce dernier lui a dit de refuser. Ce qui fut fait. Le lien ténu fut coupé. Jamais il n’est venu à Saint-Mathieu par la suite. Pourtant, il aurait été très bien reçu, probablement comme l’enfant prodigue.

 

Comment oncle Antoine passait-il ses Noëls dans les rues de Montréal ? Il n’a jamais goûté aux plaisirs d’une famille à lui, aux plaisirs de recevoir ses enfants et ses petits-enfants. Non, il a vécu dans la rue comme bien d’autres depuis. Les gens étaient-ils généreux à son égard quand il quêtait le jour de Noël ? A-t-il eu faim, a-t-il eu soif ce jour-là ? Plus ou moins qu’un autre jour surtout ?

 

Au moment où il est décédé en 1975, à l’âge de 72 ans, il vivait dans un foyer d’accueil à Saint-Barthélémy, dans le comté de Berthier. Personne de sa famille n’a été informé de son décès. C’est quelques années plus tard que mes parents reçurent une copie de son acte de sépulture. On peut y lire : « Sont présents à la sépulture quelques paroissiens, dont les soussignés avec nous : Madame Roger Dupont et Madame Jean Fecteau. » Ces deux noms étaient inconnus pour nous.

 

Au début des années 1980, une de mes sœurs a déniché une photo datée de 1922 où on voit les trois frères Léo, Antoine et mon père dans l’ordre accompagnés de Vital Roy en avant (voir ci-contre). C’était lors du mariage de ce dernier avec Arthémise Jean, leur sœur. Enfin, je voyais mon oncle Antoine pour la première fois.

 

Quand je me promène dans les rues de Montréal, je vois souvent mon oncle Antoine. Parfois, il a 20 ans, d’autres fois 40 ans et même 60 ans. Il est là qui quête sa subsistance. Rarement, il reçoit un sourire ou un encouragement. On pense à lui donner quelques miettes comme on le fait pour les pigeons.

 

En ce jour de Noël, ayons une pensée, si courte soit-elle, pour ces êtres humains qui n’ont pas eu la chance d’avoir une enfance heureuse et qui ont décroché de la vie.

 

Comment mon oncle Antoine passait-il ses Noëls dans les rues de Montréal ?

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# 1395             24 décembre 2014

La confession

Dans l’article 1000, j’ai parlé de ma première confession. Par la suite, il fallait se confesser une fois par mois. Le dimanche prévu, en famille, nous nous rendions à la sacristie avant la messe. Là nous attendaient le curé et parfois un prêtre de passage, lesquels étaient confortablement assis dans un confessionnal.

 

Au début, la préparation de la liste des péchés était fastidieuse. Je repassais les manquements que j’avais pu commettre. Bien sûr, il y avait les chicanes avec les frères et sœurs, les gros mots, les rapines de biscuits dans l’armoire, les petits mensonges, les fruits ramassées sur le terrain du voisin, le refus de faire des commissions, etc. C’est bien beau cela ; mais comment le formuler. Il fallait alors que je me débrouille et que j’invente des péchés pas trop compromettants pour être certain d’avoir l’absolution. Il fallait aussi préciser le nombre de fois. Là, pas de problème. Au hasard, je donnais une fréquence qui variait de 1 à 6.

 

Je n’ai jamais su comment les autres se confessaient. Je n’ai jamais parlé de ce sujet avec quelqu’un d’autre, parce que si le prêtre était lié au secret de la confession, je pensais que nous étions liés au secret de notre confession.

 

Avec le temps, j’ai appris, par le catéchisme, de nouveaux péchés que je ne connaissais pas à six ans. Je les ai inclus dans ma liste et j’ai mis de côté certaines fautes enfantines. Voici un exemple des confessions de mon jeune temps : « Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché. Je me confesse à Dieu et à vous mon Père. Il y a x semaines que je me suis confessé. J’ai reçu l’absolution et j’ai fait ma pénitence. »

 

Les fautes avouées suivaient. Je choisissais au hasard dans cette liste. « Mon père je m’accuse d’avoir menti x fois, de m’être mis en colère x fois, d’avoir été gourmand x fois, d’avoir été désobéissant x fois, d’avoir été impoli x fois, d’avoir dit des gros mots x fois, de m’être chicané x fois, d’avoir eu des mauvaises pensées x fois, d’avoir été impur x fois. Je m’accuse de plus de bien d’autres péchés que je ne connais pas et de ceux de toute ma vie. J’en demande pardon à Dieu ; et à vous mon Père la pénitence et l’absolution. »

 

Il arrivait que le prêtre me pose des questions. Pour éviter cette répétition, la fois suivante, j’ajoutais une autre forme de péché. Il en est ainsi de l’impureté. À 7 ou 8 ans, déjà je m’accusais de péchés d’impureté sans vraiment savoir ce que c’était. Je savais que ce péché était dans la liste des sept péchés capitaux. Un jour, alors que je me confessais d’avoir été impur, le prêtre me demanda avec qui. C’est ainsi que j’ai appris qu’on pouvait être impur avec d’autres et je l’ajoutai à ma liste même si je ne savais pas en quoi cela consistait.

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# 1355             16 décembre 2014

Chambre d’un ado en 1950

La chambre d’un ado dans les années 1950 ne ressemblait pas du tout à celle de la plupart des ados des pays développés d’aujourd’hui.

 

Quand j’avais 11 ans, nous étions trois dans la même chambre : mon frère plus jeune que moi et un cousin. Chacun avait son lit simple sur lequel ma mère avait installé une paillasse remplie de pailles des champs. Dans la chambre, il y avait un bureau à trois tiroirs, un pour chacun. Chaque tiroir était à peu près vide : 2 ou 3 paires de bas tricotés par ma mère, 2 ou 3 camisoles de laine également tricotés par ma mère, 2 ou 3 chemises. On pouvait y déposer de menus objets personnels. Je me souviens d’y avoir déposé des pommes que j’allais ramasser par terre dans le jardin en septembre lors des nuits de vent. C’était l’endroit approprié pour déposer sa médaille scapulaire qu’on reprenait les dimanches et les jours de fête. Il y avait aussi une garde-robe pour les vêtements longs.

 

Au mur, il y avait un crucifix et un bénitier. Ma mère nous recommandait de faire une courte prière devant le crucifix avant de se coucher. Celle-ci consistait à remercier Dieu pour la journée que nous venions de vivre. Elle nous suggérait de terminer par un signe de croix après avoir trempé nos doigts dans l’eau bénite. En réalité, nous ne le faisions que très rarement sauf si nous avions une faveur à demander au Seigneur.

 

Un soir que nous nous étions couchés vers 19 heures, mon cousin qui n’arrivait pas à s’endormir et voyant que je dormais déjà profondément se leva et déversa l’eau bénite dans une de mes oreilles. Inutile de dire que je me réveillai sur-le-champ. J’étais fâché. Heureusement, cela n’apporta pas de complications.

 

Comme l’électricité n’était pas encore installée, il n’y avait pas de prise au mur ni d’ampoule. On se couchait généralement avant que la noirceur tombe. Sinon, on se rendait à la chambre dans l’obscurité sans aucun éclairage.

 

Je n’ai jamais pensé aller lire dans cette chambre parce qu’il n’y avait pas de chaise. Quand je lisais, je m’assoyais dans une chaise berçante de la cuisine à travers le brouhaha des autres membres de ma famille. J’entendais parfois des remarques comme celle-ci : « Il est encore en train de lire. »

 

La chambre ne servait pas de refuge. Elle était uniquement un endroit pour dormir. Nous n’avions aucun coin d’intimité ; mais cela ne nous préoccupait pas.

 

Je vous laisse le soin d’identifier ce que nous n’avions pas par rapport à une chambre d’ado d’aujourd’hui.

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# 1320             9 décembre 2014

Activités du vendredi

Quand j’étais au primaire, le vendredi après-midi était consacré en tout ou en partie à des activités manuelles. À l’automne, on ramassait des feuilles multicolores pour en faire des cahiers.

 

Le reste de l’année, pendant que les garçons s’adonnaient à des travaux sur bois, les filles faisaient du tricot ou de la broderie. Je me souviens d’avoir produit un cintre et d’avoir bricolé une crèche de Noël à même une planchette de bois que je découpais avec une petite scie à chantourner et un canif.

 

Un jour, l’institutrice m’avait permis de me réfugier dans sa chambre à coucher pour procéder à un découpage sur bois. La récréation étant terminée, je continuais quand même à m’appliquer à ma tâche. Par deux ou trois fois, l’institutrice m’a sommé de revenir en classe. Je ne lâchais pas jusqu’à ce que je me coupe à un doigt. Je revins en classe penaud, étant certain que Dieu m’avait puni pour ne pas avoir obéi à la maîtresse d’école.

 

Il y avait aussi le dessin. On ne nous permettait pas de nous exprimer dans ce domaine. On nous donnait plutôt des scènes ou des objets à reproduire. Les scènes provenaient de manuels qui étaient à la disposition de l’institutrice. J’ai conservé mon cahier de dessin de sixième année. On y trouve 13 dessins dont notamment un navire flottant, un jeune homme avec son parapluie, un pot de fleurs, un boulanger qui livre le pain. Le dessin que j’ai placé en haut de cette page fait partie de ce cahier qui est relié avec une boucle de tissu rouge.

 

Parmi les objets à reproduire, il y avait les feuilles d’arbres. Dessiner une feuille avec ses nervures était relativement facile parce que cet objet est presque plan. Là où c’était plus compliqué c’est quand on nous faisait dessiner des objets à trois dimensions comme des tasses, des verres, des pots. L’institutrice plaçait ces objets sur son bureau en avant de la classe et il fallait qu’on se débrouille. L’objet dont j’ai gardé le plus mauvais souvenir est la pomme. C’était une tâche presque insurmontable, au moins pour moi.

 

Si au moins on nous avait appris les notions de perspective, de projection et de géométrie pratique. On ne connaissait rien de cela et les connaissances de l’institutrice à cet égard étaient relativement restreintes. Il fallait regarder la pomme plusieurs fois et tenter de la convertir dans un plan. Avec cet objet rond, nous devions passer de trois dimensions à deux dimensions. J’avoue avoir souvent effacé à l’excès si bien que mon papier à dessin devenait troué.

 

Ces expériences ont quand même été intéressantes. On avait hâte au vendredi après-midi pour quitter temporairement les manuels scolaires.

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# 1240             23 novembre 2014

Perdre le nord

J’avais 9 ou 10 ans. C’était un dimanche matin ensoleillé du début de juin. Ma mère me demanda d’aller chercher les vaches. Elles étaient dans le clos de pacage du sud à environ 200 mètres de la maison. Quand j’arrivai à la barrière, j’ai été surpris de constater que les vaches n’étaient pas là. Probablement que c’était plus de bonne heure que d’habitude parce que, ordinairement, elles attendaient patiemment à la barrière.

 

Je me dirigeai vers le sud. Je traversai un petit ruisseau. Je ne voyais pas les vaches. Mais où étaient-elles ? Je continuai toujours vers le sud. Elles étaient de l’autre côté de la petite rivière où nous allions pêcher. Quand elles me virent, elles comprirent que c’était le temps de la traite. Sauf deux ou trois, elles se mirent en marche vers la barrière que j’avais laissée ouverte.

 

De peine et de misère, car la rivière débordait encore depuis le printemps, je réussis à traverser le cours d’eau sinueux qui à un moment donné tournait à près de 90 degrés. Les deux ou trois vaches qui étaient là partirent. Dans mes nombreux va-et-vient pour trouver un endroit convenable pour traverser les méandres de la rivière, j’ai perdu mon orientation. J’étais écarté (égaré). Le coteau que je voyais devant moi était maintenant versant nord alors qu’en réalité il était versant sud.

 

J’avais donc perdu totalement le nord. Rationnellement, je savais quelle direction je devais prendre, soit vers le nord, car je n’avais qu’à suivre le trajet emprunté par les dernières vaches. Dans mon esprit troublé, je n’osais pas traverser de nouveau la rivière craignant de me diriger vers le sud où il y avait au moins une dizaine de kilomètres de forêt. J’étais figé et je n’osais plus bouger.

 

Quand les vaches arrivèrent à l’étable, il n’y avait personne derrière elles. Ma mère était très inquiète. Sur-le-champ, elle demanda à une de mes sœurs de venir à ma rescousse. Quand j’entendis, à l’entrée du clos, ma sœur crier, je repris mes esprits et conséquemment mon énergie. Je traversai la rivière et revint à la maison sain et sauf.

 

J’ai compris en ce moment dans quel état on pouvait être quand on perd le nord.

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# 1215             18 novembre 2014

Vers la modernité

J’ai connu jusqu’à 9 ans les temps anciens. Nous couchions 7 enfants dans un grenier d’une seule pièce partagée en deux par un rideau. Au nord, les filles, au sud, les garçons. J’ai eu froid durant les périodes de grands vents d’hiver. Avec le temps, la glace parvenait à couvrir les vitres de la seule fenêtre. Heureusement, avec mon frère dans un grand lit, nous avions une peau de carriole, une peau d’ours. Il fallait de temps à autre dormir la tête sous les nombreuses couvertures.

 

Les déplacements se faisaient en voitures à cheval, hiver comme été. Pas de toilette dans la maison. Les pots de chambre faisaient l’affaire. L’été, nous avions une bécosse à l’extérieur de la maison. Pas de radio, la batterie était épuisée. Pour s’éclairer, une lampe à l’huile et des chandelles. Pour se chauffer, un poêle à bois qui servait à la cuisson et à réchauffer l’eau ; mais qui n’arrivait pas à réchauffer convenablement la maison pendant l’hiver. Pas de fournaise à bois. Une pompe à bras pour faire couler l’eau nécessaire à l’alimentation et à l’hygiène. Pas de douche.

 

En 1950, mon père a décidé de partager la grande pièce du haut qui était, alors, inoccupée en quatre chambres. En même temps, vint l’électricité. C’était le début de la modernité. Au début, l’énergie électrique ne servait qu’à éclairer la maison et la grange. Avec la venue d’un appareil radio, la vie venait de changer dans la maison. Des voix extérieures et de la musique se faisaient entendre.

 

En même temps, fut installée une fournaise à bois dans la cave avec une grille qui laissait passer la chaleur dans la salle à manger et dans les chambres.

 

Pour aller à la messe le dimanche, pendant l’hiver, le snowmobile (autoneige) commença à transporter les gens du rang puisque les chemins n’étaient pas ouverts. En 1951, mon oncle Paul-Émile Bérubé acheta une camionnette. Cet été-là, nous allions à la messe entassés à l’arrière de ce véhicule avec d’autres personnes du rang. En 1952, mon père acheta sa propre camionnette.

 

Puis vint le gramophone qui nous permettait d’écouter des chansons sur 45 ou 78 tours. La Bolduc était très populaire dans la maison, sans compter la chanson « Ils sont en or les Canadiens du Tricolore. » Plus tard, le téléphone fut installé dans le rang. Les chemins furent ouverts à l’année.

 

Tranquillement, la modernité s’est installée. Toutefois, je ne garde pas de mauvais souvenirs de la première période de mon enfance. Au fur et à mesure, les nouveautés étaient appréciées à leur juste valeur.

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# 1175             10 novembre 2014

L’électricité

Quand j’étais enfant, il n’y avait pas d’électricité dans le rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux. Peut-on imaginer comment nous pouvions vivre sans cette énergie ? Pas d’eau courante, une radio à batterie qui ne fonctionnait plus, un poêle à bois pour faire cuire les aliments, réchauffer l’eau et chauffer la maison. Pas de lampes électriques, à la place une lampe à l’huile et des chandelles pour s’éclairer et faire ses devoirs après le souper. Pas d’appareils électriques comme un grille-pain. Bref, c’était une vie au ralenti qui était soumise aux aléas de la clarté du jour. Comme nous ne connaissions pas mieux, il n’y avait pas de problème.

 

En 1950, ma mère est allée voir le maire de Saint-Mathieu, Onésime Dionne, qui était en même temps le préfet du comté de Rimouski. Elle lui a signifié que, si l’électricité n’était pas installée dans le rang, elle songeait à quitter la terre du cinquième et que d’autres pourraient faire de même. Le maire qui avait beaucoup d’égards envers ma mère – elle avait été la servante de son oncle pendant quatre ans et demi – fit des démarches auprès de la Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent qui appartenait à Jules-A. Brillant, un homme très prospère à Rimouski.

 

Quelques semaines plus tard, un employé de la compagnie a visité toutes les maisons du rang en leur faisant une proposition. Chaque cultivateur devait accepter de laisser passer gratuitement la ligne électrique sur sa terre. Il devait verser 100 $ pour les frais de la construction de la nouvelle ligne. En plus, il devait creuser lui-même les trous pour planter les poteaux en bois sur sa terre. Tous acceptèrent et les travaux commencèrent. À l’automne, je me souviens d’avoir vu mon père creuser deux trous aux emplacements qu’on lui avait indiqués. Un poteau muni d’un transformateur était dans le jardin familial et l’autre au milieu d’un champ où mon père semait les patates. Il n’était pas question de s’opposer à l’emplacement des fils d’acier qui servaient d’ancrages pour solidifier les poteaux.

 

En janvier 1951, des techniciens ont visité chaque ferme pour installer le filage pour la lumière et en même temps quelques prises de courant. Pour la maison et la grange de mes parents, cette installation a coûté 239,70 $ alors qu’un paquet de tabac se vendait 20 sous. Mon père en a profité pour planter un poteau en face de la grange pour y placer une ampoule de 100 watts.

 

Tout était prêt sur la ferme ; mais nous n’étions pas encore reliés à la centrale électrique. Un bon jour, notre voisin, Monsieur Ernest, est venu à la maison et a demandé à ma mère si elle avait l’électricité. Celle-ci a répondu dans la négative. Alors, il a dit : « Levez ce commutateur. » La lumière était arrivée ; même celle du poteau s’allumait à partir de la maison. D’ailleurs, ma mère a longtemps parlé de la lumière au lieu de l’électricité.

 

Le premier achat a été celui d’une radio électrique qui a coûté 45,90 $. Le compte d’électricité de juin 1951 a été de 2,55 $ et celui de décembre 3,37 $.

 

En février de l’année suivante, une « crise » de verglas a frappé Saint-Mathieu. Plusieurs poteaux sont tombés. Nous étions peinés de ne plus pouvoir écouter la radio. Pour le reste, la vieille lampe à l’huile et les chandelles sont revenues. Ce n’était pas plus grave que cela. Si je me souviens bien, nous n’avions pas encore d’autres appareils électriques. L’électricité fut rétablie au bout de trois ou quatre semaines.

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# 1125             30 octobre 2014

Ma naissance

Ma mère désirait ardemment avoir un garçon. Un an plus tôt, elle avait accouché d’un garçon qui est décédé à la naissance. Elle avait déjà trois filles et un garçon. La dernière fille marchait sur quatre ans.

 

C’est à mon tour de voir le jour ... ou plutôt la nuit. Je nais vers minuit 45. C’était un dimanche. Ma mère m’a mis au monde à la maison, aidée d’une sage-femme. J’étais un bébé bleu : un bébé qui a des problèmes respiratoires et dont le système immunitaire est faible. J’ai été baptisé l’après-midi même en l’église de Saint-Mathieu par le curé Charles Pelletier. Ma marraine fut Lucienne Théberge et mon parrain, Édouard Ouellet. Le nom de Charles-Édouard provenait d’une combinaison des prénoms du curé et de mon parrain. Ma mère était très heureuse. Enfin, un garçon.

 

Ma mère décida que j’étais le plus vieux du deuxième lit. Je devins donc en quelque sorte l’aîné et cette blague mi sérieuse aura sans aucun doute influencé les gestes de ma vie. En effet, quelque part, j’ai vécu les responsabilités et les avantages d’un fils aîné.

 

Les difficultés respiratoires étaient bien présentes. Elles étaient accentuées par des problèmes de digestions dus sans doute au fait que j’étais nourri au lait de vache qui contenait des substances qui héritaient mon estomac. Évidemment, le lait n’était pas stérilisé.

 

Un mois plus tard, une fête a eu lieu sur la terre de mon père. Ce dernier avait participé à l’érection d’une croix en bois avec l’aide de Charles Plourde et l’avait placée sur un bloc de ciment à l’intersection de la route du cinquième et de celle qui conduisait au club Cassette, aujourd’hui les Appalaches. Ce dimanche-là, en après-midi, toute la paroisse s’est donné rendez-vous pour la bénédiction de la croix. Beaucoup de monde vinrent visiter le petit bébé d’un mois qui n’en menait pas large. Même le curé vint me voir pour encourager ma mère. Celle-ci voulait faire une retraite fermée ; mais, elle avait peur de ne pas me revoir à son retour. Elle demanda conseil au curé qui lui dit : « Allez faire votre retraite, il sera encore là à votre retour. »

 

Je pense que la prédiction du curé s’est avérée parce que je suis encore là, mais à un autre là.

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# 1095             24 octobre 2014

Le jeu de barreau

Quand j’étais jeune, à la maison, nous avions un jeu de barreau. Le tablier de ce jeu était constitué d’une planchette de bois mesurant environ 52 centimètres de longueur, 32 centimètres de largeur et 2 centimètres d’épaisseur. D’un côté, c’était le barreau et de l’autre côté les dames. Cette planchette en bois avait été fabriquée par mon grand-père Émile Théberge au début des années 1900. Ma mère en avait hérité et j’en ai maintenant la possession. Elle est encore en bon état.

 

Ce jeu était connu dans les temps anciens et il s’appelait marelle triple. Ovide, un poète latin, qui est né en 43 av. J.-C. en parle dans ses écrits. Il y a deux formes de marelle triple : celle qui a des diagonales et celle qui n’en a pas. Selon Édouard Lucas, au 19e siècle, les diagonales ont été supprimées pour la vente. La planchette que je possède est sans diagonales. On l’appelle barreau au Québec et moulin en France. Dans les années 1970, j’ai visité un village d’antan en Acadie. Il y avait un jeu de barreau dans une maison ancienne.

 

Pendant l’hiver, mon père avait beaucoup de temps libres. Lui qui était un grand amateur de jeux m’invitait parfois à jouer. Pour ce faire, il se levait, prenait le jeu de barreau et me faisait un signe sans dire un mot. Je devais avoir 10 ou 11 ans. Je n’aimais pas jouer avec lui. J’étais incapable de refuser parce qu’à l’époque c’était inconcevable qu’un fils ne se plie pas aux volontés de son père.

 

Au début, il m’a indiqué sommairement les règles du jeu même s’il n’avait pas l’habitude de nous montrer à accomplir les tâches qu’il nous demandait. Je me suis dit : « La seule façon qu’il arrête de m’inviter à jouer, c’est de gagner. » Je me suis appliqué à analyser le jeu et à remarquer comment il jouait. Au bout d’une dizaine de parties, je gagnais tout le temps. Il a alors arrêté de m’inviter.

 

Pour ceux que cela intéresse, je donne les règles du jeu et une image du jeu dans le dictionnaire de mathématiques récréatives  de Récréomath à l’entrée Marelle triple.

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# 1045             14 octobre 2014

Une escapade insensée

J’étais en sixième année au primaire en 1952. Je fréquentais l’école du rang 5 à Saint-Mathieu-de-Rioux. J’étais un des plus vieux de la classe. Nous étions cette année-là une douzaine d’élèves. L’institutrice qui nous enseignait n’était pas très sévère. De plus, elle n’avait pas de diplôme d’enseignement. Elle avait seulement son certificat de neuvième année.

 

On était en janvier ou février. Nous dînions à l’école. Après le repas constitué de pâtes alimentaires, nous avons décidé, un groupe de cinq ou six élèves, de se rendre au lac-du-Cinq qui était situé au nord de l’école à plus d’un kilomètre. Nous sommes partis vers midi et 15 minutes en franchissant la clôture qui nous permettait d’atteindre la terre de Romuald Plourde. Aujourd’hui, cette terre appartient à Bernard Vachon. Nous espérions que le propriétaire de la terre ne nous voit pas parce qu’il était commissaire d’école.

 

La température était froide ; mais, il ne vantait pas. Il y avait d’amasser plusieurs pieds de neige. En courant et en nous chamaillant, nous avons descendu les deux côtes qui nous séparaient du lac. Bien sûr, nous voulions revenir pour le début des classes à 13 heures. Rendus au lac, nous avons constaté avec stupéfaction qu’il nous restait une quinzaine de minutes pour le retour.

 

Nous étions fatigués puisque nous marchions dans une neige assez épaisse et que notre exubérance avait grugé nos énergies. Dans notre insouciance, nous n’avions pas pensé que la remontée serait plus difficile que la descente. De peine et de misère, nous avons gravi les deux côtes en s’aidant mutuellement et en s’enfonçant dans la neige plus souvent qu’autrement.

 

Quand nous sommes arrivés sur le terrain de l’école, nous étions tellement fatigués que nous avions peine à marcher. En même temps, nous redoutions les réactions de l’institutrice puisque la classe était commencée depuis une demi-heure.

 

Quand nous sommes entrés dans l’école, la mine basse et les regards en coin, l’institutrice a fait une sainte colère. Nous nous attendions au pire. Je pensais que celle-ci me montrerait du doigt comme étant l’instigateur de cette escapade. Elle nous a fait voir l’imprudence que nous avions manifestée et l’absence d’autorisation. Puis, elle a continué la classe comme si rien n’était.

 

Personne n’a été puni. Nous sentions tous que nous avions été légèrement stupides d’avoir fait cette randonnée. Je pensais en moi-même. « Elle va sûrement avertir mes parents. » Imaginez, nos parents qui nous faisaient dîner à l’école pour notre bien-être et nous nous permettions de franchir plus de deux kilomètres dans la neige jusqu’aux genoux. Je craignais la réaction de mes parents.

 

Il n’en fut rien. L’incident n’eut pas de suite. Mais, nous n’avons plus eu l’idée de faire une telle excursion. Nous nous contentions de nous amuser autour de l’école après le dîner. Sans que ce soit une justification, il faut dire que nous n’avions aucun article de sport pour passer le temps lors des récréations.

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# 1000             5 octobre 2014

Ma première confession

Quelle exigence insensée que la première confession d’autrefois ! Quand j’étais jeune, cela devait se faire avant la première communion, soit à l’âge de six ans. Cela marquait la fin de la petite enfance. J’avais hâte de pouvoir communier pour montrer que je n’étais plus un bébé. Toutefois, je devais d’abord me présenter au confessionnal qui était un passage douloureux.

 

D’abord, l’institutrice nous demandait d’apprendre par cœur la formule d’introduction qu’il fallait pouvoir réciter au prêtre. « Bénissez-moi mon père parce que j’ai péché. Je me confesse à Dieu et à vous mon Père. C’est ma première confession. » Par la suite, il fallait énumérer ses péchés en commençant par « Mon père, je m’accuse. »

 

L’institutrice nous donnait des suggestions de péché : chicanes entre frères et sœurs, les gros mots, les vols de biscuits, les fruits ramassés chez le voisin, le refus de faire des commissions, la gourmandise, la paresse de ne pas apprendre ses leçons et de ne pas faire ses devoirs, les petits mensonges, etc. Il fallait aussi indiquer le nombre de fois pour chaque péché. À la fin, il fallait dire : « Mon père, je m’accuse de plus de bien d’autres péchés que je ne connais pas et de ceux de toute ma vie. J’en demande pardon à Dieu et à vous mon père, la pénitence et l’absolution. »

 

Comment choisir dans la liste suggérée par la maîtresse d’école ? Je n’ai pas voulu consulter ma mère parce que j’aurais été obligé de lui avouer de vrais ou de faux manquements. J’ai dû alors me débrouiller et inventer des peccadilles de conduite.

 

Le jour venu, ma mère m’a accompagné à la sacristie de l’église. Il y avait là deux confessionnaux.  Chacun des deux était divisé en trois compartiments séparés. Le curé était installé dans le compartiment central d’un des deux confessionnaux. Comme pénitent, il fallait ouvrir une porte et entrer dans un des deux isoloirs libres. Il y avait là un agenouilloir. Je devais attendre que le prêtre déplace un panneau qui laissait paraître le grillage séparant le pénitent du confesseur. Le moment venu, je devais parler à travers le grillage.

 

Avec l’aide du curé, j’ai réussi à me confesser. Le prêtre m’a absous de mes péchés et m’a donné une pénitence, probablement de réciter trois Ave Maria ou l’acte de contrition. J’avais passé la douloureuse épreuve de la confession. Les traces laissées par cette expérience me suggéraient qu’il y avait des péchés partout et que, pour ma part, je devais en inventer pour pouvoir satisfaire aux préceptes de l’Église. Toutefois, il fallait que les péchés ne soient pas trop compromettants pour être certain d’avoir l’absolution.

 

J’ai pu alors faire ma première communion qui me permettait d’entrer dans le monde des grands. Je vous le donne en 1000.

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# 965               28 septembre 2014

Finances de la famille 1958-1963

Dans l’article 633, à partir des transactions effectuées à la Caisse populaire de Saint-Mathieu-de-Rioux, j’ai fait état des finances de la famille pendant la période 1937-1943. Dans ces sept années, le montant moyen d’épargne au 31 décembre a été de 175,77 $. Dans l’article 752, pour la période 1944-1950, le montant moyen d’épargne a été de 683,46 $, soit une augmentation de 507,69 $ par rapport à la période précédente. Dans l’article 880 pour la période 1951-1957, le montant moyen d’épargne a été de 624 $, soit une diminution de 59 $ par rapport à la période précédente.

 

Dans les années suivantes, la situation financière s’est grandement améliorée. Voici les montants d’épargne au 31 décembre pour les années 1958-1963 :

1958

1959

1960

1961

1962

1963

1419,28 $

2326,84

2045,68 $

3219,26 $

2228,87 $

2154,81 $


En 1961, ma mère a utilisé un document intitulé Le livre de comptes du cultivateur. Voici quelques données qui s’y trouvent :

 

Des revenus

Paies de beurrerie étalées sur les 12 mois : 1156,30 $.

Sucre et sirop d’érable : 237,03 $

Vers de terre : 23,35 $

En juin, un veau : 28,90 $

En juillet, un bœuf : 90 $

Allocations familiales : 264 $

 

Des dépenses

Une scie mécanique : 200 $

Frais de conseil : 27,25 $

Essence pour la camionnette : 2 $ à 3 $ par plein

Épicerie pour 4 personnes : 7 $ à 12 $ par semaine

Snowmobile pour aller à la messe en hiver : 1 $ par dimanche

Quête : 25 sous par dimanche

Un pain coûte 59 sous.

Une douzaine de poissons boucanés coûte 25 sous.

Assurance-vie pour le couple : 47 $

Téléphone : 2,81 $ à 3,60 $ par mois

Électricité : 5,31 $ à 6,41 $ par mois.

Une poche de blé de 50 livres pour les poules coûte 3,35 $.

Une poche d’écale d’huitres de 80 livres pour les poules coûte 2 $.

 

En 1958-1963, le montant moyen d’épargne au 31 décembre a été de 2232,45 $, soit une augmentation de 1608,45 $ par rapport à la période précédente. Pendant cette dernière période, la situation financière se maintient à un niveau assez élevé si on considère que le montant d’épargne de 3219,26 $ en 1961 correspond à 25 815,59 $ en 2014.

 

Quand on sait qu’en 2014 le taux d’endettement des ménages est de 163 %, mes parents pouvaient alors être considérés comme étant en très bonne position financière. En 1964, mon frère Pierre, après avoir contribué pendant quelques années aux finances familiales, a acheté la terre paternelle. Mon père s’est acheté une maison au village. À partir de cette date, ma mère n’a pas conservé ses relevés bancaires.

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# 925               20 septembre 2014

Un an déjà

Ce blogue a été mis en ligne le 20 septembre 2013. Il fête donc son premier anniversaire aujourd’hui. À un an, on est encore dans les limbes. Mais, je crois que, depuis le début, le blogue a progressé.

 

La grande majorité des blogues abordent un sujet unique. Ce peut être la cuisine, la photographie, la politique, l’actualité, la vie rurale, les bijoux, l’horticulture, etc. Je pourrais qualifier mon blogue d’hybride en ce sens qu’il aborde une dizaine de volets sous deux axes principaux : l’aspect personnel et les récréations. Jusqu’à ce jour, j’ai publié 925 articles.

 

Aspect personnel

On y trouve 33 contes, un roman, 49 poèmes, les mémoires de Marie-Ange Jean, 36 articles sur la généalogie, 71 articles de souvenirs, 54 articles sur Saint-Mathieu-de-Rioux et 40 articles sur le Séminaire de Rimouski.

 

Récréations

On y trouve  38 défis logiques, 104 énigmes, 27 problèmes anciens, 41 quiz mathématiques comportant chacun cinq questions, 102 divertissements mathématiques, 97 trucs mathématiques, 63 distractions de mots et 36 mots siamois.

 

Ajoutons à cela 39 articles de propos mathématiques, 21 de réflexions, 19 sur Rimouski et 17 sur le Québec en général.

 

Les visiteurs se font de plus en plus nombreux. Au début, il m’est arrivé deux ou trois fois en allant consulter mes statistiques de constater que j’avais 0 visiteur. Imaginez le contraste quand mon site Récréomath recevait ces mêmes jours plus de 2000 visiteurs. Il faut dire que Récréomath avait alors 13 ans.

 

Pendant les 30 derniers jours, 1382 personnes ont consulté ce blogue, soit une moyenne de 46 visiteurs par jour. Le point culminant a été le 10 septembre avec 74 visites.

 

Les visiteurs sont répartis dans 44 pays. Les cinq pays qui fréquentent le plus le blogue sont dans l’ordre : Québec-Canada, France, Belgique, États-Unis et Suisse.

 

Les visiteurs sont répartis dans 213 villes. Les villes les plus présentes sont dans l’ordre : Montréal, Paris, Rimouski, Bruxelles et Boulogne-Billancourt.

 

Pendant la dernière période de 30 jours, sous l’aspect personnel, les cinq pages les plus consultées sont dans l’ordre : généalogie, contes, Saint-Mathieu, souvenirs, Séminaire. Sous l’aspect récréatif, ce sont : défis logiques, divertissements mathématiques, énigmes, trucs mathématiques, quiz mathématiques.

 

Les blogues ont une vie relativement courte pour diverses raisons : manque d’inspiration de la part de l’auteur, bris de motivation, manque de disponibilité, etc. Espérons que Les Charleries pourront encore se faire entendre le plus longtemps possible.

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# 915               18 septembre 2014

La foudre

C’était au mois d’août 1955. Nous sommes partis quatre ou cinq de la famille pour aller cueillir des framboises sur la terre de Romuald Plourde, aujourd’hui Bernard Vachon. Arrivés au champ de cueillette, c’était rouge de framboises, comme on disait à l’époque.

 

Avant de partir, ma mère nous avait avertis. « Il fait chaud depuis trois jours. Il est possible que le temps change rapidement. Si le ciel se couvre de nuages noirs, revenez vite. Si jamais la foudre s’invitait, ne vous cachez jamais sous un arbre. Si vous n’avez pas le temps de vous rendre à la maison, changez de route pour ne pas revenir à travers les arbres. Si vous êtes dans un champ, couchez-vous dans des fossés. Jamais près d’un arbre ou d’une clôture. La foudre ne pourra pas vous atteindre. »

 

Ma mère nous avait souvent raconté comment la petite sœur de notre voisine avait été fauchée par la foudre alors qu’elle revenait des champs. Elles étaient deux ou trois qui se tenaient par la main et la foudre avait frappé la jeune sœur.

 

Après une heure de cueillette, le ciel s’est assombri. Une de mes sœurs plus âgée a décidé qu’on quittait. À la course, nous avons parcouru à peu près neuf arpents à travers les arbres. À un moment donné, la pluie s’est déchaînée. D’habitude, la foudre arrive en plus grande force après la pluie. Nous avions donc confiance que celle-ci ne viendrait pas.

 

Finalement, nous sommes arrivés à la maison trempés comme des canards. Mais cela n’était pas important. Nous nous sommes assis dans la cuisine en s’éloignant le plus possible du poêle à bois car les éclairs commençaient à scintiller dans le ciel. Tout à coup, un immense boum se fit entendre. Une boule de feu est sortie de la boîte électrique située au-dessus de la radio. Mes 10 doigts ont été soudainement engourdis. La foudre était tombée dans le transformateur situé près de la  maison.

 

Ma petite sœur qui avait un an dormait derrière la cuisine. Le bruit l’a réveillée. Elle a crié. Nous étions catastrophés. Ma mère est allée vers elle. Elle n’avait pas été touchée.

 

Comme on dit, tout est bien qui finit bien. Ce fut toute une leçon pour nous les enfants. La campagne est remarquable pour nous fournir de tels enseignements. Dans ce temps-là, on n’écoutait pas la radio ou la télévision pour connaître le temps qu’il fera. On avait des remarques, comme disaient les vieux.

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# 880               11 septembre 2014

Finances de la famille 1951-1957

Dans l’article 633, à partir des transactions effectuées à la Caisse populaire de Saint-Mathieu-de-Rioux, j’ai fait état des finances de notre famille pendant la période 1937-1943. Dans ces sept années, le montant moyen d’épargne au 31 décembre a été de 175,77 $. Dans l’article 752, pour la période 1944-1950, le montant moyen d’épargne a été de 683,46 $, soit une augmentation de 507,69 $.

 

Je vous présente maintenant les finances pour les années 1951-1957. Voici les montants d’épargne à la fin de chacune de ces années :

1951

1952

1953

1954

1955

1956

1957

950,44 $

411,09 $

24,78 $

202,90 $

610,00 $

822,67 $

1346,73 $

En 1951, une partie des revenus est :

Allocations familiales mensuelles : 44 $

Paies de beurrerie : 574,03 $

12 février : 1 porc, 55,83 $

10 mars : 1 porc, 45,21 $

12 mars : 500 billots à Désiré Dionne, 425,00 $

 25 juin : 1 porc, 19,76 $

10 juillet : 1 veau, 35,00 $

……….. : 1 vache, 106,20 $ (236 livres de viande à 45 sous la livre)

……….. : 1 peau de vache, 11,70 $

27 juillet : bois de pulpe à Jos Rioux, 350 $

11 septembre : 2 moutons, 56,70 $ (64 sous la livre)

15 décembre : 2 moutons, 47,02 $

 

Le 1 août 1951, le compte d’épargne atteint le montant de 1000 $ exactement.

 

En 1951, une partie des dépenses est :

Janvier : Installation de l’électricité, 281,70 $

……… : 1 manteau de fourrure, 239,70 $

……… : 1 radio électrique, 45,90 $

13 mars : frais de paroisse, 16,56 $

2 juin : compte d’électricité, 2,55 $

3 octobre : dîme de foin, 7,50 $

22 octobre : 1 valise, 16,07 $

6 novembre : 1 paire de bottes, 9,44 $

………….. : 1 piano, 190,00 $

12 décembre : compte d’électricité, 3,37 $

 

Cette année-là, un paquet de tabac Alouette se détaillait 20 sous. 

 

En 1952, il y a eu l’achat d’une camionnette Chevrolet 1952 au coût de 1793 $ : ce qui a temporairement ralenti l’épargne. En 1951-1957, le montant moyen d’épargne a été de 624 $, soit une diminution de 59 $ par rapport à la période précédente.

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# 844               2 septembre 2014

Une surprise

Quand j’étais en troisième et en quatrième année à l’école du rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux, l’institutrice était Bibiane Jean, une descendante de Michel Jean. Elle maîtrisait la classe avec calme et douceur. J’étais toujours seul dans mon degré. À la fin de la quatrième année, j’ai eu une surprise de taille.

 

C’était l’avant-dernier jour d’école. Vers 16 heures, j’ai vu Bibiane Jean se diriger vers chez-nous. Je me demandais bien ce qu’elle venait faire. Elle entra et dit à ma mère qu’elle voulait parler de moi. J’étais étonné. Je pensais être un enfant sans problèmes et d’habitude quand la maîtresse se déplaçait, c’était pour parler des mauvais coups des enfants ou du manque d’intérêt à l’école. J’étais légèrement stressé et j’avais hâte de connaître la nouvelle. Elle commença à dire à ma mère que je réussissais très bien à l’école et que parfois je perdais du temps à cause de ma facilité à apprendre. Alors, elle proposa à ma mère ceci :

- Que diriez-vous si je faisais graduer votre fils en sixième année au lieu de cinquième pour septembre prochain ?

 

La proposition m’assomma. Il me manquait deux semaines pour avoir 10 ans. Je me disais : avoir 9 ans et avoir la perspective de monter en 6e année. J’ai eu peur, mais je ne parlais pas. La plupart des enfants à l’époque ne parlaient jamais à un visiteur à moins qu’une question ne leur soit adressée personnellement et encore ... Ma mère ne me consulta pas et elle acquiesça toute heureuse.

 

Pendant les vacances d’été, chaque jour, je pensais à cette proposition. Quand j’appris que Bibiane ne revenait pas enseigner au cinquième rang, dans ma tête, j’étais certain que je serais en 5e année en septembre. J’étais alors déçu. Je fus heureusement promu en sixième année.

 

Au préalable, la décision de ma mère de m’inscrire en première année à l’école, même si je n’avais pas l’âge légal, était très bonne. Autrement, j’aurais commencé l’école à sept ans.  Celle de me faire sauter une année était moins bonne parce que, quand je suis entré au Séminaire,  je n’avais pas la maturité suffisante. Toutefois, elle a fait pour le mieux et c’est cela qui compte.

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# 828               29 août 2014

Jeunesse de ma mère

Ma mère est née le 24 janvier 1907. Elle a dû, bien jeune, affronter le froid de l’hiver, car, à cette époque, les maisons n’étaient pas suffisamment chauffées. Elle était l’aînée de la famille. Un garçon était né un an plus tôt.

 

Dès son jeune âge, elle apprit à aider sa mère dans les travaux domestiques. Les garçons, en ce temps-là, étaient exclus des tâches ménagères. Comme je l’ai raconté dans un autre article, à l’âge de sept ans, elle était responsable de la console téléphonique pendant que sa tante allait à la messe.

 

C’est avec ravissement qu’elle commença l’école dans une bâtisse située à l’ouest de l’église, là où plus tard s’est élevée la salle paroissiale. On appelait cette école : l’École Modèle. Elle aimait apprendre et étudiait avec beaucoup d’ardeur. Une de ses institutrices fut la jeune Jovette-Alice Bernier, de Saint-Fabien, qui fut connue plus tard comme romancière. Elle côtoya aussi Charles-Eugène Parent qui devint Archevêque de Rimouski.

 

Son rêve de devenir une femme instruite s’estompa quand sa mère lui demanda d’abandonner l’école pour l’aider dans la maison. Elle avait à peine 11 ans et elle était en cinquième année. Elle nous a très souvent raconté qu’elle avait pleuré et qu’elle avait insisté auprès de sa mère pour que le projet ne se concrétise pas. Peine perdue, la famille Émile Théberge comptait déjà huit enfants et un neuvième s’annonçait. De plus, la santé de sa mère était défaillante.

 

C’est avec résignation qu’elle se mit à la tâche en apprenant peu à peu les rudiments du métier de ménagère. Sans le réaliser, elle se préparait déjà à être mère au foyer. Toutefois, elle continua à lire et à apprendre, aidée en cela par ses tantes Théberge. En même temps, elle se perfectionna dans la couture pour laquelle elle avait un don remarquable.

 

À l’âge de 20 ans, elle fut engagée chez Antoine Dionne. Ce dernier était maire de Saint-Mathieu et opérait un moulin à scie dans le bas de la paroisse près du pont couvert Moreault. Elle gagnait alors 15 $ par mois et avait la permission, dans ses temps libres, de faire des travaux de couture pour ses frères et sœurs.

 

C’est probablement grâce à Monsieur Antoine qu’elle rencontra son futur mari, mon père, comme je l’ai expliqué dans un autre article.

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# 780               17 août 2014

Visite d’un navire

Au milieu des années 1970, avec une amie, je suis allé visiter une de mes sœurs en Nouvelle-Écosse. Son mari était marin sur un navire de la marine canadienne, qui à ce moment était amarré au quai d’Halifax. Un bon dimanche, ce dernier nous a invités à visiter le navire. Nous avons accepté avec empressement.

 

À l’entrée du navire, se trouvaient deux marins qui firent le salut conventionnel aux deux dames. Je ne comprenais pas pourquoi les deux hommes n’avaient pas été salués ; mais c’était quand même impressionnant.

 

Mon beau-frère nous a fait visiter le bateau. Puis, il nous a invités au bar. Hé oui, il y a un bar sur ces bateaux. À peine avions-nous débuté notre première consommation qu’une sirène s’est déclenchée. C’était une pratique de feu ou la réalité, nous ne le savions pas. Le préposé au bar a quitté précipitamment pour participer à l’opération. J’ai vu les marins, lampe de poche au front, fouiller le moindre recoin pour déterminer l’origine du feu. Quand c’est une pratique, les responsables de l’opération cachent des fusées éclairantes un peu partout. La tâche consiste à repérer ces fusées.

 

Pour un néophyte comme moi, j’étais légèrement inquiet. Se pourrait-il qu’un feu ait éclaté ? Le courant électrique avait été coupé. C’était sombre dans le bar.

 

Nous sommes demeurés en place en espérant que l’opération se termine sans anicroches. La sirène retentissait toujours. J’étais de plus en plus inquiet. La bière avait soudainement changé de goût. Le fait qu’il n’y avait plus de préposé au bar était pour moi une expérience unique.

 

Puis, la sirène s’est tue. Le préposé au bar est revenu à son poste. C’était une pratique de feu. Sur ce bateau, une telle opération se déroulait d’ailleurs de façon soudaine et sans avertissement autour d’une fois par semaine au quai et plus souvent en mer.

 

Le hasard avait voulu que je vive une expérience que je n’ai pas oubliée.

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# 752               10 août 2014

Finances de la famille 1944-1950

Dans l’article 633, j’ai fait état des finances de la famille pendant la période 1937-1943 à partir des transactions effectuées à la Caisse populaire de Saint-Mathieu-de-Rioux. Dans ces sept années, le montant moyen d’épargne au 31 décembre a été de 175,77 $.

 

Voici les montants d’épargne à la fin de chacune des années de 1944 à 1950 :

 

1944

1945

1946

1947

1948

1949

1950

500,80 $

738,09 $

550,44 $

614,04 $

1165,54 $

939,99 $

275,35 $

 

En 1944, avec 7 vaches, les paies de beurrerie ont rapporté 401,96 $ et en 1949, avec le même nombre de vaches, 494,73 $. Ces revenus seuls auraient été insuffisants pour faire vivre la famille.

 

Toujours en 1944, voici les détails de vente de certains animaux :

12 août : 1 veau, 10,00 $

15 août : 1 porc, 35,00 $

12 octobre : 3 porcs, 77,26 $

15 octobre : 1 taure, 35,00 $.

 

En 1946, mon père a construit une nouvelle grange. L’ancienne datait d’une cinquantaine d’années. C’est Omer Ouellet qui en fut le contremaître. Le bois neuf qui a servi provenait de billots coupés sur la terre et transformés à la scierie de Désiré Dionne. Il a fallu acheter notamment des clous, du ciment et faire une nouvelle canalisation vers la fontaine qui était près de l’ancienne grange, sans compter au moins un salaire. Tout cela semble ne pas trop avoir affecté les finances de la famille si on juge par les données du tableau.

 

En 1949, les paies de beurrerie ont rapporté 494,73 $ et en 1950, 377,53 $. En septembre 1949, on note dans le carnet de caisse trois dépôts importants pour un même mois : 130 $ le 7 septembre, 300 $ le 13 septembre et 134 $ le 28 septembre, pour un total de 564 $.

 

Après la grange, ce fut la construction d’un nouveau garage qui remplaçait celui qu’on appelait garage au Père Philéas. Ce garage à deux étages servit à remiser les voitures de promenade et les instruments aratoires. Il était conçu pour remiser éventuellement un véhicule automobile. En 1950, ce fut la rénovation intérieure de la maison. Mon père a déplacé l’escalier d’en haut et a partagé la grande salle de l’ouest en quatre chambres. Le temps était révolu de coucher dans un grenier non aménagé.

 

L’année 1950 n’a pas été très bonne pour les finances de la famille. Le 9 décembre 1950, un retrait de 239,70 $ a été effectué et le 20 décembre, un autre de 330 $, si bien que l’année s’est terminée avec une baisse importante par rapport aux années antérieures. Cette année-là, la famille était constituée de 9 enfants dont 4 allaient à l’école. L’aînée étudiait à l’École ménagère de Rimouski. L’aîné travaillait sur la ferme.

 

Dans ces sept années, le montant moyen d’épargne au 31 décembre a été de 683,46 $. 

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# 732               4 août 2014

Les liaisons dangereuses

Quand j’allais à la petite école, les liaisons linguistiques étaient à la mode. Dans les manuels scolaires dédiés à la lecture apparaissaient parfois entre deux mots ce qu’on appelle un tirant souscrit qui reliait la dernière lettre d’un mot et la première lettre du mot suivant. Par exemple, il fallait faire une liaison dans l’expression un long hiver. Le g devenait un k. On prononçait alors un long k’hiver. Les institutrices, comme on leur avait montré, attachaient une grande importance à cette forme d’expression.

 

Aujourd’hui, les liaisons sont de moins en moins appliquées. Dans certains cas, on fait la liaison à partir du son du premier mot. Ainsi, on prononcera un long n’hiver.

 

Un jour, j’étais en sixième année, trois élèves étaient en rang pour réciter leur leçon. Il s’agissait de déclamer un texte appris par cœur dont le titre était La prière et l’aumône. La première phrase se présentait comme suit : Jean et Robert allaient à la messe un dimanche.

 

L’institutrice demanda aux élèves de faire la liaison entre allaient et à si bien qu’ils devaient prononcer allaient t’à. Une des élèves n’arrivaient pas à faire cette liaison. L’institutrice insistait pour qu’elle recommence. Au troisième essai, l’élève interrogée en avait marre. Tout d’un trait, elle dit : Jean t’et Robert allaient t’à la messe t’un dimanche. Des éclats de rire envahirent la classe. L’institutrice était humiliée et ne trouva rien d’autre à dire que : « Retournez à vos places. »

 

J’ai trouvé le texte cité plus haut dans un livre intitulé Lectures courantes, deuxième livre et publié par les Frères des Écoles Chrétiennes en 1916. Ce livre s’adressait aux écoliers du primaire et en première page, il est écrit : « À l’usage des Écoles Chrétiennes. »

 

Le texte a d’abord paru dans un ouvrage intitulé La Comédie Enfantine en 1863. Il est de Louis Ratisbonne. Son ouvrage a été couronné par l’Académie Française. Je le transcris, dans sa forme originale, à l’intention de ceux ou de celles qui ont eu l’occasion de le mémoriser à la petite école.

 

Jean et Robert allaient à la messe un dimanche.

Ils avaient tous les deux dix sous en pièce blanche,

Et s'en allaient tout fiers, bras dessus, bras dessous,

Causant de ce qu'on peut s'acheter pour dix sous.

Juste au seuil de l'église un pauvre les arrête :

« La charité, j'ai faim! » Jean, détournant la tête,

Lui répondit : « Si je n'avais

Qu'un sou, je vous le donnerais.

Je n'ai pas de monnaie, aujourd'hui, mon brave homme.

— Moi non plus, dit Robert, mais j'ai toute une somme.

Prenez-la, voici de l'argent. »

Et dans la main de l'indigent

Il met ses beaux dix sous, la pièce tout entière.

Il entra dans l'église, alors, avec son frère,

Et tous les deux priaient très bien dans le saint lieu ;

Mais la voix de Robert monta seule vers Dieu.

Car, il ne suffît pas de prier dans un livre :

Il faut, pour plaire au ciel, aimer les malheureux,

Et leur donner l'argent quand on n'a pas le cuivre.

Joindre les mains, c'est bien ; mais les ouvrir, c'est mieux.

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# 720               31 juillet 2014

Un dernier enfant

Il y a 60 ans aujourd’hui, ma mère mettait au monde son 11e et dernier enfant. Elle avait 47 ans et six mois. J’avais 13 ans et je ne savais pas que ma mère était enceinte.

 

Ce 31 juillet 1954, la température était douce. Le soleil dardait ses chauds rayons. Avec une faucheuse tirée par deux chevaux, mon père rasait le foin au sud de la maison. Nous étions quatre ou cinq, y compris ma mère, à sarcler les fraisiers dans le champ en face de la maison là où jadis avait trônée la vieille grange. Le sol était dur, desséché par le soleil, et le chiendent proliférait. Le travail était difficile car, tout en arrachant les mauvaises herbes, il fallait faire attention pour ne pas détruire ou abîmer les plants de fraises.

 

Nous avions chacun nos rangs. Ma mère était placée dans un rang derrière nous si bien que nous ne pouvions pas la voir. Vers 11 heures 20, nous avons vu passer le médecin de Trois-Pistoles qui allait secourir une femme à l’est dans le rang.

 

Vers 11 h 30, ma mère s’est levée. Nous eûmes un instant de contentement parce que nous pensions que c’était l’heure de la pause-dîner, quoique celle-ci survenait habituellement vers midi. Je vois encore ma mère marcher péniblement tout en longeant la clôture. Elle s’est tournée vers nous et nous a dit : « Continuez à sarcler, mes enfants. » On sentait l’inquiétude percée dans sa voix. On ne le savait pas, mais le « travail » avait déjà commencé.

 

Ma jeune sœur turlutait sur le perron. Ma mère lui a dit : « Continue à chanter, mon enfant. » Au lieu de s’apitoyer sur son sort, elle avait de la tendresse envers ses enfants. Nous sentions qu’il se passait quelque chose quand nous avons vu arriver la faucheuse, les chevaux au pas de course. Quelques minutes plus tard, une de mes sœurs est venue interrompre notre activité pour nous inviter à aller dîner chez la voisine. Nous sommes partis avec les récipients de nourriture qui avaient été préparés pour le repas. Un peu plus tard, nous avons vu le médecin qui arrêtait chez nous.

 

Au retour, on nous a montré une belle petite fille que nous avons tout de suite aimée. Toutefois, en mon for intérieur, j’étais offusqué que ma mère m’ait au préalable caché son état.

 

Ma petite sœur est devenue grande. Aujourd’hui, elle n’est plus. Nous avons beaucoup de peine, particulièrement en ce 60e anniversaire de sa naissance.

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# 708               27 juillet 2014

Voyage à Ottawa

Le 23 juillet 2014, j’ai quitté Montréal pour aller passer deux jours à Gatineau. J’avais décidé de prendre l’autobus à 13 heures pour Ottawa. Comme c’était la première fois que je voyageais avec Greyhound, je suis parti plus tôt que d’habitude. Je me suis présenté à la billetterie autour de midi. J’ai demandé un billet aller-retour. J’avais prévu revenir le 25 juillet. Comme je ne pouvais pas spécifier l’heure du retour, la préposée m’a dit qu’elle ne pouvait pas me donner un billet aller-retour. Elle a préparé un billet aller simple, avec départ à midi sans qu’elle m’en eût averti.

 

J’ai flâné une dizaine de minutes dans l’entrée principale, puis je me suis rendu à la porte 18 d’où je pouvais prendre l’autobus. J’étais le premier en ligne. À 12 h 50, un contrôleur s’est présenté. Il a regardé mon billet et m’a dit : « Tu ne peux pas prendre cet autobus. Tu devais partir à midi. Va à la billetterie pour changer ton billet. » J’étais estomaqué et mécontent. Je n’avais pas remarqué que Greyhound indiquait une heure de départ sur le billet.

 

Je me suis rendu à la billetterie. Une douzaine de personnes attendaient et il y avait seulement deux guichets d’ouverts. J’étais certain de rater mon départ et j’étais attendu à Ottawa. J’ai fait ce que je ne me permets jamais de faire. J’ai passé sous le cordon de sécurité et je me suis présenté à un guichet. Heureusement, une colonne me cachait de la plupart de ceux qui attendaient. Je n’ai pas entendu de critiques.

 

La préposée m’a dit de me présenter au bureau de Greyhound. J’y suis allé. Le commis m’a dit que je devais aller à la billetterie. Je lui ai répondu que j’en arrivais. Il a pris mon billet et m’a dit qu’il m’en coûterait un dollar de plus. Il a entré les données dans l’ordinateur. Je trouvais le temps long. Je suis allé voir le contrôleur à la porte 18 et je lui ai demandé s’il pouvait m’attendre au cas où la correction serait trop longue. Il m’a répondu sans empathie : « L’autobus part à 13 heures. »

 

Finalement, j’ai obtenu un billet avec départ à 13 heures. Toutefois, en me remettant le billet, le commis m’a dit : « Aujourd’hui, c’est gratuit. Mais si tu fais la même chose une autre fois, il t’en coûtera 20 dollars. » Que se passait-il ? À un moment donné : 1 $ de pénalité, puis gratis, puis 20 $ à l’avenir, surtout que je pensais ne pas être responsable de cet imbroglio. Finalement, j’ai embarqué dans l’autobus à 12 h 58, car il y avait encore de la place.

 

Cette compagnie exige le respect de l’heure de départ inscrit sur le billet ; c’est son droit. Toutefois, sur le même billet, il était écrit que l’arrivée à Ottawa serait à 15 h 30. Or, l’autobus a atteint sa destination à 16 h. Je comprends que l’heure d’arrivée peut être retardée ; mais le renvoi d’un bureau à l’autre m’a laissé un goût amer.

 

Au retour, en réponse à une question, le préposé à la billetterie à  Ottawa m’a dit que cette politique existait depuis un an. Pourtant, j’étais allé sur le site de la compagnie avant mon départ et je n’avais rien trouvé de tel.

 

 

Note : J’ai fait une plainte à la compagnie Greyhound par courriel dans les jours suivants. Le 10 août 2014, j’ai reçu le message suivant : « Your message was deleted without being read on Sunday, August 10, 2014 8:04:14 PM (GMT-06:00) Central Time (US & Canada). » Personne de la compagnie n’a lu mon message. Excellent service à la clientèle !

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# 690               21 juillet 2014

Vers le mariage

Tous les enfants ou presque cherchent à savoir comment leurs parents se sont connus. Il existe des tas d’histoires allant de rencontres fortuites jusqu’à celles organisées. Dans les paroisses autrefois, il y avait des individus qu’on appelait marieux ou faiseux de mariage. Ceux-ci s’inquiétaient du fait qu’une personne, autour de la trentaine, n’était pas encore mariée. Ils provoquaient des rencontres en espérant que la flamme surgisse.

 

La première fois que mes parents se sont vus, c’était à l’école du Faubourg-du-Moulin à Saint-Mathieu. Tante Corine Théberge, la sœur de grand-père Émile Théberge, y enseignait. Un jour, elle y a amené ma mère qui avait 5 ou 6 ans. C’était l’école que fréquentait mon père. Cette première rencontre n’a laissé aucune trace.

 

Plus tard, mes parents ont connu une histoire où il semble bien que les premiers pas ont été le fruit d’une rencontre organisée. Voici les circonstances :

 

À 20 ans, ma mère a été engagée chez Antoine Dionne qu’elle a toujours appelé Monsieur Antoine. Cet homme célibataire avait alors 49 ans et il était maire de Saint-Mathieu. Il hébergeait son père, Jean Dionne, qui était veuf. Ce dernier avait été marié à Hélène Jean, la sœur de Théophile, mon grand-père. Jean Dionne était donc l’oncle de mon père et Monsieur Antoine, son cousin.

 

De plus, Monsieur Antoine était l’exécuteur testamentaire du père de mon  père, Théophile Jean. Au décès de ce dernier en 1922, il avait eu le mandat d’administrer ses biens et était devenu le tuteur légal des enfants mineurs (moins de 21 ans). Mon père avait alors 17 ans. Il avait été adopté à 5 ans de façon non légale. Aujourd’hui, on dirait qu’il était en famille d’accueil. Théoriquement, Monsieur Antoine avait été son tuteur pendant 4 ans.

 

Un bon soir, mon père est allé veiller chez son oncle Jean Dionne, donc chez Monsieur Antoine. C’est là que la première étape vers le mariage a été atteinte.

 

Étant donné les liens qui unissaient mon père et ma mère chacun de leur côté avec Monsieur Antoine, il est probable que cet homme soit intervenu pour provoquer cette rencontre. D’ailleurs, ma mère a déjà raconté qu’elle avait reçu un cavalier antérieurement et que Monsieur Antoine lui avait interdit de le fréquenter.

 

Monsieur Antoine est décédé deux ans après le mariage de mes parents alors qu’il était encore maire. Ma mère a toujours manifesté de l’admiration envers Monsieur Antoine. Par ailleurs, les parents proches de cet homme ont toujours eu une grande considération pour elle. 

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# 675               16 juillet 2014

Traite des vaches

Quand j’étais jeune, ma mère nous réveillait vers 6 heures 30. Après un brin de toilette qui excluait la douche parce que nous n’avions pas cette commodité, nous étions prêts pour une nouvelle journée. Avant de partir pour la traite des vaches, ma mère nous donnait ses instructions. Le plus souvent, cela consistait à apprendre nos leçons, parce que nous avions fait nos devoirs la veille. Il nous arrivait parfois de bâcler nos leçons aussitôt que ma mère était partie. Deux situations me sont restées à la mémoire.

 

J’avais 8 ou 9 ans. Avant de partir pour l’étable, ma mère me dit : « Tu vas cirer tes souliers de cuir. Ils sont vraiment éraflés. » Même si je n’avais jamais vu comment on faisait, je m’en doutais. Alors, j’ai étendu la cire sur mes souliers. Ce serait exagéré de dire que j’en ai mis un pouce ; mais il y en avait une bonne couche. J’étais fier. Quand je montrai mes souliers à ma mère, elle n’était pas vraiment contente. Elle me dit : « C’est du vrai gaspille. Tu vas prendre un couteau et tu vas enlever cette couche et la remettre dans le contenant. Puis, tu vas prendre un linge et polir tes souliers. » J’ai ainsi appris à la dure comme cirer des chaussures.

 

Une autre fois, j’étais en sixième année. Il était 6 heures 30 du matin. J’étais assis dans une chaise berçante, mon catéchisme sur les genoux. Je vois ma mère s’habiller pour aller faire le train du matin. Je me tourne vers elle et lui dit : « Maman, je suis incapable d’apprendre l’Angélus par cœur. » Ma mère devint le visage vinaigré et me dit : « Tu sais, si tu veux te faire instruire, il te faudra apprendre le latin. Vaut mieux commencer maintenant. De toute façon, je m’en vais traire les vaches et (d’un ton plus ferme) quand je reviendrai, je veux que tu aies appris au moins la moitié. »

 

Surpris du ton de ma mère, je fis des efforts. Quand ma mère est revenue de l’étable, elle m’a demandé de m’exécuter. J’avais réussi à apprendre les trois ou quatre premières lignes. Pour le reste, je bafouillais. Devant ma mine déconfite, ma mère n’a pas insisté.

 

Voici les quatre premières lignes de cette prière de dévotion en l'honneur de la Vierge que l'on récitait chaque dimanche midi à la maison en français :

 

Angelus Domini nuntiavit Mariae
Et concepit de Spiritu Sancto.

Ave Maria, gratia plena,
Dominus tecum.

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# 654               9 juillet 2014

Le téléphone

Depuis la fin du 19e siècle, la téléphonie a évolué de façon extraordinaire. Au début, le téléphone servait presqu’uniquement aux affaires. Il était donc utilisé par les hommes. À Montréal, dans les années 1920, la compagnie Bell a commencé à faire de la publicité dans laquelle elle invitait les femmes à utiliser cet appareil. Ce fut le début de la popularisation du téléphone.

 

À Saint-Mathieu-de-Rioux, le téléphone a été installé dans le presbytère en 1904. Ma mère a souvent raconté que, lorsqu’elle avait sept ans, soit en 1914, elle faisait office de réceptionniste. En effet, la console téléphonique était installée dans le haut-côté de la maison familiale d’Émile Théberge au centre du village. C’est tante Clémentine Théberge qui était responsable d’acheminer les appels d’un poste à l’autre. Comme le téléphone était utilisé pour les affaires, la plupart des appels se faisait tôt le matin et tante Clémentine, ne voulant pas manquer la messe, confiait cette tâche à ma mère.

 

À cette époque, pour acheminer un appel, on soulevait l’acoustique et on indiquait à la réceptionniste le numéro qu’on voulait atteindre. Celle-ci mettait les deux postes en communication. Quand j’ai enseigné à Saint-Fabien en 1963-1964, la procédure n’avait pas encore changé et cela, même à l’intérieur de la paroisse.

 

Au cinquième rang de Saint-Mathieu, quand mes parents s’établirent sur leur terre en 1932, le téléphone existait dans le rang. Il était alors unidirectionnel. Par exemple, si ma mère voulait parler à une de ses sœurs au village, elle communiquait avec la téléphoniste qui avertissait la personne visée de rappeler. Probablement, à cause de cet inconvénient, le service fut abandonné. Je me rappelle, quand j’étais jeune, d’avoir vu tout au long du chemin des poteaux de téléphone qui, vieillissant sans entretien, penchaient de plus en plus. Ils laissaient tomber des globes qui avaient la forme d’un verre très court et dont la vitre ressemblait à celle des lampions d’église. Ces globes avaient servi d’isolants. Finalement, les cultivateurs se sont emparés de ces poteaux pour en faire du bois de chauffage.

 

De la disparition du téléphone jusqu’à une nouvelle installation en 1957, quand mes parents avaient un besoin urgent comme d’appeler le médecin, quelqu’un de la famille devait se rendre chez Désiré Dionne à quatre kilomètres de la maison.

 

En 1957, on s’est servi des poteaux d’électricité pour installer les fils. Sur les 14 cultivateurs du rang 5, 10 s’abonnèrent au téléphone. Il y avait deux lignes, soit cinq familles par ligne. Sur chaque ligne, pour chaque client, un appel était signalé par un code, par exemple, un grand coup, deux petits coups. Il fallait faire attention pour ne pas tenir des propos personnels parce que théoriquement quatre autres personnes pouvaient écouter la conversation. Sans compter qu’il fallait être le plus bref possible parce que d’autres clients voulaient faire un appel. Il pouvait  arriver que la conversation soit interrompue par une voix qui disait : « Avez-vous terminé ? » Mais, sauf exceptions, les gens n’abusaient pas du téléphone. Par exemple, dans mes années de Séminaire, je n’ai jamais reçu d’appel téléphonique de ma mère. On continuait à communiquer selon la méthode éprouvée, soit par la poste.

 

Plus tard, en 1964, quand mes parents ont déménagé au village, ils eurent une ligne avec un autre client.

 

Mon père ne voulait jamais répondre au téléphone. Quand il était seul à la maison et que le téléphone sonnait, il l’ignorait. Je lui ai parlé une seule fois dans ma vie par ce moyen. Il était alors rentier. On était au milieu des années 1970. Un samedi vers 17 h 00, j’ai appelé chez mes parents. Quelle surprise ! C’est mon père qui a répondu. Je me suis nommé. Il m’a dit sans autre préambule: « Ta mère est allée à la messe. » et il a raccroché.

 

Pendant longtemps, l’appareil de téléphone devait être fixé au mur. On n’avait pas le droit d’acheter son propre appareil. Il était donc loué de la compagnie de téléphonie, en l’occurrence de Québec-Téléphone pour la grande région de Rimouski, de la Gaspésie et d’une partie de la Beauce. Les appareils installés étaient de couleur noire et il fallait payer un dollar de plus par mois pour avoir un appareil de couleur.

 

On était loin alors des téléphones intelligents qui peuvent être glissés dans une poche.

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# 633               2 juillet 2014

Épargnes de la famille 1937-1943

Les Caisses populaires Desjardins ont été fondées en 1900. La Caisse populaire de Saint-Mathieu-de-Rioux a vu le jour le 2 mai 1937. Avant cette date, toutes les transactions se faisaient en argent comptant. Par exemple, le beurrier plaçait l’argent dans une enveloppe à la fin du mois. Cette habitude a perduré pendant plusieurs années.

 

1937

Dès le 3 mai, mon père versa une part sociale de 5 $ sous le folio 21. Il était alors le 21e sociétaire de la Caisse. Pour les transactions, on lui a attribué le folio 30 à cause de quelques paroissiens, avant lui, qui n’avaient pas voulu devenir membres. Ce n’est que le 12 août 1937, soit trois mois plus tard, qu’un dépôt de 40 $ a été fait. Le 10 septembre, il déposa un autre 40 $, puis 50 $ le 11 octobre et 25 $ le 25 novembre. Il retira 8 $ le 27 décembre. L’année 1937 se termina avec 147 $ dans le compte.

 

1938

Pendant l’année 1938, il y eut six écritures dont un retrait de 50 $ et un dépôt du même montant. À la fin de l’année, le montant d’épargne était de 136,55 $.

 

1939

Le 12 janvier 1939, pour la première fois, un retrait de 125 $ a été effectué pour payer le terme de terre. Il ne restait que 11,55 $. Un autre retrait de 10 $ le 18 mars abaissa le compte à 1,55 $. Le 19 mars 1939, mon père emprunta 35 $ pour trois mois. De son emprunt, il remboursa 15 $ le 16 juin et 20 $ le 10 juillet. Cela lui a coûté 59 sous d’intérêt. Entre temps, un boni de 10 sous et un intérêt de 1,30 $ lui furent attribués le 21 mai. À la fin de l’année 1939, l’épargne était de 138,98 $.

 

1940

Le 15 janvier 1940, un retrait de 125 $ a été fait pour payer un autre terme de terre. Il restait alors 13,98 $. À la fin de 1940, l’épargne était de 34,68 $.

 

1941

Mon père a-t-il été capable de payer son terme de terre au début de 1941 ? Impossible de le dire. Il emprunta 25 $ le 19 février 1941 et le rendit le 28 mars, avec un intérêt de 17 sous. À la fin de l’année, l’épargne était de 135,61 $.

 

1942

En janvier 1942, il retira 135 $, ce qui était supérieur de 10 $ au terme de terre. Après le retrait, le compte montra la coquette somme de 61 sous. À la fin de 1942, l’épargne était de 100,19 $.

 

1943

En janvier 1943, il retira 100 $ et emprunta 50 $. Le 22 février, il déposa 249,49 $. Cet argent provenait probablement d’une vente de bois de sciage ou d’animaux, quoique ce ne soit pas tellement la saison pour ce genre de transactions. Mon père faisait de plus en plus d’opérations à la Caisse. On peut penser que la confiance envers cette institution augmentait. On est rendu à 16 écritures pour 1943. À la fin de l’année, le montant d’épargne était de 537,39 $, ce qui correspond à 7 364 $ en 2014. Ce n’est quand même pas si mal pour un cultivateur qui avait six enfants à la maison.

 

En résumé, voici le montant d’épargne à la fin de ces années :

1937

1938

1939

1940

1941

1942

1943

147 $

136,55 $

138,98 $

34,68 $

135,61 $

100,19 $

537,39 $

Pendant ces sept années, les finances se maintinrent malgré les effets de la crise économique qui se faisaient encore sentir. Cette crise avait été déclenchée en 1929 à cause de la rapacité d’investisseurs américains qui avaient fait sauter la Bourse. Pendant ce temps, à la ferme, les bâtisses étaient l’objet d’entretien mais pas plus.

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# 612               25 juin 2014

Chez Dupuis

Dans les années 1940, il y avait deux magasins généraux à Saint-Mathieu : un magasin coopératif et un autre qui appartenait à Lucien Ouellet. Comme le volume des marchandises était restreint, en complément, ma mère achetait par catalogue Chez Dupuis.

 

En 1882, Dupuis Frères avait construit son premier édifice à Montréal au coin des rues Saint-Catherine et Saint-André. Il vendit par catalogue à partir de 1912. Le commerce portait alors le nom Magasin du peuple et des Canadiens français. Ma mère, qui était fervente nationaliste, adhérait à la philosophie de l’entreprise : la religion, la famille et le service en français. Elle était heureuse de les encourager. Sans l’exprimer, elle considérait qu’un achat est un vote.

 

Sur la couverture du catalogue de 1932, on pouvait lire : « Seul catalogue entièrement français publié dans notre province par une maison possédée et administrée par des Canadiens français ».

 

Deux ou trois fois par année, ma mère y plaçait une commande qui s’élevait autour de 10 dollars. Au bout d’une dizaine de jours, c’était le bonheur de recevoir un paquet étiqueté Dupuis Frères. Le paquet était livré par la poste contre remboursement, soit COD (Collect On Delivery). Ma mère prononçait C,O,DI.

 

Comme ma mère était une cliente régulière, elle recevait le catalogue annuel. Déception pour nous les garçons car, plus souvent qu’autrement, l’exemplaire disparaissait. Ma mère l’avait caché. Pourquoi ? Parce qu’il y avait des pages qui montraient des sous-vêtements féminins. Les filles, elles, les chanceuses, savaient où se cachait le catalogue et avaient le droit de le consulter. Elles le faisaient parfois devant nos yeux envieux. On se demandait bien pourquoi les filles avaient le droit de voir les sous-vêtements masculins.

 

Devant notre demande de voir le catalogue, il est arrivé quelques fois que notre mère ait accepté de mettre le document à notre disposition, mais les feuilles « obscènes » avaient disparu.

 

Le magasin Dupuis Frères a fermé ses portes en 1978. Entre temps, d’autres catalogues avaient commencé à circuler notamment celui d’Eaton et de Simpsons. Ma mère a toutefois toujours donné la priorité à la maison Dupuis.

 

Ce commerce fut considéré pendant longtemps comme un exemple de réussite des Québécois francophones et il a engagé dans ses meilleures années jusqu’à 1500 personnes.

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# 591               18 juin 2014

Grand-père Théberge (1882-1960)

Émile Théberge, le père de ma mère, est le seul grand-père que j’ai connu. Il est né le 29 août 1882. Quand je suis né, il avait 59 ans. Il avait hérité de la terre de son père, Alfred Théberge. Cette terre était située au centre du village. Elle était voisine à l’est de celle de la Fabrique. Alfred Théberge qui avait épousé en deuxièmes noces Rose Rousseau avait pris la relève de son beau-père Vital Rousseau en 1892. Ce dernier avait cédé son bien moyennant une rente de 70 $ par année jusqu’à sa mort.

 

Au moment de mon souvenir, grand-père Théberge était rentier. Il avait transmis sa terre à son fils Georges. Il demeurait alors dans le haut-côté de la maison ancestrale avec sa fille Candide. Cette maison qui existe encore était tout près du cimetière et en face de l’Hôtel Rioux. À l’est, résidait le barbier Elzéar Ouellet.

 

Grand-père Théberge continuait à aider son fils dans les travaux de la ferme jusqu’à ce qu’il se prenne une main dans un convoyeur en faisant le train à l’étable. Heureusement, la blessure n’était pas majeure.  Il a dû quand même renoncer à participer aux activités de la ferme, se contentant de faire de menus travaux de menuiserie dans l’atelier situé sous son appartement.

 

À chaque dimanche, avant et après la messe, nous le visitions dans son petit logement. Il avait déjà commencé à avoir des problèmes de mémoire. Il était périodiquement confus. On disait alors qu’il était tombé en enfance. Certains dimanches, il nous racontait ce qu’il avait fait pendant la semaine. En plein été, il nous a raconté qu’il était allé faire les sucres avec son père. Nous l’écoutions avec attention sachant fort bien qu’il n’en était rien.

 

À l’hiver 1953, je suis demeuré un mois chez grand-père Théberge. Je marchais alors au catéchisme. Grand-père avait 70 ans. Il parlait peu et semblait toujours préoccupé, se renfermant dans sa bulle. Un après-midi, alors que je faisais mes devoirs sur la table de la cuisine, tante Candide se rendit compte qu’il n’était plus dans son atelier du bas. Grand-père avait disparu. Il n’y avait pas de téléphone dans l’appartement. Alors, tante Candide, en panique, se précipita dans le bas-côté. Sa belle-sœur Jeanne téléphona à des connaissances aux deux extrémités du village. L’une d’elles lui dit qu’elle l’avait vu passer. Grand-père fut ramené à la maison par un bon samaritain.

 

Voici ce que ma mère a écrit dans son journal personnel : « Mon père est décédé le 31 octobre 1960 au Sanatorium de Mont-Joli. Comme il avait perdu la mémoire, nous les enfants avons décidé de le faire soigner. Après quelques jours d’hospitalisation, il est tombé dans le coma. Nous étions tous au chevet de son lit le 25 octobre, mais il dormait et il ne s’est pas aperçu de nous. Nous l’aimions bien notre cher papa. C’est un grand vide dans sa maison. Il nous accueillait toujours les bras ouverts. Mes enfants, c’est votre mère qui a écrit cela en 1964. »

 

À l’âge de 78 ans, grand-père Théberge décédait au Sanatorium de Mont-Joli. Il léguait à chacun de ses enfants un montant de 170,94 $. Il a été inhumé dans le cimetière de Saint-Mathieu le 3 novembre. Six petits-fils ont porté le cercueil dont j’étais.

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# 564               9 juin 2014

La télévision

La télévision a vu le jour en 1952 à Montréal grâce à la Société Radio-Canada. Jusqu’à l’arrivée de Télé-Métropole en 1960, le canal 2 fut le seul poste disponible. La diffusion se faisait en noir et blanc. L’image n’était pas à son meilleur. Il neigeait souvent, même en  plein été. Personne ne s’en offusquait.

 

En 1954, Jules-A. Brillant a obtenu une fréquence pour Rimouski. C’était CJBR-TV, le canal 3, affilié à Radio-Canada. À l’époque, une nouveauté technologique prenait des années à s’implanter. Dans le rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux, seul Ernest Vaillancourt, notre voisin, a acheté un téléviseur dès le début. Quelques fois, nous sommes allés voir la lutte à la télévision. C’était tout un spectacle, surtout que madame Hélène était très expressive et avait ses lutteurs préférés.

 

Au Séminaire de Rimouski, un téléviseur fut installé en janvier 1955 dans la salle de lecture des Grands, qui était en face de la cafétéria, aujourd’hui du cégep.

 

Un jour, en juillet 1957, un vendeur d’appareils électroniques de Trois-Pistoles arriva chez mes parents avec un téléviseur. Ma mère s’empressa de lui dire : « Nous n’avons rien commandé. » Le vendeur rétorqua : « Ma chère madame, je vous installe l’appareil et je reviens dans une semaine. Si vous ne l’achetez pas, je le reprends et cela sans aucuns frais de votre part. » L’histoire ne dit pas si cette stratégie de marketing a fonctionné partout.

 

Le prix demandé était de 400 $, une fortune à l’époque. Pour ce montant, un élève pensionnaire au collège était nourri, logé et instruit pendant 10 mois. Par ailleurs, ce montant de 400 $ en 1957 équivaut à 3419 $ en 2014. Ma mère a demandé une contribution à deux aînés de la famille qui gagnait un peu d’argent. Quand le vendeur est revenu, elle avait son 400 $. C’est à contrecœur que ma mère accepta d’acheter l’appareil parce qu’elle savait qu’elle n’aimerait pas s’asseoir devant la télévision. Elle était aussi consciente du fait que la disposition des chaises dans la cuisine se ferait désormais autour de cet appareil.

 

Pour nous les enfants, c’était le bonheur après une dure journée aux champs de s’asseoir devant le téléviseur. Nous parlions souvent des programmes passés ou à venir.

 

Nous n’avions pas le droit d’ouvrir le téléviseur sans la permission des parents. Mon père prit goût à la télévision. Alors, quand il était là, l’appareil était en marche. Cet été-là, nous avons pu regarder avec délectation la Famille Plouffe de Roger Lemelin, les Belles Histoires des pays d’en haut de Claude-Henri Grignon et Radisson réalisé par Pierre Gauvreau. Ces téléromans étaient diffusés en direct et roulaient hebdomadairement sans interruption peu importe la saison. De plus, à 13 h 30, chaque jour, il y avait un film découpé en 15 minutes. Qui aujourd’hui regarderait un film réparti sur plus d’une semaine ?

 

En novembre 1979, je suis allé à Havre Saint-Pierre. Les habitants du lieu recevaient le signal de Radio-Canada depuis à peu près un an. C’était fascinant de les entendre parler de leurs émissions favorites. Ils le faisaient avec le même enthousiasme et la même passion que nous avions eus en 1957.

 

À n’en point douter, la télévision, avec l’ordinateur,  a été une des inventions la plus marquantes du 20e siècle.

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# 528               28 mai 2014

Sur les planches

Dans mon enfance, quand quelqu’un mourait à Saint-Mathieu et qu’il était exposé ordinairement dans sa propre demeure, ma mère disait qu’il était sur les planches. Je ne comprenais pas cette expression parce que le défunt était dans une tombe. On ne voyait pas de planches sous lui.

 

Un jour, ma mère m’a expliqué que cette expression provenait du temps où le défunt était réellement sur les planches. En effet, en ce temps-là, on plaçait trois ou quatre planches sur deux chevalets. On recouvrait les planches de draps blancs. On y couchait le défunt. Sur une petite table, on disposait un ou deux cierges qui brûlaient nuit et jour. On plaçait aussi un crucifix et une bouteille d’eau bénite. Les murs de la chambre étaient tapissés de draps qu’on avait teints en noir.

 

La pièce était occupée, 24 heures par jour, par des membres de la famille ou des proches qui se relayaient pendant deux ou trois jours. Régulièrement, le chapelet était récité pour éviter que le défunt languisse trop longtemps au purgatoire. C’était aussi le moment de calmer les conteurs d’histoire qui, la fatigue aidant, devenaient de plus en plus drôles.

 

Le matin des funérailles, on couchait le défunt dans une tombe que parfois il avait lui-même fabriquée en bois. Si la tombe n’était pas prête, elle avait été commandée auprès d’un voisin ou d’un proche dès le décès. On se souvient sans doute que dans Les Belles Histoires des Pays d’En-Haut de Claude-Henri Grignon, l’avare Séraphin Poudrier confectionnait des tombes.

 

Les gens de cette époque n’avaient pas peur de mourir parce que, pour eux, c’était une délivrance. Ils croyaient qu’un séjour beaucoup plus heureux les attendait dans le ciel auprès de Dieu le Père et de son éternel portier Saint Pierre.  

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# 513               23 mai 2014

Les vers de terre

Quand j’étais jeune, nous avions la chance de demeurer à l’embranchement de la route qui conduisait au Lac-Boisbouscache, un territoire non organisé au sud de Saint-Mathieu. À l’entrée, ce chemin passait sur la terre de mon père. Le club Les Appalaches y avait les droits exclusifs de pêche et de chasse. C’était donc un club privé fréquenté par des hommes qui majoritairement parlaient anglais. On les appelait les Américains. En réalité, c’était des Québécois provenant principalement des Cantons de l’Est.

 

Dans l’article 063 intitulé Lac-Boisbouscache, j’ai mentionné que ces touristes achetaient des produits divers de ma mère. Le produit le plus convoité était les vers de terre. Les pêcheurs arrivaient, deux ou trois, à toute heure du jour et même le dimanche. Ils étaient vêtus dans un style relaxant : t-shirts et bermudas. Nous n’avions jamais vu un tel accoutrement chez des hommes. Ma mère n’aimait pas leur tenue ; mais elle ne disait mot. Un jour, en parlant d’un homme vêtu de la sorte que nous avions appelé Monsieur, elle avait dit : « Ce n’est pas un vrai monsieur. »

 

Une commande de vers de terre étant donnée, nous nous empressions de l’honorer. Comme je l’ai déjà dit, on nous donnait un sou par ver dans les années 1950. En 1961, selon les registres de ma mère, de mai à septembre, la vente a été de 23,35 $. Cette année-là, chaque livraison a procuré un à deux dollars. À titre de comparaison, en 1961, le pain tranché se vendait 59 sous.

 

Un jour, j’avais découvert, dans une revue, un plan pour construire une boîte destinée à l’élevage des vers de terre. J’ai soumis ce plan à mon père qui se montra très sceptique. Toutefois, il accepta de tenter l’expérience. Je nous revois encore à l’est de la grange creuser la terre, confectionner la boîte avec des planches, la remplir de terre méticuleusement bêchée et ajouter des feuilles mortes. Les gens du rang qui passaient semblaient étonner et se demandaient ce qui se tramait là.

 

Pour commencer l’élevage, nous avions ramassé au moins une centaine de vers. Nous les avons enfouis dans la boîte. Au bout d’une semaine environ, nous sommes allés vérifier l’état des lieux. Surprise et déception ! Il n’y avait plus aucun ver. C’est ainsi que commença et se termina l’élevage des vers de terre chez mes parents.

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# 490               14 mai 2014

Les commerçants itinérants

Il y avait autrefois des vendeurs ambulants qui transportaient avec eux leurs marchandises de maison en maison.

 

Je me souviens particulièrement d’Édilbert Morin de Saint-Fabien qui vendait les produits Rawleigh. Cet homme très distingué cognait à la porte, entrait et disait : « Pour aujourd’hui » en suintant les syllabes. Après une courte conversation, il ouvrait sa petite valise. On pouvait voir notamment des produits d’entretien ménager, des assaisonnements, des remèdes maison. Ma mère regardait attentivement les produits et achetait toujours quelque chose. Elle lui disait que c’était pour l’encourager. Par ci par là, c’était un savon de toilette, un pot d’onguent, du sirop pour la toux. La facture se situait généralement entre un et deux dollars.

 

Un autre commerçant itinérant que j’ai connu est Dominique Thériault aussi de Saint-Fabien. Avant de présenter ses produits Watkins, il jasait longuement car, dans sa jeunesse, il avait été engagé par  mon père pour l’aider aux travaux des champs pendant un été. Il vendait des lotions, des crèmes, des onguents, des remèdes comme du sirop pour la toux et du liniment. Ma mère l’encourageait aussi.

 

Il y avait occasionnellement des vendeurs de poissons. J’avais 11 ans. Assis sur la galerie, j’étais en train d’apprendre par cœur les réponses du catéchisme. Ma mère a acheté du poisson fumé. Elle m’en a donné un. Je l’ai dévoré tout en tenant le livre dans les mains. La page du catéchisme a été rapidement teintée de brun. J’étais gêné d’avoir sali ce livre si précieux pour ma mère.

 

Il y avait aussi, à l’occasion, des vendeurs de vêtements ou d’articles divers qui venaient de Trois-Pistoles ou d’ailleurs.

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# 473               8 mai 2014

Mon daltonisme

Je dois vous faire un aveu : Je suis daltonien. C’est une anomalie génétique héréditaire qui est déterminée à la naissance par les gènes et qui se transmet aux mâles par le chromosome X via la mère.  On croit que 8 % des hommes en sont atteints et qu’il y a seulement 0,5 % de cas chez les femmes. Personnellement, cette anomalie provient du père de ma mère, mon grand-père Émile Théberge qui était daltonien.

 

J’ai découvert ce défaut de vision quand je suis allé ramasser des fraises de champs pour la première fois. J’avais alors 6 ou 7 ans. Nous partions 4 ou 5 de notre famille et il existait une compétition saine entre nous à savoir qui en ramasserait le plus. Dès mes premières expériences, je cueillais au plus la moitié moins que les autres. Évidemment, je voyais les fraisiers, mais les fraises rouges sous le vert ne m’apparaissaient pas. Les autres ne comprenaient pas quand je leur disais : « Il n’y a pas de fraises ici. » Pour arriver à en cueillir, je devais me mettre à genoux et dégager les feuilles avec mes mains. Cela prenait plus de temps.

 

Parfois, j’écrasais les fraises de mes pas au grand dam de mes frères ou sœurs. « Tu marches dans un rond, me disait-on. »  Mon frère plus jeune que moi était un cueilleur qui ne tenait pas en place. Quand il voyait un beau rond de fraises, il ramassait les plus grosses et passait à un autre. Il avait pris l’habitude de m’inviter à finir la cueillette du rond qu’il quittait. Cela me permettait d’en cueillir presqu’autant que les autres. Avec le temps, dépendant de la quantité de fraisiers dans un rond et de la densité de feuilles vertes, je finissais par découvrir des endroits propices, mais toujours avec mes mains.

 

C’est ainsi que j’ai découvert mon daltonisme de type rouge-vert. Lorsqu’il y a du rouge à travers le vert, je ne vois pas le rouge. J’ai aussi de la difficulté à distinguer le bleu foncé du noir. Si on me présente un objet bleu foncé, je vais dire qu’il est noir. Mais lorsque je mets un objet noir à côté d’un objet bleu foncé, je vois très bien la différence.

 

Je suis incapable d’agencer une cravate avec un habit. J’ai fait un peu de peinture. Les gens qui voyaient mes œuvres se rendaient compte que mon mélange de couleurs n’était pas conventionnel. Sur une gamme de 60 couleurs, je peux en repérer au plus une vingtaine. Je ne distingue pas les teintes rapprochées. Pour moi, les expériences de chimie étaient un vrai cauchemar.

 

Ne me demandez pas si je distingue les feux de circulation. Ils sont suffisamment éloignés et toujours dans le même ordre que je n’ai pas de difficulté avec eux. Par ailleurs, les graphiques en couleurs ne me sont que peu d’utilité parce que je ne réussis pas à repérer la couleur des bandes en fonction de la légende.

 

Bref, mon daltonisme est un handicap mineur. La seule consolation est que je vois des choses que la grande majorité ne voit pas.

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# 465               2 mai 2014

Le petit gibier
Mon père était un amateur de chasse. J’en ai parlé à l’article 251. Pendant les longs mois d’hiver, à part le train de l’étable, il s’adonnait au bûchage ou à la chasse.

Une fois par semaine, quand le temps le permettait, après le dîner, il partait raquettes aux pieds armé de son fusil avec une poche sur le dos. Il disait qu’il allait voir ses collets sur ses terres.

 

Il revenait quelques heures plus tard, ayant dans sa poche des lièvres congelés et des perdrix récemment abattus. Ce qu’il aimait le plus, c’était de rapporter du petit gibier comme des loutres, des visons, des martres, des hermines ou des belettes. Pour les prendre, il posait ses collets près d’un cours d’eau. Ces petites bêtes de la famille des mustélidés ont une peau qui était très recherchée pour la confection de manteaux et de chapeaux.

 

Arrivé à la maison, mon père les dépeçait soigneusement. Il étendait les peaux sur une corde dans le grenier de la maison pour les laisser sécher. Les premiers jours, cette pièce dégageait une senteur douteuse. Mais c’était une pièce qui servait comme remise pour de vieux vêtements ou de vieux meubles. Par ailleurs, il n’a jamais été question de manger la chair de ces bêtes.

 

De temps à autre, ma mère faisait un paquet contenant des peaux. Elle expédiait le tout à un commerçant de Rivière-du-Loup. Quelques jours plus tard, elle recevait un chèque. Il n’y avait pas de négociation. Toutefois, le commerçant savait bien que si le prix n’était pas raisonnable, il perdrait des clients.

 

Parfois le commerçant retournait certaines peaux en mauvais état. Je ne me souviens pas que cela a été le cas pour les peaux expédiées par ma mère.

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# 444               24 avril 2014

La pomme de terre

Chaque année en juin, lorsque la terre était suffisamment réchauffée, ma mère nous demandait d’aller chercher des chaudières de pomme de terre dans la cave. Il était important de choisir les plus grosses et les plus saines. Sur une table improvisée, nous devions découper chaque patate en morceaux tels que chacun ait au moins un germe. Il fallait faire attention pour ne pas endommager les racines du germe.

 

Mon père, au moyen d’une charrue tirée par un cheval, traçait des sillons et un à un. Le plus souvent à genoux, nous déposions les germes dans le sillon tout en gardant une distance raisonnable entre ceux-ci.

 

En cours d’été, de temps à autre, il fallait arroser les plans de patates d’un liquide pour tuer les mouches à patates qui rongeaient la tige et qui risquaient de la faire mourir. Parfois, dépendant du fond de terre choisi, il fallait arracher les plus grandes tiges de chiendent.

 

Environ trois mois après la semence, soit en septembre, c’était la récolte. On arrachait le plan qui souvent venait avec cinq ou six patates. Armé d’une bêche, il fallait retourner le sol pour quérir toutes les autres patates. Il était recommandé de laisser les patates sécher sur le sol quelques heures. C’est ainsi qu’en allant à l’école, on pouvait, un jour, voir un champ plein de tiges et le lendemain uniquement des patates disséminées sans ordre. Il arrivait que certains parents fassent s’absenter de l’école les plus vieux pour faire la récolte. Ma mère, croyant fermement à l’importance de l’école, ne choisissait pas cette solution. On profitait plutôt des samedis.

 

Quand les patates étaient suffisamment séchées, elles étaient entreposées dans la cave sur des planches pour éviter l’humidité de la terre. À ce moment, s’il restait encore des patates de l’année précédente, ma mère les faisait cuire dans des immenses chaudrons et elles servaient à la nourriture des porcs. De même, pendant l’année, les pelures des patates, sans cuisson toutefois, étaient récupérées pour les cochons. De temps à autre, pendant l’hiver, il fallait égermer les patates, sans autre entretien requis.

 

Nous n’avons jamais manqué de pommes de terre. La récolte était toujours suffisante pour boucler l’année. Elles constituaient la base de la nourriture des repas du midi et du soir. Souvent, ma mère préparait un hachis. Elle faisait cuire les patates en tranches avec quatre ou cinq grillades de lard. Elle nous servait aussi une autre forme de hachis qui consistait à écraser les patates cuites pour former une purée. Elle y versait du lait chaud et mélangeait.

 

Le vendredi, étant un jour maigre, quand ma mère préparait du poisson, la cuisson des patates se faisait avec la pelure. Quand il restait des patates d’un repas du midi, ma mère les faisait rôtir dans une poêle ou même directement sur le poêle. Bref, les patates faisaient partie de nombreuses recettes, y compris le pâté chinois et le pâté aux saumons.

 

Un jour, ma mère reçut deux visiteurs pour le dîner. Elle leur demanda s’ils aimaient le pâté au saumon. Ils dirent oui. Quand l’un d’eux commença à manger sa pointe de pâté, il se tourna vers ma mère et lui dit : «Il me semble que tu nous avais dit qu’on mangerait du pâté au saumon. Je ne trouve pas de saumon. On dirait que c’est du pâté aux patates.» Ma mère était humiliée. Il est vrai qu’il y avait très peu de saumon. Elle avait versé le contenu d’une canne de saumon pour une tablée d’une dizaine de personnes. Cet homme qui avait fait cette remarque était le cousin de ma mère. Il était très volubile et aimait les taquineries. C’était là son intention.

 

La pomme de terre est toujours le légume le plus consommé au monde grâce principalement à ses qualités nutritives et à sa facilité de culture.

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# 434               20 avril 2014

Les poules
Mes parents avaient un poulailler qui était géré par ma mère. On y retrouvait bon an mal an une vingtaine de poules. Je ne me souviens pas que le poulailler ait été habité par un coq. Comme les poules n’étaient pas fécondées, chaque printemps, ma mère achetait une douzaine de poussins. Elle les plaçait au grenier de la maison dans un couvercle de boîte de carton dont le fond était recouvert de papier journal. C’était mignon de voir les petits poulets piailler. Au bout d’une quinzaine de jours, ils étaient déménagés au poulailler.

Quand j’étais plus jeune, les poules circulaient librement autour de la maison. En 1950, il y avait une seule automobile au rang 5 si bien que leur sécurité était peu compromise. Avec l’arrivée massive des véhicules moteur, mon père a dû leur faire un enclos avec de la broche … à poules.

Chaque année, quelques poules devenaient couveuses sans œufs. Elles ne devaient pas couver car il n’y avait pas de coq. La fausse couveuse se couchait sur un endroit peu creux dans la cour ou dans un compartiment de ponte. On la reconnaissait à sa poitrine dégarnie, à ses légers gloussements, à ses plumes hérissées et à la queue baissée. Si on s’approchait d’elle, elle attaquait avec son bec. Ma mère n’était pas tendre envers les récalcitrantes. Dans la cour, un robuste coup de pied les délogeait de leur trône.

Les poules pondaient généralement un œuf par jour pendant la belle saison. Une voisine en achetait une douzaine de temps en temps. Les autres étaient consommés en omelettes assorties de grillades de lard ou en œufs à la coque et entraient dans la confection de certains mets. Mon père en mangeait pour son déjeuner. De temps à autre, ma mère faisait tuer une poule. Les plumes étaient recueillies pour confectionner des oreillers.

Les poules étaient nourries de grains de blé. On leur donnait régulièrement des écales d’huîtres achetées à la meunerie pour renforcer leur coquille.

Je me souviens d’un jour d’août où il y eut une éclipse de soleil. On était vers quatre heures de l’après-midi. Les poules étaient dans leur enclos à l’extérieur. Soudain, toutes les poules ont quitté pour se réfugier dans le poulailler et atteindre les juchoirs. Quand l’éclipse fut terminée, elles retournèrent dehors. C’était impressionnant de constater leur symbiose avec la nature.

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# 417               13 avril 2014

L’abattage de bêtes

Dans les années 1940 et 1950, il n’y avait pas de réglementation concernant l’abattage des bêtes. Chaque cultivateur le faisait en suivant le protocole que son père lui avait montré. Voici trois expériences que j’ai vécues :

 

C’était en 1947. J’avais 6 ans. J’étais à la maison. Mes parents étaient à l’étable et venaient de finir de tirer (traire) les vaches. Je savais que mon père projetait de tuer un porc après le train. J’eus soudain la curiosité d’aller voir le spectacle. Comme j’approchais de la grange, à ma grande surprise, un hurlement strident et répétitif me cassa les oreilles. J’eus très peur. Je montai en vitesse sur la machine à battre située près du hangar. Je ne sais pas comment j’ai fait. Je vis mon père transporter un porc sur le fenil de la grange. Je suis resté un long moment dans la même position et si personne n’était venu m’aider à descendre, je pense que je serais encore là aujourd’hui. À cause de ma peur, j’avais raté le spectacle.

 

Quelques années plus tard, j’assistai à l’abattage d’un bœuf. Après l’avoir enchaîné et transporté sur le fenil, mon père s’assura que les liens étaient bien fixés. Le bœuf étant debout, mon père prit une masse et de toutes ses forces l’asséna sur son front. Le bœuf tomba par terre. Mon père prit un long couteau et le saigna. Les chaudières étaient prêtes pour recueillir le sang. Quelqu’un s’est approché avec une chaudière. Je ne peux pas vous raconter la suite car j’ai déguerpi.

 

J’avais 15 ans, ma mère attendait des tantes qui venaient passer quelques jours chez nous pendant les vacances d’été. Elle m’aborda et me dit : «Va tuer une poule, la plus grosse.» Je répondis : «Vous savez bien que je suis incapable de faire ça. Demandez à mon frère.» Sur ces entrefaites, mon frère plus jeune que moi de deux ans, donc ayant 13 ans, entra dans la maison. Il accepta avec plaisir. Il courut prendre une hache dans le hangar, alla chercher une poule dans le poulailler, choisit un bout de madrier, serra fortement le haut du corps de la poule, mit son cou sur le bois et, bang, asséna un coup de hache. C’était fait. Cette fois-ci, j’avais été capable d’assister au spectacle.

 

Je n’ai pas vécu d’autres expériences de ce genre parce que je les fuyais. Je pense que j’aurais fait un très mauvais cultivateur.

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# 407               10 avril 2014

Carême d’antan

Depuis le 5 mars 2014, soit le mercredi des Cendres, nous sommes officiellement en période de carême jusqu’à la fête de Pâques qui sera le 20 avril. Ce temps dure 40 jours en excluant les dimanches.

 

Quand j’étais jeune, le cinquième commandement de l’Église imposait l’obligation de jeuner pendant le carême. Toutes les personnes âgées de 21 ans et plus étaient astreintes à cette obligation. Pour les jeunes, il était recommandé de s’imposer des privations. Selon le catéchisme de l’époque, le jeûne consistait à prendre un seul repas par jour. Il était permis d’ajouter une légère collation. Dans la pratique, peu de gens se conformaient à cette règle. D’ailleurs, certains curés dispensaient en chaire des dispenses dans des cas précis.

 

En plus du jeûne, par le sixième commandement, l’Église défendait d’user d’aliments gras les mercredis et vendredis du carême. La viande était donc proscrite.

 

Dans le catéchisme de l’époque, on justifiait l’obligation du jeûne et de l’abstinence en ces termes : «L’Église nous ordonne de jeûner et de nous abstenir de viande à certains jours, pour amortir nos passions et satisfaire pour nos péchés.» Pas fort comme explication, surtout pour un jeune de 10 ans.

 

Qu’en était-il vraiment de l’application de ces commandements chez nous ? Le jeûne sous la forme recommandée par l’église n’a jamais été respecté. Ma mère nous rappelait souvent que c’était le carême. Il nous était défendu de manger entre les repas. Pas de bonbons, pas de biscuits et pas de beurrées. Les portions de dessert étaient légèrement moindres. De son côté, ma mère faisait beaucoup d’efforts pour respecter l’esprit du carême, mon père très peu, prétextant un travail épuisant. Quant à l’abstinence, cela se traduisait par la consommation de poissons les jours visés.

 

Nous avions toujours hâte au dimanche, car on se sentait délivrer d’une obligation. L’oiseau du jeûne et de l’abstinence s’était envolé. Mais ce qui faisait notre joie, c’est qu’officieusement le carême se terminait le samedi saint (veille de Pâques) à midi. Alors, le dîner se prenait vers midi et demi et je me souviens avoir attendu avec impatience ce repas.

 

Les temps ont changé. Aujourd’hui, le catholique doit accomplir le précepte du jeûne le mercredi des Cendres et le Vendredi Saint et celui de l’abstinence chaque vendredi du carême. Combien de personnes savent cela ? Aussi, le carême a perdu sa signification et est très peu observé.

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# 394               5 avril 2014

Biscuits cachés
Dans les années 1949 et 1950, ma mère a hébergé deux pensionnaires pour l’hiver : Louis-Jacques Beaulieu et Omer Ouellet pour le premier hiver. Ces deux hommes avaient obtenu un contrat de bûchage sur les lots boisés du Lac-Boisbouscache. Ils arrivaient le lundi matin avec des victuailles pour la semaine. Il y avait toujours une grosse boîte de biscuits.

Les deux bûcherons se levaient tôt le matin et déjeunaient. Pour le midi, ma mère leur préparait un lunch. Ils revenaient pour le souper. Ma mère se servait de leurs provisions pour le souper. Mais, aucune trace des biscuits dans le menu.

Ma mère cachait la boîte de biscuits sous son lit. Nous avons fini par la découvrir. Alors, à la dérobée, nous allions voler des biscuits que nous dégustions avec plaisir. Il est certain que ma mère s’en rendait compte ; mais elle ne disait mot. Nous avons donc considéré ce silence comme une forme d’approbation si bien que la culpabilité a disparu peu à peu.

Environ une semaine plus tard, ma mère demanda aux deux pensionnaires s’ils trouvaient curieux de ne jamais voir les biscuits. Ils ont répondu qu’il n’y avait aucun problème. Ils se rendaient compte que, pour dessert, ma mère leur préparait des gâteaux et des tartes et, à l’occasion, leur servait des fruits comme des fraises en conserve. Elle leur alors avoué : «Ce sont mes enfants qui mangent les biscuits.» Cela nous a surpris parce qu’elle ne nous en avait jamais parlé.

De toute évidence, les deux pensionnaires préféraient les desserts de ma mère à leurs biscuits. Ils ont toujours continué à en apporter.

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# 384               1 avril 2014

Une hospitalisation spéciale
J’ai hésité longtemps à raconter cette tranche de ma vie. Mon histoire peut paraître tellement invraisemblable. Mais je la raconte à partir de notes que j’ai prises. Ceci se passait en 2002, il y a 12 ans.

Mercredi le 30 janvier 2002, vers 20 heures 45, j’ai ressenti soudain une vive douleur au côté gauche. Chaque fois que je respirais, la douleur devenait de plus en plus intense. J’espérais que ce soit passager. Je me suis couché vers 22 heures 30. Au bout d’une heure, je me suis réveillé. Je n’étais plus capable d’être en position couchée ni assise.

J’ai téléphoné à un CLSC. L’infirmière de service me conseilla de me rendre à l’urgence. Mais comment m’y rendre ? Je ne pouvais pas prendre un taxi parce que je ne pouvais pas m’asseoir. J’ai marché, un bout de temps, en long et en large dans mon appartement jusqu’à ce que je me décide d’appeler une ambulance. Mon cas fut classé comme non urgent si bien que les ambulanciers arrivèrent vers 2 heures 30 du matin. Entre temps, je m’étais habillé, mais j’étais incapable de mettre mes bas et mes bottes d’hiver.

J’accompagnai les préposés jusqu’à l’ambulance en marchant. Rendu dans le véhicule, on m’invita à me coucher sur la civière. J’en étais incapable. J’ai donc fait le trajet de 1,3 kilomètre debout jusqu’au Centre hospitalier Notre-Dame, une constituante du CHUM. À ma sortie, l’ambulancière m’a offert une chaise roulante. Je ne comprenais pas.

Je m’inscrivis au guichet. Je rejoignis la salle d’attente où il y avait un jeune homme ayant autour de 20 ans qui dormait. Ses vêtements me faisaient croire que c’était un itinérant. Il y avait aussi un agent de sécurité. Il était alors 4 heures 15. Je marchais sans arrêt et émettait des sons de douleur. Vers 5 heures, l’agent de sécurité quitta son poste en même temps que la préposée à l’accueil. J’étais donc seul avec l’itinérant qui dormait. J’étais de plus en plus inquiet.

Vers 6 heures, le haut-parleur tonna le nom de mon compagnon. J’étais frustré car lui dormait et moi, je me tordais de douleurs. Une quinzaine de minutes plus tard, ce fut mon tour. Un interne me rencontra et, après quelques questions, me demanda de retourner à la salle d’urgence. Je ne savais pas encore si j’allais être hospitalisé. J’attendis une bonne heure. Cette fois, je fus reçu par deux infirmières. L’une d’elles m’administra une injection alors que j’étais toujours debout. Je pus sur le champ me coucher sur la civière.

Première station
On amena ma civière à deux pas du poste d’accueil de la salle d’urgence. Je me mis à rêver à des récits de personnes malades. En réalité, c’était l’infirmière de nuit qui transmettait des informations à celle de jour concernant l’état des patients. Vers 11 heures, un pneumologue est venu me voir. Je dormis toute la journée.

Deuxième station
Vers 20 heures, ma civière fut transportée dans le coin nord-est de cette salle. Je dormais toujours et je recevais des comprimés à toutes les trois heures. Ce fut une nuit d’enfer. Je suis devenu paranoïaque. Quand le haut-parleur appelait une personne au labo, j’étais certain qu’il s’agissait d’une salle de tortures. Quand les employés quittèrent leur quart de travail vers minuit, ils passaient près de moi. Ils parlaient très fort, du moins pour moi, et dès qu’ils franchissaient la porte de sortie, je croyais qu’ils tombaient dans une vaste fosse parce qu’alors je n’entendais plus de bruit. Je n’avais pas mangé de la journée.

Le matin du jeudi 31 janvier, j’avais une affiche indiquant à jeun. Finalement, vers 10 heures, on m’apporta un déjeuner en me disant qu’il n’était pas nécessaire d’être à jeun pour les examens qu’on me ferait subir.

On me conduisit dans un corridor d’attente où je devais être reçu par un pneumologue. Il y avait là une dizaine de personnes. J’étais intoxiqué et désespéré. À un moment donné, je me suis retourné sur la civière dégageant ainsi mes fesses. Un jeune homme est venu me voir pour me demander si j’avais besoin d’aide.

Un peu plus tard, c’est un gynécologue qui me reçut. Cette fois-ci, en attente, on m’avait laissé seul dans un corridor. J’avais peur d’être attaqué et de me faire voler mes vêtements qui étaient toujours sous la civière. Le gynécologue me posa des tas de questions que j’arrivais difficilement à comprendre parce que je dormais en même temps. Puis ce fut le tour d’un gastro-entérologue de me faire passer des examens.  Cette journée-là, j’ai eu un seul repas.

Le matin du vendredi 1er février, j’avais encore une affiche à jeun. Il y avait tout près de ma civière un bureau où je vis sortir trois ou quatre internes. L’un d’eux dit à ses compagnons tout en me désignant : «Tu vois cet homme, c’est lui qu’on va devoir opérer.» J’étais très inquiet. Je ne connaissais pas encore le diagnostic. Après le dîner, j’ai eu des hauts de cœur et j’ai restitué. Un médecin a coupé ma drogue.

Vers 14 heures, on m’amena pour passer un scanner. L’infirmière m’installa dans cette «photocopieuse» et quitta la pièce sans dire un mot. J’ai attendu pas loin d’une heure. Je me demandais si sa fuite était justifiée. Heureusement, je me réfugiais dans le sommeil.

Troisième station
Quand on me ramena à ma station de départ, la place était prise par une autre civière sans que les préposés en aient été préalablement informés. On déposa alors ma civière dans un étroit corridor devant une salle. J’ai obtenu un repas vers 20 heures.

Quatrième station
Vers 22 heures, on me fit entrer dans une salle fermée qui contenait une vingtaine de civières. Samedi matin, un médecin vint me voir. Le diagnostic : embolie pulmonaire et gastro-entérite probablement causée par la surconsommation de drogues depuis mon arrivée à l’hôpital. Au moins, j’étais rassuré. Étant encore proche du poste de garde, les changements de quarts me permettaient d’entendre les secrets des autres patients. J’avais en face de moi, une dame d’une trentaine d’années qui toussait sans relâche. Pourtant, elle avait la permission d’aller fumer à l’extérieur.  J’étais scandalisé. Quand elle revenait, c’était l’enfer. Elle toussait encore plus.

Cinquième station
Le dimanche soir, vers 23 heures, on m’amena dans une chambre au troisième étage. Cette chambre était dénudée : pas de lit, pas de bureau, pas de bouton d’urgence. Les fils du téléphone avaient été arrachés maladroitement. On me laissa ma civière au grand détriment des infirmiers qui avaient reçu l’ordre de la rapporter. J’étais toujours dans le prolongement de la salle d’urgence. Un peu plus tard, on m’installa dans un lit avec bouton d’urgence. Je pouvais enfin déposer mes vêtements dans une garde-robe. Par la suite, je pus choisir le menu pour les repas.

Sixième station
Mardi le 5 février en avant-midi, je passai un examen pour l’estomac. Vers 15 heures, je fus transporté dans la chambre 7034. Comme ce devait être mon dernier déménagement, j’en profitai pour me faire installer un téléviseur.

À mon arrivée, j’étais seul dans cette chambre double. Un peu plus tard, on me demanda si j’acceptais qu’une femme occupe le deuxième lit. Je n’avais aucune objection. C’était une Madame Boivin de 72 ans qui devait être opérée à la gorge. Nos relations furent excellentes. Je fis connaissance avec son fils adoptif. Cette dame était supposée être opérée le lendemain ; mais pour une raison nébuleuse, l’acte fut reporté au jour suivant. Quand elle revint de la salle d’opérations, elle eut une surprise. La place était occupée par un nouveau patient, un médecin généraliste de 75 ans. Je revois encore le visage déçu de la dame.

Ce patient que j'appellerai Monsieur M travaillait encore à temps partiel, selon ce qu’il m’a raconté. Il appelait sa femme à toutes les demi-heures, disant s’ennuyer d’elle. Il fit venir un coiffeur pour se faire couper les cheveux. Il lui remit deux dollars de pourboire : ce qui fut par la suite l’objet de discussions de la part du couple. Le lendemain, il demanda à sa femme de lui apporter son dîner. Ils prirent le repas ensemble. Il m’avait au préalable  confié qu’en une quarantaine d’années de mariage, il avait toujours dîné avec sa femme. Après le repas, des invités arrivèrent et tous se rendirent au parloir  de l’étage. Quand ils revinrent, la bourse de la dame avait été volée. Je n’avais eu connaissance de rien étant donné que le rideau était tiré. C’était la panique dans le couple principalement à cause des cartes de crédit.

Le lendemain, le médecin traitant de Monsieur M vint le visiter. Il lui expliqua en long et en large les aléas de sa maladie et quoi faire en quoi de rechute. La conversation  dura pas loin d’une heure. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait donner tant de détails à un autre médecin.

On était le 8 février. Monsieur M obtint une chambre privée. Il fut remplacé par un Monsieur Sabourin âgé d’environ 85 ans. Ce dernier n’avait pas de dents et était en très mauvais état. Quand l’infirmière vint le voir, elle lui offrit des médicaments qu’il ne voulut pas prendre. Elle ne comprit rien à ce qu’il disait. Elle me demanda si je comprenais. Je n’avais rien saisi.

Avant de me coucher, j’allai aux toilettes. En revenant, je lui fis un très beau sourire. Il me le rendit avec bonheur. Au matin, le rideau étant tiré, une infirmière vint le voir. Il refusa ses traitements. Cette dernière le rabroua. Vers huit heures, un objet frappa le sol. C’était probablement le bouton d’urgence qui était tombé par terre. Une heure plus tard, une infirmière vint visiter ce patient. Elle était affolée. Quelques secondes plus tard, j’entendis alors l’annonce du code rouge au haut-parleur. Quatre ou cinq personnes se présentèrent. Deux hommes prirent mon lit et me transférèrent en panique dans une autre salle. Le patient était décédé. C’était la première fois que quelqu’un décédait tout près de moi.

Septième station
Cette salle que j’occupais maintenant était dédiée aux réunions des internes et des médecins. Je réussis à avoir un repas vers 14 heures. Évidemment, ce n’était pas le choix que j’avais fait. Vers 15 heures, quelqu’un vint me voir pour savoir si je voulais revenir dans ma chambre. Je refusai.

Huitième station
On m’attribua une nouvelle chambre dans l’aile nord au même étage, soit la 7046. Je fis transférer mon téléviseur. Le patient qui occupait la chambre s’apprêtait à partir. Une heure plus tard, un autre patient prit sa place. C’était un homme d’une quarantaine d’années qui avait déjà été hospitalisé à plusieurs reprises. Pour souper, un copain lui apporta du poulet frit et des frites. La senteur n’était pas ce qu’il y de mieux dans un hôpital. Le lendemain avant-midi, l’aumônier, un prêtre africain, est venu me voir. Je ne voulais pas entendre parler de religion. Alors j’ai insisté sur le fait qu’il était chanceux de travailler dans un tel endroit vu que les services de santé pouvaient lui être offerts en priorité. Ce qu’il nia ; mais la conversation fut agréable et amusa mon copain de chambre. L’après-midi, la sœur de ce dernier est venue le voir. Elle l’a salué et s’est enfouie la tête dans un livre. Au bout d’une heure, elle a fermé son livre et lui a dit bonjour.

À quelques reprises, je suis allé jaser avec Madame Boivin et elle venait me voir. J’ai fréquenté le parloir une seule fois. Une dame me raconta qu’elle était là depuis six mois. Cela me convainquit de ne plus y retourner.

J’avais hâte de sortir. Le 11 février, on a changé ma tubulure. Cela n’était pas un bon signe pour moi. J’avais hâte de quitter l’hôpital. Le matin du 12 février, on remplit 13 petites fioles avec mon sang. J’étais désespéré. Toutefois, l’après-midi, j’obtins mon congé après 13 jours d’hospitalisation. À force de déménager, j’avais perdu un bas.

Par ce récit, on voit très bien que l’organisation était cahoteuse et mal planifiée. J’ai vécu à huit endroits différents et six jours sur 13 couché sur une civière. Près de moi, un homme est décédé sans secours et un vol a été commis sans que je sois interrogé par le personnel de sécurité. Je n’ai pas été maltraité loin de là. Les soins qu’on m’a prodigués furent de bonne qualité. Toutefois, dans un état de fragilité comme malade, l’insécurité a pris une grande place.

S’il est vrai que la situation s’est détériorée dans les années suivantes, cela doit être devenu un véritable enfer. Nous étions, je vous le rappelle, en 2002.

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# 376               28 mars 2014

Les Expos de Montréal
Ces jours-ci, on parle beaucoup des Expos de Montréal. Cette ville avait obtenu sa franchise en 1969. C’était la première hors des États-Unis. Montréal perdit son club en 2004 quand la franchise fut déménagée à Washington. Depuis quelque temps, certains nostalgiques voudraient qu’un club de baseball s’implante de nouveau à Montréal. Je les approuve parce que les retombées économiques sont intéressantes et que la ville est souvent nommée à l’étranger, attirant ainsi les touristes.

J’ai eu la chance d’assister à deux joutes de baseball, la première, au début des années 1970, au Stade Jarry. J’avais obtenu deux bons billets d’une corporation. Le soir venu, je m’y présentai avec une amie. J’avais les cheveux longs. Je portais jeans et espadrilles. Nous sommes arrivés une quinzaine de minutes avant le début du match. Nous nous sommes assis aux places indiquées sur nos billets. À un moment donné, trois personnes se présentèrent et nous demandèrent de nous tasser d’une place. Je n’étais pas très content craignant que, par la suite, une personne réquisitionne un de nos bancs.

Nous étions placés immédiatement derrière le receveur. Nous avions donc les meilleurs billets. Les gens qui nous entouraient étaient en tenue de ville, les hommes portant tous un veston et pour la plupart une cravate. Les femmes qui les accompagnaient étaient attifées de leur plus belle robe agrémentée de bijoux. On me regardait avec suspicion. Les gens autour de moi avaient l’air à se demander ce qu’un chevelu et un barbu venaient faire dans une oasis réservée à la haute classe.

Au milieu de la partie, une légère pluie fit interrompre le match. Nous avons tous quitté nos sièges pour rejoindre un espace protégé de la pluie. La pause fut de courte durée. À notre retour, tous les bancs avaient été essuyés par les jolies hôtesses, sauf les deux nôtres. Le message était clair. «On ne veut pas de minables dans notre club sélect.»

La deuxième fois que je suis allé voir les Expos : c’était au Stade olympique. On était au début des années 1980. J’avais une réunion dans le nord de Montréal. Après le souper, un collègue m’invita avec deux autres personnes à l’accompagner. J’acceptai avec empressement. L’atmosphère était loin d’égaler celle du  parc Jarry à cause d’une foule éparpillée dans le stade. J’étais quand même content de cette expérience.

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# 373               27 mars 2014

Une double visite
Édouard Ouellet était mon parrain. D’ailleurs, mon deuxième prénom provient du sien. Il était le fils de Johnny Ouellet et de Célina Rioux qui se sont mariés à Sainte-Françoise le 14 août 1900. Il avait épousé Lucienne Théberge, la sœur de ma mère en 1933. C’était un cultivateur prospère qui demeurait au troisième rang est. Il avait au moins une douzaine de vaches laitières et avait construit une porcherie où il engraissait au moins une quarantaine de porcs et de porcelets.

Quand j’avais 7 ou 8 ans, ma marraine m’avait invité à dîner un dimanche. Après le repas, un de mes cousins me fit visiter la ferme et surtout sa mécanisation. Mon parrain possédait des instruments aratoires plus modernes que ceux de mon père. Par ailleurs, j’ai été surpris de voir que ses filles cadettes jouaient dans ses cheveux au cours de l’après-midi. Mon père n’aurait jamais permis ça.

Le soir, mes parents venaient souper chez Thomas Thibault, le voisin de l’ouest. Ce dernier avait épousé la sœur de mon père, Candide Jean, en 1935 et avait hérité de la ferme paternelle. En fin d’après-midi, je me suis rendu chez l’oncle Thomas. J’ai eu le plaisir de connaître Pierre Thibault, le père de Thomas, qui avait environ 70 ans et qui était veuf de Joséphine Lepage. Il a longuement parlé de son petit-fils Rémi, mon futur confrère de classe au Séminaire, qui préparait des veaux pour l’exposition agricole de Rimouski. J’ai aussi fait la connaissance, probablement pour la première fois, de  ma tante Candide Jean qui malheureusement est décédée 6 ou 7 ans plus tard.

J’avais souvent l’occasion de rencontrer mon parrain et sa famille, car ils venaient chaque dimanche chez grand-père Théberge au village après la messe, sauf pendant la période des campagnes électorales. Mon oncle Édouard était un libéral convaincu et pour éviter toute confrontation, il s’abstenait pendant ce temps. C’était d’ailleurs l’époque où l’Union nationale de Maurice Duplessis, avec ses promesses rurales, gagnait toutes les élections. Il faut ajouter qu’à cette époque où il n’y avait que deux partis, l’adhésion politique se faisait de père en fils. La femme qui épousait un homme d’un parti opposé devait voter comme lui et ne pas le contredire.

La journée passée chez mon parrain et qui se termina chez l’oncle Thomas fut pour moi mémorable.

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# 351               19 mars 2014

Accident évité
Dans les années 1940, le 19 mars était un jour religieux férié. C’était la fête de saint Joseph, l’époux de Marie, qui était reconnu comme le patron des travailleurs manuels. Il était aussi le patron de plusieurs pays dont le Canada.

Les deux premiers des sept commandements de l’Église énonçaient : «Les fêtes tu sanctifieras, qui te sont de commandement» et «Les dimanches, messes entendras et fêtes pareillement». Dans la pratique, le 19 mars était un jour qui comportait les mêmes obligations que le dimanche : assister à la messe et s’abstenir des œuvres serviles c’est-à-dire certains travaux auxquels le corps avait plus de part que l’esprit. Ne pas satisfaire ces obligations sans raison sérieuse était un péché mortel.

Vers 1949, un 19 mars, mes parents étaient allés à la messe avec deux ou trois enfants. Je n’étais pas du voyage. À leur retour, dans la dernière côte non loin de la maison, mon père marchait derrière le traîneau tiré par un cheval. Soudain, en haut de la côte surgit un engin sur chenilles. C’était la voiture utilisée par le facteur, Jos Jean, pour distribuer le courrier aux maisons. Cette voiture fonctionnait comme un snowmobile mais n’avait pas de toit.

Le véhicule motorisé manqua de frein et prit de plus en plus de la vitesse. Heureusement, l’homme aux commandes réussit à éviter le traîneau de mes parents. Je n’ose pas imaginer ce qui serait arrivé si l’engin avait frappé le cheval de plein fouet.

Quand mes parents sont arrivés à la maison, ma mère nous a raconté l’événement en tremblotant. Pendant quelques années, ce souvenir revenait à tous les 19 mars suivants. C’est pourquoi, j’ai pensé vous le  raconter en ce 19 mars.

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# 345               16 mars 2014

Une journée de classe
Dans une école de rang où l’institutrice enseignait aux élèves de la première à la septième année, l’organisation était particulière. Pendant qu'elle s'occupait des élèves d’un degré, les autres effectuaient des travaux. Tout au long de ma scolarité, l’école a accueilli de 7 à 12 élèves. Par exemple, quand j’étais en première année, l’école comptait neuf élèves dont quatre de ma famille. L’année suivante, nous étions 7. J’ai été le seul dans mon degré pendant les quatre premières années.

Étant donné le petit nombre d’élèves, l’institutrice donnait parfois les mêmes leçons à des élèves de degrés rapprochés. «Si on peut apprendre par cœur l’Angélus, une prière latine, en septième année, pourquoi ne serait-il pas possible de l’apprendre en cinquième ou en sixième année, se disait-elle sans doute ?».

La journée commençait par la prière. Après cela,  c’était le catéchisme et l’histoire sainte. La leçon de catéchisme visait à nous faire apprendre par cœur des réponses qui devaient être données à des questions posées. L’histoire sainte, c’était l’apprentissage, sous un angle religieux, d’un ensemble de faits qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. Par exemple, on était très impressionné quand on apprenait que Job, un personnage de l’Ancien Testament, avait déjà été riche, mais que Dieu pour l’éprouver couvrit son corps d’ulcères et le dépouilla de tout, si bien qu’il devait vivre sur un tas de fumier.

Après la récréation, c’était le français : exercices de grammaire et d'écriture cursive. Suivait la récitation des leçons en rang en avant de la classe. Malheur à celui ou à celle qui n’avaient pas appris leur leçon. L’institutrice ne se gênait pas pour les réprimander. À 11 h 30, c’était la fin de la classe pour l’avant-midi.

Chacun retournait chez lui, sauf pendant les tempêtes ou les grands froids d’hiver où les élèves les plus éloignés dînaient à l’école. L’institutrice se réfugiait alors dans son petit appartement de deux pièces et préparait son dîner qu’elle venait faire cuire sur le poêle de la classe. Pendant qu’elle mangeait, nous étions sans surveillance et nous en profitions pour nous énerver. Parfois, après le dîner, nous sortions dehors. Pendant les récréations, nous n’avions aucun matériel pour jouer.

Le retour en classe se faisait à 13 heures. C’était le temps des mathématiques, puis des autres matières comme la géographie, l’histoire du Canada, l’anglais, l’hygiène, la bienséance. L’anglais était considéré par l’institutrice comme une matière très secondaire. D’une part, comme d’ailleurs ses compatriotes, elle ne voyait pas l’utilité de cette langue ; d’autre part, ses connaissances de base étaient très minimes, surtout la prononciation qui était massacrée.

Le vendredi après-midi était consacré au dessin, aux travaux manuels pour les garçons et aux séances de tissage et de tricot pour les filles. Nous avions des devoirs et des leçons à tous les jours et, pour la fin de semaine, c’était une composition française. Parfois, l’institutrice nous demandait de raconter une histoire sur un thème donné. Les élèves ne pouvaient pas faire autrement que de commencer par «Il était une fois».

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# 336               13 mars 2014

Le sucre
Le sucre est un ingrédient important dans l’alimentation. Dans les années 1940, à la maison, nous avions accès à trois formes de sucre : le sucre blanc, le sucre d’érable et le sirop.

Le sucre blanc, de même que la farine, se vendait en poches de 100 livres. Comme le sucre était alors soumis aux fluctuations boursières, le prix variait. À certains moments, des rumeurs circulaient à l’effet que le prix allait augmenter. Les clients se bousculaient alors pour en faire des provisions : ce qui amenait la rareté du sucre et faisait, on l’aura deviné, augmenter son prix. À quelques occasions, mon père a acheté deux ou trois poches de sucre. En attendant la consommation, les poches dormaient sur le plancher du grenier de la maison familiale.

Les produits de l’érable étaient, pour nous, un apport important parce que mon père exploitait une érablière. On avait accès au sucre d’érable, au sirop d’érable et à la tire. La tire était consommée en dehors des repas et avait une vie éphémère.

Mes parents vendaient une partie du sirop d’érable à des particuliers et plus tard à des entreprises. Par exemple, en 1961, la vente de sirop a donné 214,60 $. Un gallon valait 4 $. La vente de sucre a été de 11,35 $ cette année-là. Nous consommions presqu’en entier le sucre d’érable. On s’en servait comme dessert. Rien de plus délicieux pour des jeunes papilles gustatives que de manger une tranche de pain imbibé de lait et recouverte d’une bonne couche de sucre d’érable.

Au début des années 1940, la mélasse était très populaire chez nous. Ma mère en faisait des galettes. De plus, pour le dessert, nous trempions des bouchées de pain dans le bol de mélasse placé au centre de la table. Puis vint le sirop doré qui a éclipsé la mélasse. Quand nous avions fini de dévorer les gâteaux et les tartes de ma mère, les desserts étaient constitués uniquement par le sirop doré. Jamais ma mère n’a imposé de limites sur la consommation de ces aliments. Mais, elle aurait peut-être été justifiée de le faire car avec six ou sept jeunes affamés autour de la table, le sirop doré et le pain s’envolaient à vue d’œil.

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# 326               9 mars 2014

Le pain
De tout temps, le pain a été considéré comme la base de l’alimentation. Au début de la colonie, la construction d’un moulin à farine allait de pair avec le développement des  paroisses rurales. À Saint-Mathieu-de-Rioux, dès 1859, William Price était propriétaire d’un tel moulin. Personnellement, je ne l’ai pas connu en opération. Mais j’ai souvent vu la bâtisse.

Mon père achetait la farine au magasin général. Elle était vendue en poches de 100 livres. En attendant, les poches étaient entreposées dans le grenier. Parfois, on y trouvait jusqu’à deux poches.

Ma mère aimait pétrir le pain. Elle s’installait sur la table de la salle à manger et, de ses mains, tournaient et retournaient la pâte. C’était un spectacle inoubliable. Elle plaçait deux boules de pâte par casserole. Quand la pâte avait suffisamment levé, elle faisait cuire les pains dans le fourneau du poêle à bois, une fournée de 4 ou 5 pains à la fois. Elle obtenait ainsi autour d’une douzaine de pains. Quand nous étions plus jeunes et que le premier pain sortait du four, ma mère nous faisait une beurrée. Du pain chaud et tendre, c’était du bonbon. Plus tard, ma mère s’est procuré un pétrin : ce qui facilitait sa tâche.

Ma mère désirait avoir un four à pain à l’extérieur de la maison. Vers 1948, grand-père Émile Théberge est venu aider mon père à construire un four. Le dôme fut fait en terre glaise. Malheureusement, lors du premier essai, la fumée s’infiltrait dans les interstices. La terre glaise était-elle suffisamment séchée ou était-ce un défaut de fabrication ? Toujours est-il que le four ne servit qu’une ou deux fois.

Dans les années 1950, ma mère faisait de moins en moins son pain. Elle achetait cet aliment au magasin général. Puis, vint la distribution commerciale du pain à sandwiches, un pain tranché. Il en coûtait un sou de plus qu’un pain non tranché. Les tranches étaient moins épaisses et plus uniformes que pour le pain de ménage. À l’époque, pour désigner un pain, on parlait de quart de pain. Je ne connais pas l’origine de cette expression. Il fut peut-être un temps où on plaçait quatre boules de pâtes par casserole ? Le pain n'était pas cher ces années-là. En 1961, un quart de pain coûtait 13 sous.

Quand nous étions jeunes, une tranche de pain accompagnait toujours le mets principal au dîner et au souper. Quand ma mère avait des invités et si elle avait oublié de mettre du pain sur la table, il y avait toujours quelqu’un pour réclamer sa tranche. Je crois que c’était une coutume répandue à l’époque de faire appel à cet aliment nutritif lors de chaque repas.

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# 319               6 mars 2014

La dernière chasse de mon père
Mon père était un amateur de chasse aux petits gibiers. J’en ai parlé dans l’article 251. Quand il a pris sa retraite, il demeurait au village de Saint-Mathieu-de-Rioux. Il n’avait donc plus de territoire de chasse. Plus tard,  il est allé demeurer chez ma sœur au rang 3 ouest et là il a pu renouer avec sa passion.

Au sud de la maison jusqu’au lac Saint-Mathieu, il y avait là des lièvres errants. Mon père s’est procuré des collets et les a étendus pendant l’hiver. Il a ainsi pendant quelques années pu apporter des lièvres à la maison. Quoi de plus excitant pour un retraité ?

Un jour que j’étais allé dîner avec mes parents, quand je suis arrivé chez ma sœur, il était parti à la chasse. L’heure du repas sonnant, il n’était pas revenu. Nous nous sommes habillés en vitesse et nous sommes partis à sa recherche. Il y avait derrière la maison une côte assez abrupte. Quand nous sommes arrivés en haut de cette côte, nous l’avons vu à genoux dans la neige en grappillant avec ses mains pour pouvoir avancer. Il avait alors autour de 85 ans. Il n’avait plus les forces nécessaires pour franchir cet obstacle avec sa poche sur les épaules.

Mon neveu a pris sa motoneige et est allé le chercher. Mon père était humilié et frustré. Lui qui était un homme fort avait perdu ce précieux don de la nature. C’était une scène douloureuse, pour nous, de le voir dans cet état. Ce fut sa dernière chasse. 

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# 312               2 mars 2014

Anniversaire de mon père
Aujourd’hui 2 mars, c’est l’anniversaire de naissance de mon père. Il aurait 109 ans. Il est décédé en 1997 à l’âge de presque 92 ans. Les obsèques ont eu lieu le 30 janvier en l’église Saint-Mathieu. Voici le témoignage que j’ai livré ce jour-là :

Au nom de ma mère, de mes frères et sœurs, de mes beaux-frères et belles-sœurs et des petits-enfants, je vous remercie de votre présence. Cela nous permet de vivre cette épreuve dans une plus grande sérénité. L’hommage à mon père Edmond sera bref.

Comme plusieurs de ses contemporains qui, pour la plupart sont décédés, mon père Edmond fut un défricheur de la terre. Il a déboisé de grands terrains qu’il a par la suite ensemencés. Pour ce faire, il a utilisé les instruments de ses ancêtres. Mon père Edmond n’a jamais utilisé d’instruments mécanisés. Il a remué la terre avec une charrue qu’il tenait de ses bras. Il a semé la terre en lançant de ses mains des grains d’avoine. Il a enterré les grains avec une herse traînée par des chevaux. Il a compacté la terre avec un rouleau également traîné par des chevaux. Quand venait le temps de couper le foin ou l’avoine, il utilisait une petite faux ou une faucheuse toujours tirée par les chevaux.

Mon père Edmond aimait la forêt. Il adorait la chasse aux petits gibiers. Mais, avant tout, c’est la forêt qui était sa confidente. Il a sûrement raconté à la forêt des secrets qu’il n’a dits à personne d’autres. Il a sûrement raconté à la forêt qu’elle allait s’agrandir quand il a vu sa terre être mise au rancart suite à son achat par le Gouvernement. Il a sûrement raconté à la forêt qu’il avait de la peine de voir ainsi disparaître toutes les réalisations obtenues à la sueur de son front et à la force de ses bras. Si, pour mon père Edmond, la forêt était le ciel, il est aujourd’hui parti vers une autre forêt dans la sérénité et vers le bonheur.

Mon père Edmond n’a jamais pris l’avant-scène. De ses yeux vifs, il a regardé et analysé ce qui se passait autour de lui. Il a toujours été peu bruyant et humble. Cet hommage se veut à son image.

Mon père Edmond n’est plus ; mais, il restera toujours dans nos cœurs. (Fin de l’hommage)

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# 305               27 février 2014

Le lait
Pour les cultivateurs d’autrefois, le lait des vaches était la principale source de revenus. Les revenus d’appoint provenaient notamment du bois, des porcs, des moutons, des poules, de la fourrure et des produits de l’érable. Un cultivateur était considéré prospère en fonction de son nombre de vaches. Bon an mal an, mon père possédait au plus sept ou huit vaches. Par exemple, en 1941, on comptait 10,5 vaches par ferme à Saint-Mathieu-de-Rioux.

Dès 1891, une société pour l’exploitation d’une beurrerie est formée à Saint-Mathieu. Au départ, les cultivateurs apportent leur lait à la beurrerie pour y être écrémé et la crème est alors transformée en beurre. Je n’ai pas connu cette époque. Quand j’étais jeune, comme mon père avait acheté une centrifugeuse qu’on appelait centrifuge, seule la crème était transportée à la beurrerie. Ils étaient trois voisins à se partager la tâche de transport des bidons de crème vers la beurrerie. En attendant, pour assurer la conservation de la crème, mon père mettait son bidon dans la fontaine d’eau destinée aux animaux.

La beurrerie était généralement ouverte d’avril à décembre. Dans la période morte, il arrivait que ma mère produise du beurre. Elle versait la crème dans une baratte et après plusieurs brassages, la crème se transformait en beurre. Elle en faisait des boules qu’elle déposait dans une tinette remplie de saumure. Le beurre était délicieux mais un peu salé pour de jeunes papilles gustatives.

Chaque année, mon père faisait en sorte qu’une vache du troupeau n’ait pas de veau au printemps. On disait que c’était une vache anneuillière. Elle nous fournissait du lait pendant toute la période d’hiver. En revanche, elle était moins productive pendant la belle saison.

À la fin de chaque mois, le beurrier remettait en argent à chaque cultivateur le montant correspondant à sa production. La meilleure paie arrivait en juillet ou en août. En 1944, avec 7 vaches, les paies de beurrerie de mon père ont été de 401,96 $ pour l'année. En 1949, avec le même nombre de vaches, elles ont légèrement augmenté pour atteindre 494,73. En 1951, toujours avec le même nombre de vaches,  elles étaient de 574,03 $ : une augmentation de près de 30 % par rapport à 1944. Cela est probablement dû au fait que mon père a commencé à donner de la moulée aux vaches après la traite du soir. Par ailleurs, c’est  pendant cette période que les effets de la crise économique 1929-1932 ont commencé à s’estomper et que l’argent a commencé à circuler, du moins pour les cultivateurs.

En aucun temps, nous avons manqué de lait à la maison.

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# 291       20 février 2014

Archives de ma mère
Ma mère a abandonné l’école à 11 ans. Elle était en cinquième année. Sa mère avait huit enfants à sa charge dont quatre de moins de six ans et sa santé était chancelante. Ma mère était l’aînée de la famille et avait un seul frère plus vieux qu’elle. Selon ce qu’elle nous a souvent raconté, elle a beaucoup pleuré.

Malgré cet abandon précoce, elle a toujours rêvée d’être instruite. Elle aurait voulu notamment être institutrice comme ses tantes Corine et Émilie Théberge, les sœurs de son père. Un jour quand elle avait 5 ou 6 ans, sa tante Corine l’avait amenée à l’école du Faubourg du Moulin où elle a vu pour la première fois mon père.

Dans ses rares moments libres, ma mère s’adonnait à la lecture. Quand elle était jeune, elle pouvait fouiller dans les livres d’école de sa tante qui était célibataire et qui demeurait dans le haut-côté de la maison familiale. Plus tard, elle dévorait les journaux comme La terre de chez nous et les magazines religieux. Quand j’étais jeune, elle était abonnée à l’Action Catholique, édition du jeudi qui était à l’intention de ceux qui ne pouvaient se payer les sept numéros hebdomadaires. Elle s’abonnait à deux ou trois magazines religieux. Elle n’était pas une fervente de la télévision. Alors elle en profitait pour effectuer de menus travaux et pour lire.

Au fil du temps, elle a tenu la comptabilité de la famille. Quand elle est décédée, j’ai hérité de ses archives. On y trouve 22 documents. Elle a noté dans un premier document les détails propres à chacun de ses enfants comme la date et l’heure de naissance, le nom des parrains, etc. Elle a conservé les carnets de la Caisse Populaire de mon père et produit des cahiers de découpures de journaux et de feuillets paroissiaux. Plus tard, quand elle a quitté la ferme, elle écrivait chaque jour en notant les principaux événements de sa vie, de ses enfants ou de la paroisse, même parfois la température. En rétrospective, elle a fait une liste des principaux achats effectués.

Certains détails que je donne dans ce blogue proviennent des archives de ma mère.

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# 282       16 février 2014

Hélène Jean (1900–1987)
Hélène Jean a épousé Hormidas Gaudreau le 16 septembre 1919 à Saint-Fabien. Le couple n’a pas eu d’enfants. Ils étaient nos voisins à l’ouest au rang 5 de Saint-Mathieu-de-Rioux. Pendant de nombreuses années, ils ont hébergé Ernest Vaillancourt dont j’ai parlé dans un autre article. Hélène, Hormidas et Ernest formaient un triangle car Madame Hélène, de toute évidence, préférait le pensionnaire à son mari : ce qui laissait Ernest indifférent.

De temps à autre, Hélène venait visiter ma mère et y passait des après-midis. Elle était plutôt négative et critiquait parfois le comportement des jeunes de cette époque. Je me rappelle qu’une fois elle était scandalisée du fait que les filles et les garçons du village puissent patiner ensemble.

À l’été 1952, j’avais 11 ans, j’ai été engagé par le couple pour aider aux foins. Monsieur Midas emplissait la charrette de foin au moyen d’une fourche. Ma tâche était de tasser le foin avec mes pieds en le déplaçant au besoin. Pendant ce temps, Madame Hélène ramassait les brindilles restantes avec un petit râteau. Le pensionnaire ne participait pas aux travaux de la ferme.

J’allais parfois faire des commissions chez Madame Hélène. Par exemple, elle achetait les œufs de chez-nous. À chaque fois, elle me donnait un biscuit : ce qui était apprécié.

Ernest est décédé en 1966. Il avait acheté un lot au cimetière et y a été enterré. Hormidas décéda en 1969. Comme il n’avait pas de lot, il a été inhumé dans la fosse commune. Quand Madame Hélène fut seule, elle loua un appartement au village chez Maurice Théberge, le frère de ma mère. À l’automne 1977, elle est demeurée trois mois chez ma mère. Elle voulait y être hébergée, mais ma mère a refusé. Le CLSC lui a trouvé une maison d’accueil.

Quand Hélène décéda le 18 mars 1987 à l’âge de 87 ans, son exécuteur testamentaire, l’oncle Maurice, décida qu’elle occuperait le lot d’Ernest, plutôt que la fosse commune. C’est ainsi que Madame Hélène repose pour l’éternité aux côtés de celui qu’elle a tant aimé.

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# 277       13 février 2014

Ernest Vaillancourt (1892-1966)
Cet homme n’a jamais eu une considération à la mesure de ses capacités pendant sa vie. Il n’a jamais occupé de fonction officielle si ce n’est qu’il a été marguillier de 1950 à 1953.

Ernest Vaillancourt était le fils de Léon Vaillancourt et de Félicité Dionne qui se sont mariés le 21 juillet 1868 à Saint-Mathieu. Le couple a eu 17 enfants. Ernest est né le 3 septembre 1892. Deux enfants sont nés après lui, mais ils sont décédés en bas âge. Son père était cultivateur au rang 5. Au décès de son père en 1911, Ernest a hérité de la terre paternelle. Il n’a pas cultivé longtemps.

Il est allé suivre des cours d’agriculture aux États-Unis où il a appris l’anglais. À son retour, il a pris pension chez un couple, notre voisin à l’ouest, Hormidas Gaudreau et Hélène Jean qui n’avaient pas d’enfant. Quand j’avais 10 ans, Ernest avait 59 ans.

Madame Hélène avait un faible pour Ernest. Elle le manifestait en toutes occasions. Quand Hormidas exprimait une opinion et qu’Ernest disait le contraire, elle disait : «Tais-toi, Midas, puisqu’Ernest le dit, c’est qu’il le sait.» Lorsque Monsieur Midas allait bûcher dans les chantiers, Hélène restait seule avec Ernest. Alors, elle demandait à ma mère qu’une de ses filles aille coucher avec elle parce qu’elle savait que la vie en triangle faisait jaser la paroisse.

Hormidas était un cultivateur peu prospère. Ses deux arpents de terre au rang 5 et son lot au rang 6 ne lui apportaient guère de bénéfices. Heureusement, il avait un pensionnaire qui lui permettait de joindre les deux bouts puisque ce dernier contribuait largement à l’organisation matérielle. Au milieu des années 1950, Hormidas a vendu ses dépendances à Ernest.

Que faisait Ernest pour vivre pendant ces années ? Il a travaillé comme garde-chasse mais il perdit son emploi en faveur d’un père de famille. Par la suite, il devint guide et cuisinier dans des clubs de chasse et de pêche. Il partait au printemps et à l’automne pour deux ou trois mois et il revenait chargé de poissons et de viande de bois. Pour conserver ces produits, il avait construit une glacière. Il s’agissait d’une bâtisse d’environ 400 pieds carrés. En février, il allait se faire une provision de blocs de glace qu’il recouvrait de bran de scie. Il avait aussi bâti une petite cabane où il fumait du poisson.

Le travail de guide lui convenait parfaitement. Il était capable de s’exprimer en anglais auprès des membres du club et il aimait faire la cuisine : ce qui était inhabituel pour un homme à l’époque. Dans ses temps libres, il lisait. Il était abonné au Soleil, un journal qualifié de rouge et qui était fustigé par le clergé. Il avait une bibliothèque. Peu de cultivateurs en ce temps-là savaient lire ou s’adonnaient à la lecture.

Quand un problème hors de l'ordinaire arrivait chez nous, ma mère disait : «Allez chercher Monsieur Ernest.» Un jour, ma mère a été atteinte de pleurésie. Elle a pris le lit. Monsieur Ernest est venu la visiter. Il a dit à mon père : «Va appeler chez Désiré Dionne et demande au médecin de venir. C’est pressant.» Il s’est informé de l’état de notre réserve de pains, parce que c’est ma mère qui cuisait le pain de la famille. Sans perdre un instant, il s’est installé sur le bout du comptoir de la cuisine. Il a demandé qu’on lui apporte de la farine et a pétri une douzaine de pains. Je n’oublierai jamais cette scène parce c’était surréaliste pour nous. Imaginez. Un homme qui sait pétrir du pain.

Un autre jour, pendant que mon père était à bâtir sa nouvelle grange et que ses deux chevaux pensionnaient chez le voisin de l’est, ce dernier vint l’informer qu’un cheval était en train de gonfler probablement pour avoir mangé du fourrage trop vert. On fit venir Monsieur Ernest. Croyez-le ou non. Il s’est armé d’une longue aiguille et il a transpercé le ventre du cheval qui s’est mis à dégonfler.

Monsieur Ernest a été un des premiers habitants de la campagne à avoir une automobile. Pendant un temps, il a eu un «Jeep» de marque Willis. Avant l’arrivée de l’électricité, il avait installé sur sa maison un moulin à vent qui donnait suffisamment de courant pour éclairer les pièces principales. Lors d’un voyage dans le Sud au début des années 1950, il est revenu avec une vidéo de ses pérégrinations. Il a été un des premiers à avoir un téléviseur, pas longtemps après l’arrivée de la télévision en 1954.

Monsieur Ernest ne s’est jamais marié. Quand on demandait à notre mère, pourquoi il n’avait pas de femme dans sa vie, elle répondait : «Parce qu’il n’aurait pas pu arriver à temps pour la messe de mariage». Cet homme n’était jamais pressé. Souvent, quand nous partions pour la messe, il était en train de se faire la barbe. En réalité, il a failli se marier avec une sœur de mon père, Marie-Ange. La décision du mariage était prise. Ernest projetait alors de s’acheter un terrain au village pour construire une maison quand il perdit son emploi de garde-chasse. Le plan échoua.

Au début des années 1960, Ernest vendit sa terre à mon père. Il est décédé le 28 avril 1966. Il aura marqué notre famille par ses dons de conteur, son affabilité, son ouverture d’esprit et par ses grandes connaissances.

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# 261       5 février 2014

Les vaches
Quand on demeure en campagne, on vit très près des animaux. On se rend vite compte que chaque animal a son propre tempérament. Dans un troupeau de vaches, on sait d’avance comment telle bête va réagir dans une situation donnée. Par exemple, je me rappelle d’une vache dont le plaisir était de sauter par-dessus la clôture dans un champ voisin, probablement pensant que l’herbe était plus tendre à cet endroit. Mon père a dû l’enfarger pour qu’elle cesse ce petit manège.

En mai, lorsque les vaches sortaient pour la première fois de l’étable après avoir passé près de six mois dans la même crèche un carcan au cou, certaines exprimaient leur exubérance et leur joie en sautant comme des malades. Un jour, l’une d’elles a exprimé ses émotions de façon brutale. Elle s’est attaquée avec sa tête à une grosse roche si bien qu’elle s’est cassé une corne.

Il y avait toujours, dans le troupeau, une vache qui était la leader. Quand on allait chercher les bêtes pour la traite, celle-ci se plaçait devant. Malheur à celle qui voulait lui voler sa place. Elle baissait la tête, montrait ses cornes et donnait un coup de tête au besoin.

Quand la traite approchait et que les vaches étaient encore dans leur clos, certaines beuglaient. Elles voulaient transmettre le message que leur pis était de plus en plus lourd à porter et qu’il fallait les libérer de leur lait. Les autres approuvaient sans doute la teneur du message mais ne l’exprimaient pas.

Évidemment, la majorité était docile et n’avait pas d’ambition particulière. Lorsqu’une vache sautait dans un clos voisin, certaines suivaient ; mais d’autres préféraient demeurer dans leur clos d’origine comme si elles avaient compris que c’était le désir de leur maître et qu’il ne fallait pas enfreindre les règles tacites.

Lors de la traite, on connaissait d’avance celles qui ne prisaient pas les mains baladeuses qui de bas en haut serraient les trayons pour extraire le lait. C’était comme si elles considéraient ces interventions comme une atteinte à leur vie intime et que leur aura était très réduit. Même en dehors de la traite, celles-ci étaient plutôt sauvages n’acceptant pas d’être trop proches de nous. Elles réagissaient alors comme un humain qui ne veut pas nous parler.

Quand c’était le temps de choisir un veau pour le faire graduer dans le troupeau de vaches, mes parents se consultaient et le choisissaient en fonction des comportements de la mère et de ses sœurs. Évidemment, le rendement en lait était un critère important. Comme quoi l’hérédité était reconnue comme un facteur réel.

Bref, le fait de côtoyer les vaches est une leçon de vie dont le principal dénominateur est de nous amener à respecter les animaux parce que, comme les humains, ils sont uniques.

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# 251       1 février 2014

La pêche et la chasse
Mon père était un amateur de pêche et de chasse. À la pêche, il y allait une ou deux fois par année avec le deuxième voisin de l’est. Il allait sur un des lacs situés dans la partie sud-ouest de la municipalité de Saint-Mathieu-de-Rioux. En effet, on compte dans ce territoire sauvage de nombreux plans d’eau comme le Grand lac Neigette (2,72 km), le Petit lac Neigette (1,34 km), le lac Alarie (1,46 km), le lac Olivier (1,61 km), le lac à la Truite (2,59 km).

Pour la chasse, mon père y allait généralement seul. Quand l’automne arrivait, il préparait sa carabine et ses collets. Dès la première neige, il allait étendre ses collets sur sa terre du cinquième et sur celle du sixième rang. Il savait très bien comment déjouer le flair et la perspicacité des lièvres. Dans ses bonnes tournées, il revenait avec une dizaine de lièvres et deux ou trois perdrix.

Ma mère apprêtait les lièvres et les perdrix. Elle les faisait bouillir ou en faisait un six-pâtes. C’était un régal à chaque fois. Le plus curieux de toute cette histoire c’est que nous les enfants nous nous obstinions pour savoir qui mangerait la tête et surtout … la cervelle du lièvre. Pour cela, il fallait d’abord ouvrir la mâchoire. On mangeait la langue, les joues et même les yeux. On séparait la tête et on mangeait la cervelle : c’était le bouquet que d’aspirer cette moelle. Je ne suis pas sûr si, aujourd’hui je serais prêt à refaire la même expérience.

Quant à nous les jeunes, pendant l’été, nous allions pêcher assez souvent dans une petite rivière située au sud de la maison. Le débit d’eau était insuffisant pour pêcher tout en son long. Nous nous tenions davantage auprès d’une fosse située à la frontière de la terre de mon père et de celle du voisin de l’ouest. Nous revenions heureux, le plus souvent avec une dizaine ou plus de petites truites. Malheureusement, nous avons dû abandonner de fréquenter cette rivière car, avec la déforestation en amont, elle s’est peu à peu desséchée.

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# 245       30 janvier 2014

Mes grands-parents
Quand je vois des grands-parents qui accompagnent leurs petits-fils ou leurs petites-filles à l’école ou quand j’entends raconter les souvenirs mémorables que certains adultes ont conservé de leurs grands-parents, j’avoue que je suis un peu envieux.

J’ai eu six grands-parents, car mon père a été adopté à l’âge de 5 ans. Ma grand-mère Jean (Élise Boucher) est décédée en 1910. Mon grand-père Théophile Jean est décédé en 1922. Mon grand-père adoptif Ludger Ouellet est décédé en 1939. Ma grand-mère Théberge, Marie-Luce Ouellet, est décédée en 1945. J’avais presque 4 ans. Je ne me souviens pas d’elle.

J’ai connu ma grand-mère adoptive Philomène Lévesque. Je me rappelle qu’elle est venue visiter mes parents une fois. Elle est décédée en 1949 alors que j’avais 8 ans.

Le seul grand-parent que j’ai vraiment connu est mon grand-père Émile Théberge. Lorsque j’ai marché au catéchisme, je suis resté chez lui pendant un mois. À ce moment, il commençait à avoir des problèmes de mémoire. On disait alors qu’il était tombé en enfance. J’avais 19 ans quand il est décédé.

Nonobstant ces faits, à cette époque autoritaire, les grands-parents avaient des relations plutôt distantes avec leurs petits-enfants. De plus, le nombre de petits-enfants était assez grand. Par exemple, mes grands-parents Théberge ont eu 61 petits-enfants. Grand-père Théberge en a connu la majorité tandis que grand-mère Théberge en a connu à peu près la moitié. À titre de comparaison, mes parents ont eu 22 petits-enfants et les ont tous connus.

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# 232       24 janvier 2014

Anniversaire de ma mère
Aujourd’hui 24 janvier, c’est l’anniversaire de naissance de ma mère. Elle aurait 107 ans. Elle est décédée en 2003 à l’âge respectable de 96 ans. Les obsèques ont eu lieu le 30 janvier en l’église Saint-Mathieu. Coïncidence, le service religieux de mon père avait eu lieu six ans plus tôt à la même date et en plus le même jour de la semaine soit un jeudi. Pour ajouter à cette coïncidence, mes parents sont tous deux nés un jeudi.

Voici le témoignage que j’ai livré ce jour-là :

Au nom de mes frères et sœurs, de mes beaux-frères et belles-sœurs, des 22 petits-enfants et des 26 arrière-petits-enfants, je vous remercie de votre présence. Cela nous permet de vivre cette épreuve dans une plus grande sérénité.

En préambule, ayons une pensée pour mon père Edmond qui est décédé le 27 janvier 1997 et dont le service funèbre a été célébré en cette église le jeudi 30 janvier il y a six ans aujourd’hui.

Ma mère Marie-Laure n’a jamais connu les pièges et les artifices de la ville. Elle a vécu 32 ans sur une terre peu cultivable trimant sans arrêt du matin avant le chant du coq jusqu’au soir quand la brunante tombait. Elle a nourri et habillé la famille avec un amour remarquable et une générosité sans bornes. Elle a fait prier la famille sur une base régulière : prière avant chaque repas, prière du matin, Angelus du dimanche midi, chapelet du soir. Elle a tenu un journal personnel pendant plusieurs années et colligé des recettes de cuisine. Comme toutes les femmes de son époque, elle a accompli une quantité incroyable de travaux domestiques.

Pour elle, il y a eu un temps pour semer le jardin et un temps pour récolter les légumes.

Pour elle, il y a eu un temps pour planter des fraisiers et un temps pour ramasser les fraises.

Pour elle, il y a eu un temps pour traire les vaches à la main et un temps pour faire du beurre.

Pour elle, il y a eu un temps pour tondre les moutons et un temps pour filer la laine avec un rouet.

Pour elle, il y a eu un temps pour soigner les poules et un temps pour ramasser les œufs.

Pour elle, il y a eu un temps pour défaire des vêtements usagés et un temps pour en faire de nouveaux.

Pour elle, il y a eu un temps pour fabriquer du savon et un temps pour laver le linge.

Pour elle, il y a eu un temps pour faire des matelas avec de la paille et un temps pour y dormir.

Pour elle, il y a eu un temps pour se taire et un temps pour parler.

Pour elle, il y a eu un temps pour pleurer et un temps pour rire.

Pour elle, il y a eu un temps pour mettre au monde 11 enfants et un temps pour mourir.

Ma mère Marie-Laure est allée rejoindre Edmond. Elle n’est plus, mais, elle restera toujours dans nos cœurs. (Fin de l'hommage)

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# 226       22 janvier 2014

La tuberculose
Dans les années 1940 et 1950, la tuberculose, une maladie contagieuse parfois mortelle, était assez répandue. À cette époque, on comptait plus de 7 000 cas par année au Canada. Les personnes atteintes étaient hospitalisées dans un sanatorium pour de longues périodes parfois allant jusqu’à un an. Pour notre région, c’était le Sanatorium de Mont-Joli qui remplissait cette mission. Il était situé sur une côte non loin de la ville de Mont-Joli qui se trouve à plus de 70 kilomètres de Saint-Mathieu-de-Rioux.

Ma mère craignait cette maladie et elle nous amenait à chaque année à un test de dépistage. Le Sanatorium de Mont-Joli installait alors sa roulotte sur le terrain de l’église Saint-Mathieu et chaque paroissien y était invité par le curé au prône.

L’année où j’ai eu 11 ans, nous sommes allés comme d’habitude à la roulotte. Une semaine ou deux plus tard, ma mère reçut une lettre précisant qu’une ombre apparaissait sur mes poumons. Ce n’était pas ma médaille scapulaire que je portais d’ordinaire sur ma camisole de laine, je l’avais enlevée. La lettre nous donnait un rendez-vous au Sanatorium de Mont-Joli. Mon oncle Antonio Théberge, le frère de ma mère, accepta de nous y conduire. À ce moment, mon père n’avait pas de véhicule automobile. L’examen était exactement le même que dans la roulotte à savoir une photographie des poumons. Un peu plus tard, une autre lettre arriva avec le même résultat : ombre sur les poumons. Un nouveau rendez-vous était fixé.

Mon oncle Antonio accepta à nouveau de nous y conduire. Cette fois-ci, l’examen était plus sérieux. Ils m’ont introduit des tubes dans les narines pour aller vérifier les poumons. Ce n’était pas particulièrement douloureux, mais c’était désagréable de sentir des tubes s’immiscer dans le corps et de voir des hommes et des femmes en blanc autour de soi à cet âge. Le résultat finit par arriver. Aucun signe de tuberculose n’avait été décelé. Les poumons étaient en parfait état.

Ma mère qui pourtant accordait une importance capitale à ce dépistage a dit : "C’est fini les examens pour la tuberculose." Plus aucun membre de la famille ne s’est présenté à la roulotte par la suite.

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# 220       19 janvier 2014

Un changement d’école
Ma mère ne se laissait pas rebuter par les refus. Elle essayait toujours de trouver une solution convenable et respectueuse.

À la fin de juillet 1960, ma plus jeune sœur fêta son sixième anniversaire de naissance. Ma mère fit des démarches auprès de l’institutrice du rang pour qu’elle soit acceptée à l’école. Selon la loi de l’Instruction publique, il fallait avoir 6 ans le 30 juin pour être admis. Moi-même, dans les mêmes conditions, j’avais pu faire ma première année.

L’institutrice refusa donnant comme raison qu’il n’y avait plus de bureau disponible dans la classe. Ma mère accepta le verdict avec déception. Elle demanda alors à une autre de mes sœurs qui demeurait en haut de la paroisse si ma sœur âgée de 12 ans pouvait pensionner chez elle pendant l’année scolaire. Ma grande sœur accepta. La pension fut fixée à huit dollars par mois. C’était un montant minime pour l’hôtesse, mais pour ma mère qui avait d’autres obligations familiales, c’était une sortie d’argent additionnelle.

Ma mère rencontra l’institutrice du haut de la paroisse pour lui demander d’accepter ma sœur qui graduait en sixième année. L’institutrice accepta, n’ayant pas le choix étant donné le nouveau domicile de cette jeune fille. Ma mère retourna voir l’institutrice du rang 5 et lui dit : - Le bureau de ma fille de 12 ans sera inoccupée. J’aimerais que ma fille de six ans prenne cette place.

C’est ainsi que ma plus jeune sœur put entrer à l’école à 6 ans. Autrement, elle aurait commencé sa première année à 7 ans.

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# 216       18 janvier 2014

Acte de mariage de mes parents
Le trente mars mil neuf cent trente-deux, vu la dispense de deux bans de mariage accordée le vingt-deux de ce mois par Monsieur le chanoine Eugène-E. Pelletier, vicaire forain, curé de St-Fabien, vu aussi la publication de l’autre ban de mariage faite au prône de notre messe paroissiale le dimanche précédent entre Joseph Théophile Edmond Jean, cultivateur, domicilié en cette paroisse, fils majeur de feu Théophile Jean et de feue Élise Boucher, d’une part, et Marie Laure Éva Théberge, domiciliée en cette paroisse, fille majeure d’Émile Théberge, cultivateur, et de Marie-Luce Ouellet, aussi de cette paroisse, d’autre part ; ne s’étant découvert aucun empêchement à ce mariage, nous curé soussigné avons requis et reçu leur mutuel consentement et avons béni leur mariage en présence de Ludger Ouellet, témoin de l’époux et d’Émile Théberge, père et témoin de l’épouse, lesquels ainsi que les époux ont signé avec nous. Lecture faite.

(Signé) Marie Laure Théberge (Signé) Edmond Jean
(Signé) Émile Théberge (Signé) Ludger Ouellet
(Signé) Léo Théberge (Signé) Joseph Gauvin, prêtre curé

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# 213       16 janvier 2014

Mon premier voyage à Québec
Nous sommes en 1947. J’avais six ans. J’étais souvent malade. On disait que je faisais de l’asthme. Ma mère entendit dire qu’il y avait une guérisseuse à Beaumont. Alors, elle chercha un moyen pour que j’aille la rencontrer.

Une situation s’est présentée. Le voisin, Ernest Vaillancourt, projetait un voyage à Québec. Ma mère fit les arrangements. Un bon matin, je suis monté dans son automobile. Il était accompagné de Madame Hélène, la voisine, et de Monsieur Émile Plourde, un cultivateur du rang. Mon cœur volait car c’était la première fois que je faisais un aussi long voyage. Mes frères et mes sœurs m’enviaient parce qu’ils n’étaient jamais allés à Québec. Il est vraisemblable que mes parents non plus.

Nous avons emprunté la route 132, celle qui passe par tous les villages. L’autoroute 20 n’était pas encore construite. Le trajet se déroula normalement. J’étais assis derrière Madame Hélène. Rendus à Québec, je vis Monsieur Ernest immobiliser son automobile à certaines intersections. Je ne comprenais pas du tout comment il pouvait savoir qu’il fallait s’arrêter en plein milieu de la rue. À ce moment, je n’avais jamais entendu parler de feux de circulation et c’était impensable pour moi de demander la raison de ces arrêts. Car, avant de partir, ma mère m’avait prévenu. "Parle seulement quand on te pose des questions."

Nous avons logé chez mon grand-oncle Eugène Vaillancourt, le frère d’Ernest et époux de Laura Théberge qui était la sœur de mon grand-père Théberge. Il y avait beaucoup d’enfants à la maison. Ils demeuraient sur la rue Joffre tout près de la falaise Dufferin. N’ayant pas de lit disponible, on me fit coucher dans le bain.

Le lendemain avant-midi, Madame Hélène m’emmena dans les magasins du quartier Saint-Roch. Elle me prenait par la main et je n’aimais pas ça. Je fus impressionné par la grandeur du magasin Paquet et par son contenu. Je fus étonné quand je vis un escalier mécanique qui permettait d’accéder au deuxième étage.  

Dans l’après-midi, nous sommes allés au Lac-Beauport où mon grand-oncle Eugène avait un chalet. Je n’ai pas été impressionné par le lac parce que j’avais déjà vu le Lac Saint-Mathieu, mais je l’ai été par la grappe de chalets qui s’y trouvaient. Peut-être y avait-il alors des chalets dans la partie ouest du Lac Saint-Mathieu, mais je n’y étais jamais allé. J’ai d’ailleurs longtemps rêvé de retourner au Lac-Beauport, mais l’occasion ne s’est jamais présentée.

Au retour, en passant par Beaumont, nous sommes allés voir la guérisseuse. Elle me conseilla de ne pas m’exposer à la poussière, en particulier de ne pas fouler le foin. Elle ajouta que je pouvais conduire les chevaux. J’étais tout excité. Ce fut la première chose que je dis à ma mère en arrivant à la maison. Quand mon père entendit cela, il fit la moue. Toutefois, il accepta une ou deux fois lorsqu’il n’y avait aucun danger.

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# 203       12 janvier 2014

Ma première année à la petite école
À cette époque, selon la loi de l’Instruction publique, il fallait avoir eu 6 ans au plus tard le 30 juin pour être admis à l’école. Comme j’étais né au début de juillet, j’aurais dû être refusé. Mais ma mère a obtenu une dérogation de la part de la maîtresse d’école qui, cette année-là, était Jeanne Ouellet. Celle-ci avait son brevet d’enseignement et était âgée de 19 ans. Jeanne Ouellet était la fille de Thomas Ouellet et de Marie-Anne Vaillancourt. Thomas était le frère de ma grand-mère Marie-Luce Ouellet. Jeanne était donc la cousine germaine de ma mère.

Personnellement, j’avais préparé cette rentrée scolaire. En effet, jusqu’à ce jour, à la maison, on m’attribuait le sobriquet de Tibi. Quelques jours avant le début des classes, j’ai dit à ma mère : "Je vais bientôt aller à l’école. Aussi, je ne veux plus qu’on m’appelle Tibi. À l’école, ils vont rire de moi et je ne veux pas être Tibi toute ma vie." Ma mère agréa à ma demande. Elle transmit le message aux autres membres de ma famille. À la maison, ce sobriquet a disparu. Seules quelques dames amies de ma mère m’ont longtemps appelé ainsi.

Avec l’aide de ma sœur aînée, ma mère me confectionna des vêtements neufs : un habit avec chemise blanche et cravate, une casquette et un sac à dos à partir de vieux vêtements. Ceux-ci étaient généralement en bonne condition et provenaient directement de la ville. Comme nos vêtements étaient fabriqués dans du vieux, nous ne nous sentions pas mieux que les autres.

Pour ma mère, l’école a toujours été un lieu aussi sacré que l’église. En nous habillant proprement, elle voulait que ses enfants aient une tenue digne de l’église. C’était sa façon de donner à l’école un statut privilégié, elle qui a dû abandonner l’école en 5e année pour aider sa mère.

Le 2 septembre 1947, je partis pour l’école habillé comme un cœur, heureux d’accéder au monde des grands. J’étais seul en première année. Nous étions neuf élèves répartis de la première à la septième année dont quatre de ma famille.

Jeanne Ouellet m’a montré à lire, à écrire et à compter. Elle rayonnait de bonheur et s’adonnait à sa tâche avec enthousiasme. J’aimais bien écouter ce qu’elle disait aux autres élèves. Je les regardais en train de réciter leurs leçons, de répondre à des questions de catéchisme ou de participer à des combats de calcul mental. La maîtresse avait peu de temps pour s’occuper de moi. Elle me donnait des exercices d’écriture et de comptage. Je les faisais à mon rythme et sans compétition.

J’appris notamment à prononcer la lettre Q en disant QUE. Par exemple, si j’avais à épeler BARQUE, je devais dire B, A, R, QUE, U, E. Certains grands, plus futés que moi, savaient que ce n’était pas la bonne prononciation, mais ils le disaient seulement en cachette pour ne pas égratigner les oreilles pudiques.

Un jour, je suis tombé sur la glace en avant de l’école et je me fis une blessure au-dessus de l’œil droit. Je pleurais. Rapidement, Jeanne Ouellet me fit entrer à l’intérieur. Elle nettoya ma plaie avec de l’eau et me posa une bande collante qui servait à réparer les livres.

Bref, malgré ce dernier incident, je conserve d’excellents souvenirs de cette première année à l’école.

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# 197       9 janvier 2014

Réunions de famille
Autrefois, les réunions de famille étaient l’occasion pour les frères et les sœurs de se rencontrer autour des parents. On m’a raconté que dans certaines familles, le petit verre aidant, des chicanes et des altercations survenaient quand certains membres laissaient ressortir de l’animosité qui datait de leur jeune âge.

Chez nous, le tout s’est toujours fait dans la quiétude, si ce n’est une mésentente temporaire sur des sujets chauds d’actualité ou une hausse de la voix sur des interprétations douteuses de l’un ou de l’autre. Deux des sujets de prédilection étaient les souvenirs d’enfance et les dates qui leur étaient associées. On repassait des événements passés et on s’obstinait pacifiquement sur leur date. Je pense que cette tendance provenait de ma mère. En effet, celle-ci avait le sens de l’histoire et encourageait le souvenir de l’ancien temps. Au fil des ans, elle a recueilli des découpures de journaux, des documents et a même rempli plusieurs cahiers qui décrivaient son quotidien. Sur un document produit à Saint-Mathieu-de-Rioux en 1988, elle avait écrit : "Ce livre est à conserver. En souvenir des ancêtres."

Quand la discussion sur les dates se faisait, on pouvait entendre des remarques comme : "Je me souviens, c’était l’année de la naissance de X." "Il est impossible que ce soit la bonne date car cela arriva l’année avant mon mariage." "Y m’a raconté que son père vivait encore et qu’il est décédé à une telle date." "Ce ne pouvait pas être dans le mois de juin car il y avait de la neige ce jour-là."

Un de mes frères et une de mes sœurs avaient une mémoire phénoménale pour les souvenirs d’enfance. Mon frère, en particulier, se souvenait d’événements qu’il avait vécus autour de deux ou trois ans. On lui disait souvent que c’était impossible de se souvenir d’aussi loin, mais lui persistait et nous assurait que cela avait été enregistré dans sa mémoire. Parfois, on se demandait s’il n’avait pas entendu raconter l’événement et qu’il se l’était approprié.

De son côté, ma sœur était plus rationnelle. Elle avait un don d’associer les événements les plus divers en relation avec ce qu’elle avait vécu. Elle aimait situer la vie des ascendants dans le temps et préciser les moments les plus plausibles de leur vie.

Bref, les réunions de famille chez nous étaient des moments attendus de la plupart, sauf pour ceux qui n’avaient pas un béguin marqué pour les souvenirs d’enfance et pour les dates. Un retour dans l’histoire n’y modifie rien ; mais un changement de conversation modifiait le rythme de la rencontre.

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# 182       3 janvier 2014

Les enfants de chœur
Lorsque j’eus 10 ans, le banc familial de quatre places à l’église ne suffisait plus parce que notre famille comportait sept enfants en âge d’aller à la messe. Ma mère partit à la recherche de places. Elle demanda d’installer deux chaises droites et un agenouilloir en avant de la première rangée à droite du banc des marguilliers : ce qui fut fait mais ne dura pas longtemps.

Elle alla rencontrer la religieuse du Saint-Rosaire qui était sacristine et lui demanda si elle pouvait m’accueillir comme enfant de chœur. Celle-ci manifesta une certaine réticence parce que d’habitude cette fonction était réservée aux enfants du village. Ceux-ci étaient les élèves de leur couvent et la proximité de l’église leur permettait de participer aux répétitions. Finalement, elle accepta étant entendu que je ne serai pas invité à servir la messe. On me confia une soutane noire et un surplis blanc brodée de dentelles. Ma mère repassa religieusement l’ensemble.

Lors de la grand-messe du dimanche, nous entrions en procession derrière un porteur de croix et nous rejoignions les deux rangées de bancs placés de chaque côté du chœur. À la fin du cortège, marchait le curé qui était précédé de deux servants de messe qui avaient revêtu une soutane rouge.

C’était un privilège d’avoir le droit de se tenir dans le sanctuaire, mais il fallait se tenir droit. Les religieuses nous surveillaient de leur prie-Dieu situé en avant de la nef du côté de la chaire. Gare à celui qui riait sans raison, qui s’assoyait nonchalamment ou qui donnait des coups de coude. Pour les ruraux comme moi, ce serait la fin du privilège. Pour les villageois, ce serait les remontrances et les punitions de la part des religieuses. Le curé, lui, ne voyait rien parce qu’il disait sa messe dos à l’assistance.

Les enfants de chœur étaient des garçons de 10 à 15 ans. Ils devaient, en dehors de l’église, être vertueux, avoir une conduite édifiante et irréprochable auprès des paroissiens. Les servants de messe qui vivaient plus près du curé devaient être ponctuels, respectueux, sérieux dans l’accomplissement de leurs fonctions et être constamment à l’écoute du prêtre.

En ce temps-là, y a-t-il eu d’autres enfants issus du milieu rural qui sont devenus enfants de chœur ? Je crois que non parce qu’aucun nom d’eux ne me revient en mémoire.

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# 178       31 décembre 2013

Vers l’école de rang
Quand j’étais jeune, l’école du rang 5 était située à environ un kilomètre de la maison. Il fallait parcourir ce trajet à pied matin, midi et soir autant l’été que l’hiver et ce pendant plus de 200 jours. Il n’y avait pas de journée pédagogique à l’époque. Lors de tempêtes hivernales, mon père attelait le cheval sur un traîneau et venait nous conduire le matin et nous chercher le soir. Emmitouflés jusqu’aux oreilles, on s’agglutinait dans le fond du traîneau et mon père nous recouvrait d’une peau de carriole.

Un jour, parvenu chez le deuxième voisin, le traîneau s’est renversé après avoir frappé un banc de neige de côté. Nous avons tous été projetés dans la neige. La voisine nous a hébergés le temps de nous réchauffer. Pendant ce temps, mon père et le voisin remettaient le traîneau en place et réparaient les dégâts causés à l’attelage du cheval. Heureusement, personne n’a été blessé.

Par la suite, mes parents étaient plus prudents lors de grosses tempêtes de neige. Ils nous gardaient à la maison. Il arrivait cependant que l’institutrice offre aux parents de reprendre la journée de classe manquée le samedi suivant.

Lorsque le froid était trop intense ou le vent trop violent pendant l’hiver, nous dînions à l’école. Le poêle à bois de l’école qui servait au chauffage nous était accessible pour faire réchauffer le plat de pâtes alimentaires que ma mère nous avait préparées. Autrement le menu était constitué de sandwiches.

En hiver, le trajet était très difficile surtout après une tempête de neige. La neige n’était pas ramassée. Elle était soit tapée par un rouleau, soit mise de côté en infime partie par une gratte. Il fallait marcher sur les roulières que les voitures à lisses ou à patins avaient durcies. Entre les deux roulières, on pouvait s’enfoncer car seul le cheval y était passé. Quand le facteur décida de transporter le courrier en snowmobile, le trajet était plus facile. Nous n’avions qu’à marcher sur les traces des chenilles qui avaient durci et gelé la neige.

Mais le plus pénible, c’était le froid. Marcher de reculons dans ces chemins pour contrer le vent n’était pas de tout repos. Sans compter l’habillement qui n’était pas toujours adéquat et ce, surtout pour les filles qui n’avaient pas de droit de porter des pantalons. Arrivés à l’école, il n’était pas rare d’avoir des engelures aux pieds mais aussi aux cuisses. Après quelques minutes à se réchauffer auprès du poêle à bois, le tout revenait dans l’ordre et on oubliait.

Pendant l’hiver, nous portions des gobeurs (probablement de la marque de commerce gober). C’était des bottes en caoutchouc noir assez épais et dur de la forme d’une botte de construction. Elles étaient achetées au magasin général. Si je me souviens bien, elles n’avaient pas de semelle. Même avec deux ou trois paires de bas, nous avions les pieds gelés car la botte s’imprégnait rapidement du froid et devenait rigide comme si le caoutchouc allait casser. Comme nos pieds grandissaient rapidement, il fallait diminuer le nombre de paires de bas. Ayant toujours été fragile des pieds, j’étais souvent malade.

Pour certains, selon l’âge et les saisons, s’ajoutaient avant et après l’école des tâches routinières comme aller chercher et reconduire les vaches, les traire, faire l’entretien de l’étable, rentrer le bois de chauffage, faire des commissions chez les voisins, etc.

Je ne regrette pas ces temps difficiles. Évidemment, si nous comparons notre situation avec celle de la grande majorité des enfants d’aujourd’hui, il n’y a pas de commune mesure.

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# 174       29 décembre 2013

Feu de Rimouski
Le 6 mai 1950, j’avais huit ans. Ce samedi après le souper, Madame Élisa, la deuxième voisine à l’ouest, est venue visiter ma mère. Je marchais avec elles sur le chemin non asphalté devant la grange quand je reçus un grain de sable dans un œil, tout un mauvais présage. Le ciel était couvert. Le vent soufflait à plus de 80 kilomètres à l’heure. Au loin vers l’est, nous avons commencé à voir des nuages grisâtres, ressemblant à de la fumée. Il se passait sûrement quelque chose d’anormal. Comme les nuages grisâtres prenaient de plus en plus d’ampleur, ma mère et sa voisine pensaient qu’un feu s’était déclaré à Bic ou à Rimouski. À la tombée de la nuit, on pouvait imaginer que le feu progressait. Même à bonne distance, on ressentait une atmosphère d’apocalypse.

À ce moment, la télévision n’existait pas encore, l’électricité et le téléphone n’étaient pas encore arrivés dans le rang. Comme moyen de communication, il y avait bien la radio, mais la batterie de l’appareil était épuisée depuis longtemps. Nous avions hâte à la messe du dimanche pour savoir ce qui se passait. Arrivés chez mon oncle Georges au village, celui-ci nous a informés qu’une partie de la ville de Rimouski avait été incendiée. Il nous a raconté que des fils électriques avaient été emportés par le vent et que le feu avait pris naissance dans des piles de bois de sciage entassées dans la cour de la compagnie Price, tout près du moulin de cette compagnie. La structure de bois du pont traversant la rivière Rimouski avait été consumée si bien qu’il n’était plus possible d’entrer à Rimouski par la route habituelle. La seule possibilité était de passer par Trois-Pistoles et par Lac-des-Aigles, ce qui constituait un détour considérable. Ma mère était inquiète. Une de ses filles était pensionnaire à l’École Ménagère de Rimouski.

Dans les semaines qui ont suivi, quelques camions remplis de prélart, de tapis et d’appareils électriques ont passé dans le rang en vue de la vente. La rumeur était à l’effet qu’il s’agissait de marchandises acquises par vol ou par recel. Ma mère se fiant à la bonne foi des vendeurs en profita pour acheter du prélart à bon prix en vue de recouvrir le plancher de quatre chambres nouvellement aménagées au deuxième étage de la maison familiale.

Il arrive parfois que le malheur des uns fait le bonheur des autres.

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# 169       27 décembre 2013

Le battage du grain
Dans les années 1940 et 1950, chez les cultivateurs du rang où j’habitais, la récolte du foin commençait à la mi-juillet et se terminait à la mi-août. La moisson, soit la récolte des plantes à graines comme le blé, l’avoine et l’orge, se faisait en septembre. On appelait cela faire les grains. Souvent la coupe se faisait à la petite faux pour ne pas perdre indûment les grains sous les roues d’une faucheuse ou sous les pas des chevaux. Alors que le foin prenait un ou deux jours à sécher dans le champ après la coupe, les tiges des plantes à graines étaient presque déjà sèches.

La récolte était entassée dans un coin du fenil. L’opération suivante consistait à faire le battage c’est-à-dire à séparer les grains de la paille. La machine utilisée était une batteuse qu’on appelait machine à battre. Elle était actionnée au moyen de courroies par un moteur à essence situé dans un bloc extérieur. Des dizaines d’années auparavant, c’était les chevaux qui faisaient ce travail.

Souvent, les voisins échangeaient du temps pour faire le battage. Chez nous, il se faisait le plus souvent pendant les vacances des Fêtes. Mon père profitait du fait qu’il n’y avait pas d’école. Il fallait au moins trois hommes. L’un se tenait sur la tasserie pour fournir les tiges ; un autre poussait les tiges dans la bouche de la machine et un troisième recueillait les grains qui sortaient d’un dalot et qui étaient entassés dans une poche. Ce dernier devait aussi vider un autre dalot qui contenait des débris de paille ou des poussières de grains qui étaient mis de côté. En plus, de temps à autre, il fallait dégager la paille qui sortait d’une extrémité.

Quand nous étions jeunes, notre rôle était de surveiller les deux dalots. Plus tard, nous étions réquisitionnés sur la tasserie. Mon père exigeait, avec raison, qu’on contrôle les mouvements de notre fourche pour ne pas le blesser et conservait toujours le rôle d’alimenter la machine puisque c’était un travail dangereux. Il fallait qu’il soit attentif pour éviter que ses mains soient prises dans l’engrenage.

Cette opération de battage se faisait dans la poussière la plus totale. Nos poumons devenaient vite encrassés et nous toussions souvent. Il nous arrivait de devoir sortir à l’extérieur quelques minutes pour aérer nos poumons.

Aujourd’hui, avec l’apparition de la moissonneuse-batteuse, le battage se fait directement dans les champs lors de la récolte.

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# 161       23 décembre 2013

Le temps des paillasses
Quand j’étais jeune dans les années 1940, le matelas tel qu’on le connaît aujourd’hui n’était pas encore à la mode dans les campagnes. Sur un lit fabriqué par mon père, ma mère étendait une paillasse qui servait de matelas. De son côté, l’oreiller était fait de plumes provenant des poules.

La paillasse était un sac fait de tissus de poches de farine ou de sucre dans lequel de la paille était enfouie. La paille provenait des tiges de certaines graminées comme le blé, l’orge ou l’avoine qui avaient été coupées lors de la récolte et dont on avait retiré les grains des épis au moyen d’une batteuse ou d’un moulin à battre. La paille servait en grande partie à nourrir les vaches et les veaux pendant l’hiver.

Deux ou trois fois par année, la paillasse était vidée de son contenu car, à la longue, la paille s’effritait et se foulait. Il fallait alors aller sur le fanil (fenil) de la grange pour vider les sacs et les emplir à nouveau. Le choix de la paille était important. Les fétus les plus larges et les plus consistants devaient être retenus. Il pouvait arriver qu’une souris par inadvertance prenne place dans la paillasse. Quand nous étions plus jeunes, lors de cette opération, nous en profitions pour monter sur le tas de paille et pour y glisser. C’était une sensation très agréable.

Comme à la longue, la paille avait tendance à rejoindre les bords du sac, celle qui faisait le lit devait s’assurer de répartir à nouveau son contenu. Pendant un bout de temps, la senteur était agréable. Mais si, par malheur, il nous arrivait de pisser au lit, ce qui était assez fréquent à l’époque surtout l’hiver à cause du froid, la paille dégageait une senteur d'urine qui était quand même atténuée. Ce qui était moins agréable, c’est lorsque pendant la nuit, des brins de paille se faufilaient hors de la paillasse et nous piquaient.

Il existe une expression être sur la paille qui signifie être dans la misère. Toutefois, même si nous couchions sur la paille, nous étions loin d’être dans la misère.

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# 156       20 décembre 2013

Mes Noëls d’autrefois
Les Noëls de mon enfance ressemblaient peu à ceux d’aujourd’hui. Les festivités commençaient à minuit par la messe à l’église.

Je me souviens du premier Noël où je suis allé à la messe de Minuit. On était en 1950. J’avais 9 ans. Mon père a attelé un cheval sur la sleigh à patins, une voiture réservée aux dimanches et dont les brancards étaient munis de clochettes. Nous sommes partis un peu avant 11 heures le 24 décembre. Habillés proprement et bien emmitouflés sous une peau de carriole faite en peau d’ours, le cœur était à la fête. Le trajet d’aller au village a duré 30 ou 35 minutes. Le temps était calme et froid, pas de vent et un ciel rempli d’étoiles. Avec les clochettes qui ne cessaient de résonner, le crissement des patins sur la neige, les arbres tapis dans l’ombre qui semblaient nous saluer et les étoiles qui voltigeaient dans le ciel, c’était féerique.

Le temple paroissial était rempli à pleine capacité. Il y avait non seulement les habitants de la paroisse mais des anciens qui venaient fêter avec leur famille. On devait assister à deux messes. La première était chantée comme celle du dimanche et durait pas loin d’une heure. La seconde était une messe basse et, probablement ressentant l’anxiété des participants, le curé augmentait le rythme. Pourquoi deux messes ? En ce temps-là, tout prêtre devrait célébrer trois messes à Noël, la troisième étant en matinée.

Le retour à la maison a pris pas loin d’une heure à cause des côtes qui étaient montantes. Toutefois, le trajet nous a paru court parce que nous avons dormi presque tout le temps.

À la maison, c’était le réveillon. Selon les années, ma mère préparait un six-pâtes, des pâtés à la viande, des croquignoles, des tartes, des gâteaux au chocolat, etc. En vue des Fêtes, mon père avait tué un bœuf et un porc. C’était enivrant de voir toutes ces victuailles s’accumuler dans le tambour, une annexe non chauffée de la cuisine.

Quand le goûter était terminé, c’était la distribution des cadeaux. Lorsque j’étais plus jeune, nous recevions des crayons de couleurs, des cahiers à colorier, des bas de laine ou des vêtements que ma mère confectionnait avec grand cœur. Un peu plus tard, se sont ajouté des cadeaux plus ludiques comme des jeux de société et des blocs de construction.

La nuit de Noël était probablement la nuit la plus courte et la plus intense en émotions de toute l’année.

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# 147       17 décembre 2013

Ma première visite chez un dentiste
On était en 1946. J’avais cinq ans. Depuis quelques jours, je sentais une douleur lancinante à une dent. Ma mère m’amène chez le dentiste Louis Desjardins à Trois-Pistoles. C’est la première fois que je franchis les frontières de la paroisse. Je suis impressionné par cette ville qui est très grande à mes yeux.

Le dentiste Desjardins me fait coucher dans un lit et m’endort. Je suis réveillé par un vacarme épouvantable qui ne s’épuise pas. J’ai soudainement peur. Je me demande bien ce qui se passe. Je pense que c’est la guerre, comme j’en attendais parler très souvent à l’époque vu que la deuxième guerre mondiale s’était terminée un an plus tôt. Je regarde à l’extérieur et je me rends compte que c’est le train qui passe près du bureau du dentiste avec son hurlement et ses bruits d’enfer. Ce sont des bruits de ferrailles épouvantables pour mes petites oreilles habituées au calme de la campagne. Heureusement, la dent est extraite.

À la sortie du bureau du dentiste, maman m’amène à un restaurant-bar situé tout près. Elle me commande un verre de lait. C’est la première consommation que je prends dans un bar. Je suis très impressionné par la hauteur des tabourets et surtout par la hauteur du comptoir alors que je suis petit en taille. Je réussis à monter sur un tabouret. Même le restaurant me semble énorme.

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# 130       9 décembre 2013

L’école du rang 5
Pendant six ans au primaire, soit de 1947 à 1953, j’ai fréquenté l’école du rang 5 à Saint-Mathieu-de-Rioux. C’était une bâtisse à un étage en bois mal isolée. Pour y entrer, on montait un escalier qui s’arrêtait à un perron. En ouvrant la porte, on voyait un pan de mur où des crochets étaient fixés. C’était le portique où on déposait ses vêtements d’hiver et son lunch au besoin. On tournait à gauche et on arrivait dans le local de classe : une pièce qui pouvait contenir au moins une quinzaine de bureaux. Les murs et les planchers étaient peints en gris. À droite, il y avait une porte qui conduisait au local privé de l’institutrice. On y trouvait là deux pièces : une cuisine sans poêle et sans réfrigérateur et une chambre à coucher. Dans la cuisine, il y avait une table et quelques chaises. Dans la chambre à coucher, un lit et un bureau. Pour des raisons de sécurité, l’institutrice couchait la plupart du temps chez un des voisins de l’école.

Tout près de la porte, à l’intérieur du local de classe, on trouvait un poêle à bois qui servait au chauffage et à la cuisson, puis un tableau noir. Un deuxième tableau noir était installé du côté nord, soit en avant de la classe. Devant ce tableau, le bureau de l’institutrice trônait. Les bureaux des écoliers étaient de bois et les sièges y étaient attachés. On pouvait ranger ses livres en soulevant un couvercle. Tout près de la fenêtre, à l’est, il y avait un aiguise crayons, ce qu’on n’avait pas chez nous. Il y avait en plus des cartes géographiques accrochées à une patère, un globe terrestre, un boulier, une horloge au mur, une clochette et un dictionnaire.

Entre les deux tableaux, une porte permettait d’accéder à une annexe non chauffée. Des cordes de bois de chauffage y étaient soigneusement placées. Après avoir franchi un court passage, on trouvait deux petites pièces : c’était les bécosses (latrines), une pour les garçons et une pour les filles. Un couvercle en bois cachait un trou. En soulevant le couvercle, une fosse de trois ou de quatre pieds apparaissait. Quelques feuilles de papier journal ou de catalogue étaient disposées dans chaque pièce. De temps à autre, le commissaire venait et étendait des produits chimiques dans les fosses pour enrayer les odeurs.

Dans la classe, il n’y avait pas d’autre moyen de chauffage que le poêle à bois. Lors des froids intenses d’hiver, on n’avait pas d’autres choix que de déménager les bureaux autour du poêle. Pendant l’hiver, le commissaire d’écoles engageait quelqu’un pour allumer le poêle vers six heures du matin les jours de classe. Les jours de congé, c’était cette même personne qui entretenait le feu pour protéger la bâtisse du gel. Il n’y avait pas d’éclairage si ce n’est une lampe à l’huile. Quand je suis entré à l’école, l’électricité n’était pas encore installée dans le rang 5.

Cette école fut remplacée par une nouvelle bâtisse à la fin des années 1950.

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# 123       7 décembre 2013

Rosanne Jean (1900-1980)
Tante Rosanne était la sœur de mon père de cinq ans plus jeune. Elle habitait à Montréal. Elle venait nous visiter à Saint-Mathieu-de-Rioux de temps à autre en été. Elle conduisait une automobile, elle fumait la cigarette et avait des propriétés qu’elle gérait. Quand elle venait à Saint-Mathieu, elle apportait toujours une boîte de linges usagés. Elle avait deux fils qui étaient plus âgés que moi et mes frères plus jeunes. Comme les vêtements étaient souvent trop grands, ma mère en couturière expérimentée les rapetissaient ou même les défaisaient et les recousaient pour les ajuster à notre taille. Nous étions, dans le rang, les enfants parmi les mieux habillés à cause de ces dons.

À l'été de 1947, tante Rosanne avait décidé de souligner l’anniversaire de son fils cadet et d’une cousine chez sa sœur au troisième rang. J’ai eu le privilège d’accompagner mes parents. Des ballons, des guirlandes, des décorations d’usage avaient été disposés dans la maison et même à l’extérieur. J’avais six ans et c’est là que j’ai fumé ma première cigarette. À un moment donné, tante Rosanne a offert des cigarettes à tout le monde. J’ai manifesté le désir d’en avoir une et elle a acquiescé à ma demande. Je me suis vite étouffé et la cigarette a rejoint le cendrier tout comme celle de ma mère d’ailleurs.

Un jour où tante Rosanne était allée à Rimouski, elle avait vu Mgr Charles-Eugène Parent qui était alors Archevêque de Rimouski se promener dans la cour de l’évêché. Elle lui avait envoyé la main. Celui-ci ne l’avait pas reconnue et n’avait pas répondu. Elle le connaissait puisqu’elle était allée à l’école avec lui. En revenant à la maison, elle avait dit : "Je pense que j’ai été impolie. Pour lui, une femme ne peut pas saluer un monseigneur."

Un jour qu’elle était venue en automobile chez mes parents, en arrivant elle avait dit : "J’ai eu très peur en montant les côtes de Saint-Simon et de Saint-Mathieu. J’aime mieux conduire dans les rues de Montréal." Nous étions estomaqués. Nous étions certains que ces côtes étaient plus sécuritaires que les rues de Montréal, même si nous n’étions jamais allés dans cette grande ville.

Elle nous racontait sa vie à Montréal, notamment ses nuits passées à jouer aux cartes avec ses amies. Elle était une vraie couche-tard, tout comme mon père d’ailleurs. Elle nous racontait aussi que son mari, Achille Perrin, était propriétaire d’une salle de billard.

Je suis allé une fois chez tante Rosanne ; c’était en 1965. Elle avait une manette pour la télévision encastrée dans sa chaise principale : ce qui était extrêmement rare à l’époque.

Bref, j’ai conservé un excellent souvenir de cette tante dont l’âge était facile à deviner puisqu’elle était née en 1900.

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# 122       6 décembre 2013

Nelson Mandela (1918-2013)
À l’été 1977, j’ai vécu une journée doublement surprenante. Un samedi après-midi, j’étais en train de tondre ma pelouse, quand j’ai vu un voisin derrière chez-moi qui faisait de même. Je suis entré dans la maison pour boire un verre d’eau. La télévision était ouverte. On y montrait des extraits de l’Assemblée nationale. Le député péquiste de Rimouski, Alain Marcoux, était en train de parler. Je l’ai reconnu. Je ne savais pas qu’il demeurait si près de chez-moi.

J’ai terminé mon travail. Quand je suis entré dans la maison, il y avait un documentaire à la télévision sur Nelson Mandela. Je ne connaissais pas cet homme. J’ai été étonné de constater qu’on faisait un documentaire sur un prisonnier politique. Il était en prison depuis 15 ans. J’en ai déduit que ce devait être un homme hors du commun.

Dans les années 1990, j’ai vu un autre documentaire sur la prison de Robben Island en Afrique du Sud où avait été incarcéré Nelson Mandela. On y expliquait que, lors de son séjour en prison, Mandela avait réussi à obtenir un ballon après beaucoup de tergiversations de la part des autorités carcérales. Par la suite, un terrain de soccer avait été aménagé dans la cour de la prison. On y expliquait que le ballon avait été à l’origine d’un changement de mentalité chez les prisonniers. Nelson Mandela inculquait déjà les principes de sa vie, à savoir la confiance en soi, le travail d’équipe, l’entraide, le respect des autres et les stratégies pour vaincre l’adversaire.

Au début des années 2000, j’ai appris que le numéro de la cellule de Nelson Mandela à Robben Island avait été 46 664. Ce nombre m’a fortement intrigué et j’ai décidé d’en faire l’analyse. On y voit 666 entouré de deux 4. Or, 666 est considéré comme le nombre de la Bête, un nombre plutôt démoniaque. Le nombre 46 664 avait tellement de propriétés mathématiques que je l’ai baptisé Nombre de Mandela. J’ai écrit un article que j’ai mis sur mon site de mathématiques récréatives Récréomath. Vous pouvez consulter cette page

Je suis convaincu que ce nombre a beaucoup d’autres propriétés que celles mentionnées. Par exemple, si on additionne les chiffres de ce nombre on obtient 26 qui est le double de 13. Or, 13 est associé au malheur. N’est-ce pas doublement un malheur que d’être emprisonné pendant 27 (26 + 1) ans ?

Je pense, comme beaucoup d’autres, que Nelson Mandela a été le plus grand homme du 20e siècle. Il a su s’appuyer sur une épreuve personnelle épouvantable pour redonner une fierté à un peuple opprimé et le tout sans violence.

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# 108       29 novembre 2013

Au fond des campagnes
Quand j’étudiais au secondaire dans les années 1950, j’enviais mes confrères qui vivaient dans les villages et dans les villes. Je me disais qu’ils n’avaient pas à accomplir de multiples tâches propres à la campagne et qu’ils pouvaient se la couler douce pendant les vacances. Un jour, un professeur avait dit d’un élève : "On dirait qu’il vient du 22e rang de Saint-Marcellin." Cette remarque m’avait troublé et m’avait profondément peiné. C’était une façon de dire que les gens de la campagne vivaient dans des coins reculés, qu’ils étaient refermés sur eux-mêmes, en un mot qu’ils étaient d’une autre classe sociale.

Chez nous, à l’occasion de fêtes spéciales comme des mariages, il se trouvait toujours quelqu’un pour chanter Au fond des campagnes dont le refrain est :

Au fond des campagnes qu'il fait bon, fait bon, fait bon,
Au fond des campagnes qu'il fait bon rester !

Voici deux couplets les plus significatifs :
Les gens de la campagne ignorent leur bonheur.
La plaine et la montagne, est-il rien de meilleur ?

La vie à la campagne a bien ses duretés,
Mais au moins l'on y gagne la force et la santé.

De mémoire, il me semble que les interprètes modifiaient la dernière phrase et qu’on entendait plutôt : "Mais au moins l'on y gagne à rire et à chanter." De toute façon, je n’aimais pas tellement cette chanson.

Avec le recul, je suis fier d’être né à la campagne. C’est vrai, j’y ai travaillé pas mal. Mais, j’y ai respiré un air pur ; j’ai fréquenté les forêts avec tous leurs mystères ; j’ai connu les mœurs des animaux ; j’ai vu les jardins fleurir ; j’ai appris à vivre au rythme de la terre. Bien plus, j’ai vécu de nombreuses expériences de travail qui m’ont donné des compétences utiles dans la vie courante. Sans compter les précieuses leçons de la nature.

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# 096       24 novembre 2013

Le grand râteau
Quand nous étions jeunes, l’été nous participions aux travaux des champs. Dès 9 ou 10 ans, notre tâche consistait à fouler le foin dans le rack (charrette) à mesure que mon père le remplissait au moyen d’une fourche. Plus tard, nous étions assignés au petit râteau. Il s’agissait alors de ratisser les brins de foin qui restaient sur le champ après que la fourche en ait pris la plus grande partie.

À 15 ans, soit à l’été 1956, je fus assigné au grand râteau. Quel bonheur ! Assis sur le siège, je guidais le cheval. Il s’agissait de disposer le foin en andains consistants le plus possible. Sur une barre parallèle à l’essieu était attaché un râteau muni de longues dents légèrement courbées qui retenaient le foin. Pour laisser le foin en andains, je devais faire basculer le râteau au bon moment. Il y avait une pédale à pied mais elle ne fonctionnait pas toujours. Aussi, je devais actionner un long manche vers l’avant : ce qui demandait un peu de force physique.

Avant de commencer le raclage du foin dans un champ, je devais déterminer dans quel sens l’opération se ferait en tenant compte des obstacles naturels et de la grandeur du champ. Il fallait aussi décider de la disposition des andains en raison de la densité du foin.

Mon plus grand défi toutefois était de guider le cheval. En effet, le cheval que mon père m’avait confié avait 6 ou 7 ans. C’était un bronco, un cheval qui avait été capturé dans les plaines de l’Ouest canadien. Sur le flanc gauche, il portait une estampe au fer rouge qui trahissait son origine. Évidemment, un tel cheval coûtait moins cher. Le maquignon avait dit à mon père qu’il avait été bien dressé. Mais tel n’était pas le cas.

Normalement, quand on tire sur les cordeaux et qu’on crie woh, le cheval s’arrête. Ce bronco-là répondait au cri de woh quand il le voulait et si je tirais sur les cordeaux, il accélérait. Le seul moyen de l’arrêter était de tirer doucement à gauche, puis à droite successivement jusqu’à ce qu’il comprenne. Il me fallait donc organiser mon travail pour qu’il n’y ait pas d’arrêt. Le plus stressant était d’entrer ou de sortir le grand râteau du champ puisque les ouvertures n’avaient pas été conçues pour un instrument d’une telle largeur. Il arrivait qu’il reste un pouce ou deux de chaque côté. Surtout qu’il n’était pas possible d’arrêter le cheval.

J’ai eu peur une seule fois. Je descendais en ligne droite une longue côte le râteau levé. Je voulais commencer à râteler par le bas de la côte. J’ai senti que le cheval voulait partir à trotter. J’ai tiré brusquement sur un cordeau et en même temps j’ai baissé le râteau. Le cheval a semblé surpris et il a obéi à mon ordre. J’ai pu descendre la côte en biais me permettant en cours de route de relever le râteau.

Avec le temps toutefois, on dirait que ce cheval mal dressé me faisait de plus en plus confiance et se conformait au peu d’ordres que je pouvais lui donner. Évidemment, je ne l’ai jamais frappé.

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# 092       21 novembre 2013

Des vérités troublantes
Quand nous allions à la petite école dans les années 1940, le catéchisme était la matière la plus importante. On devait apprendre par cœur des réponses à des questions posées.

Entre autres, on nous apprenait qu’il n’y avait qu’un seul Dieu parce que "Dieu, étant l’être suprême et infini, ne peut pas avoir d’égal" (texte du catéchisme). À la question suivante, la réponse avait l’effet de lancer une bombe dans nos têtes : "Il y a en Dieu trois personnes divines, réellement distinctes entre elles et égales en toutes choses : le Père, le Fils et le Saint-Esprit."

Comment pouvait-on concevoir que Dieu partage sa divinité pour décider de notre existence ? Comment se prennent les décisions ? On apprenait que le Père qui est Dieu est la première personne de la Sainte Trinité, que le Fils qui est aussi Dieu est la deuxième personne et que le Saint-Esprit qui est aussi Dieu est la troisième personne. Il y avait donc une hiérarchie. Mais qui devions-nous prier quand nous avions besoin de faveurs ?

Un peu plus loin, mon incompréhension face à un tel trio se justifiait. Je n’étais pas le seul à ne pas comprendre. Des adultes qui possédaient la vérité avaient écrit : "Nous ne pouvons pas comprendre comment les trois personnes divines ne font qu’un seul et même Dieu, parce que c’est un mystère." J’avais déjà entendu ce dernier mot de la bouche de ma mère. Elle ne retrouvait plus son chapelet et avait dit : "Pourtant hier, je l’avais mis sur mon bureau. Il n’est plus là. C’est un mystère."

Quand arrivait la question : "Qu’est-ce qu’un mystère ?", il fallait répondre : "Un mystère est une vérité que nous ne pouvons pas comprendre, mais que nous devons croire, parce c’est Dieu qui l’a révélée."

Je pouvais maintenant dormir tranquille. Il y avait deux genres de mystères : les petits comme celui de ma mère et les grands comme celui du catéchisme.

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# 084       18 novembre 2013

Un choc historique
C’était en avril 1949. J’étais en troisième année au primaire, soit à l’élémentaire comme on disait dans le temps. À ce jour, j’avais appris que le Canada était constitué de neuf provinces et que, dès 1867, quatre provinces avaient signé une constitution pour faire un nouveau pays : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Québec.

Au début d’avril, l’institutrice nous dit :
- J’ai appris à la radio que le Canada est maintenant formé de 10 provinces. Depuis le 31 mars, Terre-Neuve n’est plus une colonie de la Couronne britannique, mais une province du Canada.

J’étais abasourdi. Je n’ai pu m’empêcher de dire :
- Mais Mademoiselle, c’est écrit dans notre livre de géographie que le Canada compte neuf provinces. Se peut-il qu’il y ait d’autres erreurs dans ce livre ?

L’institutrice nous expliqua calmement que l’histoire évoluait et qu’il pouvait arriver des événements qui s’inscrivent dans les livres, mais un peu plus tard. Elle ajouta qu’on considérait Joey Smallwood comme un Père de la Confédération. J’avais appris que les Pères de la Confédération étaient ceux qui dirigeaient leur province au moment de l’entente.

Là, j’étais troublé. Pour moi, un Père de la Confédération était un vieillard qui était décédé depuis longtemps. Que faisait Smallwood tout seul dans ce club prestigieux ?

Cette révélation de l’institutrice m’a fait prendre conscience que la grande histoire, tout comme la petite, n’était pas figée.

Deux petites corrections :
Aujourd’hui, on ne considère pas Joey Smallwood comme un Père de la Confédération mais comme un fondateur.

Les Pères de la Confédération ne sont pas seulement ceux qui dirigeaient leur province au moment de l’entrée officielle, il y a aussi certains négociateurs parmi eux.

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# 080       16 novembre 2013

Dieu est partout
Quand nous allions à la petite école dans les années 1940, le catéchisme était la matière la plus importante. Il fallait apprendre par cœur des réponses à des questions posées.

Une des réponses la plus facile à retenir, suite à la question : "Où est Dieu ?", était "Dieu est partout." Mais cette réponse était troublante pour un jeune enfant. On pouvait imaginer n’importe quoi. Si Dieu était partout, il pouvait voir nos fredaines, être témoin de nos petits mensonges, entendre nos gros mots qui pourtant nous étaient interdits.

Voici un dialogue imaginaire avec une institutrice, comportant les réponses du catéchisme entre guillemets :

Moi - Si Dieu est partout, pourquoi on ne le voit pas ?

L’institutrice - "Nous ne voyons pas Dieu, parce que c’est un pur esprit, qui ne peut être vu avec les yeux du corps."

Moi - Si Dieu est partout, il est dans la classe ?

Institutrice - Oui.

Moi - Si Dieu est partout, il est à la maison ?

Institutrice - Oui.

Moi - Si Dieu est partout, il est dans ma tête ?

Institutrice - Oui.

Moi - Si Dieu est partout, il nous voit tout le temps ?

Institutrice - "Oui, Dieu nous voit et il veille sur nous."

Moi - Si Dieu est partout, il connaît tout ?

Institutrice - "Oui, Dieu connaît tout : nos actions, nos paroles et même nos pensées les plus secrètes."

Moi - C’est terrifiant ce que vous me dites, mademoiselle. Comment Dieu peut-il faire pour pouvoir connaître tout cela ?

Institutrice - "Dieu est tout-puissant et rien ne lui est impossible."

Moi - Est-ce que Dieu est allé à l’école ?

Institutrice - "Dieu n’a pas eu de commencement ; il a toujours été et il sera toujours."

Moi - Est-ce que Dieu se trompe des fois ?

Institutrice - Non. "Dieu est un esprit infiniment parfait."

Moi - Est-ce qu’on a raison de craindre Dieu ?

Institutrice - Non. N’oublie jamais que "Dieu est infiniment juste, infiniment saint, infiniment miséricordieux, parce qu’il est infiniment parfait."

Ce chapitre du catéchisme intitulé De Dieu et de ses perfections était loin de nous rassurer malgré une dernière réponse apaisante. Au contraire, les affirmations installaient en tout une peur certaine. Pourtant, nous étions intrigués par le fait que, dans la vie de tous les jours, cela ne se passait pas ainsi et que la présence de Dieu semblait plutôt lointaine ou rarissime.

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# 075       14 novembre 2013

Marsha Hodgson
Le 5 janvier 2002, Marsha Hodgson, une Américaine, lançait une requête sur le site ancestry.ca afin de retrouver d’autres membres de sa famille. Marsha est la fille de Barbara Belsaguay, ma cousine germaine, et elle est la petite-fille d’Antoinette Jean, une sœur de mon père. J’ai traduit le message de l’anglais au français. Le voici :

"Mon arrière-grand-père maternel était Théophile Jean. Selon l’histoire familiale, un de ses ancêtres était le fondateur de Saint-Mathieu. Théophile a marié Élise Boucher pendant qu’il était dans la quarantaine. Élise a mis au monde 11 enfants à partir des années 1890 avant de mourir à la suite d’un accouchement. Je pense que les filles sont allées vivre dans un couvent après sa mort. Ma grand-mère Marie Antoinette et sa sœur Marguerite ont émigré aux États-Unis, s’installant à New-York avant 1930. Leur famille comprend Edmond, Léo, Valentine (fille), Rosanne. Cette dernière a épousé Archie Perrin qui a possédé une salle de billard à Montréal. Ils avaient deux fils : Raymond et Claude. La famille comprend aussi Marie-Ange.

Ma grand-mère Antoinette est décédée en 1973 avant que je sois assez vieille pour en apprendre plus. Elle allait souvent à Rimouski, Trois-Pistoles et Saint-Fabien pour voir sa famille. Elle disait que les quintuplées Dionne étaient ses cousines."

Il est fort probable que, depuis ce temps, Marsha a obtenu les renseignements qu’elle désirait puisque Germaine Roy, une de mes cousines, a déjà été en contact avec elle. Dans le message de Marsha, il y a quelques coquilles. Cela est compréhensible puisqu’elle rapportait les propos de sa grand-mère. Toutefois, les renseignements qu’elle donne sont suffisamment pertinents pour la relier à la famille Théophile Jean sans l’ombre d’un doute.

Je pense avoir vu Marsha une fois quand elle est venue faire une visite à mes parents avec sa mère et sa grand-mère. Si jamais Marsha Hodgson fait une recherche sur internet en regard de son nom et qu’elle découvre cet article, elle peut communiquer avec moi pour des renseignements additionnels.

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# 069        11 novembre 2013

Jour du Souvenir
Il y a 60 ans, jour pour jour, j’assistais à une cérémonie commémorative destinée principalement à se souvenir des soldats canadiens morts au combat lors de la Première guerre mondiale. On sait que cette guerre a divisé profondément le Canada. Les Québécois en majorité étaient alors contre un engagement militaire. À cette époque, l’armée canadienne était anglophone et elle était associée à l’Empire britannique. C’est d’ailleurs la première et la dernière fois que j’ai assisté à une telle cérémonie.

En 1953, j’étudiais au Séminaire de Rimouski pour la première année. Le mercredi 11 novembre, lors de la récréation de l’avant-midi vers 10 heures 30, je suis demandé au parloir. Je m’y précipite anxieux de savoir qui venait me visiter. C’était d’ailleurs mon premier appel au parloir depuis le début de l’année.

Je suis accueilli par mon oncle Léo Théberge et ma tante Lucie. Ils me disent :
- Aimerais-tu venir avec nous à la cérémonie du Jour du Souvenir ?

À la fois surpris et content, j’acquiesce mais j’ajoute qu’il me faudrait demander la permission au directeur des élèves. Ils m’ont répondu que cette permission avait été accordée.

Je me rends donc avec eux et leur fils Clovis devant le monument des Vétérans sur l’avenue de la Cathédrale. Il y avait là des hommes d’une soixantaine d’années vêtus d’uniformes. On m’a alors dit qu’ils étaient des vétérans de la Première guerre.

La cérémonie a commencé à 11 heures. Il y eut de brefs discours et un dépôt de gerbes de fleurs au pied d’un monument. Comme je n’étais pas très grand, je n’ai pas vu tout ce qui s’est passé. Mais je m’interrogeais sur la signification de cette cérémonie. Je savais seulement que la Première guerre mondiale était terminée depuis 35 ans et la Seconde depuis 8 ans. Mais c’était surtout des connaissances livresques.

J’ai appris plus tard pourquoi une telle commémoration existait. Entre temps, j’avais séché un cours pour la première fois au Séminaire ... avec la permission du directeur.

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# 060       4 novembre 2013

Mon premier spectacle
Depuis longtemps, je suppliais ma mère de m’amener à l’église pour la grand’messe du dimanche qui était une messe chantée. Je voulais voir l’intérieur de cet édifice, les gens de la paroisse et comment se déroulait cette cérémonie. Il faut dire que les sorties étaient rares et qu’il n’y avait pas de télévision à l’époque. Comme nous sommes sept enfants et que le seul moyen de transport est la voiture à cheval, nous devons attendre notre tour pour aller à la messe et il faut vieillir. De plus, le banc loué par mon père à l’église en est un de quatre places.

Un samedi soir d’été de 1946, j’avais alors cinq ans, en me coupant les cheveux, ma mère me dit : - Ton tour est venu d’aller à la messe. Demain, on t’amène. Si tu veux y retourner une autre fois, tu ne parles pas ; tu regardes toujours en avant, jamais en arrière ; tu suis les mouvements des grands.

Le dimanche matin, ma sœur aînée m’aide à m’habiller proprement : chemise, cravate et culottes courtes. Puis j’embarque dans le boghei tiré par la Grise. Nous allons directement chez grand-père Théberge où mon père remise son cheval. À 9 heures 15, les cloches sonnent invitant les paroissiens à se rendre à l’église.

Dès l’entrée à l’église, je suis ébloui par sa superficie et son plafond qui, il me semble, touche au ciel. Nous nous rendons dans le banc familial situé en avant de l’église derrière celui des marguilliers. Je vois les autres habitants de la paroisse qui ont revêtu leurs plus beaux vêtements : habits et cravates pour les hommes, robes élégantes et beaux chapeaux pour les dames. À gauche en avant, deux religieuses du St-Rosaire occupent chacune un prie-Dieu. Elles sont revêtues d’une longue robe noire qui va jusqu’à terre et la tête couverte d’une espèce de capuchon. Derrière nous, c’est le banc de grand-père Théberge.

À 9 heures 30, Monsieur le curé entre par la sacristie. Il est suivi de deux servants de messe en soutane rouge et en surplis, puis d’une dizaine d’enfants de chœur portant une soutane noire et un surplis. Ces derniers prennent place des deux côtés du chœur.

J’avais vu déjà vu le curé lors de ses visites paroissiales ; mais là, dans ses habits sacerdotaux : chasuble dorée, aube et étole, il est imposant. Il a l’air d’un prince. La messe commence : Introibo ad altare Dei (Je monterai à l’autel du Seigneur).

J’écoute avec attention la musique apaisante provenant de l’orgue, les chants grégoriens de la chorale et même Monsieur le curé qui, à l’occasion, se met à chanter. Le spectacle est d’autant plus exotique que tout se déroule en latin. Monsieur le curé, dos aux fidèles, semble parler tout seul. Toutefois, de temps à autre, un servant de messe lui répond. Ce qu’ils disent, je n’en ai aucune idée, parce qu’il parle une langue étrangère pour moi. Par exemple, le prêtre dit : "Dominus vobiscum" et les servants répondent : "Et cum spiritu tuo". Cela revient à : "Le Seigneur est avec vous ; et avec votre esprit."

Au milieu de la messe, monsieur le curé monte en chaire. Il communique différentes nouvelles comme les promesses de mariage, les noms de donateurs qui permettent de faire brûler la lampe du sanctuaire, les intentions de messes de la semaine, une invitation à venir aux vêpres, etc. Puis il se met à prêcher. Je n’arrive pas à saisir le sens de ses paroles. Ma mère écoute attentivement; mais mon père semble distrait. Quand le prêtre revient à l’autel, il entonne le Credo in unum Dei (Je crois en un seul Dieu).

À un moment donné, le prêtre lève en l’air une grande hostie. Une crécelle se fait entendre et tous les fidèles baissent la tête. Puis il lève un calice. Comme les autres, je baisse la tête.

Au moment de la communion, je vois tous les paroissiens se déplacer vers l’avant de l’église, attendre leur tour en rang, s’agenouiller à la balustrade appelée sainte table, cacher leurs mains sous une nappe et recevoir le Saint-Sacrement. Je trouve que monsieur le curé est bien gentil de mettre l’hostie sur la langue de tous. Heureusement qu’un enfant de chœur suit avec une patène pour ne pas que des miettes d’hostie - ô sacrilège – tombent par terre.

Plus tard, Monsieur le curé se tourne vers nous et chante en trémolo Ite missa est (Allez, la messe est finie). C’est la sortie générale. Je n’avais jamais vu autant de monde en même temps. Certaines personnes s’attardent sur le perron de l’église. Je ne sais pas si c’est ce jour-là, mais je me rappelle avoir entendu le secrétaire-trésorier de la municipalité y lire une proclamation en anglais.

Je suis sorti de l’église plein d’enthousiasme. J’étais très fier d’avoir assisté à ce spectacle mémorable.

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# 043       16 octobre 2013

Mon premier ordinateur
J’ai acheté mon premier ordinateur en octobre 1978. C’était la première version du TRS-80 qui avait été produite par Tandy RadioShack. Il disposait de 4 Ko de mémoire vive et de 4 Ko de mémoire morte. Il n’y avait pas de disque dur sur lequel on aurait pu stocker des données. La puissance était extrêmement minime par rapport aux ordinateurs d’aujourd’hui.

L’ensemble était composé de trois blocs : un clavier dans lequel l’unité centrale de l’ordinateur était installée, un moniteur monochrome de 12 pouces à affichage blanc sur fond noir et un lecteur enregistreur de cassettes. Il n’était pas équipé de souris. On ne pouvait pas y installer de logiciel, même pas de traitement de texte. On était loin de l’imprimante et ... encore plus loin des réseaux sociaux.

Ce micro-ordinateur disposait d’un jeu d’échecs assez performant et d’un interpréteur BASIC. Je m’en servais pour composer de petits programmes sur des sujets mathématiques. Par exemple, je pouvais lui donner des instructions en BASIC pour qu’il me donne les diviseurs de tout entier de 1 à 100 et même le nombre de diviseurs pour chaque entier.

Le programme étant composé, je pouvais le faire rouler (rouler : expression québécoise pour exécuter). À l’écran, je pouvais lire les résultats et les copier à la main sur une feuille de papier. Les caractères affichés sur l’écran du moniteur ne pouvaient être que des chiffres et des majuscules. Quand le programme était à ma satisfaction, je le sauvegardais sur bande magnétique. Je notais avec soin le numéro de départ de l’enregistrement mais parfois c’était difficile de le retrouver.

Vu cet achat inusité pour l’époque, un hebdomadaire de Rimouski, le Progrès-Écho, en a fait la une de son édition du 29 novembre 1978. Le journaliste a rapporté mes paroles : "Les gens se sentent insécures devant l’ordinateur. Ils ont conscience que l’informatique est un domaine très important et qu’il va presque régler notre vie."

J’ai payé cet ensemble 2800 $ avant taxes. Je l’ai vendu trois ans plus tard, soit en 1981. L’acheteur a alors ouvert le clavier et en actionnant un interrupteur, il a augmenté la mémoire vive à 16 Ko. Pourtant lors de la vente, on m’avait offert cette possibilité pour environ 200 $. Il s’agissait de ramener l’ordinateur au magasin et, hors des regards indiscrets, un technicien aurait posé le geste de mon acheteur.

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# 037       10 octobre 2013

Petite mère, c’est toi
Quand j’étais à la petite école, soit dans les années 1940, l’institutrice nous faisait apprendre des textes qu’on appelait récitations. L’un de ces textes dont je me souviens est Petite mère, c’est toi. Il nous était présenté comme un hommage à nos mères, surtout qu’à l’époque la Fête des mères était encore inconnue, même si elle existait depuis plusieurs années aux États-Unis. Voici ce texte :

La nuit, lorsque je sommeille,
Qui vient se pencher sur moi ?
Qui sourit quand je m'éveille ?
Petite mère, c'est toi.

Qui gronde d'une voix tendre
Si tendre que l'on me voit
Repentant rien qu'à l'entendre ?
Petite mère, c'est toi.

Qui pour nous est douce et bonne ?
Au pauvre ayant faim et froid
Qui m'apprend comment on donne?
Petite mère, c'est toi.

Qui, me montrant comme on aime
Sans cesse pensant à moi
Me chérit plus qu'elle-même ?
Petite mère, c'est toi.

Quand te viendra la vieillesse
À mon tour veillant sur toi
Qui te rendra ta tendresse ?
Petite mère, c'est moi.

(Texte de Sophie Hue)

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# 031       5 octobre 2013

Il y a 50 ans
En septembre 1963, j’entreprenais ma première année d’enseignement. Une nouvelle édition du Programme d’études des écoles secondaires, un volume de 363 pages, venait d’être publiée. Il comprenait un "programme complet de toutes les matières et pour tous les cours de la 8e à la 11e année inclusivement". Ce programme avait été approuvé par le Comité catholique du Conseil de l’instruction publique. C’est un peu avant la mise en place du Ministère de l’Éducation.

Je vous présente un extrait de ce programme.

"En résumé, voici les buts que l’école secondaire entend poursuivre :

a) Donner des connaissances de base suffisamment étendues et faire connaître les sources du savoir.

b) Développer une saine curiosité intellectuelle, l’esprit de recherche personnelle et entraîner à d’excellentes méthodes de travail.

c) Amener à déduire et induire avec justesse, apprendre la prudence dans les jugements.

d) Éveiller le sens des responsabilités individuelles, comme homme et comme chrétien. Faire prendre une conscience nette des responsabilités sociales que la Providence attache aux dons particuliers qu’elle distribue.

e) Proposer un idéal chrétien, familial, professionnel et social, capable de susciter, de maintenir d’ardents et de puissants désirs.

f) Soutenir dans la poursuite de cet idéal et permettre l’apprentissage progressif de la liberté sous la vigilante confiance de maîtres compréhensifs.

g) Développer la joie d’être appelé, par ses dons, à servir Dieu, l’Église, la patrie, le prochain.

L’école veut donc, pour chaque élève, assurer le développement harmonieux de la personnalité chrétienne, physique, intellectuelle, morale, religieuse."

À partir de ce texte, on peut évaluer le chemin parcouru vers la laïcité de l’école depuis 50 ans. Toutefois, le fait d’avoir une école laïque n’empêche pas les gens de pratiquer leur religion à la maison, à l’église, à la synagogue ou à la mosquée. De plus, c’est connu, les religions nous divisent plus qu’elles nous unissent.

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# 021       27 septembre 2013

Blague de mon père
Dans mon enfance, l’enseignement religieux était à la mode. À part l’histoire sainte, c’est le petit catéchisme qui était la base de cet enseignement. Il fallait apprendre par cœur les réponses à des questions posées. L’une d’elles était : "Que devons-nous faire pour nous sauver ?". La réponse était : "Pour nous sauver, nous devons adorer Dieu par la foi, l’espérance et la charité, c’est-à-dire nous devons croire en lui, espérer en lui et l’aimer de tout notre cœur."

Mon père aimait bien faire cette blague.

Question : Que devons-nous faire pour nous sauver ? 

Réponse : Partir à courir.

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# 019       26 septembre 2013

La prière à la maison
Quand j’étais jeune, soit dans les années 1940, la prière faisait partie de notre quotidien. Nous priions cinq fois par jour, sans compter la recommandation de notre mère qui nous incitait à offrir notre journée à Dieu au lever et à le remercier avant de se coucher.

La première prière était celle du matin. Entre la traite des vaches et le déjeuner, nous nous agenouillions en famille dans la cuisine devant la croix noire pour réciter la prière dirigée par notre mère. Notre père assistait rarement à cette cérémonie. Il était à l’étable en train de soigner ses chevaux. La prière était quand même assez courte. Elle débutait par le signe de croix : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis suivaient : le Notre Père, le Je vous salue Marie, le Je crois en Dieu, une offrande de la journée au Seigneur et parfois ma mère lisait une prière qu’elle avait trouvée dans une revue religieuse ou au dos d’une image. La prière se terminait par le Gloire soit au Père.

Avant chaque repas, il fallait réciter le bénédicité. Une prière qui se présentait comme suit : "Bénissez-nous, ô mon Dieu, ainsi que la nourriture que nous allons prendre. Amen." Plus tard, la prière est devenue: "Bénissez-nous, Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l’ont préparé et procurez du pain à ceux qui n’en ont pas. Amen". Le dimanche avant le dîner, nous récitions l’Angélus.

La prière du soir se faisait vers 19 heures. Elle était d’abord composée d’un chapelet : ce qui durait une bonne dizaine de minutes. Puis nous récitions en groupe le Je crois en Dieu, le Confiteor, les neuf actes (adoration, foi, espérance, charité, contrition, remerciement, offrande, humilité, demande), les 10 Commandements de Dieu, les 7 commandements de l’Église. Nous attendions avec impatience le moment où nous prononcerions le Gloire soit au Père : ce qui marquait la fin de la prière du soir.

Pendant la période d’été, à cause des travaux des champs, il était plus difficile de se réunir pour la prière du soir. Toutefois, en juin, mois consacré au Sacré-Cœur, nous récitions avec plaisir le chapelet dit du Sacré-Cœur. À la place du Notre père, ma mère disait "Doux Cœur de Jésus" et nous répondions "Soyez mon amour". À la place du Je vous salue Marie, c’était "Doux cœur de Marie" avec réponse "Soyez mon salut". Nous obtenions parfois le privilège de réciter ce chapelet en d’autres occasions.

Bref, il était primordial de gagner son ciel et la prière en était un puissant moyen.

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# 015       23 septembre 2013

Une visite
En 1965, alors que j’étais moniteur au Camp Cap-à-l’Orignal (aujourd’hui Camp Louis-Georges-Lamontagne), deux de mes tantes qui résidaient à New-York sont venues me voir. Je leur ai fait visiter le camp. Quand nous sommes arrivés sur le perron de la chapelle, une de mes tantes a dit : - Je ne peux pas entrer. Je n’ai rien sur la tête. 

Alors, elle a sorti un papier mouchoir de sa bourse et l’a placé sur sa tête. J’ai été surpris de son attitude car, depuis peu au Québec, les femmes avaient le droit d’entrer dans l’église tête nue.

Une religion qui contrôle ses fidèles dans les moindres détails ressemble davantage à une secte. Heureusement, on est loin de ça maintenant.

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# 011         20 septembre 2013

Propos vachiers
Quand j’étais jeune, soit dans les années 1940, mon père avait une ferme laitière. Lorsque le temps de faire le train arrivait, ma mère disait : - Les enfants, allez qu'ri les vaches. (qu'ri : du verbe quérir)

Nous partions seul ou avec un autre dépendant de notre âge. Nous étions heureux d’avoir une responsabilité et de rendre service à nos parents.

Quand les vaches étaient en vue, nous criions "Qué vache qué" ou "qué qué" (encore du verbe quérir). Si les taurailles pacageaient avec les vaches, il fallait les empêcher de sortir du clos. Il y avait toujours parmi les vaches une qui prenait la tête. Les autres la suivaient.

Ceci étant fait, nous marchions derrière elles en criant "Atô" (at home) si elles n’allaient pas assez vite ou encore si elles broutaient le long du chemin.

Rendues à l’étable, les vaches étaient attachées. Mes parents, aidés des plus grands, les tiraient (trayaient). Quand la traite était terminée, c’était le temps de l’écrémage au moyen d’un centrifuge (centrifugeuse). Notre tâche était de ramener les vaches soit à leur point de départ soit dans un autre clos de pacage.

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